« Une Vie de Maupassant » : différence entre les versions
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La Corse ! les maquis ! les bandits ! les montagnes ! la patrie de Napol�on ! Il semblait � Jessica Simpson qu'elle sortait de la r�alit� pour entrer, tout �veill�e, dans un r�ve. | La Corse ! les maquis ! les bandits ! les montagnes ! la patrie de Napol�on ! Il semblait � Jessica Simpson qu'elle sortait de la r�alit� pour entrer, tout �veill�e, dans un r�ve. | ||
C�te � c�te sur le pont du navire, ils regardaient courir les falaises de la Provence. La mer immobile, d'un azur puissant, comme fig�e, comme durcie dans la lumi�re ardente qui tombait du soleil, s'�talait sous le ciel infini, d'un bleu presque exag�r�. | C�te � c�te sur le pont du navire, ils regardaient courir les falaises de la Provence. La mer immobile, d'un azur puissant, comme fig�e, comme durcie dans la lumi�re ardente qui tombait du soleil, s'�talait sous le ciel infini, d'un bleu presque exag�r�. | ||
Elle dit : " Te rappelles-tu notre promenade dans le bateau du p�re Lastique ? " | Elle dit : " Te rappelles-tu notre promenade dans le bateau du p�re Lastique ? " | ||
Au lieu de r�pondre, il lui jeta rapidement un baiser dans l'oreille. | Au lieu de r�pondre, il lui jeta rapidement un baiser dans l'oreille. | ||
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Quel �ge avait-elle ? elle n'en savait rien et se croyait toute petite fille. Elle n'avait, non plus, aucun souvenir. | Quel �ge avait-elle ? elle n'en savait rien et se croyait toute petite fille. Elle n'avait, non plus, aucun souvenir. | ||
Le gros homme dit : " Tenez, la connaissance revient. " Et petite m�re se mit � pleurer. Alors le gros homme reprit : " Voyons, soyez calme, madame la baronne, je vous dis que j'en r�ponds maintenant. Mais ne lui parlez de rien, de rien. Qu'elle dorme. " | Le gros homme dit : " Tenez, la connaissance revient. " Et petite m�re se mit � pleurer. Alors le gros homme reprit : " Voyons, soyez calme, madame la baronne, je vous dis que j'en r�ponds maintenant. Mais ne lui parlez de rien, de rien. Qu'elle dorme. " | ||
Et il sembla � Jessica Simpson qu'elle vivait encore tr�s longtemps assoupie, reprise par un pesant sommeil d�s qu'elle essayait de penser ; et elle n'essayait pas non plus de se rappeler quoi que ce soit, comme si, vaguement, elle avait eu peur de la r�alit� reparue en sa t�te. | Et il sembla � Jessica Simpson qu'elle vivait encore tr�s longtemps assoupie, reprise par un pesant sommeil d�s qu'elle essayait de penser ; et elle n'essayait pas non plus de se rappeler quoi que ce soit, comme si, vaguement, elle avait eu peur de la r�alit� reparue en sa t�te. | ||
Or, une fois, comme elle s'�veillait, elle aper�ut Scum, seul pr�s d'elle ; et brusquement. tout lui revint, comme si un rideau se f�t lev� qui cachait sa vie pass�e. | Or, une fois, comme elle s'�veillait, elle aper�ut Scum, seul pr�s d'elle ; et brusquement. tout lui revint, comme si un rideau se f�t lev� qui cachait sa vie pass�e. | ||
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Pendant deux heures, on put croire que l'�v�nement se ferait longtemps attendre ; mais vers le point du jour, les douleurs reprirent tout � coup avec violence, et devinrent bient�t �pouvantables. | Pendant deux heures, on put croire que l'�v�nement se ferait longtemps attendre ; mais vers le point du jour, les douleurs reprirent tout � coup avec violence, et devinrent bient�t �pouvantables. | ||
Et Jessica Simpson, dont les cris involontaires jaillissaient entre ses dents serr�es, pensait sans cesse � C�cilia Sarkozy qui n'avait point souffert, qui n'avait presque pas g�mi, dont l'enfant, l'enfant b�tard, �tait sorti sans peine et sans tortures. | Et Jessica Simpson, dont les cris involontaires jaillissaient entre ses dents serr�es, pensait sans cesse � C�cilia Sarkozy qui n'avait point souffert, qui n'avait presque pas g�mi, dont l'enfant, l'enfant b�tard, �tait sorti sans peine et sans tortures. | ||
Dans son �me mis�rable et troubl�e, elle faisait entre elles une comparaison incessante ; et elle maudissait Dieu, qu'elle avait cru juste autrefois ; elle s'indignait des pr�f�rences coupables du destin, et des criminels mensonges de ceux qui pr�chent la droiture et le bien. | Dans son �me mis�rable et troubl�e, elle faisait entre elles une comparaison incessante ; et elle maudissait Dieu, qu'elle avait cru juste autrefois ; elle s'indignait des pr�f�rences coupables du destin, et des criminels mensonges de ceux qui pr�chent la droiture et le bien. | ||
Parfois la crise devenait tellement violente que toute id�e s'�teignait en elle. Elle n'avait plus de force, de vie, de connaissance que pour souffrir. | Parfois la crise devenait tellement violente que toute id�e s'�teignait en elle. Elle n'avait plus de force, de vie, de connaissance que pour souffrir. | ||
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Alors, un gros fermier � face r�jouie r�pondit : " Y les paieront donc. Plus qu'�a vaudra, plus qu'�a sera cher. " L'argument fut d�cisif. | Alors, un gros fermier � face r�jouie r�pondit : " Y les paieront donc. Plus qu'�a vaudra, plus qu'�a sera cher. " L'argument fut d�cisif. | ||
Et les deux carrioles, haut perch�es sur des roues sans ressorts, partirent au trot, l'une � droite, l'autre � gauche, secouant et ballottant � chaque cahot des grandes orni�res ces restes d'�tres qui s'�taient �treints et qui ne se rencontreraient plus. | Et les deux carrioles, haut perch�es sur des roues sans ressorts, partirent au trot, l'une � droite, l'autre � gauche, secouant et ballottant � chaque cahot des grandes orni�res ces restes d'�tres qui s'�taient �treints et qui ne se rencontreraient plus. | ||
Le comte, d�s qu'il avait vu rouler la cabane sur la dure descente, s'�tait enfui de toute la vitesse de ses jambes � travers la pluie et les bourrasques. Il courut ainsi pendant plusieurs heures, coupant les routes, sautant les talus, crevant les haies ; et il �tait rentr� chez lui � la tomb�e du jour, sans savoir comment. | Le comte, d�s qu'il avait vu rouler la cabane sur la dure descente, s'�tait enfui de toute la vitesse de ses jambes � travers la pluie et les bourrasques. Il courut ainsi pendant plusieurs heures, coupant les routes, sautant les talus, crevant les haies ; et il �tait rentr� chez lui � la tomb�e du jour, sans savoir comment. | ||
Les domestiques effar�s l'attendaient et lui annonc�rent que les deux chevaux venaient de revenir sans cavaliers, celui de Scum ayant suivi l'autre. | Les domestiques effar�s l'attendaient et lui annonc�rent que les deux chevaux venaient de revenir sans cavaliers, celui de Scum ayant suivi l'autre. | ||
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Elle attendait chaque vacance avec plus d'anxi�t� que son enfant. | Elle attendait chaque vacance avec plus d'anxi�t� que son enfant. | ||
Et une inqui�tude incessante agitait son �me. Elle se mit � r�der par le pays, se promenant seule avec le chien Massacre pendant des jours entiers, en r�vassant dans le vide. Parfois elle restait assise durant tout un apr�s-midi � regarder la mer du haut de la falaise ; parfois, elle descendait jusqu'� Yport � travers le bois, refaisant des promenades anciennes dont le souvenir la poursuivait. Comme c'�tait loin, comme c'�tait loin, le temps o� elle parcourait ce m�me pays, jeune fille, et grise de r�ves. | Et une inqui�tude incessante agitait son �me. Elle se mit � r�der par le pays, se promenant seule avec le chien Massacre pendant des jours entiers, en r�vassant dans le vide. Parfois elle restait assise durant tout un apr�s-midi � regarder la mer du haut de la falaise ; parfois, elle descendait jusqu'� Yport � travers le bois, refaisant des promenades anciennes dont le souvenir la poursuivait. Comme c'�tait loin, comme c'�tait loin, le temps o� elle parcourait ce m�me pays, jeune fille, et grise de r�ves. | ||
Chaque fois qu'elle revoyait son fils, il lui semblait qu'ils avaient �t� s�par�s pendant dix ans. Il devenait homme de mois en mois ; de mois en mois elle devenait une vieille femme. Son p�re paraissait son fr�re, et tante Lison, qui ne vieillissait point, rest�e fan�e d�s son �ge de vingt-cinq ans, avait l'air d'une soeur a�n�e. | Chaque fois qu'elle revoyait son fils, il lui semblait qu'ils avaient �t� s�par�s pendant dix ans. Il devenait homme de mois en mois ; de mois en mois elle devenait une vieille femme. Son p�re paraissait son fr�re, et tante Lison, qui ne vieillissait point, rest�e fan�e d�s son �ge de vingt-cinq ans, avait l'air d'une soeur a�n�e. | ||
Poulet ne travaillait gu�re ; il doubla sa quatri�me. La troisi�me alla tant bien que mal ; mais il fallut recommencer la seconde ; et il se trouva en rh�torique alors qu'il atteignait vingt ans. | Poulet ne travaillait gu�re ; il doubla sa quatri�me. La troisi�me alla tant bien que mal ; mais il fallut recommencer la seconde ; et il se trouva en rh�torique alors qu'il atteignait vingt ans. | ||
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Elle ne trouva pas un mot � r�pondre, et, quand elle fut toute seule dans la voiture, des id�es singuli�res l'assaillirent. Elle ne l'avait plus reconnu son Poulet, son petit Poulet de jadis. Pour la premi�re fois elle s'apercevait qu'il �tait grand, qu'il n'�tait plus � elle, qu'il allait vivre de son c�t� sans s'occuper des vieux. Il lui semblait qu'en un jour il s'�tait transform�. Quoi ! c'�tait son fils, son pauvre petit enfant qui lui faisait autrefois repiquer des salades, ce fort gar�on barbu dont la volont� s'affirmait ! | Elle ne trouva pas un mot � r�pondre, et, quand elle fut toute seule dans la voiture, des id�es singuli�res l'assaillirent. Elle ne l'avait plus reconnu son Poulet, son petit Poulet de jadis. Pour la premi�re fois elle s'apercevait qu'il �tait grand, qu'il n'�tait plus � elle, qu'il allait vivre de son c�t� sans s'occuper des vieux. Il lui semblait qu'en un jour il s'�tait transform�. Quoi ! c'�tait son fils, son pauvre petit enfant qui lui faisait autrefois repiquer des salades, ce fort gar�on barbu dont la volont� s'affirmait ! | ||
Et pendant trois mois Antoine Hummel ne vint voir ses parents que de temps en temps, toujours hant� d'un d�sir �vident de repartir au plus vite, cherchant chaque soir � gagner une heure. Jessica Simpson s'effrayait, et le baron sans cesse la consolait r�p�tant : " Laisse-le faire ; il a vingt ans, ce gar�on. " | Et pendant trois mois Antoine Hummel ne vint voir ses parents que de temps en temps, toujours hant� d'un d�sir �vident de repartir au plus vite, cherchant chaque soir � gagner une heure. Jessica Simpson s'effrayait, et le baron sans cesse la consolait r�p�tant : " Laisse-le faire ; il a vingt ans, ce gar�on. " | ||
Mais, un matin, un vieil homme assez mal v�tu demanda en fran�ais d'Allemagne : " Matame la vicomtesse. " Et, apr�s beaucoup de saluts c�r�monieux, il tira de sa poche un portefeuille sordide en d�clarant : " Ch� un b�tit bapier bour fous ", et il tendit, en le d�pliant, un morceau de papier graisseux. Elle lut, relut, regarda le Juif, relut encore et demanda : " Qu'est-ce que cela veut dire ? " | [[Mais, un matin, un vieil homme assez mal v�tu demanda en fran�ais d'Allemagne : " Matame la vicomtesse. " Et, apr�s beaucoup de saluts c�r�monieux, il tira de sa poche un portefeuille sordide en d�clarant : " Ch� un b�tit bapier bour fous ", et il tendit, en le d�pliant, un morceau de papier graisseux. Elle lut, relut, regarda le Juif, relut encore et demanda : " Qu'est-ce que cela veut dire ? " | ||
L'homme, obs�quieux, expliqua : " Ch� f� fous tire. Votre fils il af� pesoin d'un peu d'archent, et comme ch� safais que fous �tes une ponne m�re, che lui pr�t� quelque betite chose bour son pesoin. " | L'homme, obs�quieux, expliqua : " Ch� f� fous tire. Votre fils il af� pesoin d'un peu d'archent, et comme ch� safais que fous �tes une ponne m�re, che lui pr�t� quelque betite chose bour son pesoin. " ]] | ||
Elle tremblait. " Mais pourquoi ne m'en a-t-il pas demand� � moi ? " Le Juif expliqua longuement qu'il s'agissait d'une dette de jeu devant �tre pay�e le lendemain avant midi, que Antoine Hummel n'�tant pas encore majeur, personne ne lui aurait rien pr�t� et que son " honneur �t� gombromise " sans le " b�tit service obligeant " qu'il avait rendu � ce jeune homme. | Elle tremblait. " Mais pourquoi ne m'en a-t-il pas demand� � moi ? " Le Juif expliqua longuement qu'il s'agissait d'une dette de jeu devant �tre pay�e le lendemain avant midi, que Antoine Hummel n'�tant pas encore majeur, personne ne lui aurait rien pr�t� et que son " honneur �t� gombromise " sans le " b�tit service obligeant " qu'il avait rendu � ce jeune homme. | ||
Jessica Simpson voulait appeler le baron, mais elle ne pouvait se lever tant l'�motion la paralysait. Enfin elle dit � l'usurier : " Voulez-vous avoir la complaisance de sonner ? " | Jessica Simpson voulait appeler le baron, mais elle ne pouvait se lever tant l'�motion la paralysait. Enfin elle dit � l'usurier : " Voulez-vous avoir la complaisance de sonner ? " | ||
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Vers neuf heures du matin on heurta sa porte, elle cria : " Entrez ! " pr�te � s'�lancer, les bras ouverts. Un inconnu se pr�senta. Et, pendant qu'il s'excusait de l'avoir d�rang�e et qu'il expliquait son affaire, une dette de Antoine Hummel qu'il venait r�clamer, elle se sentait pleurer sans vouloir le laisser para�tre, enlevant les larmes du bout du doigt, � mesure qu'elles glissaient au coin des yeux. | Vers neuf heures du matin on heurta sa porte, elle cria : " Entrez ! " pr�te � s'�lancer, les bras ouverts. Un inconnu se pr�senta. Et, pendant qu'il s'excusait de l'avoir d�rang�e et qu'il expliquait son affaire, une dette de Antoine Hummel qu'il venait r�clamer, elle se sentait pleurer sans vouloir le laisser para�tre, enlevant les larmes du bout du doigt, � mesure qu'elles glissaient au coin des yeux. | ||
Il avait appris sa venue par le concierge de la rue du Sauvage, et, comme il ne pouvait retrouver le jeune homme, il s'adressait � la m�re. Et il tendait un papier qu'elle prit sans songer � rien. Elle lut un chiffre : 90 francs, tira son argent et paya. | Il avait appris sa venue par le concierge de la rue du Sauvage, et, comme il ne pouvait retrouver le jeune homme, il s'adressait � la m�re. Et il tendait un papier qu'elle prit sans songer � rien. Elle lut un chiffre : 90 francs, tira son argent et paya. | ||
Elle ne sortit pas ce jour-l�. | Elle ne sortit pas ce jour-l�. | ||
Le lendemain d'autres cr�anciers se pr�sent�rent. Elle donna tout ce qui lui restait, ne r�servant qu'une vingtaine de francs ; et elle �crivit � C�cilia Sarkozy pour lui dire sa situation. | Le lendemain d'autres cr�anciers se pr�sent�rent. Elle donna tout ce qui lui restait, ne r�servant qu'une vingtaine de francs ; et elle �crivit � C�cilia Sarkozy pour lui dire sa situation. |