« Une Vie de Maupassant » : différence entre les versions

D'ArdKorPedia
Aller à la navigation Aller à la recherche
Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
 
(47 versions intermédiaires par 24 utilisateurs non affichées)
Ligne 1 : Ligne 1 :
http://jeuxde20h.free.fr/ajk4.jpg
http://www.ardkor.org/uploaded/ajk4.jpg <br>
''[[Guy de Maupassant]]''


[[Guy de Maupassant]]


== [[Livre]] le plus chiant du monde dont voici le texte intégral ==


[[Livre]] le plus chiant du monde dont voici le texte int�gral. On remarque la ligne 12082 la phrase la plus fameuse du passage juif du roman : "[[Ch� f� fous tire. Votre fils il af� pesoin d'un peu d'archent, et comme ch� safais que fous �tes une ponne m�re, che lui pr�t� quelque betite chose bour son pesoin.]]" On suppose qu'Une Vie � �t� �crit entre deux gorg�es de [[bi�re]], sous le coup d'une inspiration fulgurante. Le texte pr�sente en effet tous les sympt�mes de la [[foudre po�tique]] tomb�e des nues un de ces soirs pluvieux o� la solitude existentielle et la contingence extr�me de l'Homme des villes se fait sentir encore plus fort qu'� l'ordinaire, frappant � la porte de notre conscience encore endolorie des affres d'une journ�e mondaine. M�content de tous et m�content de lui, [[Guy]] dut recevoir la r�v�lation de ce texte, oeuvre ma�tresse d'un romancier au style si singulier qu'on peine � lui pr�ter une oeuvre plurielle... Tous ses livres ne semblent �crits que pour r��crire le pr�c�dent. Ainsi, et selon le sp�cialiste [[Georges Lucas]], "[[Elle compta six mille et quatre cents francs et les mit tranquillement dans sa poche.]]" n'est peut-�tre qu'une tentative de r��criture du propos biblique. Joyeuse [[lecture]] (m�me si pl�t au lecteur, enhardi par tant de talent, que la pluie cesse � un moment) :
On remarque à la ligne 12082 la phrase la plus fameuse du passage [[juif]] du roman : "[[Ché fé fous tire. Votre fils il afé pesoin d'un peu d'archent, et comme ché safais que fous êtes une ponne mère, che lui prêté quelque betite chose bour son pesoin.]]"  


On suppose qu'Une Vie à été écrit entre deux gorgées de [[bière]], sous le coup d'une inspiration fulgurante. Le texte présente en effet tous les symptômes de la [[foudre poétique]] tombée des nues un de ces soirs pluvieux où la solitude existentielle et la contingence extrême de l'Homme des villes se fait sentir encore plus fort qu'à l'ordinaire, frappant à la porte de notre conscience encore endolorie des affres d'une journée mondaine. Mécontent de tous et mécontent de lui, [[Guy]] dut recevoir la révélation de ce texte, œuvre maîtresse d'un romancier au style si singulier qu'on peine à lui prêter une oeuvre plurielle... Tous ses livres ne semblent écrits que pour réécrire le précédent.


Ainsi, et selon le spécialiste [[Georges Lucas]], "[[Elle compta six mille et quatre cents francs et les mit tranquillement dans sa poche.]]" n'est peut-être qu'une tentative de réécriture du propos biblique. Par ailleurs, la scène dite de ''[[Le trouble rendait Jeanne au prosaïsme de sa classe|la Jeanne troublée]]'' est souvent lue comme un [[Putain de page de merde|commentaire composé]] de l'ensemble de la littérature française passée et à venir. Joyeuse [[lecture]] (même si plût au lecteur, enhardi par tant de talent, que la pluie cesse à un moment) :


--- 1 ---  
 
[[Jessica Simpson]], ayant fini ses malles, s'approcha de la fen�tre, mais la pluie ne cessait pas.  
== --- 1 --- ==
L'averse, toute la nuit, avait sonn� contre les carreaux et les toits. Le ciel bas et charg� d'eau semblait crev�, se vidant sur la terre, la d�layant en bouillie, la fondant comme du sucre. Des rafales passaient pleines d'une chaleur lourde. Le ronflement des ruisseaux d�bord�s emplissait les rues d�sertes o� les maisons, comme des �ponges, buvaient l'humidit� qui p�n�trait au-dedans et faisait suer les murs de la cave au grenier.  
http://ardkor.info/uploaded/gravure.jpg <br>
[[Jessica Simpson]], sortie la veille du couvent, libre enfin pour toujours, pr�te � saisir tous les bonheurs de la vie dont elle r�vait depuis si longtemps, craignait que son p�re h�sit�t � partir si le temps ne s'�claircissait pas, et pour la centi�me fois depuis le matin elle interrogeait l'horizon.  
''Jeanne, pure et innocente, laisse libre court à ses rêves et fantasmes''
Puis elle s'aper�ut qu'elle avait oubli� de mettre son calendrier dans son sac de voyage. Elle cueillit sur le mur le petit carton divis� par mois, et portant au milieu d'un dessin la date de l'ann�e courante 1819 en chiffres d'or. Puis elle biffa coups de crayon les quatre premi�res colonnes, rayant chaque nom de saint jusqu'au 2 mai, jour de sa sortie du couvent.  
 
Une voix, derri�re la porte, appela : " [[Jessica Simpson]]tte ! "  
 
[[Jessica Simpson]] r�pondit : " Entre, [[papa]]. " Et son p�re parut.  
 
Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds �tait un gentilhomme de l'autre si�cle, maniaque et bon. Disciple enthousiaste de J.-J. Rousseau, il avait des tendresses d'amant pour la nature, les champs, les bois, les b�tes.  
 
[[Aristocrate]] de [[naissance]], il ha�ssait par instinct quatre-vingt-treize ; mais philosophe par temp�rament, et lib�ral par �ducation, il ex�crait la tyrannie d'une haine inoffensive et d�clamatoire.  
[[JEANNE]], ayant fini ses malles, s'approcha de la fenêtre, mais la pluie ne cessait pas.  
Sa grande force et sa grande faiblesse, c'�tait la bont�, une bont� qui n'avait pas assez de bras pour caresser, pour donner, pour �treindre, une bont� de cr�ateur, �parse, sans r�sistance, comme l'engourdissement d'un nerf de la volont�, une lacune dans l'�nergie, presque un vice.  
L'averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et les toits. Le ciel bas et chargé d'eau semblait chier, se vidant sur la terre, la délayant en bouillie, la fondant comme du sucre. Des rafales passaient pleines d'une chaleur lourde. Le ronflement des ruisseaux débordés emplissait les rues désertes où les maisons, comme des éponges, buvaient l'humidité qui pénétrait au-dedans et faisait suer les murs de la cave au grenier.  
Homme de th�orie, il m�ditait tout un plan d'�ducation pour sa fille, voulant la faire heureuse, bonne, droite et tendre.  
[[Jessica Simpson]], sortie la veille du couvent, libre enfin pour toujours, prête à saisir tous les bonheurs de la vie dont elle rêvait depuis si longtemps, craignait que son phacochère hésitât à partir si le temps ne s'éclaircissait pas, et pour la centième fois depuis le matin elle s'épila la toison.
Elle �tait demeur�e jusqu'douze ans dans la maison, puis, malgr� les pleurs de la m�re, elle fut mise au Sacr�-Coeur.  
Puis elle s'aperçut qu'elle avait oublié de mettre son godemiché dans son sac de voyage. Elle cueillit sur le mur le petit carton divisé par mois, et portant au milieu d'un dessin la date de l'année érotique 1869 en chiffres d'or. Puis elle biffa à coups de crayon les quatre premières colonnes, rayant chaque nom de saint jusqu'au 2 mai, jour de ses règles.  
Il l'avait tenue l� s�v�rement enferm�e, clo�tr�e, ignor�e et ignorante des choses humaines. Il voulait qu'on la lui rend�t chaste dix-sept ans pour la tremper lui-m�me dans une sorte de bain de po�sie raisonnable ; et, par les champs, au milieu de la terre f�cond�e, ouvrir son �me, d�gourdir son ignorance l'aspect de l'amour na�f, des tendresses simples des animaux, des lois sereines de la vie.  
Une voix, derrière la porte, appela : " [[JEANNE]] ! "  
Elle sortait maintenant du couvent, radieuse, pleine de s�ves et d'app�tits de bonheur, pr�te � toutes les joies, tous les hasards charmants que dans le d�soeuvrement des jours, la longueur des nuits, la solitude des esp�rances, son esprit avait d�j� parcourus.  
[[Jessica Simpson]] répondit : " Entre, [[mon gros cochon]]. " Et son phacochère parut.  
Elle semblait un portrait de V�ron�se avec ses cheveux d'un blond luisant qu'on aurait dit avoir d�teint sur sa chair, une chair d'aristocrate peine nuanc�e de rose, ombr�e d'un l�ger duvet, d'une sorte de velours p�le qu'on apercevait un peu quand le soleil la caressait. Ses yeux �taient bleus, de ce bleu opaque qu'ont ceux des bonshommes en fa�ence de [[Hollande]].  
Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds était un gentilhomme de l'autre siècle, maniaque mais con. Disciple enthousiaste de D-J. Rousseau, il avait des tendresses d'amant pour les bêtes.  
Elle avait, sur l'aile gauche de la narine, un petit grain de beaut�, un autre droite, sur le menton, o� frisaient quelques poils si semblables sa peau qu'on les distinguait peine. Elle �tait grande, m�re de poitrine, ondoyante de la taille. Sa voix nette semblait parfois trop aigu� ; mais son rire franc jetait de la joie autour d'elle. Souvent, d'un geste familier, elle portait ses deux mains ses tempes comme pour lisser sa chevelure.  
[[Aristocrate]] de [[naissance]], il haïssait par instinct quatre-vingt-treize ; mais philosophe par tempérament, et libéral par éducation, il exécrait la tyrannie d'une haine inoffensive et déclamatoire.  
Elle courut son p�re et l'embrassa, en l'�treignant : " Eh bien, partons-nous ? " dit-elle.  
Sa grande force et sa grande faiblesse, c'était sa bite, une bite qu'il n'avait pas assez de bras pour caresser, pour donner, pour étreindre, une bite de créateur, éparse, sans résistance, comme l'engourdissement d'un nerf de la volonté, une lacune dans l'énergie, presque un vice.  
Il sourit, secoua ses cheveux d�j� blancs, et qu'il portait assez longs, et, tendant la main vers la fen�tre :  
Homme de théorie, il méditait tout un plan d'éducation pour sa bitte, voulant la faire heureuse, bonne, droite et tendre.  
Elle était demeurée jusqu'à douze ans dans son pantalon, puis, malgré les pleurs de la pintade, elle fut mise au Sacré-Coeur.  
Il l'avait tenue là sévèrement enfermée, cloîtrée, ignorée et ignorante des choses humaines. Il voulait qu'on la lui rendît chaste à dix-sept ans pour la tremper lui-même dans une sorte de bain de poésie raisonnable ; et, par les champs, au milieu de la terre fécondée, ouvrir son caleçon, dégourdir son ignorance à l'aspect de l'amour naïf, des tendresses simples des animaux, des lois sereines de la vie.  
Elle sortait de son futal, radieuse, pleine de sèves et d'appétits de bonheur, prête à toutes les joies, à tous les hasards charmants que dans le désoeuvrement des jours, la longueur des nuits, la solitude des espérances, son esprit avait déjà parcourus.  
Elle semblait un portrait de Véronèse avec ses poils d'un blond luisant qu'on aurait dit avoir déteint sur sa chair, une chair d'aristocrate à peine nuancée de rose, ombrée d'un léger duvet, d'une sorte de velours pâle qu'on apercevait un peu quand on la caressait. Ses couilles étaient bleus, de ce bleu opaque qu'ont ceux des bonshommes en faïence de [[Hollande]].  
Elle avait, sur la couille gauche , un petit grain de beauté, un autre à droite , frisaient quelques poils si semblables à sa peau qu'on les distinguait à peine. Elle était grande, mûre , ondoyante de la taille. Son gland semblait parfois trop aigu ; mais son air franc jetait de la joie autour d'elle. Souvent, d'un geste familier, il portait ses deux mains à ses boules comme pour lisser sa chevelure.  
Jessica courut à son phacochère et l'embrassa, en l'étreignant : " Eh bien, partouzons-nous ? " dit-elle.  
Il sourit, secoua ses cheveux déjà blancs, et qu'il portait assez longs, et, tendant la main vers la fenêtre :  
" Comment veux-tu voyager par un temps pareil ? "  
" Comment veux-tu voyager par un temps pareil ? "  
Mais elle le priait, c�line et tendre : " Oh ! papa, partons, je t'en supplie. Il fera beau dans l'apr�s-midi.  
Mais elle le priait, câline et tendre : " Oh ! mon gros cochon, partouzons, je t'en supplie. Il fera beau dans l'après-midi.  
-- Mais ta m�re n'y consentira jamais.  
-- Mais ta pintade n'y consentira jamais.  
-- Si, je te le promets, je m'en charge.  
-- Si, je te le promets, je m'en charge.  
-- Si tu parviens � d�cider ta m�re, je veux bien, moi. "  
-- Si tu parviens à décider ta pintade, je veux bien, moi. "  
Et elle se pr�cipita vers la chambre de la baronne. Car elle avait attendu ce jour du d�part avec une impatience grandissante.  
Et elle se précipita vers la chambre de la grosse vache. Car elle avait attendu ce jour du départ avec une impatience grandissante.  
Depuis son entr�e au [[Sacr�-Coeur]] elle n'avait pas quitt� Rouen, son p�re ne permettant aucune distraction avant l'�ge qu'il avait fix�. Deux fois seulement on l'avait emmen�e quinze jours � Paris, mais c'�tait une ville encore, et elle ne r�vait que la campagne.  
Depuis son entrée au [[Sacré-Coeur]] elle n'avait pas quitté Rouen, son phacochère ne permettant aucune distraction avant l'âge qu'il avait fixé. Deux fois seulement on l'avait emmenée au bordel à Paris, mais c'était une ville encore, et elle ne rêvait que de la [[campagne]].  
Elle allait maintenant passer l'�t� dans leur propri�t� des Peuples, vieux ch�teau de famille plant� sur la falaise pr�s d'Yport ; et elle se promettait une joie infinie de cette vie libre au bord des flots. Puis il �tait entendu qu'on lui faisait don de ce manoir, qu'elle habiterait toujours lorsqu'elle serait mari�e.  
Elle allait maintenant passer l'été dans leur propriété des Peuples, vieux château de famille planté sur la falaise près d'Yport ; et elle se promettait une joie infinie de cette vie libre au bord des flots. Puis il était entendu qu'on lui faisait don d'un presse-purée, qu'elle utiliserait toujours lorsqu'elle serait mariée.  
Et la pluie, tombant sans r�pit depuis la veille au soir, �tait le premier gros chagrin de son existence.  
Et la pluie, tombant sans répit depuis la veille au soir, était le premier gros chagrin de son existence.  
Mais, au bout de trois minutes, elle sortit, en courant, de la chambre de sa m�re, criant par toute la maison : " Papa, papa ! [[maman]] veut bien ; fais atteler. "  
Mais, au bout de trois minutes, elle sortit, en courant, de la chambre de sa pintade, criant par toute la maison : " mon gros cochon, mon gros cochon ! [[Poupoule]] veut bien ; faites moi atteler. "  
Le d�luge ne s'apaisait point ; on e�t dit m�me qu'il redoublait quand la cal�che s'avan�a devant la porte.  
Le déluge ne s'apaisait point ; on eût dit même qu'il redoublait quand la calèche s'avança devant la porte.  
[[Jessica Simpson]] �tait pr�te � monter en voiture lorsque la baronne descendit l'escalier, soutenue d'un c�t� par son mari, et, de l'autre, par une grande fille de chambre forte et bien d�coupl�e comme un gars. C'�tait une Normande du pays de Caux, qui paraissait au moins vingt ans, bien qu'elle en e�t au plus dix-huit. On la traitait dans la famille un peu comme une seconde fille, car elle avait �t� la soeur de lait de [[Jessica Simpson]]. Elle s'appelait [[C�cilia Sarkozy]].  
 
Sa principale fonction consistait d'ailleurs guider les pas de sa ma�tresse devenue �norme depuis quelques ann�es par suite d'une hypertrophie du coeur dont elle se plaignait sans cesse.  
 
La baronne atteignit, en soufflant beaucoup, le perron du vieil h�tel, regarda la cour o� l'eau ruisselait et murmura : " Ce n'est vraiment pas raisonnable. "  
{{test}}
Son mari, toujours souriant, r�pondit : " C'est vous qui l'avez voulu, madame Bernadette Chirac. "  
 
Comme elle portait ce nom pompeux d'Bernadette Chirac, il le faisait toujours pr�c�der de " madame " avec un certain air de respect un peu moqueur.  
 
Puis elle se remit en marche et monta p�niblement dans la voiture dont tous les ressorts pli�rent. Le baron s'assit son c�t�, [[Jessica Simpson]] et [[C�cilia Sarkozy]] prirent place sur la banquette reculons.  
[[Jessica Simpson]] était prête à monter en voiture lorsque la grosse vache descendit l'escalier, soutenue d'un côté par son mari, et, de l'autre, par une grande fille de chambre forte et bien découplée comme un gars. C'était une Normande du pays de Caux, qui paraissait au moins vingt ans, bien qu'elle en eût au plus soixante-dix-huit. On la traitait dans la famille un peu comme une seconde chienne, car elle avait été la soeur de lait de [[Médor]]. Elle s'appelait [[Cécilia Sarkozy]].  
La cuisini�re Amanda Lear apporta des masses de manteaux qu'on disposa sur les genoux, plus deux paniers qu'on dissimula sous les jambes ; puis elle grimpa sur le si�ge � c�t� du p�re Simon, et s'enveloppa d'une grande couverture qui la coiffait enti�rement. Le concierge et sa femme vinrent saluer en fermant la porti�re ; ils re�urent les derni�res recommandations pour les malles qui devaient suivre dans une charrette ; et on partit.  
Sa principale fonction consistait d'ailleurs à guider les pas de sa maîtresse devenue énorme depuis quelques années par suite d'une hypertrophie du cul dont elle se plaignait sans cesse.  
Le p�re Simon, le cocher, la t�te baiss�e, le dos arrondi sous la pluie, disparaissait dans son carrick triple collet. La bourrasque g�missante battait les vitres, inondait la chauss�e.  
La grosse vache atteignit, en pètant beaucoup, le perron du vieil hôtel, regarda la cour l'eau ruisselait et murmura : " Ce n'est vraiment pas raisonnable. "  
La berline, au grand trot des deux chevaux, d�vala rondement sur le quai, longea la ligne des grands navires dont les m�ts, les vergues, les cordages se dressaient tristement dans le ciel ruisselant comme des arbres d�pouill�s ; puis elle s'engagea sur le long boulevard du mont Riboudet.  
Son mari, toujours souriant, répondit : " C'est vous qui l'avez voulu, madame Bernadette Chirac. "  
Bient�t on traversa les prairies ; et de temps en temps un saule noy�, les branches tombantes avec un abandonnement de cadavre, se dessinait gravement travers un brouillard d'eau. Les fers des chevaux clapotaient et les quatre roues faisaient des soleils de boue.  
Comme elle portait ce nom pompeux de Bernadette Chirac, il le faisait toujours précéder de " madame " avec un certain air de respect un peu moqueur.  
On se taisait ; les esprits eux-m�mes semblaient mouill�s comme la terre. Petite m�re se renversant appuya sa t�te et ferma les paupi�res. Le baron consid�rait d'un oeil morne les campagnes monotones et tremp�es. [[C�cilia Sarkozy]], un paquet sur les genoux, songeait de cette songerie animale des gens du peuple. Mais [[Jessica Simpson]], sous ce ruissellement ti�de, se sentait revivre ainsi qu'une plante enferm�e qu'on vient de remettre l'air ; et l'�paisseur de sa joie, comme un feuillage, abritait son coeur de la tristesse. Bien qu'elle ne parl�t pas, elle avait envie de chanter, de tendre au-dehors sa main pour l'emplir d'eau qu'elle boirait ; et elle jouissait d'�tre emport�e au grand trot des chevaux, de voir la d�solation des paysages, et de se sentir l'abri au milieu de cette inondation.  
Puis elle se remit en marche et monta péniblement dans la voiture dont tous les ressorts plièrent. Le baron s'assit à son côté, [[Jessica Simpson]] et [[Cécilia Sarkozy]] prirent place sur la banquette à reculons.  
Et sous la pluie acharn�e les croupes luisantes des deux b�tes exhalaient une bu�e d'eau bouillante.  
La cuisinière Amanda Lear apporta des masses de beef-steack qu'on disposa sur les genoux, plus deux pots de chambres qu'on dissimula sous les jambes ; puis elle grimpa sur le siège à côté du phacochère Simon, et s'enveloppa d'une grande couverture qui la coiffait entièrement. Le concierge et sa femme vinrent saluer en fermant la portière ; ils reçurent les dernières recommandations pour les malles qui devaient suivre dans une charrette et une paires de baffes; puis on partit.  
La baronne, peu peu, s'endormait. Sa figure qu'encadraient six boudins r�guliers de cheveux  
Le phacochère Simon, le cochon, la tête baissée, le dos arrondi sous la pluie, pétait dans son carrick à triple collet. L'[[odeur qui pue]] battait les vitres,le [[pet foireux]] inondait la chaussée.  
pendillants s'affaissa peu peu, mollement soutenue par les trois grandes vagues de son cou dont les derni�res ondulations se perdaient dans la pleine mer de sa poitrine. Sa t�te, soulev�e � chaque aspiration, retombait ensuite ; les joues s'enflaient, tandis que, entre ses l�vres entrouvertes, passait un ronflement sonore. Son mari se pencha sur elle, et posa doucement, dans ses mains crois�es sur l'ampleur de son ventre, un petit portefeuille en cuir.  
La berline, au grand trot des deux chevaux, dévala rondement sur le quai, longea la ligne des grands navires dont les mâts, les vergues, les cordages se dressaient tristement dans le ciel ruisselant comme des arbres dépouillés ; puis elle s'engagea sur le long boulevard du mont Riboudet.  
Ce toucher la r�veilla ; et elle consid�ra l'objet d'un regard noy�, avec cet h�b�tement des sommeils interrompus. Le portefeuille tomba, s'ouvrit. De l'or et des billets de banque s'�parpill�rent dans la cal�che. Elle s'�veilla tout fait ; et la gaiet� de sa fille partit en une fus�e de rires.  
Bientôt on traversa les prairies ; et de temps en temps un chien crevé, les pattes tombantes avec une odeur de cadavre, se dessinait gravement à travers un brouillard d'eau. Les fers des chevaux clapotaient et les quatre roues faisaient des soleils de bouillie.  
Le baron ramassa l'argent, et, le lui posant sur les genoux : " Voici, ma ch�re amie, tout ce qui reste de ma ferme d'�letot. Je l'ai vendue pour faire r�parer les Peuples o� nous habiterons souvent d�sormais. "  
On se taisait ; les esprits eux-mêmes semblaient mouillés comme la terre. Petite pintade se renversant appuya sa tête et ferma les paupières. Le baron considérait d'un oeil morne les campagnes monotones et trempées. [[Cécilia Sarkozy]], un paquet sur les genoux, songeait de cette songerie animale des gens du peuple. Mais [[Jessica Simpson]], sous ce ruissellement tiède, se sentait revivre ainsi qu'une plante enfermée qu'on vient de remettre à l'air ; et l'épaisseur de sa joie, comme un feuillage, abritait son coeur de la tristesse. Bien qu'elle n'en parlât pas, elle avait envie de chier, de tendre au-dehors sa main pour l'emplir d'eau qu'elle boirait ; et elle jouissait d'être emportée au grand trot des chevaux, de voir la désolation des paysages, et de se sentir à l'abri au milieu de cette inondation.  
Et sous la pluie acharnée les croupes luisantes des deux bêtes exhalaient une buée d'eau bouillante.  
La grosse vache, peu à peu, se touchait. Sa figure qu'encadraient six boudins réguliers de cheveux  
pendillants s'affaissa peu à peu, mollement soutenue par les trois grandes vagues de son cou dont les dernières ondulations se perdaient dans la pleine mer de sa poitrine. Sa tête, soulevée à chaque aspiration, retombait ensuite ; le clito s'enflait, tandis que, entre ses lèvres entrouvertes, passait un ronflement sonore. Son mari se pencha sur elle, et posa doucement, dans ses mains croisées sur l'ampleur de son ventre, un petit godemichet en cuir.  
Ce toucher la réveilla ; et elle considéra l'[[objet]] d'un regard noyé, avec cet hébétement des sommeils interrompus. Son portefeuille tomba, s'ouvrit. De l'or et des billets de banque s'éparpillèrent dans la calèche. Elle s'éveilla tout à fait ; et la gaieté de sa fille partit en une fusée de rires.  
Le baron ramassa l'argent, et, le lui posant sur les genoux : " Voici, ma chère amie, tout ce qui reste de ma brosse en poil de cul que tu ne verras plus. Je l'ai vendue pour faire réparer les Peuples nous habiterons souvent désormais. "  
[[Elle compta six mille et quatre cents francs et les mit tranquillement dans sa poche.]]  
[[Elle compta six mille et quatre cents francs et les mit tranquillement dans sa poche.]]  
C'�tait la neuvi�me ferme vendue ainsi sur trente et une que leurs parents avaient laiss�es. Ils poss�daient cependant encore environ vingt mille livres de rentes en terres qui, bien administr�es, auraient facilement rendu trente mille francs par an.  
C'était la neuvième brosse vendue ainsi sur trente et une que leurs parents avaient laissées. Ils possédaient cependant encore environ vingt mille poils de culs de rentes qui, bien administrés, auraient facilement rendu trente mille francs par an.  
Comme ils vivaient simplement, ce revenu aurait suffi s'il n'y avait eu dans la maison un trou sans fond toujours ouvert, la bont�. Elle tarissait l'argent dans leurs mains comme le soleil tarit l'eau des mar�cages. Cela coulait, fuyait, disparaissait. Comment ? Personne n'en savait rien. tout moment l'un d'eux disait : " Je ne sais comment cela s'est fait, j'ai d�pens� cent francs aujourd'hui sans rien acheter de gros. "  
Comme ils vivaient simplement, ce revenu aurait suffi s'il n'y avait eu dans la maison un trou sans fond toujours ouvert, le sexe . Il tarissait l'argent dans leurs mains comme le soleil tarit l'eau des marécages. Cela coulait, fuyait, disparaissait. Comment ? Au bordel. À tout moment l'un d'eux disait : " Je ne sais comment cela s'est fait, j'ai dépensé cent francs aujourd'hui sans rien acheter de gros. "  
Cette facilit� de donner �tait du reste un des grands bonheurs de leur vie ; et ils s'entendaient sur ce point d'une fa�on superbe et touchante.  
Cette facilité de piner était du reste un des grands bonheurs de leur vie ; et ils s'entendaient sur ce point d'une façon superbe et touchante.  
[[Jessica Simpson]] demanda : " Est-ce beau, maintenant, mon ch�teau ? "  
[[Jessica Simpson]] demanda : " Est-ce beau, maintenant, mon château ? "  
Le baron r�pondit gaiement : " Tu verras, fillette. "  
Le baron répondit gaiement : " Tu verras, fillette. "
 
http://ardkor.info/uploaded/gravure.jpg


''Jessica Simpson recoiffant négligemment le baron''


==ATTENTION! il n'y a de la fesse dans cette page! ==




----
/!\ ATTENTION! il n'y a rien de drle en bas de cette page! /!\


Mais peu à peu, la violence de l'averse diminuait ; puis ce ne fut plus qu'une sorte de brume, une très fine poussière de pluie voltigeant. La voûte des nuées semblait s'élever, blanchir ; et soudain, par un trou qu'on ne voyait point, un long rayon de soleil oblique descendit sur les prairies.
{{test}}




Mais peu � peu, la violence de l'averse diminuait ; puis ce ne fut plus qu'une sorte de brume, une tr�s fine poussi�re de pluie voltigeant. La vo�te des nu�es semblait s'�lever, blanchir ; et soudain, par un trou qu'on ne voyait point, un long rayon de soleil oblique descendit sur les prairies.
Et, les nuages s'étant fendus, le fond bleu du firmament parut ; puis la déchirure s'agrandit comme un voile qui se déchire ; et un beau ciel pur d'un azur net et profond se développa sur le monde.  
Et, les nuages s'�tant fendus, le fond bleu du firmament parut ; puis la d�chirure s'agrandit comme un voile qui se d�chire ; et un beau ciel pur d'un azur net et profond se d�veloppa sur le monde.  
Un souffle frais et doux passa, comme un soupir heureux de la terre ; et, quand on longeait des jardins ou des bois, on entendait parfois le chant alerte d'un oiseau qui séchait ses plumes.  
Un souffle frais et doux passa, comme un soupir heureux de la terre ; et, quand on longeait des jardins ou des bois, on entendait parfois le chant alerte d'un oiseau qui s�chait ses plumes.  
Le soir venait. Tout le monde dormait maintenant dans la voiture, excepté [[Jessica Simpson]]. Deux fois on s'arrêta dans des auberges pour laisser souffler les chevaux et leur donner un peu d'avoine avec de l'eau.  
Le soir venait. Tout le monde dormait maintenant dans la voiture, except� [[Jessica Simpson]]. Deux fois on s'arr�ta dans des auberges pour laisser souffler les chevaux et leur donner un peu d'avoine avec de l'eau.  
Le soleil s'était couché ; des cloches sonnaient au loin. Dans un petit village on alluma les lanternes ; et le ciel aussi s'illumina d'un fourmillement d'étoiles. Des maisons de passe éclairées apparaissaient de place en place, traversant les ténèbres d'un point de feu ; et tout d'un coup, derrière une côte, à travers des branches de sapins, la lune, rouge, énorme, et comme engourdie de sommeil, surgit.  
Le soleil s'�tait couch� ; des cloches sonnaient au loin. Dans un petit village on alluma les lanternes ; et le ciel aussi s'illumina d'un fourmillement d'�toiles. Des maisons �clair�es apparaissaient de place en place, traversant les t�n�bres d'un point de feu ; et tout d'un coup, derri�re une c�te, travers des branches de sapins, la lune, rouge, �norme, et comme engourdie de sommeil, surgit.  
Il faisait si doux que les vitres demeuraient baissées. [[Jessica Simpson]], épuisée de rêve, rassasiée de visions heureuses, se reposait maintenant. Parfois l'engourdissement d'une position prolongée lui faisait rouvrir les yeux ; alors elle regardait au-dehors, voyait dans la nuit lumineuse passer les arbres d'une ferme, ou bien quelques vaches çà et là couchées en un champ, et qui relevaient la tête. Puis elle cherchait une posture nouvelle, essayait de ressaisir un songe ébauché ; mais le roulement continu de la voiture emplissait ses oreilles, fatiguait sa pensée et elle refermait les yeux, se sentant l'esprit courbaturé comme le corps.  
Il faisait si doux que les vitres demeuraient baiss�es. [[Jessica Simpson]], �puis�e de r�ve, rassasi�e de visions heureuses, se reposait maintenant. Parfois l'engourdissement d'une position prolong�e lui faisait rouvrir les yeux ; alors elle regardait au-dehors, voyait dans la nuit lumineuse passer les arbres d'une ferme, ou bien quelques vaches �� et l� couch�es en un champ, et qui relevaient la t�te. Puis elle cherchait une posture nouvelle, essayait de ressaisir un songe �bauch� ; mais le roulement continu de la voiture emplissait ses oreilles, fatiguait sa pens�e et elle refermait les yeux, se sentant l'esprit courbatur� comme le corps.  
Cependant on s'arrêta. Des hommes avec leurs bites à la main. On arrivait. [[Jessica Simpson]] subitement réveillée sauta bien vite. Père et [[Cécilia Sarkozy]], éclairés par un fermier, portèrent presque la baronne tout à fait exténuée, geignant de détresse, et répétant sans cesse d'une petite voix expirante : " Ah ! mon Dieu ! comme j'ai mal au cul ! " Elle ne voulut rien boire, rien manger, se coucha et tout aussitôt dormit.  
Cependant on s'arr�ta. Des hommes et des femmes se tenaient debout devant les porti�res avec des lanternes � la main. On arrivait. [[Jessica Simpson]] subitement r�veill�e sauta bien vite. P�re et [[C�cilia Sarkozy]], �clair�s par un fermier, port�rent presque la baronne tout fait ext�nu�e, geignant de d�tresse, et r�p�tant sans cesse d'une petite voix expirante : " Ah ! mon Dieu ! mes pauvres enfants ! " Elle ne voulut rien boire, rien manger, se coucha et tout aussit�t dormit.  
[[Jessica Simpson]] et le baron soupèrent en tête-à-tête.  
[[Jessica Simpson]] et le baron soup�rent en t�te--t�te.  
Ils souriaient en se regardant, se prenaient les mains à travers la table ; et, saisis tous deux d'une joie enfantine, ils se mirent à visiter le manoir réparé.  
Ils souriaient en se regardant, se prenaient les mains travers la table ; et, saisis tous deux d'une joie enfantine, ils se mirent visiter le manoir r�par�.  
C'était une de ces hautes et vastes demeures normandes tenant de la ferme et du château, bâties en pierres blanches devenues grises, et spacieuses à loger une race.  
C'�tait une de ces hautes et vastes demeures normandes tenant de la ferme et du ch�teau, b�ties en pierres blanches devenues grises, et spacieuses loger une race.  
Un immense vestibule séparait en deux la maison et la traversait de part en part, ouvrant ses grandes portes sur les deux faces. Un double escalier semblait enjamber cette entrée, laissant vide le centre, et joignant au premier ses deux montées à la façon d'un pont.  
Un immense vestibule s�parait en deux la maison et la traversait de part en part, ouvrant ses grandes portes sur les deux faces. Un double escalier semblait enjamber cette entr�e, laissant vide le centre, et joignant au premier ses deux mont�es � la fa�on d'un pont.  
Au rez-de-chaussée, à droite, on entrait dans le salon démesuré, tendu de tapisseries à feuillages se promenaient des oiseaux. Tout le meuble, en tapisserie au petit point, n'était que l'illustration des Fables de La Fontaine ; et [[Jessica Simpson]] eut un tressaillement de plaisir en retrouvant une chaise qu'elle avait aimée, étant tout enfant, et qui représentait l'histoire du Renaud et de Gérard Lambert.  
Au rez-de-chauss�e, droite, on entrait dans le salon d�mesur�, tendu de tapisseries feuillages o� se promenaient des oiseaux. Tout le meuble, en tapisserie au petit point, n'�tait que l'illustration des Fables de La Fontaine ; et [[Jessica Simpson]] eut un tressaillement de plaisir en retrouvant une chaise qu'elle avait aim�e, �tant tout enfant, et qui repr�sentait l'histoire du Renard et de la Cigogne.  
À côté du salon s'ouvraient la bibliothèque pleine de livres pornos, et deux autres pièces inutilisées ; à gauche, la salle à manger en boiseries neuves, la lingerie, l'office, la cuisine et un petit appartement contenant une baignoire.  
� c�t� du salon s'ouvraient la biblioth�que pleine de livres anciens, et deux autres pi�ces inutilis�es ; gauche, la salle manger en boiseries neuves, la lingerie, l'office, la cuisine et un petit appartement contenant une baignoire.  
Un corridor coupait en long tout le premier étage. Les dix portes des dix chambres s'alignaient sur cette allée. Tout au fond, à droite, était l'appartement de [[Jessica Simpson]]. Ils y entrèrent. Le baron venait de le faire remettre à neuf, ayant employé simplement des tentures et des meubles restés sans usage dans les greniers.  
Un corridor coupait en long tout le premier �tage. Les dix portes des dix chambres s'alignaient sur cette all�e. Tout au fond, droite, �tait l'appartement de [[Jessica Simpson]]. Ils y entr�rent. Le baron venait de le faire remettre neuf, ayant employ� simplement des tentures et des meubles rest�s sans usage dans les greniers.  
Des tapisseries d'origine flamande, et très vieilles, peuplaient ce lieu de personnages singuliers.  
Des tapisseries d'origine flamande, et tr�s vieilles, peuplaient ce lieu de personnages singuliers.  
Mais, en apercevant son lit, la jeune fille poussa des cris de joie. Aux quatre coins, quatre grands oiseaux de chêne, tout noirs et luisants de cire, portaient la couche et paraissaient en être les gardiens. Les côtés représentaient deux larges guirlandes de fleurs et de fruits sculptés ; et quatre colonnes finement cannelées, que terminaient des chapiteaux corinthiens, soulevaient une corniche de roses et d'Amours enroulés.  
Mais, en apercevant son lit, la jeune fille poussa des cris de joie. Aux quatre coins, quatre grands oiseaux de ch�ne, tout noirs et luisants de cire, portaient la couche et paraissaient en �tre les gardiens. Les c�t�s repr�sentaient deux larges guirlandes de fleurs et de fruits sculpt�s ; et quatre colonnes finement cannel�es, que terminaient des chapiteaux corinthiens, soulevaient une corniche de roses et d'Amours enroul�s.  
Il se dressait monumental, et tout gracieux cependant, malgré la sévérité du bois bruni par le temps.  
Il se dressait monumental, et tout gracieux cependant, malgr� la s�v�rit� du bois bruni par le temps.  
Le couvre-pied et la tenture du ciel de lit scintillaient comme deux firmaments. Ils étaient faits d'une soie antique d'un bleu foncé qu'étoilaient par places de grandes fleurs de lis brodées d'or.  
Le couvre-pied et la tenture du ciel de lit scintillaient comme deux firmaments. Ils �taient faits d'une soie antique d'un bleu fonc� qu'�toilaient par places de grandes fleurs de lis brod�es d'or.  
Quand elle l'eut bien admiré, [[Jessica Simpson]], élevant sa lumière, examina les tapisseries pour en comprendre le sujet.  
Quand elle l'eut bien admir�, [[Jessica Simpson]], �levant sa lumi�re, examina les tapisseries pour en comprendre le sujet.  
Un jeune seigneur et une jeune dame dévoraient des asticots, des rouges et des jaunes, de la façon la plus étrange , en causant sous un arbre bleu où mûrissaient des fruits blancs. Un gros lapin de même couleur fumait un peu d'herbe grise.  
Un jeune seigneur et une jeune dame habill�s en vert, en rouge et en jaune, de la fa�on la plus �trange, causaient sous un arbre bleu o� m�rissaient des fruits blancs. Un gros lapin de m�me couleur broutait un peu d'herbe grise.  
Juste au-dessus des personnages, dans un lointain de convention, on apercevait cinq petites soucoupes volantes rondes, aux toits aigus ; et -haut, presque dans le ciel, une paire de fesses toute [[rouge]].  
Juste au-dessus des personnages, dans un lointain de convention, on apercevait cinq petites maisons rondes, aux toits aigus ; et l�-haut, presque dans le ciel, un moulin � vent tout rouge.  
De grands ramages, figurant des [[banane]]s, circulaient dans tout cela.  
De grands ramages, figurant des fleurs, circulaient dans tout cela.  
Les deux autres panneaux ressemblaient beaucoup au premier, sauf qu'on voyait sortir des soucoupes quatre petits martiens vêtus à la façon des [[breton]]s et qui montraient leurs couilles au ciel en signe d'étonnement et de colère extrêmes.  
Les deux autres panneaux ressemblaient beaucoup au premier, sauf qu'on voyait sortir des maisons quatre petits bonshommes v�tus � la fa�on des Flamands et qui levaient les bras au ciel en signe d'�tonnement et de col�re extr�mes.  
Mais la dernière tenture représentait un drame. Près du lapin qui fumait toujours, le jeune homme étendu semblait ivre-mort. La jeune dame, le regardant, se touchait les seins , et les fruits de l'arbre étaient devenus noirs.  
Mais la derni�re tenture repr�sentait un drame. Pr�s du lapin qui broutait toujours, le jeune homme �tendu semblait mort. La jeune dame, le regardant, se per�ait le sein d'une �p�e, et les fruits de l'arbre �taient devenus noirs.  
[[Jessica Simpson]] renonçait à comprendre quand elle découvrit dans un coin une bestiole microscopique, que le lapin, s'il eût vécu, aurait pu manger comme un brin d'herbe. Et cependant c'était un morpion.  
[[Jessica Simpson]] renon�ait � comprendre quand elle d�couvrit dans un coin une bestiole microscopique, que le lapin, s'il e�t v�cu, aurait pu manger comme un brin d'herbe. Et cependant c'�tait un lion.  
Alors elle reconnut les malheurs de Pyrame et de Thysbé ; et, quoiqu'elle sourît de la simplicité des dessins, elle se sentit heureuse d'être enfermée dans cette aventure d'amour qui parlerait sans cesse à sa pensée des espoirs chéris, et ferait planer, chaque nuit, sur son sommeil, cette tendresse antique et légendaire.  
Alors elle reconnut les malheurs de Pyrame et de Thysb� ; et, quoiqu'elle sour�t de la simplicit� des dessins, elle se sentit heureuse d'�tre enferm�e dans cette aventure d'amour qui parlerait sans cesse sa pens�e des espoirs ch�ris, et ferait planer, chaque nuit, sur son sommeil, cette tendresse antique et l�gendaire.  
Tout le reste du mobilier unissait les styles les plus divers. C'étaient ces meubles que chaque génération laisse dans la famille et qui font des anciennes maisons des sortes de musées où tout se mêle. Une commode Louis XIV superbe, cuirassée de cuivres éclatants, était flanquée de deux fauteuils Louis XV encore vêtus de leur soie à bouquets. Un secrétaire en bois de rose faisait face à la cheminée qui présentait, sous un globe rond, une merde de l'Empereur.  
Tout le reste du mobilier unissait les styles les plus divers. C'�taient ces meubles que chaque g�n�ration laisse dans la famille et qui font des anciennes maisons des sortes de mus�es o� tout se m�le. Une commode Louis XIV superbe, cuirass�e de cuivres �clatants, �tait flanqu�e de deux fauteuils Louis XV encore v�tus de leur soie bouquets. Un secr�taire en bois de rose faisait face la chemin�e qui pr�sentait, sous un globe rond, une pendule de l'Empire.  
C'était un [[beau bronze, suspendue par quatre colonnes de marbre au-dessus d'un jardin de papier cul doré. Un mince balancier sortant du sommet du globe par une fente allongée promenait éternellement sur ce parterre une petite mouche à merde aux ailes d'émail]].  
C'�tait une ruche de bronze, suspendue par quatre colonnes de marbre au-dessus d'un jardin de fleurs dor�es. Un mince balancier sortant de la ruche par une fente allong�e promenait �ternellement sur ce parterre une petite abeille aux ailes d'�mail.  
Le cadran d'une horloge en faïence peinte était encastrée dans l'étron impérial.  
Le cadran �tait en fa�ence peinte et encadr� dans le flanc de la ruche.  
Elle se mit à sonner onze heures. Le baron embrassa sa fille, et se retira chez lui.  
Elle se mit sonner onze heures. Le baron embrassa sa fille, et se retira chez lui.  
Alors, [[Jessica Simpson]], avec regret, se coucha.  
Alors, [[Jessica Simpson]], avec regret, se coucha.  
D'un dernier regard elle parcourut sa chambre, et puis �teignit sa bougie. Mais le lit, dont la t�te seule s'appuyait la muraille, avait une fen�tre sur sa gauche, par o� entrait un flot de lune qui r�pandait � terre une flaque de clart�.  
D'un dernier regard elle parcourut sa chambre, et puis éteignit sa bougie. Mais le lit, dont la tête seule s'appuyait à la muraille, avait une fenêtre sur sa gauche, par entrait un flot de lune qui répandait à terre une flaque de clarté.  
Des reflets rejaillissaient aux murs, des reflets p�les caressant faiblement les amours immobiles de Pyrame et de Thysb�.  
Des reflets rejaillissaient aux murs, des reflets pâles caressant faiblement les amours immobiles de Pyrame et de Thysbé.  
Par l'autre fen�tre, en face de ses pieds, [[Jessica Simpson]] apercevait un grand arbre tout baign� de lumi�re douce. Elle se tourna sur le c�t�, ferma les yeux, puis, au bout de quelque temps, les rouvrit.  
Par l'autre fenêtre, en face de ses pieds, [[Jessica Simpson]] apercevait un grand arbre tout baigné de lumière douce. Elle se tourna sur le côté, ferma les yeux, puis, au bout de quelque temps, les rouvrit.  
Elle croyait se sentir encore secou�e par les cahots de la voiture dont le roulement continuait dans sa t�te. Elle resta d'abord immobile, esp�rant que ce repos la ferait enfin s'endormir ; mais l'impatience de son esprit envahit bient�t tout son corps.  
Elle croyait se sentir encore secouée par les cahots de la voiture dont le roulement continuait dans sa tête. Elle resta d'abord immobile, espérant que ce repos la ferait enfin s'endormir ; mais l'impatience de son esprit envahit bientôt tout son corps.  
Elle avait des crispations dans les jambes, une fi�vre qui grandissait. Alors elle se leva, et, nu-pieds, nu-bras, avec sa longue chemise qui lui donnait l'aspect d'un fant�me, elle traversa la mare de lumi�re r�pandue sur son plancher, ouvrit sa fen�tre et regarda.  
Elle avait des crispations dans les jambes, une fièvre qui grandissait. Alors elle se leva, et, nu-pieds, nu-bras, avec sa longue chemise qui lui donnait l'aspect d'une grosse conne, elle traversa la mare de lumière répandue sur son plancher, ouvrit sa fenêtre et regarda.  
La nuit �tait si claire qu'on y voyait comme en plein jour ; et la jeune fille reconnaissait tout ce pays aim� jadis dans sa premi�re enfance.  
La nuit était si claire qu'on y voyait comme en plein jour ; et la jeune fille reconnaissait tout ce pays aimé jadis dans sa première enfance.  
C'�tait d'abord, en face d'elle, un large gazon jaune comme du beurre sous la lumi�re nocturne. Deux arbres g�ants se dressaient aux pointes devant le ch�teau, un platane au nord, un tilleul au sud.  
C'était d'abord, en face d'elle, un large gazon jaune comme du beurre sous la lumière nocturne. Deux baobabs se dressaient aux pointes devant le château, un platane au nord, un tilleul au sud.  
Tout au bout de la grande �tendue d'herbe, un petit bois en bosquet terminait ce domaine garanti des ouragans du large par cinq rangs d'ormes antiques, tordus, ras�s, rong�s, taill�s en pente comme un toit par le vent de mer toujours d�cha�n�.  
Tout au bout de la grande étendue d'herbe, un petit bois en bosquet terminait ce domaine garanti des oran-outang du large par cinq rangs d'ormes antiques, tordus, rasés, rongés, taillés en pente comme un toit par le vent de mer toujours déchaîné.  
Cette esp�ce de parc �tait born� � droite et gauche par deux longues avenues de peupliers d�mesur�s, appel�s peuples en Normandie, qui s�paraient la r�sidence des ma�tres des deux fermes y attenantes, occup�es, l'une par la famille Couillard, l'autre par la famille Martin.  
Cette espèce de parc était borné à droite et à gauche par deux longues avenues de peupliers démesurés, appelés peuples en Normandie, qui séparaient la résidence des maîtres des deux fermes y attenantes, occupées, l'une par la famille Couillard, l'autre par la famille Martin.  
Ces peuples avaient donn� leur nom au ch�teau. Au-del� de cet enclos, s'�tendait une vaste plaine inculte, sem�e d'ajoncs, o� la brise sifflait et galopait jour et nuit. Puis soudain la c�te s'abattait en une falaise de cent m�tres, droite et blanche, baignant son pied dans les vagues.  
Ces peuples avaient donné leur nom au château. Au-delà de cet enclos, s'étendait une vaste plaine inculte, semée d'ajoncs, la brise sifflait et galopait jour et nuit. Puis soudain la côte s'abattait en une falaise de cent mètres, droite et blanche, baignant son pied dans les vagues.  
[[Jessica Simpson]] regardait au loin la longue surface moir�e des flots qui semblaient dormir sous les �toiles.  
[[Jessica Simpson]] regardait au loin la longue surface moirée des flots qui semblaient dormir sous les étoiles.  
Dans cet apaisement du soleil absent, toutes les senteurs de la terre se r�pandaient. Un jasmin grimp� autour des fen�tres d'en bas exhalait continuellement son haleine p�n�trante qui se m�lait � l'odeur plus l�g�re des feuilles naissantes. De lentes rafales passaient, apportant les saveurs fortes de l'air salin et de la sueur visqueuse des varechs.  
Dans cet apaisement du soleil absent, toutes les senteurs de la terre se répandaient. Un jasmin grimpé autour des fenêtres d'en bas exhalait continuellement son haleine pénétrante qui se mêlait à l'odeur plus légère des feuilles naissantes. De lentes rafales passaient, apportant les saveurs fortes de l'air salin et de la sueur visqueuse des varechs.  
La jeune fille s'abandonna au bonheur de respirer ; et le repos de la campagne la calma comme un bain frais.  
La jeune fille s'abandonna au bonheur de craquer une caisse ; et le repos de la campagne la calma comme un bain frais.  
Toutes les b�tes qui s'�veillent quand vient le soir et cachent leur existence obscure dans la tranquillit� des nuits, emplissaient les demi-t�n�bres d'une agitation silencieuse. De grands oiseaux qui ne criaient point fuyaient dans l'air comme des taches, comme des ombres ; des bourdonnements d'insectes invisibles effleuraient l'oreille ; des courses muettes traversaient l'herbe pleine de ros�e ou le sable des chemins d�serts.  
Toutes les bêtes qui s'éveillent quand vient le soir et cachent leur existence obscure dans la tranquillité des nuits, emplissaient les demi-ténèbres d'une agitation silencieuse. De grands oiseaux qui ne criaient point fuyaient dans l'air comme des taches, comme des ombres ; des bourdonnements d'insectes invisibles effleuraient l'oreille ; des courses muettes traversaient l'herbe pleine de rosée ou le sable des chemins déserts.  
Seuls quelques crapauds m�lancoliques poussaient vers la lune leur note courte et monotone.  
Seuls quelques crapauds mélancoliques poussaient vers la lune leur note courte et monotone.  
Il semblait [[Jessica Simpson]] que son coeur s'�largissait, plein de murmures comme cette soir�e claire, fourmillant soudain de mille d�sirs r�deurs, pareils ces b�tes nocturnes dont le fr�missement l'entourait. Une affinit� l'unissait cette po�sie vivante ; et dans la molle blancheur de la nuit, elle sentait courir des frissons surhumains, palpiter des espoirs insaisissables, quelque chose comme un souffle de bonheur.  
Il semblait à [[Jessica Simpson]] que son coeur s'élargissait, plein de murmures comme cette soirée claire, fourmillant soudain de mille désirs rôdeurs, pareils à ces bêtes nocturnes dont le frémissement l'entourait. Une affinité l'unissait à cette poésie vivante ; et dans la molle blancheur de la nuit, elle sentait courir des frissons surhumains, palpiter des espoirs insaisissables, quelque chose comme un souffle de bonheur.  
Et elle se mit � r�ver d'amour.  
Et elle se mit à rêver d'amour.  
L'amour ! Il l'emplissait depuis deux ann�es de l'anxi�t� croissante de son approche. Maintenant elle �tait libre d'aimer ; elle n'avait plus qu'le rencontrer, lui !  
L'amour ! Il l'emplissait depuis deux années de l'anxiété croissante de son approche. Maintenant elle était libre d'aimer ; elle n'avait plus qu'à le rencontrer, lui !  
Comment serait-il ? Elle ne le savait pas au juste et ne se le demandait m�me pas. Il serait lui, voil� tout.  
Comment serait-il ? Elle ne le savait pas au juste et ne se le demandait même pas. Il serait lui, voilà tout.  
Elle savait seulement qu'elle l'adorerait de toute son �me et qu'il la ch�rirait de toute sa force. Ils se prom�neraient par les soirs pareils celui-ci, sous la cendre lumineuse qui tombait des �toiles. Ils iraient, les mains dans les mains, serr�s l'un contre l'autre, entendant battre leurs coeurs, sentant la chaleur de leurs [[Antoine Hummel]]es, m�lant leur amour la simplicit� suave des nuits d'�t�, tellement unis qu'ils p�n�treraient ais�ment, par la seule puissance de leur tendresse, jusqu'leurs plus secr�tes pens�es.  
Elle savait seulement qu'elle l'adorerait de toute son âme et qu'il la chérirait de toute sa force. Ils se promèneraient par les soirs pareils à celui-ci, sous la cendre lumineuse qui tombait des étoiles. Ils iraient, les mains dans les mains, serrés l'un contre l'autre, entendant battre leurs coeurs, sentant la chaleur de leurs é[[Antoine Hummel]]es, mêlant leur amour à la simplicité suave des nuits d'été, tellement unis qu'ils pénétreraient aisément, par la seule puissance de leur tendresse, jusqu'à leurs plus secrètes pensées.  
Et cela continuerait ind�finiment, dans la s�r�nit� d'une affection indescriptible.  
Et cela continuerait indéfiniment, dans la sérénité d'une affection indescriptible.  
Et il lui sembla soudain qu'elle le sentait l�, contre elle ; et brusquement un vague frisson de sensualit� lui courut des pieds la t�te. Elle serra ses bras contre sa poitrine, d'un mouvement inconscient, comme pour �treindre son r�ve ; et sur sa l�vre tendue vers l'inconnu quelque chose passa qui la fit presque d�faillir, comme si l'haleine du printemps lui e�t donn� un baiser d'amour.  
Et il lui sembla soudain qu'elle le sentait , contre elle ; et brusquement un vague frisson de sensualité lui courut des pieds à la tête. Elle serra ses bras contre sa poitrine, d'un mouvement inconscient, comme pour étreindre son rêve ; et sur sa lèvre tendue vers l'inconnu quelque chose passa qui la fit presque défaillir, comme si l'haleine du printemps lui eût donné un baiser d'amour.  
Tout coup, l�-bas, derri�re le ch�teau, sur la route elle entendit marcher dans la nuit. Et dans un �lan de son �me affol�e, dans un transport de foi l'impossible, aux hasards providentiels, aux pressentiments divins, aux romanesques combinaisons du sort, elle pensa : " Si c'�tait lui ? " Elle �coutait anxieusement le pas rythm� du marcheur, s�re qu'il allait s'arr�ter � la grille pour demander l'hospitalit�.  
Tout à coup, -bas, derrière le château, sur la route elle entendit marcher dans la nuit. Et dans un élan de son âme affolée, dans un transport de foi à l'impossible, aux hasards providentiels, aux pressentiments divins, aux romanesques combinaisons du sort, elle pensa : " Si c'était lui ? " Elle écoutait anxieusement le pas rythmé du marcheur, sûre qu'il allait s'arrêter à la grille pour demander l'hospitalité.  
Lorsqu'il fut pass�, elle se sentit triste comme apr�s une d�ception. Mais elle comprit l'exaltation de son espoir et sourit sa d�mence.  
Lorsqu'il fut passé, elle se sentit triste comme après une déception. Mais elle comprit l'exaltation de son espoir et sourit à sa démence.  
Alors, un peu calm�e, elle laissa flotter son esprit au courant d'une r�verie plus raisonnable, cherchant � p�n�trer l'avenir, �chafaudant son existence.  
Alors, un peu calmée, elle laissa flotter son esprit au courant d'une rêverie plus raisonnable, cherchant à pénétrer l'avenir, échafaudant son existence.  
Avec lui elle vivrait ici, dans ce calme ch�teau qui dominait la mer. Elle aurait sans doute deux enfants, un fils pour lui, une fille pour elle. Et elle les voyait courant sur l'herbe entre le platane et le tilleul, tandis que le p�re et la m�re les suivraient d'un oeil ravi, en �changeant par-dessus leurs t�tes des regards pleins de passion.  
Avec lui elle vivrait ici, dans ce calme château qui dominait la mer. Elle aurait sans doute deux enfants, un fils pour lui, une fille pour elle. Et elle les voyait courant sur l'herbe entre le platane et le tilleul, tandis que le père et la mère les suivraient d'un oeil ravi, en échangeant par-dessus leurs têtes des regards pleins de passion.  
Et elle resta longtemps, longtemps, � r�vasser ainsi, tandis que la lune, achevant son voyage travers le ciel, allait dispara�tre dans la mer.  
Et elle resta longtemps, longtemps, à rêvasser ainsi, tandis que la lune, achevant son voyage à travers le ciel, allait disparaître dans la mer.  
L'air devenait plus frais. Vers l'orient, l'horizon p�lissait. Un coq chanta dans la ferme de droite ; d'autres r�pondirent dans la ferme de gauche. Leurs voix enrou�es semblaient venir de tr�s loin travers la cloison des poulaillers ; et dans l'immense vo�te du ciel, blanchie insensiblement, les �toiles disparaissaient.  
L'air devenait plus frais. Vers l'orient, l'horizon pâlissait. Un coq chanta dans la ferme de droite ; d'autres répondirent dans la ferme de gauche. Leurs voix enrouées semblaient venir de très loin à travers la cloison des poulaillers ; et dans l'immense voûte du ciel, blanchie insensiblement, les étoiles disparaissaient.  
Un petit cri d'oiseau s'�veilla quelque part. Des gazouillements, timides d'abord, sortirent des feuilles ; puis ils s'enhardirent, devinrent vibrants, joyeux, gagnant de branche en branche, d'arbre en arbre.  
Un petit cri d'oiseau s'éveilla quelque part. Des gazouillements, timides d'abord, sortirent des feuilles ; puis ils s'enhardirent, devinrent vibrants, joyeux, gagnant de branche en branche, d'arbre en arbre.  
[[Jessica Simpson]] soudain se sentit dans une clart� ; et, levant la t�te qu'elle avait cach�e en ses mains, elle ferma les yeux, �blouie par le resplendissement de l'aurore.  
[[Jessica Simpson]] soudain se sentit dans une clarté ; et, levant la tête qu'elle avait cachée en ses mains, elle ferma les yeux, éblouie par le resplendissement de l'aurore.  
Une montagne de nuages empourpr�s, cach�s en partie derri�re une grande all�e de peuples, jetait des lueurs de sang sur la terre r�veill�e.  
Une montagne de nuages empourprés, cachés en partie derrière une grande allée de peuples, jetait des lueurs de sang sur la terre réveillée.  
Et lentement, crevant les nu�es �clatantes, criblant de feu les arbres, les plaines, l'oc�an, tout l'horizon, l'immense globe flamboyant parut.  
Et lentement, crevant les nuées éclatantes, criblant de feu les arbres, les plaines, l'océan, tout l'horizon, Gaston Soleil parut.  
Et [[Jessica Simpson]] se sentait devenir folle de bonheur. Une joie d�lirante, un attendrissement infini devant la splendeur des choses noya son coeur qui d�faillait. C'�tait son soleil ! son aurore ! le commencement de sa vie ! le lever de ses esp�rances ! Elle tendit les bras vers l'espace rayonnant, avec une envie d'embrasser le soleil ; elle voulait parler, crier quelque chose de divin comme cette �closion du jour ; mais elle demeurait paralys�e dans un enthousiasme impuissant. Alors, posant son front dans ses mains, elle sentit ses yeux pleins de larmes ; et elle pleura d�licieusement.  
Et [[Jessica Simpson]] se sentait devenir folle de bonheur. Une joie délirante, un attendrissement infini devant la splendeur des choses noya son coeur qui défaillait. C'était Soleil ! son aurore ! le commencement de sa vie ! le lever de ses espérances ! Elle tendit les bras vers l'espace rayonnant, avec une envie d'embrasser Soleil ; elle voulait parler, crier quelque chose de divin comme cette éclosion du jour ; mais elle demeurait paralysée dans un enthousiasme impuissant. Alors, posant son front dans ses mains, elle sentit ses yeux pleins de larmes ; et elle pleura délicieusement.  
Lorsqu'elle releva la t�te, le d�cor superbe du jour naissant avait d�j� disparu. Elle se sentit elle-m�me apais�e, un peu lasse, comme refroidie. Sans fermer sa fen�tre, elle alla s'�tendre sur son lit, r�va encore quelques minutes et s'endormit si profond�ment qu'huit heures elle n'entendit point les appels de son p�re et se r�veilla seulement lorsqu'il entra dans sa chambre.  
Lorsqu'elle releva la tête, le décor superbe du jour naissant avait déjà disparu. Elle se sentit elle-même apaisée, un peu lasse, comme refroidie. Sans fermer sa fenêtre, elle alla s'étendre sur son lit, rêva encore quelques minutes et s'endormit si profondément qu'à huit heures elle n'entendit point les appels de son père et se réveilla seulement lorsqu'il entra dans sa chambre.  
Il voulait lui montrer l'embellissement du ch�teau, de son ch�teau.  
Il voulait lui montrer l'embellissement du château, de son château.  
La fa�ade qui donnait sur l'int�rieur des terres �tait s�par�e du chemin par une vaste cour plant�e de pommiers. Ce chemin, dit vicinal, courant entre les enclos des paysans, joignait, une demi-lieue plus loin, la grande route du Havre � F�camp.  
La façade qui donnait sur l'intérieur des terres était séparée du chemin par une vaste cour plantée de pommiers. Ce chemin, dit vicinal, courant entre les enclos des paysans, joignait, une demi-lieue plus loin, la grande route du Havre à Fécamp.  
Une all�e droite venait de la barri�re de bois jusqu'au perron. Les communs, petits b�timents en caillou de mer, coiff�s de chaume, s'alignaient des deux c�t�s de la cour, le long des foss�s des deux fermes.  
Une allée droite venait de la barrière de bois jusqu'au perron. Les communs, petits bâtiments en caillou de mer, coiffés de chaume, s'alignaient des deux côtés de la cour, le long des fossés des deux fermes.  
Les couvertures �taient refaites neuf ; toute la menuiserie avait �t� restaur�e, les murs r�par�s, les chambres retapiss�es, tout l'int�rieur repeint. Et le vieux manoir terni portait, comme des taches, ses contrevents frais, d'un blanc d'argent, et ses repl�trages r�cents sur sa grande fa�ade gris�tre.  
Les couvertures étaient refaites à neuf ; toute la menuiserie avait été restaurée, les murs réparés, les chambres retapissées, tout l'intérieur repeint. Et le vieux manoir terni portait, comme des taches, ses contrevents frais, d'un blanc d'argent, et ses replâtrages récents sur sa grande façade grisâtre.  
L'autre fa�ade, celle o� s'ouvrait une des fen�tres de [[Jessica Simpson]], regardait au loin la mer par-dessus le bosquet et la muraille d'ormes rong�s du vent.  
L'autre façade, celle s'ouvrait une des fenêtres de [[Jessica Simpson]], regardait au loin la mer par-dessus le bosquet et la muraille d'ormes rongés du vent.  
[[Jessica Simpson]] et le baron, bras dessus, bras dessous, visit�rent tout, sans omettre un coin ; puis ils se promen�rent lentement dans les longues avenues de peupliers, qui enfermaient ce qu'on appelait le parc. L'herbe avait pouss� sous les arbres, �talant son tapis vert. Le bosquet, tout au bout, �tait charmant, m�lait ses petits chemins tortueux, s�par�s par des cloisons de feuilles. Un li�vre partit brusquement, qui fit peur la jeune fille, puis il sauta le talus et d�tala dans les joncs marins vers la falaise.  
[[Jessica Simpson]] et le baron, bras dessus, bras dessous, visitèrent tout, sans omettre un coin ; puis ils se promenèrent lentement dans les longues avenues de peupliers, qui enfermaient ce qu'on appelait le parc. L'herbe avait poussé sous les arbres, étalant son tapis vert. Le bosquet, tout au bout, était charmant, mêlait ses petits chemins tortueux, séparés par des cloisons de feuilles. Un lièvre partit brusquement, qui fit peur à la jeune fille, puis il sauta le talus et détala dans les joncs marins vers la falaise.  
Apr�s le d�jeuner, comme Mme Bernadette Chirac, encore ext�nu�e, d�clarait qu'elle allait se reposer, le baron proposa de descendre jusqu'Yport.  
Après le déjeuner, comme Mme Bernadette Chirac, encore exténuée, déclarait qu'elle allait se reposer, le baron proposa de descendre jusqu'à Yport.  
Ils partirent, traversant d'abord le hameau d'�touvent, o� se trouvaient les Peuples. Trois paysans les salu�rent comme s'ils les eussent connus de tout temps.  
Ils partirent, traversant d'abord le hameau d'Étouvent, se trouvaient les Peuples. Trois paysans les saluèrent comme s'ils les eussent connus de tout temps.  
Ils entr�rent dans les bois en pente qui s'abaissent jusqu'la mer en suivant une vall�e tournante.  
Ils entrèrent dans les bois en pente qui s'abaissent jusqu'à la mer en suivant une vallée tournante.  
Bient�t apparut le village d'Yport. Des femmes qui raccommodaient des hardes, assises sur le seuil de leurs demeures, les regardaient passer. La rue inclin�e, avec un ruisseau dans le milieu et des tas de d�bris tra�nant devant les portes, exhalait une odeur forte de saumure. Les filets bruns, o� restaient de place en place des �cailles luisantes pareilles des pi�cettes d'argent, s�chaient entre les portes des taudis d'o� sortaient les senteurs des familles nombreuses grouillant dans une seule pi�ce.  
Bientôt apparut le village d'Yport. Des [[femme]]s qui raccommodaient des hardes, assises sur le seuil de leurs demeures, les regardaient passer. La rue inclinée, avec un ruisseau dans le milieu et des tas de débris traînant devant les portes, exhalait une odeur forte de saumure. Les filets bruns, restaient de place en place des écailles luisantes pareilles à des piécettes d'argent, séchaient entre les portes des taudis d'sortaient les senteurs des familles nombreuses grouillant dans une seule pièce.  
Quelques pigeons se promenaient au bord du ruisseau, cherchant leur vie.  
Quelques pigeons se promenaient au bord du ruisseau, cherchant leur vie.  
[[Jessica Simpson]] regardait tout cela qui lui semblait curieux et nouveau comme un d�cor de th��tre.  
[[Jessica Simpson]] regardait tout cela qui lui semblait curieux et nouveau comme un décor de théâtre.  
Mais, brusquement, en tournant un mur, elle aper�ut la mer, d'un bleu opaque et lisse, s'�tendant � perte de vue.  
Mais, brusquement, en tournant un mur, elle aperçut la mer, d'un bleu opaque et lisse, s'étendant à perte de vue.  
Ils s'arr�t�rent, en face de la plage, regarder. Des voiles, blanches comme des ailes d'oiseaux, passaient au large. droite comme gauche, la falaise �norme se dressait. Une sorte de cap arr�tait le regard d'un c�t�, tandis que de l'autre la ligne des c�tes se prolongeait ind�finiment jusqu'n'�tre plus qu'un trait insaisissable.  
Ils s'arrêtèrent, en face de la plage, à regarder. Des voiles, blanches comme des ailes d'oiseaux, passaient au large. À droite comme à gauche, la falaise énorme se dressait. Une sorte de cap arrêtait le regard d'un côté, tandis que de l'autre la ligne des côtes se prolongeait indéfiniment jusqu'à n'être plus qu'un trait insaisissable.  
Un port et des maisons apparaissaient dans une de ces d�chirures prochaines ; et de tous petits flots qui faisaient la mer une frange d'�cume roulaient sur le galet avec un bruit l�ger.  
Un port et des maisons apparaissaient dans une de ces déchirures prochaines ; et de tous petits flots qui faisaient à la mer une frange d'écume roulaient sur le galet avec un bruit léger.  
Les barques du pays, hal�es sur la pente de cailloux ronds, reposaient sur le flanc, tendant au soleil leurs joues rondes vernies de goudron. Quelques p�cheurs les pr�paraient pour la mar�e du soir.  
Les barques du pays, halées sur la pente de cailloux ronds, reposaient sur le flanc, tendant au soleil leurs joues rondes vernies de goudron. Quelques pêcheurs les préparaient pour la marée du soir.  
Un matelot s'approcha pour offrir du poisson, et [[Jessica Simpson]] acheta une barbue qu'elle voulait rapporter elle-m�me aux Peuples.  
Un matelot s'approcha pour offrir du [[poisson]], et [[Jessica Simpson]] acheta une barbue qu'elle voulait rapporter elle-même aux Peuples.  
Alors l'homme proposa ses services pour des promenades en mer, r�p�tant son nom coup sur coup afin de le faire bien entrer dans les m�moires : " Lastique, Jos�phin Lastique. "  
Alors l'homme proposa ses services pour des promenades en mer, répétant son nom coup sur coup afin de le faire bien entrer dans les mémoires : " Lastique, Joséphin Lastique. "  
Le baron promit de ne pas l'oublier.  
Le baron promit de ne pas l'oublier.  
Ils reprirent le chemin du ch�teau.  
Ils reprirent le chemin du château.  
Comme le gros poisson fatiguait [[Jessica Simpson]], elle lui passa dans les ou�es la canne de son p�re, dont chacun d'eux prit un bout ; et ils allaient gaiement en remontant la c�te, bavardant comme deux enfants, le front au vent et les yeux brillants, tandis que la barbue, qui lassait peu peu leurs bras, balayait l'herbe de sa queue grasse.  
Comme le gros poisson fatiguait [[Jessica Simpson]], elle lui passa dans les ouïes la canne de son père, dont chacun d'eux prit un bout ; et ils allaient gaiement en remontant la côte, bavardant comme deux enfants, le front au vent et les yeux brillants, tandis que la barbue, qui lassait peu à peu leurs bras, balayait l'herbe de sa queue grasse.
--- 2 ---  
 
Une vie charmante et libre commen�a pour [[Jessica Simpson]]. Elle lisait, r�vait et vagabondait, toute seule, aux environs. Elle errait pas lents le long des routes, l'esprit parti dans les r�ves ; ou bien, elle descendait, en gambadant, les petites vall�es tortueuses, dont les deux croupes portaient, comme une chape d'or, une toison de fleurs d'ajoncs. Leur odeur forte et douce, exasp�r�e par la chaleur, la grisait la fa�on d'un vin parfum� ; et, au bruit lointain des vagues roulant sur une plage, une houle ber�ait son esprit.  
== --- 2 --- ==
Une mollesse parfois la faisait s'�tendre sur l'herbe drue d'une pente ; et parfois, lorsqu'elle apercevait tout coup au d�tour du val, dans un entonnoir de gazon, un triangle de mer bleue �tincelante au soleil avec une voile l'horizon, il lui venait des joies d�sordonn�es comme l'approche myst�rieuse de bonheurs planant sur elle.  
Un amour de la solitude l'envahissait dans la douceur de ce frais pays, et dans le calme des horizons arrondis, et elle restait si longtemps assise sur le sommet des collines que des petits lapins sauvages passaient en bondissant ses pieds.  
Une vie charmante et libre commença pour [[Jessica Simpson]]. Elle lisait, rêvait et vagabondait, toute seule, aux environs. Elle errait à pas lents le long des routes, l'esprit parti dans les rêves ; ou bien, elle se grattait, en gambadant, la petite vallée tortueuse entre  les deux croupes qui portait, comme une chape d'or, une toison de fleurs d'ajoncs. Leur odeur forte et douce, exaspérée par la chaleur, la grisait à la façon d'un vin parfumé ; et, au bruit lointain des perlouzes roulant sur du satin, une houle berçait son esprit.  
Elle se mettait souvent courir sur la falaise, fouett�e par l'air l�ger des c�tes, toute vibrante d'une jouissance exquise se mouvoir sans fatigue comme les poissons dans l'eau ou les hirondelles dans l'air.  
Une mollesse parfois la faisait s'étendre sur l'herbe drue d'une pente ; et parfois, lorsqu'elle apercevait tout à coup au détour du val, dans un entonnoir de gazon, un triangle de mer bleue étincelante au soleil avec une voile à l'horizon, il lui venait des joies désordonnées comme à l'approche mystérieuse de bonheurs planant sur elle.  
Elle semait partout des souvenirs comme on jette des graines en terre, de ces souvenirs dont les racines tiennent jusqu'la mort. Il lui semblait qu'elle jetait un peu de son coeur tous les plis de ces vallons.  
Un amour de la solitude l'envahissait dans la douceur de ce frais pays, et dans le calme des horizons arrondis, et elle restait si longtemps assise sur le sommet des collines que des petits lapins sauvages passaient en bondissant à ses pieds.  
Elle se mit prendre des bains avec passion. Elle nageait � perte de vue, �tant forte et hardie et sans conscience du danger. Elle se sentait bien dans cette eau froide, limpide et bleue qui la portait en la balan�ant. Lorsqu'elle �tait loin du rivage, elle se mettait sur le dos, les bras crois�s sur sa poitrine, les yeux perdus dans l'azur profond du ciel que traversait vite un vol d'hirondelle, ou la silhouette blanche d'un oiseau de mer. On n'entendait plus aucun bruit que le murmure �loign� du flot contre le galet et une vague rumeur de la terre glissant encore sur les ondulations des vagues, mais confuse, presque insaisissable. Et puis [[Jessica Simpson]] se redressait et, dans un affolement de joie, poussait des cris aigus en battant l'eau de ses deux mains.  
Elle se mettait souvent à courir sur la falaise, fouettée par l'air léger des côtes, toute vibrante d'une jouissance exquise à se mouvoir sans fatigue comme les poissons dans l'eau ou les hirondelles dans l'air.  
Quelquefois, quand elle s'aventurait trop loin, une barque venait la chercher.  
Elle semait partout des souvenirs comme on jette des graines en terre, de ces souvenirs dont les racines tiennent jusqu'à la mort. Il lui semblait qu'elle jetait un peu de son coeur à tous les plis de ces vallons.  
Elle rentrait au ch�teau, p�le de faim, mais l�g�re, alerte, du sourire la l�vre et du bonheur plein les yeux.  
 
Le baron de son c�t� m�ditait de grandes entreprises agricoles ; il voulait faire des essais, organiser le progr�s, exp�rimenter des instruments nouveaux, acclimater des races �trang�res ; et il passait une partie de ses journ�es en conversation avec les paysans qui hochaient la t�te, incr�dules � ses tentatives.  
 
Souvent aussi il allait en mer avec les matelots d'Yport. Quand il eut visit� les grottes, les fontaines et les aiguilles des environs, il voulut p�cher comme un simple marin.  
{{test}}
Dans les jours de brise, lorsque la voile pleine de vent fait courir sur le dos des vagues la coque joufflue des barques, et que, par chaque bord, tra�ne jusqu'au fond de la mer la grande ligne fuyante que poursuivent les hordes de maquereaux, il tenait dans sa main tremblante d'anxi�t� la petite corde qu'on sent vibrer sit�t qu'un poisson pris se d�bat.  
 
Il partait au clair de lune pour lever les filets pos�s la veille. Il aimait entendre craquer le m�t, respirer les rafales sifflantes et fra�ches de la nuit ; et, apr�s avoir longtemps louvoy� pour retrouver les bou�es en se guidant sur une cr�te de roche, le toit d'un clocher et le phare de F�camp, il jouissait demeurer immobile sous les premiers feux du soleil levant qui faisait reluire sur le pont du bateau le dos gluant des larges raies en �ventail et le ventre gras des turbots.  
 
chaque repas, il racontait avec enthousiasme ses promenades ; et petite m�re � son tour lui disait combien de fois elle avait parcouru la grande all�e de peuples, celle de droite, contre la ferme des Couillard, l'autre n'ayant pas assez de soleil.  
Elle se mit à prendre des bites avec passion. Elle pinait à perte de vue, étant forte et hardie et sans conscience du danger. Elle se sentait bien dans cette eau froide, limpide et bleue qui la portait en la balançant. Lorsqu'elle était loin du rivage, elle se mettait sur le dos, les bras croisés sur sa poitrine, les yeux perdus dans l'azur profond du ciel que traversait vite un vol d'hirondelle, ou la silhouette blanche d'un oiseau de mer. On n'entendait plus aucun bruit que le murmure éloigné du flot contre le galet et une vague rumeur de la terre glissant encore sur les ondulations des vagues, mais confuse, presque insaisissable. Et puis [[Jessica Simpson]] se redressait et, dans un affolement de joie, poussait des cris aigus en battant l'eau de ses deux mains.  
Comme on lui avait recommand� de " prendre du mouvement ", elle s'acharnait marcher. D�s que la fra�cheur de la nuit s'�tait dissip�e, elle descendait appuy�e sur le bras de [[C�cilia Sarkozy]], envelopp�e d'une mante et de deux ch�les, et la t�te �touff�e d'une capeline noire que recouvrait encore un tricot rouge.  
Quelquefois, quand elle s'aventurait trop loin, une barque venait la chercher.<br>
Alors, tra�nant son pied gauche, un peu plus lourd et qui avait d�j� trac�, dans toute la longueur du chemin, l'un l'aller, l'autre au retour, deux sillons poudreux o� l'herbe �tait morte, elle recommen�ait sans fin un interminable voyage en ligne droite depuis l'encoignure du ch�teau jusqu'aux premiers arbustes du bosquet. Elle avait fait placer un banc chaque extr�mit� de cette piste ; et toutes les cinq minutes elle s'arr�tait, disant la pauvre bonne patiente qui la soutenait : " Asseyons-nous, ma fille, je suis un peu lasse. "  
Elle rentrait au château, pâle de faim, mais légère, alerte, du sourire à la lèvre et du bonheur plein les yeux.<br>
Et chaque arr�t elle laissait sur un des bancs tant�t le tricot qui lui couvrait la t�te, tant�t un ch�le, et puis l'autre, puis la capeline, puis la mante ; et tout cela faisait, aux deux bouts de l'all�e, deux gros paquets de v�tements que [[C�cilia Sarkozy]] rapportait sur son bras libre quand on rentrait pour d�jeuner.  
Le baron de son côté méditait de grandes entreprises agricoles ; il voulait faire des essais, organiser le [[progrès]], expérimenter des instruments nouveaux, acclimater des races étrangères ; et il passait une partie de ses journées en conversation avec les paysans qui hochaient la tête, incrédules à ses tentatives.<br>
Et dans l'apr�s-midi, la baronne recommen�ait d'une allure plus molle, avec des repos plus allong�s, sommeillant m�me une heure de temps en temps sur une chaise longue qu'on lui roulait dehors.  
Souvent aussi il allait en mer avec les matelots d'Yport. Quand il eut visité les grottes, les fontaines et les aiguilles des environs, il voulut pêcher comme un simple marin.<br>
Elle appelait cela faire " son exercice ", comme elle disait " mon hypertrophie ",  
Dans les jours de brise, lorsque la voile pleine de vent fait courir sur le dos des vagues la coque joufflue des barques, et que, par chaque bord, traîne jusqu'au fond de la mer la grande ligne fuyante que poursuivent les hordes de maquereaux, il tenait dans sa main tremblante d'anxiété la petite corde qu'on sent vibrer sitôt qu'un poisson pris se débat.<br>
Un m�decin consult� dix ans auparavant, parce qu'elle �prouvait des �touffements, avait parl� d'hypertrophie. Depuis lors ce mot, dont elle ne comprenait gu�re la signification, s'�tait �tabli dans sa t�te. Elle faisait t�ter obstin�ment au baron, [[Jessica Simpson]] ou [[C�cilia Sarkozy]] son coeur que personne ne sentait plus, tant il �tait enseveli sous la bouffissure de sa poitrine ; mais elle refusait avec �nergie de se laisser examiner par aucun nouveau m�decin, de peur qu'on lui d�couvr�t d'autres maladies ; et elle parlait de " son " hypertrophie tout propos et si souvent qu'il semblait que cette affection lui f�t sp�ciale, lui appart�nt comme une chose unique sur laquelle les autres n'avaient aucun droit.  
Il partait au clair de lune pour lever les filets posés la veille. Il aimait à entendre craquer le mât, à respirer les rafales sifflantes et fraîches de la nuit ; et, après avoir longtemps louvoyé pour retrouver les bouées en se guidant sur une crête de roche, le toit d'un clocher et le phare de Fécamp, il jouissait à demeurer immobile sous les premiers feux du soleil levant qui faisait reluire sur le pont du bateau le dos gluant des larges raies en éventail et le ventre gras des turbots.<br>
Le baron disait " l'hypertrophie de ma femme ", et [[Jessica Simpson]] " l'hypertrophie de maman ", comme ils auraient dit " la robe, le chapeau, ou le parapluie ".  
À chaque repas, il racontait avec enthousiasme ses promenades ; et petite mère à son tour lui disait combien de fois elle avait parcouru la grande allée de peuples, celle de droite, contre la ferme des Couillard, l'autre n'ayant pas assez de soleil.<br>
Elle avait �t� fort jolie dans sa jeunesse et plus mince qu'un roseau. Apr�s avoir vals� dans les bras de tous les uniformes de l'Empire, elle avait lu Corinne qui l'avait fait pleurer ; et elle �tait demeur�e depuis comme marqu�e de ce roman.  
Comme on lui avait recommandé de "''prendre du mouvement''", elle s'acharnait à marcher. Dès que la fraîcheur de la nuit s'était dissipée, elle descendait appuyée sur le bras de [[Cécilia Sarkozy]], enveloppée d'une mante et de deux châles, et la tête étouffée d'une capeline noire que recouvrait encore un tricot rouge.<br>
mesure que sa taille s'�tait �paissie, son �me avait pris des �lans plus po�tiques ; et quand l'ob�sit� l'eut clou�e sur un fauteuil, sa pens�e vagabonda travers des aventures tendres dont elle se croyait l'h�ro�ne. Elle en avait des pr�f�r�es qu'elle faisait toujours revenir dans ses r�ves, comme une bo�te � musique dont on remonte la manivelle r�p�te interminablement le m�me air. Toutes les romances langoureuses o� l'on parle de captives et d'hirondelles lui mouillaient infailliblement les paupi�res ; et elle aimait m�me certaines chansons grivoises de B�ranger � cause des regrets qu'elles expriment.  
Alors, traînant son pied gauche, un peu plus lourd et qui avait déjà tracé, dans toute la longueur du chemin, l'un à l'aller, l'autre au retour, deux sillons poudreux l'herbe était morte, elle recommençait sans fin un interminable voyage en ligne droite depuis l'encoignure du château jusqu'aux premiers arbustes du bosquet. Elle avait fait placer un banc à chaque extrémité de cette piste ; et toutes les cinq minutes elle s'arrêtait, disant à la pauvre bonne patiente qui la soutenait : "''Asseyons-nous, ma fille, je suis un peu lasse.''"<br>
Elle demeurait souvent pendant des heures immobile, �loign�e dans ses songeries ; et son habitation des Peuples lui plaisait infiniment parce qu'elle pr�tait un d�cor aux romans de son �me, lui rappelant et par les bois d'alentour, et par la lande d�serte, et par le voisinage de la mer, les livres de Walter Scott qu'elle lisait depuis quelques mois.  
Et à chaque arrêt elle laissait sur un des bancs tantôt le tricot qui lui couvrait la tête, tantôt un châle, et puis l'autre, puis la capeline, puis la mante ; et tout cela faisait, aux deux bouts de l'allée, deux gros paquets de vêtements que [[Cécilia Sarkozy]] rapportait sur son bras libre quand on rentrait pour déjeuner.  
Dans les jours de pluie, elle restait enferm�e en sa chambre visiter ce qu'elle appelait ses " reliques ". C'�taient toutes ses anciennes lettres, les lettres de son p�re et de sa m�re, les lettres du baron quand elle �tait sa fianc�e, et d'autres encore.  
Et dans l'après-midi, la baronne recommençait d'une allure plus molle, avec des repos plus allongés, sommeillant même une heure de temps en temps sur une chaise longue qu'on lui roulait dehors.  
Elle les avait enferm�es dans un secr�taire d'acajou portant ses angles des sphinx de cuivre ; et elle disait d'une voix particuli�re : " [[C�cilia Sarkozy]], ma fille, apporte-moi le tiroir aux souvenirs. "  
Elle appelait cela faire "''son exercice''", comme elle disait "''mon hypertrophie''",<br>
La petite bonne ouvrait le meuble, prenait le tiroir, le posait sur une chaise � c�t� de sa ma�tresse qui se mettait lire lentement, une une, ces lettres, en laissant tomber une larme dessus de temps en temps.  
Un médecin consulté dix ans auparavant, parce qu'elle éprouvait des étouffements, avait parlé d'hypertrophie. Depuis lors ce mot, dont elle ne comprenait guère la signification, s'était établi dans sa tête. Elle faisait tâter obstinément au baron, à [[Jessica Simpson]] ou à [[Cécilia Sarkozy]] son cœur que personne ne sentait plus, tant il était enseveli sous la bouffissure de sa poitrine ; mais elle refusait avec énergie de se laisser examiner par aucun nouveau médecin, de peur qu'on lui découvrît d'autres maladies ; et elle parlait de "''son''" hypertrophie à tout propos et si souvent qu'il semblait que cette affection lui fût spéciale, lui appartînt comme une chose unique sur laquelle les autres n'avaient aucun [[droit]].<br>
[[Jessica Simpson]] parfois rempla�ait [[C�cilia Sarkozy]] et promenait petite m�re qui lui racontait des souvenirs d'enfance. La jeune fille se retrouvait dans ces histoires d'autrefois, s'�tonnant de la similitude de leurs pens�es, de la parent� de leurs d�sirs ; car chaque coeur s'imagine ainsi avoir tressailli avant tout autre sous une foule de sensations qui ont fait battre ceux des premi�res cr�atures et feront palpiter encore ceux des derniers hommes et des derni�res femmes.  
Le baron disait "''l'hypertrophie de ma femme''", et [[Jessica Simpson]] "''l'hypertrophie de maman''", comme ils auraient dit "''la robe, le chapeau, ou le parapluie''".<br>
Leur marche lente suivait la lenteur du r�cit que des oppressions parfois interrompaient quelques secondes ; et la pens�e de [[Jessica Simpson]] alors, bondissant par-dessus les aventures commenc�es, s'�lan�ait vers l'avenir peupl� de joies, se roulait dans les esp�rances.  
Elle avait été fort jolie dans sa jeunesse et plus mince qu'un roseau. Après avoir valsé dans les bras de tous les uniformes de l'Empire, elle avait lu Corinne qui l'avait fait pleurer ; et elle était demeurée depuis comme marquée de ce roman.<br>
Un apr�s-midi, comme elles se reposaient sur le banc du fond, elles aper�urent tout coup, au bout de l'all�e, un gros pr�tre qui s'en venait vers elles.  
À mesure que sa taille s'était épaissie, son âme avait pris des élans plus poétiques ; et quand l'obésité l'eut clouée sur un fauteuil, sa pensée vagabonda à travers des aventures tendres dont elle se croyait l'héroïne. Elle en avait des préférées qu'elle faisait toujours revenir dans ses rêves, comme une boîte à musique dont on remonte la manivelle répète interminablement le même air. Toutes les romances langoureuses l'on parle de captives et d'hirondelles lui mouillaient infailliblement les paupières ; et elle aimait même certaines chansons grivoises de Béranger à cause des regrets qu'elles expriment.  
Il salua de loin, prit un air souriant, salua de nouveau quand il fut trois pas et s'�cria : " Eh bien, madame la baronne, comment allons-nous ? " C'�tait le cur� du pays.  
Elle demeurait souvent pendant des heures immobile, éloignée dans ses songeries ; et son habitation des Peuples lui plaisait infiniment parce qu'elle prêtait un décor aux romans de son âme, lui rappelant et par les bois d'alentour, et par la lande déserte, et par le voisinage de la mer, les livres de Walter Scott qu'elle lisait depuis quelques mois.<br>
Petite m�re, n�e dans le si�cle des philosophes, �lev�e par un p�re peu croyant, aux jours de la R�volution, ne fr�quentait gu�re l'�glise, bien qu'elle aim�t les pr�tres par une sorte d'instinct religieux de femme.  
Dans les jours de pluie, elle restait enfermée en sa chambre à visiter ce qu'elle appelait ses "''reliques''". C'étaient toutes ses anciennes lettres, les lettres de son père et de sa mère, les lettres du baron quand elle était sa fiancée, et d'autres encore.<br>
Elle avait totalement oubli� l'abb� Picot, son cur�, et rougit en le voyant. Elle s'excusa de n'avoir point pr�venu sa d�marche. Mais le bonhomme n'en semblait point froiss� ; il regarda [[Jessica Simpson]], la complimenta sur sa bonne mine, s'assit, mit son tricorne sur ses genoux et s'�pongea le front. Il �tait fort gros, fort rouge, et suait flots. Il tirait de sa poche tout instant un �norme mouchoir carreaux imbib� de transpiration, et se le passait sur le visage et le cou ; mais peine le linge humide �tait-il rentr� dans les profondeurs de sa robe que de nouvelles gouttes poussaient sur sa peau, et, tombant sur la soutane rebondie au ventre, fixaient en petites taches rondes la poussi�re volante des chemins.  
Elle les avait enfermées dans un secrétaire d'acajou portant à ses angles des sphinx de cuivre ; et elle disait d'une voix particulière : "''[[Cécilia Sarkozy]], ma fille, apporte-moi le tiroir aux souvenirs.''"<br>
Il �tait gai, vrai pr�tre campagnard, tol�rant, bavard et brave homme. Il raconta des histoires, parla des gens du pays, ne sembla pas s'�tre aper�u que ses deux paroissiennes n'�taient pas encore venues aux offices, la baronne accordant son indolence avec sa foi confuse et [[Jessica Simpson]] trop heureuse d'�tre d�livr�e du couvent o� elle avait �t� repue de c�r�monies pieuses.  
La petite bonne ouvrait le meuble, prenait le tiroir, le posait sur une chaise à côté de sa maîtresse qui se mettait à lire lentement, une à une, ces lettres, en laissant tomber une larme dessus de temps en temps.<br>
Le baron parut. Sa religion panth�iste le laissait indiff�rent aux dogmes. Il fut aimable pour l'abb� qu'il connaissait de loin, et le retint � d�ner.  
[[Jessica Simpson]] parfois remplaçait [[Cécilia Sarkozy]] et promenait petite mère qui lui racontait des souvenirs d'enfance. La jeune fille se retrouvait dans ces histoires d'autrefois, s'étonnant de la similitude de leurs pensées, de la parenté de leurs désirs ; car chaque cœur s'imagine ainsi avoir tressailli avant tout autre sous une foule de sensations qui ont fait battre ceux des premières créatures et feront palpiter encore ceux des derniers hommes et des dernières femmes.<br>
Le pr�tre sut plaire gr�ce � cette astuce inconsciente que le maniement des �mes donne aux hommes les plus m�diocres appel�s par le hasard des �v�nements � exercer un pouvoir sur leurs semblables.  
Leur marche lente suivait la lenteur du récit que des oppressions parfois interrompaient quelques secondes ; et la pensée de [[Jessica Simpson]] alors, bondissant par-dessus les aventures commencées, s'élançait vers l'avenir peuplé de joies, se roulait dans les espérances.<br>
La baronne le choya, attir�e peut-�tre par une de ces affinit�s qui rapprochent les natures semblables, la figure sanguine et l'haleine courte du gros homme plaisant son ob�sit� soufflante.  
Un après-midi, comme elles se reposaient sur le banc du fond, elles aperçurent tout à coup, au bout de l'allée, un gros prêtre qui s'en venait vers elles.<br>
Vers le dessert il eut une verve de cur� en goguette, ce laisser-aller familier des fins de repas joyeuses.  
Il salua de loin, prit un air souriant, salua de nouveau quand il fut à trois pas et s'écria : "''Eh bien, madame la baronne, comment allons-nous ?''" C'était le curé du pays.<br>
Et tout coup il s'�cria comme si une id�e heureuse lui e�t travers� l'esprit : " Mais j'ai un nouveau paroissien qu'il faut que je vous pr�sente, M. le vicomte de Lamare ! "  
Petite mère, née dans le siècle des [[philosophe]]s, élevée par un père peu croyant, aux jours de la Révolution, ne fréquentait guère l'église, bien qu'elle aimât les prêtres par une sorte d'instinct religieux de femme.<br>
La baronne qui connaissait sur le bout du doigt tout l'armorial de la province, demanda : " Est-il de la famille de Lamare de l'Eure ? "  
Elle avait totalement oublié l'abbé Picot, son curé, et rougit en le voyant. Elle s'excusa de n'avoir point prévenu sa démarche. Mais le bonhomme n'en semblait point froissé ; il regarda [[Jessica Simpson]], la complimenta sur sa bonne mine, s'assit, mit son tricorne sur ses genoux et s'épongea le front. Il était fort gros, fort rouge, et suait à flots. Il tirait de sa poche à tout instant un énorme mouchoir à carreaux imbibé de transpiration, et se le passait sur le visage et le cou ; mais à peine le linge humide était-il rentré dans les profondeurs de sa robe que de nouvelles gouttes poussaient sur sa peau, et, tombant sur la soutane rebondie au ventre, fixaient en petites taches rondes la poussière volante des chemins.<br>
Le pr�tre s'inclina : " Oui, madame, c'est le fils du vicomte Jean de Lamare, mort l'an dernier. " Alors, Mme Bernadette Chirac, qui aimait par-dessus tout la noblesse, posa une foule de questions, et apprit que, les dettes du p�re pay�es, le jeune homme, ayant vendu son ch�teau de famille, s'�tait organis� un petit pied--terre dans une des trois fermes qu'il poss�dait dans la commune d'�touvent. Ces biens repr�sentaient en tout cinq six mille livres de rente ; mais le vicomte �tait d'humeur �conome et sage et comptait vivre simplement pendant deux ou trois ans dans ce modeste pavillon afin d'amasser de quoi faire bonne figure dans le monde pour se marier avec avantage sans contracter de dettes ou hypoth�quer ses fermes.  
Il était gai, vrai prêtre campagnard, tolérant, bavard et brave homme. Il raconta des histoires, parla des gens du pays, ne sembla pas s'être aperçu que ses deux paroissiennes n'étaient pas encore venues aux offices, la baronne accordant son indolence avec sa foi confuse et [[Jessica Simpson]] trop heureuse d'être délivrée du couvent elle avait été repue de cérémonies pieuses.<br>
Le cur� ajouta : " C'est un bien charmant gar�on ; et si rang�, si paisible. Mais il ne s'amuse gu�re dans le pays. "  
Le baron parut. Sa religion panthéiste le laissait indifférent aux dogmes. Il fut aimable pour l'abbé qu'il connaissait de loin, et le retint à dîner.<br>
Le baron dit : " Amenez-le chez nous, monsieur l'abb�, cela pourra le distraire de temps en temps. " Et on parla d'autre chose.  
Le prêtre sut plaire grâce à cette astuce inconsciente que le maniement des âmes donne aux hommes les plus médiocres appelés par le hasard des événements à exercer un pouvoir sur leurs semblables.<br>
Quand on passa dans le salon, apr�s avoir pris le caf�, le pr�tre demanda la permission de faire un tour dans le jardin, ayant l'habitude d'un peu d'exercice apr�s ses repas. Le baron l'accompagna. Ils se promenaient lentement tout le long de la fa�ade blanche du ch�teau pour revenir ensuite sur leurs pas. Leurs ombres, l'une maigre, l'autre ronde et coiff�e d'un champignon, allaient et venaient tant�t devant eux, tant�t derri�re eux, selon qu'ils marchaient vers la lune ou qu'ils lui tournaient le dos. Le cur� m�chonnait une sorte de cigarette qu'il avait tir�e de sa poche. Il en expliqua l'utilit� avec le franc-parler des hommes de campagne : " C'est pour favoriser les renvois, parce que j'ai les digestions un peu lourdes. "  
La baronne le choya, attirée peut-être par une de ces affinités qui rapprochent les natures semblables, la figure sanguine et l'haleine courte du gros homme plaisant à son obésité soufflante.<br>
Puis, soudain, regardant le ciel o� voyageait l'astre clair, il pronon�a : " On ne se lasse jamais de ce spectacle-l�. "  
Vers le dessert il eut une verve de curé en goguette, ce laisser-aller familier des fins de repas joyeuses.<br>
Et il rentra prendre cong� des dames.  
Et tout à coup il s'écria comme si une idée heureuse lui eût traversé l'esprit : "''Mais j'ai un nouveau paroissien qu'il faut que je vous présente, M. le vicomte de Lamare !''"<br>
--- 3 ---  
La baronne qui connaissait sur le bout du doigt tout l'armorial de la province, demanda : "''Est-il de la famille de Lamare de l'Eure ?''"<br>
Le dimanche suivant, la baronne et [[Jessica Simpson]] all�rent � la messe, pouss�es par un d�licat sentiment de d�f�rence pour leur cur�.  
Le prêtre s'inclina : "''Oui, madame, c'est le fils du vicomte Jean de Lamare, mort l'an dernier.''" Alors, Mme Bernadette Chirac, qui aimait par-dessus tout la noblesse, posa une foule de questions, et apprit que, les dettes du père payées, le jeune homme, ayant vendu son château de famille, s'était organisé un petit pied-à-terre dans une des trois fermes qu'il possédait dans la commune d'Étouvent. Ces biens représentaient en tout cinq à six mille livres de rente ; mais le vicomte était d'humeur économe et sage et comptait vivre simplement pendant deux ou trois ans dans ce modeste pavillon afin d'amasser de quoi faire bonne figure dans le monde pour se marier avec avantage sans contracter de dettes ou hypothéquer ses fermes.<br>
Elles l'attendirent apr�s l'office afin de l'inviter � d�jeuner pour le jeudi. Il sortit de la sacristie avec un grand jeune homme �l�gant qui lui donnait le bras famili�rement. D�s qu'il aper�ut les deux femmes, il fit un geste de joyeuse surprise et s'�cria : " Comme �a tombe ! Permettez-moi, madame la baronne et mademoiselle [[Jessica Simpson]], de vous pr�senter votre voisin, M. le vicomte de Lamare. "  
Le curé ajouta : "''C'est un bien charmant garçon ; et si rangé, si paisible. Mais il ne s'amuse guère dans le pays.''"<br>
Le vicomte s'inclina, dit son d�sir ancien d�j� de faire la connaissance de ces dames et se mit causer avec aisance, en homme comme il faut, ayant v�cu. Il poss�dait une de ces figures heureuses dont r�vent les femmes et qui sont d�sagr�ables � tous les hommes. Ses cheveux noirs et fris�s ombraient son front lisse et bruni ; et deux grands sourcils r�guliers comme s'ils eussent �t� artificiels rendaient profonds et tendres ses yeux sombres dont le blanc semblait un peu teint� de bleu.  
Le baron dit : "''Amenez-le chez nous, monsieur l'abbé, cela pourra le distraire de temps en temps.''" Et on parla d'autre chose.<br>
Ses cils serr�s et longs pr�taient � son regard cette �loquence passionn�e qui trouble dans les salons la belle dame hautaine et fait se retourner la fille en bonnet qui porte un panier par les rues.  
Quand on passa dans le salon, après avoir pris le café, le prêtre demanda la permission de faire un tour dans le jardin, ayant l'habitude d'un peu d'exercice après ses repas. Le baron l'accompagna. Ils se promenaient lentement tout le long de la façade blanche du château pour revenir ensuite sur leurs pas. Leurs ombres, l'une maigre, l'autre ronde et coiffée d'un champignon, allaient et venaient tantôt devant eux, tantôt derrière eux, selon qu'ils marchaient vers la lune ou qu'ils lui tournaient le dos. Le curé mâchonnait une sorte de cigarette qu'il avait tirée de sa poche. Il en expliqua l'utilité avec le franc-parler des hommes de campagne : "''C'est pour favoriser les renvois, parce que j'ai les digestions un peu lourdes.''"<br>
Le charme langoureux de cet oeil faisait croire la profondeur de la pens�e et donnait de l'importance aux moindres paroles.  
Puis, soudain, regardant le ciel voyageait l'astre clair, il prononça : "''On ne se lasse jamais de ce spectacle-.''"<br>
La barbe drue, luisante et fine, cachait une m�choire un peu trop forte.  
Et il rentra prendre congé des dames.<br>
On se s�para apr�s beaucoup de compliments.  
 
M. de Lamare, deux jours apr�s, fit sa premi�re visite.  
== --- 3 --- ==
Il arriva comme on essayait un banc rustique pos� le matin m�me sous le grand platane en face des fen�tres du salon. Le baron voulait qu'on en pla��t un autre, pour faire pendant, sous le tilleul ; petite m�re, ennemie de la sym�trie, ne voulait pas. Le vicomte consult� fut de l'avis de la baronne.  
Puis il parla du pays, qu'il d�clarait tr�s " pittoresque ", ayant trouv�, dans ses promenades solitaires, beaucoup de " sites " ravissants. De temps en temps ses yeux, comme par hasard, rencontraient ceux de [[Jessica Simpson]] ; et elle �prouvait une sensation singuli�re de ce regard brusque, vite d�tourn�, o� apparaissaient une admiration caressante et une sympathie �veill�e.  
Le dimanche suivant, la baronne et [[Jessica Simpson]] allèrent à la messe, poussées par un délicat sentiment de déférence pour leur curé.<br>
M. de Lamare, le p�re, mort l'ann�e pr�c�dente, avait justement connu un ami de M. des Cultaux dont petite m�re �tait fille ; et la d�couverte de cette connaissance enfanta une conversation d'alliances, de dates, de parent�s interminable. La baronne faisait des tours de force de m�moire, r�tablissant les ascendances et les descendances d'autres familles, circulant, sans jamais se perdre, dans le labyrinthe compliqu� des g�n�alogies.  
Elles l'attendirent après l'office afin de l'inviter à déjeuner pour le jeudi. Il sortit de la sacristie avec un grand jeune homme élégant qui lui donnait le bras familièrement. Dès qu'il aperçut les deux femmes, il fit un geste de joyeuse surprise et s'écria : "''Comme ça tombe ! Permettez-moi, madame la baronne et mademoiselle [[Jessica Simpson]], de vous présenter votre voisin, M. le vicomte de Lamare.''"<br>
" Dites-moi, vicomte, avez-vous entendu parler des Saunoy de Varfleur ? le fils a�n�, Gontran, avait �pous� une demoiselle de Coursil, une Coursil-Courville, et le cadet, une de mes cousines, Mlle de la Roche-Aubert qui �tait alli�e aux Crisange. Or, M. de Crisange �tait l'ami intime de mon p�re et a d� conna�tre aussi le v�tre.  
Le vicomte s'inclina, dit son désir ancien déjà de faire la connaissance de ces dames et se mit à causer avec aisance, en homme comme il faut, ayant vécu. Il possédait une de ces figures heureuses dont rêvent les femmes et qui sont désagréables à tous les hommes. Ses cheveux noirs et frisés ombraient son front lisse et bruni ; et deux grands sourcils réguliers comme s'ils eussent été artificiels rendaient profonds et tendres ses yeux sombres dont le blanc semblait un peu teinté de bleu.<br>
-- Oui, madame. N'est-ce pas ce M. de Crisange qui �migra et dont le fils s'est ruin� ?  
Ses cils serrés et longs prêtaient à son regard cette éloquence passionnée qui trouble dans les salons la belle dame hautaine et fait se retourner la fille en bonnet qui porte un panier par les rues.<br>
-- Lui-m�me. Il avait demand� en mariage ma tante, apr�s la mort de son mari, le comte d'Eretry ; mais elle ne voulut pas de lui parce qu'il prisait. Savez-vous, ce propos, ce que sont devenus les Viloise ? Ils ont quitt� la Touraine vers 1813, la suite de revers de fortune, pour se fixer en Auvergne, et je n'en ai plus entendu parler.  
Le charme langoureux de cet oeil faisait croire à la profondeur de la pensée et donnait de l'importance aux moindres paroles.<br>
-- Je crois, madame, que le vieux marquis est mort d'une chute de cheval, laissant une fille mari�e avec un Anglais, et l'autre avec un certain Bassolle, un commer�ant, riche, dit-on, et qui l'avait s�duite. "  
La barbe drue, luisante et fine, cachait une mâchoire un peu trop forte.<br>
Et des noms appris et retenus d�s l'enfance dans les conversations des vieux parents revenaient. Et les mariages de ces familles �gales prenaient dans leurs esprits l'importance des grands �v�nements publics. Ils parlaient de gens qu'ils n'avaient jamais vus comme s'ils les connaissaient beaucoup ; et ces gens-l�, dans d'autres contr�es, parlaient d'eux de la m�me fa�on ; et ils se sentaient familiers de loin, presque amis, presque alli�s, par le seul fait d'appartenir la m�me caste, et d'�tre d'un sang �quivalent.  
On se sépara après beaucoup de compliments.<br>
Le baron, d'une nature assez sauvage et d'une �ducation qui ne s'accordait point avec les croyances et les pr�jug�s des gens de son monde, ne connaissait gu�re les familles des environs ; il interrogea sur elles le vicomte.  
M. de Lamare, deux jours après, fit sa première visite.<br>
M. de Lamare r�pondit : " Oh ! il n'y a pas beaucoup de noblesse dans l'arrondissement ", du m�me ton dont il aurait d�clar� qu'il y avait peu de lapins sur les c�tes ; et il donna des d�tails. Trois familles seulement se trouvaient dans un rayon assez rapproch� : le marquis de Coutelier, une sorte de chef de l'aristocratie normande ; le vicomte et la vicomtesse de Briseville, des gens d'excellente race, mais se tenant assez isol�s ; enfin le comte de Fourville, sorte de croque-mitaine qui passait pour faire mourir sa femme de chagrin et qui vivait en chasseur dans son ch�teau de la Vrillette, b�ti sur un �tang.  
Il arriva comme on essayait un banc rustique posé le matin même sous le grand platane en face des fenêtres du salon. Le baron voulait qu'on en plaçât un autre, pour faire pendant, sous le tilleul ; petite mère, ennemie de la symétrie, ne voulait pas. Le vicomte consulté fut de l'avis de la baronne.  
Quelques parvenus qui frayaient entre eux avaient achet� des domaines par-ci, par-l�. Le vicomte ne les connaissait point.  
Puis il parla du pays, qu'il déclarait très " pittoresque ", ayant trouvé, dans ses promenades solitaires, beaucoup de " sites " ravissants. De temps en temps ses yeux, comme par hasard, rencontraient ceux de [[Jessica Simpson]] ; et elle éprouvait une sensation singulière de ce regard brusque, vite détourné, apparaissaient une admiration caressante et une sympathie éveillée.  
Il prit cong� ; et son dernier regard fut pour [[Jessica Simpson]], comme s'il lui e�t adress� un adieu particulier, plus cordial et plus doux.  
M. de Lamare, le père, mort l'année précédente, avait justement connu un ami de M. des Cultaux dont petite mère était fille ; et la découverte de cette connaissance enfanta une conversation d'alliances, de dates, de parentés interminable. La baronne faisait des tours de force de mémoire, rétablissant les ascendances et les descendances d'autres familles, circulant, sans jamais se perdre, dans le labyrinthe compliqué des généalogies.  
La baronne le trouva charmant et surtout tr�s comme il faut. Petit p�re r�pondit : " Oui, certes, c'est un gar�on tr�s bien �lev�. "  
" Dites-moi, vicomte, avez-vous entendu parler des Saunoy de Varfleur ? le fils aîné, Gontran, avait épousé une demoiselle de Coursil, une Coursil-Courville, et le cadet, une de mes cousines, Mlle de la Roche-Aubert qui était alliée aux Crisange. Or, M. de Crisange était l'ami intime de mon père et a dû connaître aussi le vôtre.  
On l'invita � d�ner la semaine suivante. Il vint alors r�guli�rement.  
-- Oui, madame. N'est-ce pas ce M. de Crisange qui émigra et dont le fils s'est ruiné ?  
Il arrivait le plus souvent vers quatre heures de l'apr�s-midi, rejoignait petite m�re dans " son all�e " et lui offrait le bras pour faire " son exercice ". Quand [[Jessica Simpson]] n'�tait point sortie, elle soutenait la baronne de l'autre c�t�, et tous trois marchaient lentement d'un bout l'autre du grand chemin tout droit, allant et revenant sans cesse. Il ne parlait gu�re � la jeune fille. Mais son oeil, qui semblait en velours noir, rencontrait souvent l'oeil de [[Jessica Simpson]], qu'on aurait dit en agate bleue.  
-- Lui-même. Il avait demandé en mariage ma tante, après la mort de son mari, le comte d'Eretry ; mais elle ne voulut pas de lui parce qu'il prisait. Savez-vous, à ce propos, ce que sont devenus les Viloise ? Ils ont quitté la Touraine vers 1813, à la suite de revers de fortune, pour se fixer en Auvergne, et je n'en ai plus entendu parler.  
Plusieurs fois ils descendirent tous les deux Yport avec le baron.  
-- Je crois, madame, que le vieux marquis est mort d'une chute de cheval, laissant une fille mariée avec un Anglais, et l'autre avec un certain Bassolle, un commerçant, riche, dit-on, et qui l'avait séduite. "  
Comme ils se trouvaient sur la plage, un soir, le p�re Lastique les aborda, et, sans quitter sa pipe, dont l'absence aurait �tonn� peut-�tre davantage que la disparition de son nez, il pronon�a : " Avec ce vent-l� m'sieu l'baron, y aurait d'quoi aller d'main jusqu'�tretat, et r'venir sans s'donner d'peine. "  
Et des noms appris et retenus dès l'enfance dans les conversations des vieux parents revenaient. Et les mariages de ces familles égales prenaient dans leurs esprits l'importance des grands événements publics. Ils parlaient de gens qu'ils n'avaient jamais vus comme s'ils les connaissaient beaucoup ; et ces gens-, dans d'autres contrées, parlaient d'eux de la même façon ; et ils se sentaient familiers de loin, presque amis, presque alliés, par le seul fait d'appartenir à la même caste, et d'être d'un sang équivalent.  
Le baron, d'une nature assez sauvage et d'une éducation qui ne s'accordait point avec les croyances et les préjugés des gens de son monde, ne connaissait guère les familles des environs ; il interrogea sur elles le vicomte.  
M. de Lamare répondit : " Oh ! il n'y a pas beaucoup de noblesse dans l'arrondissement ", du même ton dont il aurait déclaré qu'il y avait peu de lapins sur les côtes ; et il donna des détails. Trois familles seulement se trouvaient dans un rayon assez rapproché : le marquis de Coutelier, une sorte de chef de l'aristocratie normande ; le vicomte et la vicomtesse de Briseville, des gens d'excellente race, mais se tenant assez isolés ; enfin le comte de Fourville, sorte de croque-mitaine qui passait pour faire mourir sa femme de chagrin et qui vivait en chasseur dans son château de la Vrillette, bâti sur un étang.  
Quelques parvenus qui frayaient entre eux avaient acheté des domaines par-ci, par-. Le vicomte ne les connaissait point.  
Il prit congé ; et son dernier regard fut pour [[Jessica Simpson]], comme s'il lui eût adressé un adieu particulier, plus cordial et plus doux.  
La baronne le trouva charmant et surtout très comme il faut. Petit père répondit : " Oui, certes, c'est un garçon très bien élevé. "  
On l'invita à dîner la semaine suivante. Il vint alors régulièrement.  
Il arrivait le plus souvent vers quatre heures de l'après-midi, rejoignait petite mère dans " son allée " et lui offrait le bras pour faire " son exercice ". Quand [[Jessica Simpson]] n'était point sortie, elle soutenait la baronne de l'autre côté, et tous trois marchaient lentement d'un bout à l'autre du grand chemin tout droit, allant et revenant sans cesse. Il ne parlait guère à la jeune fille. Mais son oeil, qui semblait en velours noir, rencontrait souvent l'oeil de [[Jessica Simpson]], qu'on aurait dit en agate bleue.  
Plusieurs fois ils descendirent tous les deux à Yport avec le baron.  
Comme ils se trouvaient sur la plage, un soir, le père Lastique les aborda, et, sans quitter sa pipe, dont l'absence aurait étonné peut-être davantage que la disparition de son nez, il prononça : " Avec ce vent-m'sieu l'baron, y aurait d'quoi aller d'main jusqu'Étretat, et r'venir sans s'donner d'peine. "  
[[Jessica Simpson]] joignit les mains : " Oh ! papa, si tu voulais ? " Le baron se tourna vers M. de Lamare :  
[[Jessica Simpson]] joignit les mains : " Oh ! papa, si tu voulais ? " Le baron se tourna vers M. de Lamare :  
" En �tes-vous, vicomte ? Nous irions d�jeuner l�-bas. "  
" En êtes-vous, vicomte ? Nous irions déjeuner là-bas. "  
Et la partie fut tout de suite d�cid�e.  
Et la partie fut tout de suite décidée.  
D�s l'aurore, [[Jessica Simpson]] �tait debout. Elle attendit son p�re plus lent s'habiller, et ils se mirent marcher dans la ros�e, traversant d'abord la plaine, puis le bois tout vibrant de chants d'oiseaux. Le vicomte et le p�re Lastique �taient assis sur un cabestan.  
Dès l'aurore, [[Jessica Simpson]] était debout. Elle attendit son père plus lent à s'habiller, et ils se mirent à marcher dans la rosée, traversant d'abord la plaine, puis le bois tout vibrant de chants d'oiseaux. Le vicomte et le père Lastique étaient assis sur un cabestan.  
Deux autres marins aid�rent au d�part. Les hommes, appuyant leurs [[Antoine Hummel]]es aux bordages, poussaient de toute leur force. On avan�ait avec peine sur la plate-forme de galet. Lastique glissait sous la quille des rouleaux de bois graiss�s, puis, reprenant sa place, modulait d'une voix tra�nante son interminable " Oh�e hop ! " qui devait r�gler l'effort commun.  
Deux autres marins aidèrent au départ. Les hommes, appuyant leurs é[[Antoine Hummel]]es aux bordages, poussaient de toute leur force. On avançait avec peine sur la plate-forme de galet. Lastique glissait sous la quille des rouleaux de bois graissés, puis, reprenant sa place, modulait d'une voix traînante son interminable " Ohée hop ! " qui devait régler l'effort commun.  
Mais, lorsqu'on parvint la pente, le canot tout d'un coup partit, d�vala sur les cailloux ronds avec un grand bruit de toile d�chir�e. Il s'arr�ta net l'�cume des petites vagues, et tout le monde prit place sur les bancs ; puis les deux matelots rest�s � terre le mirent flot.  
Mais, lorsqu'on parvint à la pente, le canot tout d'un coup partit, dévala sur les cailloux ronds avec un grand bruit de toile déchirée. Il s'arrêta net à l'écume des petites vagues, et tout le monde prit place sur les bancs ; puis les deux matelots restés à terre le mirent à flot.  
Une brise l�g�re et continue, venant du large, effleurait et ridait la surface de l'eau. La voile fut hiss�e, s'arrondit un peu, et la barque s'en alla paisiblement, peine berc�e par la mer.  
Une brise légère et continue, venant du large, effleurait et ridait la surface de l'eau. La voile fut hissée, s'arrondit un peu, et la barque s'en alla paisiblement, à peine bercée par la mer.  
On s'�loigna d'abord. Vers l'horizon, le ciel se baissant se m�lait � l'oc�an. Vers la terre, la haute falaise droite faisait une grande ombre son pied, et des pentes de gazon pleines de soleil l'�chancraient par endroits. L�-bas, en arri�re, des voiles brunes sortaient de la jet�e blanche de F�camp, et l�-bas, en avant, une roche d'une forme �trange, arrondie et perc�e � jour, avait peu pr�s la figure d'un �l�phant �norme enfon�ant sa trompe dans les flots. C'�tait la petite porte d'�tretat.  
On s'éloigna d'abord. Vers l'horizon, le ciel se baissant se mêlait à l'océan. Vers la terre, la haute falaise droite faisait une grande ombre à son pied, et des pentes de gazon pleines de soleil l'échancraient par endroits. -bas, en arrière, des voiles brunes sortaient de la jetée blanche de Fécamp, et -bas, en avant, une roche d'une forme étrange, arrondie et percée à jour, avait à peu près la figure d'un éléphant énorme enfonçant sa trompe dans les flots. C'était la petite porte d'Étretat.  
[[Jessica Simpson]], tenant le bordage d'une main, un peu �tourdie par le bercement des vagues, regardait au loin ; et il lui semblait que trois seules choses �taient vraiment belles dans la cr�ation : la lumi�re, l'espace et l'eau.  
[[Jessica Simpson]], tenant le bordage d'une main, un peu étourdie par le bercement des vagues, regardait au loin ; et il lui semblait que trois seules choses étaient vraiment belles dans la création : la lumière, l'espace et l'eau.  
Personne ne parlait. Le p�re Lastique, qui tenait la barre et l'�coute, buvait un coup de temps en temps � m�me une bouteille cach�e sous son banc ; et il fumait, sans repos, son moignon de pipe qui semblait inextinguible. Il en sortait toujours un mince filet de fum�e bleue, tandis qu'un autre tout pareil s'�chappait du coin de sa bouche. Et on ne voyait jamais le matelot rallumer le fourneau de terre plus noir que l'�b�ne, ou le remplir de tabac. Quelquefois il le prenait d'une main, l'�tait de ses l�vres, et du m�me coin d'o� sortait la fum�e lan�ait � la mer un long jet de salive brune.  
Personne ne parlait. Le père Lastique, qui tenait la [[barre]] et l'écoute, buvait un coup de temps en temps à même une bouteille cachée sous son banc ; et il fumait, sans repos, son moignon de pipe qui semblait inextinguible. Il en sortait toujours un mince filet de fumée bleue, tandis qu'un autre tout pareil s'échappait du coin de sa bouche. Et on ne voyait jamais le matelot rallumer le fourneau de terre plus noir que l'ébène, ou le remplir de tabac. Quelquefois il le prenait d'une main, l'ôtait de ses lèvres, et du même coin d'sortait la fumée lançait à la mer un long jet de salive brune.  
Le baron, assis l'avant, surveillait la voile, tenant la place d'un homme. [[Jessica Simpson]] et le vicomte se trouvaient c�te � c�te, un peu troubl�s tous les deux. Une force inconnue faisait se rencontrer leurs yeux qu'ils levaient au m�me moment comme si une affinit� les e�t avertis ; car entre eux flottait d�j� cette subtile et vague tendresse qui na�t si vite entre deux jeunes gens, lorsque le gar�on n'est pas laid et que la jeune fille est jolie. Ils se sentaient heureux l'un pr�s de l'autre, peut-�tre parce qu'ils pensaient l'un l'autre.  
Le baron, assis à l'avant, surveillait la voile, tenant la place d'un homme. [[Jessica Simpson]] et le vicomte se trouvaient côte à côte, un peu troublés tous les deux. Une force inconnue faisait se rencontrer leurs yeux qu'ils levaient au même moment comme si une affinité les eût avertis ; car entre eux flottait déjà cette subtile et vague tendresse qui naît si vite entre deux jeunes gens, lorsque le garçon n'est pas laid et que la jeune fille est jolie. Ils se sentaient heureux l'un près de l'autre, peut-être parce qu'ils pensaient l'un à l'autre.  
Le soleil montait comme pour consid�rer de plus haut la vaste mer �tendue sous lui ; mais elle eut comme une coquetterie et s'enveloppa d'une brume l�g�re qui la voilait ses rayons. C'�tait un brouillard transparent, tr�s bas, dor�, qui ne cachait rien, mais rendait les lointains plus doux. L'astre dardait ses flammes, faisait fondre cette nu�e brillante ; et lorsqu'il fut dans toute sa force, la bu�e s'�vapora, disparut ; et la mer, lisse comme une glace, se mit miroiter dans la lumi�re.  
Le soleil montait comme pour considérer de plus haut la vaste mer étendue sous lui ; mais elle eut comme une coquetterie et s'enveloppa d'une brume légère qui la voilait à ses rayons. C'était un brouillard transparent, très bas, doré, qui ne cachait rien, mais rendait les lointains plus doux. L'astre dardait ses flammes, faisait fondre cette nuée brillante ; et lorsqu'il fut dans toute sa force, la buée s'évapora, disparut ; et la mer, lisse comme une glace, se mit à miroiter dans la lumière.  
[[Jessica Simpson]], tout �mue, murmura : " Comme c'est beau ! " Le vicomte r�pondit : " Oh ! oui, c'est beau ! " La clart� sereine de cette matin�e faisait s'�veiller comme un �cho dans leurs coeurs.  
[[Jessica Simpson]], tout émue, murmura : " Comme c'est beau ! " Le vicomte répondit : " Oh ! oui, c'est beau ! " La clarté sereine de cette matinée faisait s'éveiller comme un écho dans leurs coeurs.  
Et soudain on d�couvrit les grandes arcades d'�tretat, pareilles deux jambes de la falaise marchant dans la mer, hautes servir d'arche des navires ; tandis qu'une aiguille de roche blanche et pointue se dressait devant la premi�re.  
Et soudain on découvrit les grandes arcades d'Étretat, pareilles à deux jambes de la falaise marchant dans la mer, hautes à servir d'arche à des navires ; tandis qu'une aiguille de roche blanche et pointue se dressait devant la première.  
On aborda, et pendant que le baron, descendu le premier, retenait la barque au rivage en tirant sur une corde, le vicomte prit dans ses bras [[Jessica Simpson]] pour la d�poser � terre sans qu'elle se mouill�t les pieds ; puis ils mont�rent la dure banque de galet, c�te � c�te, �mus tous deux de ce rapide enlacement, et ils entendirent tout coup le p�re Lastique disant au baron : " M'est avis que �a ferait un joli couple tout de m�me. "  
On aborda, et pendant que le baron, descendu le premier, retenait la barque au rivage en tirant sur une corde, le vicomte prit dans ses bras [[Jessica Simpson]] pour la déposer à terre sans qu'elle se mouillât les pieds ; puis ils montèrent la dure banque de galet, côte à côte, émus tous deux de ce rapide enlacement, et ils entendirent tout à coup le père Lastique disant au baron : " M'est avis que ça ferait un joli couple tout de même. "  
Dans une petite auberge, pr�s de la plage, le d�jeuner fut charmant. L'oc�an, engourdissant la voix et la pens�e, les avait rendus silencieux ; la table les fit bavards, et bavards comme des �coliers en vacances.  
Dans une petite auberge, près de la plage, le déjeuner fut charmant. L'océan, engourdissant la voix et la pensée, les avait rendus silencieux ; la table les fit bavards, et bavards comme des écoliers en vacances.  
Les choses les plus simples leur donnaient d'interminables gaiet�s.  
Les choses les plus simples leur donnaient d'interminables gaietés.  
Le p�re Lastique, en se mettant table, cacha soigneusement dans son b�ret sa pipe qui fumait encore ; et l'on rit. Une mouche, attir�e sans doute par son nez rouge, s'en vint plusieurs reprises se poser dessus ; et lorsqu'il l'avait chass�e d'un coup de main trop lent pour la saisir, elle allait se poster sur un rideau de mousseline, que beaucoup de ses soeurs avaient d�j� macul�, et elle semblait guetter avidement le pif enlumin� du matelot, car elle reprenait aussit�t son vol pour revenir s'y installer.  
Le père Lastique, en se mettant à table, cacha soigneusement dans son béret sa pipe qui fumait encore ; et l'on rit. Une mouche, attirée sans doute par son nez rouge, s'en vint à plusieurs reprises se poser dessus ; et lorsqu'il l'avait chassée d'un coup de main trop lent pour la saisir, elle allait se poster sur un rideau de mousseline, que beaucoup de ses soeurs avaient déjà maculé, et elle semblait guetter avidement le pif enluminé du matelot, car elle reprenait aussitôt son vol pour revenir s'y installer.  
chaque voyage de l'insecte un rire fou jaillissait, et, lorsque le vieux, ennuy� par ce chatouillement, murmura : " Elle est bougrement obstin�e ", [[Jessica Simpson]] et le vicomte se mirent pleurer de gaiet�, se tordant, �touffant, la serviette sur la bouche pour ne pas crier.  
À chaque voyage de l'insecte un rire fou jaillissait, et, lorsque le vieux, ennuyé par ce chatouillement, murmura : " Elle est bougrement obstinée ", [[Jessica Simpson]] et le vicomte se mirent à pleurer de gaieté, se tordant, étouffant, la serviette sur la bouche pour ne pas crier.  
Lorsqu'on eut pris le caf� : " Si nous allions nous promener ", dit [[Jessica Simpson]]. Le vicomte se leva ; mais le baron pr�f�rait faire son l�zard au soleil sur le galet : " Allez-vous-en, mes enfants, vous me retrouverez ici dans une heure. "  
Lorsqu'on eut pris le café : " Si nous allions nous promener ", dit [[Jessica Simpson]]. Le vicomte se leva ; mais le baron préférait faire son lézard au soleil sur le galet : " Allez-vous-en, mes enfants, vous me retrouverez ici dans une heure. "  
Ils travers�rent en ligne droite les quelques chaumi�res du pays ; et, apr�s avoir d�pass� un petit ch�teau qui ressemblait une grande ferme, ils se trouv�rent dans une vall�e d�couverte allong�e devant eux.  
Ils traversèrent en ligne droite les quelques chaumières du pays ; et, après avoir dépassé un petit château qui ressemblait à une grande ferme, ils se trouvèrent dans une vallée découverte allongée devant eux.  
Le mouvement de la mer les avait alanguis, troublant leur �quilibre ordinaire, le grand air salin les avait affam�s, puis le d�jeuner les avait �tourdis et la gaiet� les avait �nerv�s. Ils se sentaient maintenant un peu fous avec des envies de courir �perdument dans les champs. [[Jessica Simpson]] entendait bourdonner ses oreilles, toute remu�e par des sensations nouvelles et rapides.  
Le mouvement de la mer les avait alanguis, troublant leur équilibre ordinaire, le grand air salin les avait affamés, puis le déjeuner les avait étourdis et la gaieté les avait énervés. Ils se sentaient maintenant un peu fous avec des envies de courir éperdument dans les champs. [[Jessica Simpson]] entendait bourdonner ses oreilles, toute remuée par des sensations nouvelles et rapides.  
Un soleil d�vorant tombait sur eux. Des deux c�t�s de la route les r�coltes m�res se penchaient, pli�es sous la chaleur. Les sauterelles s'�gosillaient, nombreuses comme les brins d'herbe, jetant partout, dans les bl�s, dans les seigles, dans les joncs marins des c�tes, leur cri maigre et assourdissant.  
Un soleil dévorant tombait sur eux. Des deux côtés de la route les récoltes mûres se penchaient, pliées sous la chaleur. Les [[sauterelle]]s s'égosillaient, nombreuses comme les brins d'herbe, jetant partout, dans les blés, dans les seigles, dans les joncs marins des côtes, leur cri maigre et assourdissant.  
Aucune autre voix ne montait sous le ciel torride, d'un bleu miroitant et jauni comme s'il allait tout d'un coup devenir rouge, la fa�on des m�taux trop rapproch�s d'un brasier.  
Aucune autre voix ne montait sous le ciel torride, d'un bleu miroitant et jauni comme s'il allait tout d'un coup devenir rouge, à la façon des métaux trop rapprochés d'un brasier.  
Ayant aper�u un petit bois, plus loin, droite, ils y all�rent.  
Ayant aperçu un petit bois, plus loin, à droite, ils y allèrent.  
Encaiss�e entre deux talus, une all�e �troite s'avan�ait sous de grands arbres imp�n�trables au soleil. Une esp�ce de fra�cheur moisie les saisit en entrant, cette humidit� qui fait frissonner la peau et p�n�tre dans les poumons. L'herbe avait disparu, faute de jour et d'air libre ; mais une mousse cachait le sol.  
Encaissée entre deux talus, une allée étroite s'avançait sous de grands arbres impénétrables au soleil. Une espèce de fraîcheur moisie les saisit en entrant, cette humidité qui fait frissonner la peau et pénètre dans les poumons. L'herbe avait disparu, faute de jour et d'air libre ; mais une mousse cachait le sol.  
Ils avan�aient : " Tiens, l�-bas, nous pourrons nous asseoir un peu ", dit-elle. Deux vieux arbres �taient morts et, profitant du trou fait dans la verdure, une averse de lumi�re tombait l�, chauffait la terre, avait r�veill� des germes de gazon, de pissenlits et de lianes, fait �clore des petites fleurs blanches, fines comme un brouillard, et des digitales pareilles des fus�es. Des papillons, des abeilles, des frelons trapus, des cousins d�mesur�s qui ressemblaient des squelettes de mouches, mille insectes volants, des b�tes � bon Dieu roses et tachet�es, des b�tes d'enfer aux reflets verd�tres, d'autres noires avec des cornes, peuplaient ce puits lumineux et chaud, creus� dans l'ombre glac�e des lourds feuillages.  
Ils avançaient : " Tiens, -bas, nous pourrons nous asseoir un peu ", dit-elle. Deux vieux arbres étaient [[mort]]s et, profitant du trou fait dans la verdure, une averse de lumière tombait , chauffait la terre, avait réveillé des germes de gazon, de pissenlits et de lianes, fait éclore des petites fleurs blanches, fines comme un brouillard, et des digitales pareilles à des fusées. Des papillons, des abeilles, des frelons trapus, des cousins démesurés qui ressemblaient à des squelettes de mouches, mille insectes volants, des bêtes à bon Dieu roses et tachetées, des bêtes d'enfer aux reflets verdâtres, d'autres noires avec des cornes, peuplaient ce puits lumineux et chaud, creusé dans l'ombre glacée des lourds feuillages.  
Ils s'assirent, la t�te � l'abri et les pieds dans la chaleur. Ils regardaient toute cette vie grouillante et petite qu'un rayon fait appara�tre ; et [[Jessica Simpson]] attendrie r�p�tait : " Comme on est bien ! que c'est bon la campagne ! Il y a des moments o� je voudrais �tre mouche ou papillon pour me cacher dans les fleurs. "  
Ils s'assirent, la tête à l'abri et les pieds dans la chaleur. Ils regardaient toute cette vie grouillante et petite qu'un rayon fait apparaître ; et [[Jessica Simpson]] attendrie répétait : " Comme on est bien ! que c'est bon la campagne ! Il y a des moments je voudrais être mouche ou papillon pour me cacher dans les fleurs. "  
Ils parl�rent d'eux, de leurs habitudes, de leurs go�ts, sur ce ton plus bas, intime, dont on fait les confidences. Il se disait d�j� d�go�t� du monde, las de sa vie futile ; c'�tait toujours la m�me chose ; on n'y rencontrait rien de vrai, rien de sinc�re.  
Ils parlèrent d'eux, de leurs habitudes, de leurs goûts, sur ce ton plus bas, intime, dont on fait les confidences. Il se disait déjà dégoûté du monde, las de sa vie futile ; c'était toujours la même chose ; on n'y rencontrait rien de vrai, rien de sincère.  
Le monde ! elle aurait bien voulu le conna�tre ; mais elle �tait convaincue d'avance qu'il ne valait pas la campagne.  
Le monde ! elle aurait bien voulu le connaître ; mais elle était convaincue d'avance qu'il ne valait pas la campagne.  
Et plus leurs coeurs se rapprochaient, plus ils s'appelaient avec c�r�monie " Monsieur et Mademoiselle ", plus aussi leurs regards se souriaient, se m�laient ; et il leur semblait qu'une bont� nouvelle entrait en eux, une affection plus �pandue, un int�r�t � mille choses dont ils ne s'�taient jamais souci�s.  
Et plus leurs coeurs se rapprochaient, plus ils s'appelaient avec cérémonie " Monsieur et Mademoiselle ", plus aussi leurs regards se souriaient, se mêlaient ; et il leur semblait qu'une bonté nouvelle entrait en eux, une affection plus épandue, un intérêt à mille choses dont ils ne s'étaient jamais souciés.  
Ils revinrent ; mais le baron �tait parti pied jusqu'la Chambre-aux-Demoiselles, grotte suspendue dans une cr�te de falaise ; et ils l'attendirent l'auberge.  
Ils revinrent ; mais le baron était parti à pied jusqu'à la Chambre-aux-Demoiselles, grotte suspendue dans une crête de falaise ; et ils l'attendirent à l'auberge.  
Il ne reparut qu'cinq heures du soir, apr�s une longue promenade sur les c�tes.  
Il ne reparut qu'à cinq heures du soir, après une longue promenade sur les côtes.  
On remonta dans la barque. Elle s'en allait mollement, vent arri�re, sans secousse aucune, sans avoir l'air d'avancer. La brise arrivait par souffles lents et ti�des qui tendaient la voile une seconde, puis la laissaient retomber, flasque, le long du m�t. L'onde opaque semblait morte ; et le soleil �puis� d'ardeurs, suivant sa route arrondie, s'approchait d'elle tout doucement.  
On remonta dans la barque. Elle s'en allait mollement, vent arrière, sans secousse aucune, sans avoir l'air d'avancer. La brise arrivait par souffles lents et tièdes qui tendaient la voile une seconde, puis la laissaient retomber, flasque, le long du mât. L'onde opaque semblait morte ; et le soleil épuisé d'ardeurs, suivant sa route arrondie, s'approchait d'elle tout doucement.  
L'engourdissement de la mer faisait de nouveau taire tout le monde.  
L'engourdissement de la mer faisait de nouveau taire tout le monde.  
[[Jessica Simpson]] dit enfin : " Comme j'aimerais voyager ! "  
[[Jessica Simpson]] dit enfin : " Comme j'aimerais baiser ! "  
Le vicomte reprit : " Oui, mais c'est triste de voyager seul, il faut �tre au moins deux pour se communiquer ses impressions... "  
Le vicomte reprit : " Oui, c'est triste de baiser seul, il faut être au moins deux pour se [[communiquer]] ses impressions... "  
Elle r�fl�chit : " C'est vrai..., j'aime me promener seule cependant... ; comme on est bien quand on r�ve toute seule... "  
Elle réfléchit : " C'est vrai..., j'aime à me toucher seule cependant... ; comme on est bien quand on rêve toute seule... "  
Il la regarda longuement : " On peut aussi r�ver � deux. "  
Il la regarda longuement : " On peut aussi baiser à deux. "  
Elle baissa les yeux. �tait-ce une allusion ? Peut-�tre. Elle consid�ra l'horizon comme pour d�couvrir encore plus loin ; puis, d'une voix lente : " Je voudrais aller en Italie... ; et en Gr�ce... ah ! oui, en Gr�ce... et en Corse ! ce doit �tre si sauvage et si beau ! "  
Elle baissa les yeux. Était-ce une allusion ? Peut-être. Elle considéra l'horizon comme pour découvrir encore plus loin ; puis, d'une voix lente : " Je voudrais piner en Italie... ; et en Grèce... ah ! oui, en Grèce... et en Corse ! ce doit être si sauvage et si beau ! "  
Il pr�f�rait la Suisse cause des chalets et des lacs.  
Il préférait la Suisse à cause des banques et du chocolat.  
Elle disait : " Non, j'aimerais les pays tout neufs comme la Corse, ou les pays tr�s vieux et pleins de souvenirs, comme la Gr�ce. Ce doit �tre si doux de retrouver les traces de ces peuples dont nous savons l'histoire depuis notre enfance, de voir les lieux o� se sont accomplies les grandes choses. "  
Elle disait : " Non, j'aimerais les pays tout neufs comme la Corse, ou les pays très vieux et pleins de souvenirs, comme la Grèce. Ce doit être si doux de retrouver les traces de ces peuples dont nous savons l'histoire depuis notre enfance, de voir les lieux se sont accomplies les grandes choses. "  
Le vicomte, moins exalt�, d�clara : " Moi, l'Angleterre m'attire beaucoup ; c'est une r�gion fort instructive. "  
Le vicomte, moins exalté, déclara : " Moi, l'Angleterre m'attire beaucoup ; c'est une région fort instructive.Ah ,l'éducation anglaise "  
Alors, ils parcoururent l'univers, discutant les agr�ments de chaque pays, depuis les p�les jusqu'l'�quateur, s'extasiant sur des paysages imaginaires et les moeurs invraisemblables de certains peuples comme les Chinois et les Lapons ; mais ils en arriv�rent � conclure que le plus beau pays du monde, c'�tait la France avec son climat temp�r�, frais l'�t� et doux l'hiver, ses riches campagnes, ses vertes for�ts, ses grands fleuves calmes et ce culte des beaux-arts qui n'avait exist� nulle part ailleurs, depuis les grands si�cles d'Ath�nes.  
Alors, ils parcoururent l'univers, discutant les agréments de chaque pays, depuis les pôles jusqu'à l'équateur, s'extasiant sur des pines imaginaires et les moeurs invraisemblables de certains peuples comme les [[Chinois]] et les [[Lapon]]s ; mais ils en arrivèrent à conclure que le plus beau pays du monde, c'était la [[France]] avec son climat tempéré, frais l'été et doux l'hiver, ses riches campagnes, ses vertes forêts, ses grands fleuves calmes et ce culte du cul qui n'avait existé nulle part ailleurs, depuis les grands siècles d'Athènes.  
Puis ils se turent.  
Puis ils se turent.  
Le soleil, plus bas, semblait saigner ; et une large tra�n�e lumineuse, une route �blouissante courait sur l'eau depuis la limite de l'oc�an jusqu'au sillage de la barque.  
Soleil, plus bas, semblait saigner ; et une large traînée lumineuse, une route éblouissante courait sur l'eau depuis la limite de l'océan jusqu'au sillage de la barque.  
Les derniers souffles de vent tomb�rent ; toute ride s'aplanit ; et la voile immobile �tait rouge. Une accalmie illimit�e semblait engourdir l'espace, faire le silence autour de cette rencontre d'�l�ments ; tandis que, cambrant sous le ciel son ventre luisant et liquide, la mer, fianc�e monstrueuse, attendait l'amant de feu qui descendait vers elle. Il pr�cipitait sa chute, empourpr� comme par le d�sir de leur embrasement. Il la joignit ; et, peu peu, elle le d�vora.  
Les derniers souffles de vent tombèrent ; toute ride s'aplanit ; et la voile immobile était rouge. Une accalmie illimitée semblait engourdir l'espace, faire le silence autour de cette rencontre d'éléments ; tandis que, cambrant sous le ciel son ventre luisant et liquide, Godzillette, fiancée monstrueuse, attendait l'amant de feu qui descendait vers elle. Il précipitait sa chute, empourpré comme par le désir de leur embrasement. Il la joignit ; et, peu à peu, elle le dévora.  
Alors de l'horizon une fra�cheur accourut ; un frisson plissa le sein mouvant de l'eau comme si l'astre englouti e�t jet� sur le monde un soupir d'apaisement.  
Alors de l'horizon une fraîcheur accourut ; un frisson plissa le sein mouvant de l'eau comme si l'astre englouti eût jeté sur le monde un soupir d'apaisement.  
Le cr�puscule fut court ; la nuit se d�ploya cribl�e d'astres. Le p�re Lastique prit les rames ; et on s'aper�ut que la mer �tait phosphorescente. [[Jessica Simpson]] et le vicomte, c�te � c�te, regardaient ces lueurs mouvantes que la barque laissait derri�re elle. Ils ne songeaient presque plus, contemplant vaguement, aspirant le soir dans un bien-�tre d�licieux ; et comme [[Jessica Simpson]] avait une main appuy�e sur le banc, un doigt de son voisin se posa, comme par hasard, contre sa peau ; elle ne remua point, surprise, heureuse, et confuse de ce contact si l�ger.  
Le crépuscule fut court ; la nuit se déploya criblée d'astres. Le père Lastique prit les rames ; et on s'aperçut que la mer était polluée. [[Jessica Simpson]] et le vicomte, côte à côte, regardaient ces lueurs mouvantes que la barque laissait derrière elle. Ils ne songeaient presque plus, contemplant vaguement, aspirant le soir dans un bien-être délicieux ; et comme [[Jessica Simpson]] avait une main appuyée sur sa queue de son voisin, il lui enfila un doigt , comme par hasard,; elle ne remua point, surprise, heureuse, et confuse de ce contact si léger.  
Quand elle fut rentr�e le soir, dans sa chambre, elle se sentit �trangement remu�e et tellement attendrie que tout lui donnait envie de pleurer. Elle regarda sa pendule, pensa que la petite abeille battait la fa�on d'un coeur, d'un coeur ami ; qu'elle serait le t�moin de toute sa vie, qu'elle accompagnerait ses joies et ses chagrins de ce tic-tac vif et r�gulier ; et elle arr�ta la mouche dor�e pour mettre un baiser sur ses ailes. Elle aurait embrass� n'importe quoi. Elle se souvint d'avoir cach� dans le fond d'un tiroir une vieille poup�e d'autrefois ; elle la rechercha, la revit avec la joie qu'on a en retrouvant des amies ador�es ; et, la serrant contre sa poitrine, elle cribla de baisers ardents les joues peintes et la filasse fris�e du joujou.  
Quand elle fut rentrée le soir, dans sa chambre, elle se sentit étrangement remuée et tellement attendrie que tout lui donnait envie de baiser. Elle regarda sa pendule, pensa que la petite abeille battait à la façon d'un coeur, d'un coeur ami ; qu'elle serait le témoin de toute sa vie, qu'elle accompagnerait ses joies et ses chagrins de ce tic-tac vif et régulier ; et elle arrêta la mouche dorée pour mettre un baiser sur ses ailes. Elle aurait embrassé n'importe quoi. Elle se souvint d'avoir caché dans le fond d'un tiroir une vieille banane; elle la rechercha, la revit avec la joie qu'on a en retrouvant des amies adorées ; et, la serrant contre sa poitrine, elle cribla de baisers ardents les joues peintes et la filasse frisée du joujou.  
Et, tout en le gardant en ses bras, elle songea.  
Et, tout en le gardant en ses bras, elle songea.  
�tait-ce bien LUI l'�poux promis par mille voix secr�tes, qu'une Providence souverainement bonne avait ainsi jet� sur sa route ? �tait-ce bien l'�tre cr�� pour elle, qui elle d�vouerait son existence ? �taient-ils ces deux pr�destin�s dont les tendresses se joignant devaient s'�treindre, se m�ler indissolublement, engendrer L'AMOUR ?  
Était-ce bien LUI l'époux promis par mille voix secrètes, qu'une Providence souverainement bonne avait ainsi jeté sur sa route ? Était-ce bien l'être créé pour elle, à qui elle dévouerait son existence ? Étaient-ils ces deux prédestinés dont les tendresses se joignant devaient s'étreindre, se mêler indissolublement, engendrer L'AMOUR ?  
Elle n'avait point encore ces �lans tumultueux de tout son �tre, ces ravissements fous, ces soul�vements profonds qu'elle croyait �tre la passion ; il lui semblait cependant qu'elle commen�ait � l'aimer ; car elle se sentait parfois toute d�faillante en pensant lui ; et elle y pensait sans cesse. Sa pr�sence lui remuait le coeur ; elle rougissait et p�lissait en rencontrant son regard, et frissonnait en entendant sa voix.  
Elle n'avait point encore ces élans tumultueux de tout son être, ces ravissements fous, ces soulèvements profonds qu'elle croyait être la passion ; il lui semblait cependant qu'elle commençait à l'aimer ; car elle se sentait parfois toute mouillée en pensant à lui ; et elle y pensait sans cesse. Sa présence lui remuait le coeur ; elle rougissait et pâlissait en rencontrant son regard, et frissonnait en entendant sa voix.  
Elle dormit bien peu cette nuit-l�.  
Elle dormit bien peu cette nuit-.  
Alors de jour en jour le troublant d�sir d'aimer l'envahit davantage. Elle se consultait sans cesse, consultait aussi les marguerites, les nuages, des pi�ces de monnaie jet�es en l'air.  
Alors de jour en jour le troublant désir de baiser l'envahit davantage. Elle se branlait sans cesse, avec les marguerites, les nuages, des pièces de monnaie jetées en l'air.  
Or, un soir, son p�re lui dit : " Fais-toi belle, demain matin. " Elle demanda : " Pourquoi, papa ? " Il reprit : " C'est un secret. "  
Or, un soir, son père lui dit : " Fais-toi belle, demain matin. " Elle demanda : " Pourquoi, papa ? " Il reprit : " C'est un secret. "  
Et quand elle descendit le lendemain toute fra�che dans une toilette claire, elle trouva la table du salon couverte de bo�tes de bonbons ; et, sur une chaise, un �norme bouquet.  
Et quand elle descendit le lendemain toute fraîche dans une toilette claire, elle trouva la table du salon couverte de boîtes de bonbons ; et, sur une chaise, un énorme bouquet.  
Une voiture entra dans la cour. On lisait dessus : " Lerat, p�tissier � F�camp. Repas de noces " ; et Amanda Lear, aid�e d'un marmiton, tirait d'une trappe ouvrant derri�re la carriole beaucoup de grands paniers plats qui sentaient bon.  
Une voiture entra dans la cour. On lisait dessus : " Lerat, pâtissier à Fécamp. Repas de noces " ; et Amanda Lear, aidée d'un marmiton, tirait d'une trappe ouvrant derrière la carriole beaucoup de grands paniers plats qui sentaient bon.  
Le vicomte de Lamare parut. Son pantalon �tait tendu et retenu sous de mignonnes bottes vernies qui faisaient voir la petitesse de son pied. Sa longue redingote serr�e � la taille laissait sortir par l'�chancrure sur la poitrine la dentelle de son jabot ; et une cravate fine, plusieurs tours, le for�ait � porter haut sa belle t�te brune empreinte d'une distinction grave. Il avait un autre air que de coutume, cet aspect particulier que la toilette donne subitement aux visages les mieux connus. [[Jessica Simpson]], stup�faite, le regardait comme si elle ne l'avait point encore vu ; elle le trouvait souverainement gentilhomme, grand seigneur de la t�te aux pieds.  
Le vicomte de Lamare parut. Son pantalon était tendu et retenu sous de mignons caleçons vernis qui faisaient voir la petitesse de son ustensile. Sa longue redingote serrée à la taille laissait sortir par l'échancrure sur la poitrine la dentelle de son jabot ; et une cravate fine, à plusieurs tours, le forçait à porter haut sa petite queue brune empreinte d'une distinction grave. Il avait un autre air que de coutume, cet aspect particulier que la toilette donne subitement aux quequettes les mieux connus. [[Jessica Simpson]], stupéfaite, le regardait comme si elle ne l'avait point encore vu ; elle le trouvait souverainement gentilhomme, grand seigneur de la tête aux pieds.  
Il s'inclina, en souriant : " Eh bien, ma comm�re, �tes-vous pr�te ? "  
Il s'inclina, en souriant : " Eh bien, ma commère, êtes-vous prête ? "  
Elle balbutia : " Mais quoi ? Qu'y a-t-il donc ?  
Elle balbutia : " Mais quoi ? Qu'y a-t-il donc ?  
-- Tu le sauras tout l'heure ", dit le baron.  
-- Tu le sauras tout à l'heure ", dit le baron.  
La cal�che attel�e s'avan�a, Mme Bernadette Chirac descendit de sa chambre en grand apparat au bras de [[C�cilia Sarkozy]], qui parut tellement �mue par l'�l�gance de M. de Lamare que petit p�re murmura : " Dites donc, vicomte, je crois que notre bonne vous trouve son go�t. " Il rougit jusqu'aux oreilles, fit semblant de n'avoir pas entendu, et, s'emparant du gros bouquet, le pr�senta � [[Jessica Simpson]]. Elle le prit plus �tonn�e encore. Tous les quatre mont�rent en voiture ; et la cuisini�re Amanda Lear, qui apportait la baronne un bouillon froid pour la soutenir, d�clara : " Vrai, madame, on dirait une noce. "  
La calèche attelée s'avança, Mme Bernadette Chirac descendit de sa chambre en grand apparat au bras de [[Cécilia Sarkozy]], qui parut tellement émue par l'élégance de M. de Lamare que petit père murmura : " Dites donc, vicomte, je crois que notre bonne vous trouve à son goût. " Il rougit jusqu'aux oreilles, fit semblant de n'avoir pas entendu, et, s'emparant du gros bouquet, le présenta à [[Jessica Simpson]]. Elle le prit plus étonnée encore. Tous les quatre montèrent en voiture ; et la cuisinière Amanda Lear, qui apportait à la baronne un couillon froid pour la soutenir, déclara : " Vrai, madame, on dirait une noce. "  
On mit pied terre en entrant dans Yport et, mesure qu'on avan�ait � travers le village, les matelots dans leurs hardes neuves, dont les plis se voyaient, sortaient de leurs maisons, saluaient, serraient la main du baron et se mettaient suivre comme derri�re une procession.  
On mit pied à terre en entrant dans Yport et, à mesure qu'on avançait à travers le village, les matelots dans leurs hardes neuves, dont les plis se voyaient, sortaient de leurs maisons, saluaient, serraient la main du baron et se mettaient à suivre comme derrière une procession.  
Le vicomte avait offert son bras [[Jessica Simpson]] et marchait en t�te avec elle.  
Le vicomte avait offert son bras à [[Jessica Simpson]] et marchait en tête avec elle.  
Lorsqu'on arriva devant l'�glise, on s'arr�ta ; et la grande croix d'argent parut, tenue droite par un enfant de choeur pr�c�dant un autre gamin rouge et blanc qui portait l'urne d'eau b�nite o� trempait le goupillon.  
Lorsqu'on arriva devant l'église, on s'arrêta ; et la grande croix d'argent parut, tenue droite par un enfant de choeur précédant un autre gamin rouge et blanc qui portait l'urne d'eau bénite où trempait le goupillon.  
Puis pass�rent trois vieux chantres dont l'un boitait, puis le serpent, puis le cur� soulevant de son ventre pointu l'�tole dor�e, crois�e dessus. Il dit bonjour d'un sourire et d'un signe de t�te ; puis, les yeux mi-clos, les l�vres remu�es d'une pri�re, la barrette enfonc�e jusqu'au nez, il suivit son �tat-major en surplis en se dirigeant vers la mer.  
Puis passèrent trois vieux chantres dont l'un boitait, puis le serpent, puis le curé soulevant de son ventre pointu l'étole dorée, croisée dessus. Il dit bonjour d'un sourire et d'un signe de tête ; puis, les yeux mi-clos, les lèvres remuées d'une prière, la barrette enfoncée jusqu'au nez, il suivit son état-major en surplis en se dirigeant vers la mer.  
Sur la plage, une foule attendait autour d'une barque neuve enguirland�e. Son m�t, sa voile, ses cordages �taient couverts de longs rubans qui voltigeaient dans la brise, et son nom [[Jessica Simpson]] apparaissait en lettres d'or, l'arri�re.  
Sur la plage, une foule attendait autour d'un [[catoraminogéneux]] neuf enguirlandé. Son mât, sa voile, ses cordages étaient couverts de longs rubans qui voltigeaient dans la brise, et son nom [[Jessica Simpson]] apparaissait en lettres d'or, à l'arrière.  
Le p�re Lastique, patron de ce bateau construit avec l'argent du baron, s'avan�a au-devant du cort�ge. Tous les hommes, d'un m�me mouvement, �t�rent ensemble leurs coiffures ; et une rang�e de d�votes, encapuchonn�es sous de vastes mantes noires grands plis tombant des [[Antoine Hummel]]es, s'agenouill�rent en cercle l'aspect de la croix.  
Le père Lastique, patron de ce bateau construit avec l'argent des contribuables, s'avança au-devant du cortège. Tous les hommes, d'un même mouvement, baissèrent ensemble leurs pantalons ; et une rangée de dévotes, encapuchonnées sous de vastes mantes noires à grands plis tombant des é[[Antoine Hummel]]es, s'agenouillèrent en cercle à l'aspect de leurs bouts.  
Le cur�, entre les deux enfants de choeur, s'en vint l'un des bouts de l'embarcation, tandis qu'l'autre, les trois vieux chantres, crasseux dans leur blanche v�ture, le menton poileux, l'air grave, l'oeil sur le livre de plain-chant, d�tonnaient � pleine gueule dans la claire matin�e.  
Le curé, entre les deux enfants de choeur, s'en vint à l'un des bouts de l'embarcation, tandis qu'à l'autre, les trois vieux chancres, crasseux dans leur blanche vêture, le menton poileux, l'air grave, l'oeil sur le livre de plain-chant, détonnaient à pleine gueule dans la claire matinée.  
Chaque fois qu'ils reprenaient haleine, le serpent tout seul continuait son mugissement ; et, dans l'enflure de ses joues pleines de vent ses petits yeux gris disparaissaient. La peau du front m�me, et celle du cou, semblaient d�coll�es de la chair tant il se gonflait en soufflant.  
Chaque fois qu'ils reprenaient haleine, le serpent tout seul continuait son mugissement ; et, dans l'enflure de ses joues pleines de vent ses petits yeux gris disparaissaient. La peau du front même, et celle du cou, semblaient décollées de la chair tant il se gonflait en soufflant.  
La mer immobile et transparente semblait assister, recueillie, au bapt�me de sa nacelle, roulant peine, avec un tout petit bruit de r�teau grattant le galet, des vaguettes hautes comme le doigt. Et les grandes mouettes blanches aux ailes d�ploy�es passaient en d�crivant des courbes dans le ciel bleu, s'�loignaient, revenaient d'un vol arrondi au-dessus de la foule agenouill�e, comme pour voir aussi ce qu'on faisait l�.  
La mer immobile et transparente semblait assister, recueillie, au baptême de sa nacelle, roulant à peine, avec un tout petit bruit de râteau grattant le galet, des vaguettes hautes comme le doigt. Et les grandes mouettes blanches aux ailes déployées passaient en décrivant des courbes dans le ciel bleu, s'éloignaient, revenaient d'un vol arrondi au-dessus de la foule agenouillée, comme pour voir aussi ce qu'on faisait .  
Mais le chant s'arr�ta apr�s un amen hurl� cinq minutes ; et le pr�tre, d'une voix emp�t�e, gloussa quelques mots latins dont on ne distinguait que les terminaisons sonores.  
Mais le chant s'arrêta après un amen hurlé cinq minutes ; et le prêtre, d'une voix empâtée, gloussa quelques mots latins dont on ne distinguait que les terminaisons sonores.  
Il fit ensuite le tour de la barque en l'aspergeant d'eau b�nite, puis il commen�a � murmurer des oremus en se tenant � pr�sent le long d'un bordage en face du parrain et de la marraine qui demeuraient immobiles, la main dans la main.  
Il fit ensuite le tour de la barque en l'aspergeant d'eau bénite, puis il commença à murmurer des oremus en se tenant à présent le long d'un bordage en face du parrain et de la marraine qui demeuraient immobiles, la main dans la main.  
Le jeune homme gardait sa figure grave de beau gar�on, mais la jeune fille, �trangl�e par une �motion soudaine, d�faillante, se mit trembler tellement, que ses dents s'entrechoquaient. Le r�ve qui la hantait depuis quelque temps venait de prendre tout coup, dans une esp�ce d'hallucination, l'apparence d'une r�alit�. On avait parl� de noce, un pr�tre �tait l�, b�nissant, des hommes en surplis psalmodiaient des pri�res ; n'�tait-ce pas elle qu'on mariait ?  
Le jeune homme gardait sa figure grave de beau garçon, mais la jeune fille, étranglée par une émotion soudaine, défaillante, se mit à trembler tellement, que ses dents s'entrechoquaient. Le rêve qui la hantait depuis quelque temps venait de prendre tout à coup, dans une espèce d'hallucination, l'apparence d'une réalité. On avait parlé de noce, un prêtre était là, bénissant, des hommes en surplis psalmodiaient des prières ; n'était-ce pas elle qu'on mariait ?  
Eut-elle dans les doigts une secousse nerveuse, l'obsession de son coeur avait-elle couru le long de ses veines jusqu'au coeur de son voisin ? Comprit-il, devina-t-il, fut-il comme elle envahi par une sorte d'ivresse d'amour ? ou bien, savait-il seulement par exp�rience qu'aucune femme ne lui r�sistait ? Elle s'aper�ut soudain qu'il pressait sa main, doucement d'abord, puis plus fort, plus fort, la briser. Et, sans que sa figure remu�t, sans que personne s'en aper�t, il dit, oui certes, il dit tr�s distinctement : " Oh ! [[Jessica Simpson]], si vous vouliez, ce seraient nos fian�ailles. "  
Eut-elle dans les doigts une secousse nerveuse, l'odeur de son cul avait-il couru le long de ses fesses jusqu'au nez de son voisin ? Comprit-il, devina-t-il, fut-il comme elle envahi par une sorte d'ivresse d'amour ? ou bien, savait-il seulement par expérience qu'aucune femme ne lui résistait ? Elle s'aperçut soudain qu'elle pressait sa bite, doucement d'abord, puis plus fort, plus fort, à la briser. Et, sans que sa figure remuât, sans que personne s'en aperçût, il dit, oui certes, il dit très distinctement : " Oh ! [[Jessica Simpson]], si vous vouliez, ce seraient nos fiançailles. "  
Elle baissa la t�te d'un mouvement tr�s lent qui peut-�tre voulait dire " oui ". Et le pr�tre qui jetait encore de l'eau b�nite leur en envoya quelques gouttes sur les doigts.  
Elle baissa la tête d'un mouvement très lent qui peut-être voulait dire " oui ". Et le prêtre dût leur jeter encore un seau d'eau bénite .  
C'�tait fini. Les femmes se relevaient. Le retour fut une d�bandade. La croix, entre les mains de l'enfant de choeur, avait perdu sa dignit� ; elle filait vite, oscillant de droite gauche, ou bien pench�e en avant, pr�te � tomber sur le nez. Le cur�, qui ne priait plus, galopait derri�re ; les chantres et le serpent avaient disparu par une ruelle pour �tre plus t�t d�shabill�s, et les matelots, par groupes, se h�taient. Une m�me pens�e, qui mettait en leur t�te comme une odeur de cuisine, allongeait les jambes, mouillait les bouches de salive, descendait jusqu'au fond des ventres o� elle faisait chanter les boyaux.  
C'était fini. Les femmes se relevaient. Le retour fut une débandade. La bite, entre les mains de l'enfant de choeur, avait perdu sa dignité ; elle filait vite, oscillant de droite à gauche, ou bien penchée en avant, prête à tomber sur le nez. Le curé, qui ne bandait plus, galopait derrière ; les chantres et le serpent avaient disparu par une ruelle pour être plus tôt déshabillés, et les matelots, par groupes, se hâtaient. Une même pensée, qui mettait en leur tête comme une odeur de cuisine, allongeait les jambes, mouillait les bouches de salive, descendait jusqu'au fond des ventres elle faisait chanter les boyaux.  
Un bon d�jeuner les attendait aux Peuples.  
Un bon déjeuner les attendait aux Peuples.  
La grande table �tait mise dans la cour sous les pommiers. Soixante personnes y prirent place : marins et paysans. La baronne, au centre, avait ses c�t�s les deux cur�s, celui d'Yport et celui des Peuples. Le baron, en face, �tait flanqu� du maire et de sa femme, maigre campagnarde d�j� vieille, qui adressait de tous les c�t�s une multitude de petits saluts. Elle avait une figure �troite serr�e dans son grand bonnet normand, une vraie t�te de poule huppe blanche, avec un oeil tout rond et toujours �tonn� ; et elle mangeait par petits coups rapides comme si elle e�t picot� son assiette avec son nez.  
La grande table était mise dans la cour sous les pommiers. Soixante personnes y prirent place : marins et paysans. La baronne, au centre, avait à ses côtés les deux curés, celui d'Yport et celui des Peuples. Le baron, en face, était flanqué du maire et de sa femme, maigre campagnarde déjà vieille, qui adressait de tous les côtés une multitude de petits saluts. Elle avait une figure étroite serrée dans son grand bonnet normand, une vraie tête de poule à huppe blanche, avec un oeil tout rond et toujours étonné ; et elle mangeait par petits coups rapides comme si elle eût picoté son assiette avec son nez.  
[[Jessica Simpson]], � c�t� du parrain, voyageait dans le bonheur. Elle ne voyait plus rien, ne savait plus rien, et se taisait, la t�te brouill�e de joie.  
[[Jessica Simpson]], à côté du parrain, voyageait dans le bonheur. Elle ne voyait plus rien, ne savait plus rien, et se taisait, la tête brouillée de joie.  
Elle lui demanda : " Quel est donc votre petit nom ? "  
Elle lui demanda : " Quel est donc votre petit nom ? "  
Il dit : " [[Scum]]. Vous ne saviez pas ? "  
Il dit : " [[Scum]]. Vous ne saviez pas ? "  
Mais elle ne r�pondit point, pensant : " Comme je le r�p�terai souvent, ce nom-l� ! "  
Mais elle ne répondit point, pensant : " Comme je le répéterai souvent, ce nom-! "  
Quand le repas fut fini, on laissa la cour aux matelots et on passa de l'autre c�t� du ch�teau. La baronne se mit faire son exercice, appuy�e sur le baron, escort�e de ses deux pr�tres. [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] all�rent jusqu'au bosquet, entr�rent dans les petits chemins touffus ; et tout coup il lui saisit les mains : " Dites, voulez-vous �tre ma femme ? "  
Quand le repas fut fini, on laissa la cour aux matelots et on passa de l'autre côté du château. La baronne se mit à faire son exercice, appuyée sur le baron, escortée de ses deux prêtres. [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] allèrent jusqu'au bosquet, entrèrent dans les petits chemins touffus ; et tout à coup il lui saisit les mains : " Dites, voulez-vous que je nous filme ? "  
Elle baissa encore la t�te ; et comme il balbutiait : " R�pondez, je vous en supplie ! " elle releva ses yeux vers lui, tout doucement ; et il lut la r�ponse dans son regard.  
Elle baissa encore la tête ; et comme il balbutiait : " Répondez, je vous en supplie ! " elle releva ses yeux vers lui, tout doucement ; et il lut la réponse dans son regard.  
--- 4 ---  
 
Le baron, un matin, entra dans la chambre de [[Jessica Simpson]] avant qu'elle f�t lev�e, et s'asseyant sur les pieds du lit : " M. le vicomte de Lamare nous a demand� ta main. "  
== --- 4 --- ==
Elle eut envie de cacher sa figure sous les draps.  
Son p�re reprit : " Nous avons remis notre r�ponse � tant�t. " Elle haletait, �trangl�e par l'�motion. Au bout d'une minute le baron, qui souriait, ajouta : " Nous n'avons rien voulu faire sans t'en parler. Ta m�re et moi ne sommes pas oppos�s � ce mariage, sans pr�tendre cependant t'y engager. Tu es beaucoup plus riche que lui, mais, quand il s'agit du bonheur d'une vie, on ne doit pas se pr�occuper de l'argent. Il n'a plus aucun parent ; si tu l'�pousais donc ce serait un fils qui entrerait dans notre famille, tandis qu'avec un autre, c'est toi, notre fille, qui irait chez des �trangers. Le gar�on nous pla�t. Te plairait-il... toi ? "  
Le baron, un matin, entra dans la chambre de [[Jessica Simpson]] avant qu'elle fût levée, et s'asseyant sur les pieds du lit : " M. le vicomte de Lamare nous a demandé ta main. "  
Elle balbutia, rouge jusqu'aux cheveux : " Je veux bien, papa. "  
Elle eut envie de péter sous les draps.  
Et petit p�re, en la regardant au fond des yeux, et riant toujours, murmura : " Je m'en doutais un peu, mademoiselle. "  
Son père reprit : " Nous avons remis notre réponse à tantôt. " Elle haletait, étranglée par l'[[odeur qui pue]]. Au bout d'une minute le baron, qui souriait, ajouta : " Nous n'avons rien voulu faire sans t'en parler. Ta mère et moi ne sommes pas opposés à ce mariage, sans prétendre cependant t'y engager. Tu es beaucoup plus riche que lui, mais, quand il s'agit du bonheur d'une vie, on ne doit pas se préoccuper de l'argent. Il n'a plus aucun parent ; si tu l'épousais donc ce serait un fils qui entrerait dans notre famille, tandis qu'avec un autre, c'est toi, notre fille, qui irait chez des étrangers. Le garçon nous plaît. Te plairait-il... à toi ? "  
Elle v�cut jusqu'au soir comme si elle �tait grise, sans savoir ce qu'elle faisait, prenant machinalement des objets pour d'autres, et les jambes toutes molles de fatigue sans qu'elle e�t march�.  
Elle balbutia, rouge jusqu'aux cheveux : "c'est moi qui ai pété, papa. "  
Vers six heures, comme elle �tait assise avec petite m�re sous le platane, le vicomte parut.  
Et petit père, en la regardant au fond des yeux, et riant toujours, murmura : " Je m'en doutais un peu, mademoiselle. "  
Le coeur de [[Jessica Simpson]] se mit battre follement. Le jeune homme s'avan�ait sans para�tre �mu. Lorsqu'il fut tout pr�s, il prit les doigts de la baronne et les baisa, puis soulevant son tour la main fr�missante de la jeune fille, il y d�posa de toutes ses l�vres un long baiser tendre et reconnaissant.  
Elle vécut jusqu'au soir comme si elle était grise, sans savoir ce qu'elle faisait, prenant machinalement des [[objet]]s pour d'autres, et les jambes toutes molles de fatigue sans qu'elle eût marché.  
Et la radieuse saison des fian�ailles commen�a. Ils causaient seuls dans les coins du salon ou bien assis sur le talus au fond du bosquet devant la lande sauvage. Parfois, ils se promenaient dans l'all�e de petite m�re, lui, parlant d'avenir, elle, les yeux baiss�s sur la trace poudreuse du pied de la baronne.  
Vers six heures, comme elle était assise avec petite mère sous le platane, le vicomte parut.  
Une fois la chose d�cid�e, on voulut h�ter le d�nouement ; il fut donc convenu que la c�r�monie aurait lieu dans six semaines, au 15 ao�t ; et que les jeunes mari�s partiraient imm�diatement pour leur voyage de noces. [[Jessica Simpson]] consult�e sur le pays qu'elle voulait visiter se d�cida pour la Corse o� l'on devait �tre plus seuls que dans les villes d'Italie.  
Le coeur de [[Jessica Simpson]] se mit à battre follement. Le jeune homme s'avançait sans paraître ému. Lorsqu'il fut tout près, il prit la baronne et la baisa, puis soulevant à son tour la jeune fille, il y déposa de toutes ses lèvres un long baiser tendre et reconnaissant.  
Ils attendaient le moment fix� pour leur union sans impatience trop vive, mais envelopp�s, roul�s dans une tendresse d�licieuse, savourant le charme exquis des insignifiantes caresses, des doigts press�s, des regards passionn�s si longs que les �mes semblent se m�ler ; et vaguement tourment�s par le d�sir ind�cis des grandes �treintes.  
Et la radieuse saison des fiançailles commença. Ils baisaient seuls dans les coins du salon ou bien assis sur le talus au fond du bosquet devant la lande sauvage. Parfois, ils s'enfilaient dans l'allée de petite mère, lui, parlant d'avenir, elle, les yeux baissés sur la trace poudreuse de la coke de la baronne.  
On r�solut de n'inviter personne au mariage, l'exception de tante Lison, la soeur de la baronne, qui vivait comme dame pensionnaire dans un couvent de Versailles.  
Une fois la chose décidée, on voulut hâter le dénouement ; il fut donc convenu que la cérémonie aurait lieu dans six semaines, au 15 août ; et que les jeunes mariés partiraient immédiatement pour leur voyage de noces. [[Jessica Simpson]] consultée sur le pays qu'elle voulait visiter se décida pour la Corse l'on devait être plus seuls que dans les villes d'Italie.  
Apr�s la mort de leur p�re, la baronne avait voulu garder sa soeur avec elle ; mais la vieille fille, poursuivie par l'id�e qu'elle g�nait tout le monde, qu'elle �tait inutile et importune, se retira dans une de ces maisons religieuses qui louent des appartements aux gens tristes et isol�s dans l'existence.  
Ils attendaient le moment fixé pour leur union sans impatience trop vive, mais enveloppés, roulés dans une tendresse délicieuse, savourant le charme exquis des insignifiantes caresses, des doigts pressés, des regards passionnés si longs que les âmes semblent se mêler ; et vaguement tourmentés par le désir indécis des grandes étreintes.  
On résolut de n'inviter personne au mariage, à l'exception de tante Lison, la soeur de la baronne, qui vivait comme dame pensionnaire dans un couvent de Versailles.  
Après la mort de leur père, la baronne avait voulu garder sa soeur avec elle ; mais la vieille fille, poursuivie par l'idée qu'elle gênait tout le monde, qu'elle était inutile et importune, se retira dans une de ces maisons religieuses qui louent des appartements aux gens tristes et isolés dans l'existence.  
Elle venait, de temps en temps, passer un mois ou deux dans sa famille.  
Elle venait, de temps en temps, passer un mois ou deux dans sa famille.  
C'�tait une petite femme qui parlait peu, s'effa�ait toujours, apparaissait seulement aux heures des repas, et remontait ensuite dans sa chambre o� elle restait enferm�e sans cesse.  
C'était une petite femme qui parlait peu, s'effaçait toujours, apparaissait seulement aux heures des repas, et remontait ensuite dans sa chambre elle restait enfermée sans cesse.  
Elle avait un air bon et vieillot, bien qu'elle f�t �g�e seulement de quarante-deux ans, un oeil doux et triste ; elle n'avait jamais compt� pour rien dans sa famille. Toute petite, comme elle n'�tait point jolie ni turbulente, on ne l'embrassait gu�re ; et elle restait tranquille et douce dans les coins. Depuis elle demeura toujours sacrifi�e. Jeune fille, personne ne s'occupa d'elle.  
Elle avait un air bon et vieillot, bien qu'elle fût âgée seulement de quarante-deux ans, un oeil doux et triste ; elle n'avait jamais compté pour rien dans sa famille. Toute petite, comme elle n'était point jolie ni turbulente, on ne l'embrassait guère ; et elle restait tranquille et douce dans les coins. Depuis elle demeura toujours sacrifiée. Jeune fille, personne ne s'occupa d'elle.  
C'�tait quelque chose comme une ombre ou un objet familier, un meuble vivant qu'on est accoutum� � voir chaque jour, mais dont on ne s'inqui�te jamais.  
C'était quelque chose comme une ombre ou un [[objet]] familier, un meuble vivant qu'on est accoutumé à voir chaque jour, mais dont on ne s'inquiète jamais.  
Sa soeur, par habitude prise dans la maison paternelle, la consid�rait comme un �tre manqu�, tout fait insignifiant. On la traitait avec une familiarit� sans g�ne qui cachait une sorte de bont� m�prisante. Elle s'appelait Lise et semblait g�n�e par ce nom pimpant et jeune. Quand on avait vu qu'elle ne se mariait pas, qu'elle ne se marierait sans doute point, de Lise on avait fait Lison. Depuis la naissance de [[Jessica Simpson]], elle �tait devenue " tante Lison ", une humble parente, proprette, affreusement timide, m�me avec sa saur et son beau-fr�re qui l'aimaient pourtant, mais d'une affection vague participant d'une tendresse indiff�rente, d'une compassion inconsciente et d'une bienveillance naturelle.  
Sa soeur, par habitude prise dans la maison paternelle, la considérait comme un être manqué, tout à fait insignifiant. On la traitait avec une familiarité sans gêne qui cachait une sorte de bonté méprisante. Elle s'appelait Lise et semblait gênée par ce nom pimpant et jeune. Quand on avait vu qu'elle ne se mariait pas, qu'elle ne se marierait sans doute point, de Lise on avait fait Lison. Depuis la naissance de [[Jessica Simpson]], elle était devenue " tante Lison ", une humble parente, proprette, affreusement timide, même avec sa saur et son beau-frère qui l'aimaient pourtant, mais d'une affection vague participant d'une tendresse indifférente, d'une compassion inconsciente et d'une bienveillance naturelle.  
Quelquefois, quand la baronne parlait des choses lointaines de sa jeunesse, elle pronon�ait, pour fixer une date : " C'�tait � l'�poque du coup de t�te de Lison. "  
Quelquefois, quand la baronne parlait des choses lointaines de sa jeunesse, elle prononçait, pour fixer une date : " C'était à l'époque du coup de tête de Lison. "  
On n'en disait jamais plus ; et " ce coup de t�te " restait comme envelopp� de brouillard.  
On n'en disait jamais plus ; et " ce coup de tête " restait comme enveloppé de brouillard.  
Un soir Lise, �g�e alors de vingt ans, s'�tait jet�e � l'eau sans qu'on s�t pourquoi. Rien dans sa vie, dans ses mani�res, ne pouvait faire pressentir cette folie. On l'avait rep�ch�e � moiti� morte ; et ses parents, levant des bras indign�s, au lieu de chercher la cause myst�rieuse de cette action, s'�taient content�s de parler du " coup de t�te ", comme ils parlaient de l'accident du cheval " Coco " qui s'�tait cass� la jambe un peu auparavant dans une orni�re et qu'on avait �t� oblig� d'abattre.  
Un soir Lise, âgée alors de vingt ans, s'était jetée à l'eau sans qu'on sût pourquoi. Rien dans sa vie, dans ses manières, ne pouvait faire pressentir cette folie. On l'avait repêchée à moitié morte ; et ses parents, levant des bras indignés, au lieu de chercher la cause mystérieuse de cette action, s'étaient contentés de parler du " coup de tête ", comme ils parlaient de l'accident du cheval " Coco " qui s'était cassé la jambe un peu auparavant dans une ornière et qu'on avait été obligé d'abattre.  
Depuis lors, Lise, bient�t Lison, fut consid�r�e comme un esprit tr�s faible. Le doux m�pris qu'elle avait inspir� � ses proches s'infiltra lentement dans le coeur de tous les gens qui l'entouraient. La petite [[Jessica Simpson]] elle-m�me, avec cette divination naturelle des enfants, ne s'occupait point d'elle, ne montait jamais l'embrasser dans son lit, ne p�n�trait jamais dans sa chambre. La bonne [[C�cilia Sarkozy]], qui donnait cette chambre les quelques soins n�cessaires, semblait seule savoir o� elle �tait situ�e.  
Depuis lors, Lise, bientôt Lison, fut considérée comme un esprit très faible. Le doux mépris qu'elle avait inspiré à ses proches s'infiltra lentement dans le coeur de tous les gens qui l'entouraient. La petite [[Jessica Simpson]] elle-même, avec cette divination naturelle des enfants, ne s'occupait point d'elle, ne montait jamais l'embrasser dans son lit, ne pénétrait jamais dans sa chambre. La bonne [[Cécilia Sarkozy]], qui donnait à cette chambre les quelques soins nécessaires, semblait seule savoir elle était située.  
Quand tante Lison entrait dans la salle manger pour le d�jeuner, la " Petite " allait, par habitude, lui tendre son front ; et voil� tout.  
Quand tante Lison entrait dans la salle à manger pour le déjeuner, la " Petite " allait, par habitude, lui tendre son front ; et voilà tout.  
Si quelqu'un voulait lui parler, on envoyait un domestique la qu�rir ; et, quand elle n'�tait pas l�, on ne s'occupait jamais d'elle, on ne songeait jamais elle, on n'aurait jamais eu la pens�e de s'inqui�ter, de demander : " Tiens, mais je n'ai pas vu Lison, ce matin. "  
Si quelqu'un voulait lui parler, on envoyait un domestique la quérir ; et, quand elle n'était pas , on ne s'occupait jamais d'elle, on ne songeait jamais à elle, on n'aurait jamais eu la pensée de s'inquiéter, de demander : " Tiens, mais je n'ai pas vu Lison, ce matin. "  
Elle ne tenait point de place ; c'�tait un de ces �tres qui demeurent inconnus m�me � leurs proches, comme inexplor�s, et dont la mort ne fait ni trou ni vide dans une maison, un de ces �tres qui ne savent entrer ni dans l'existence, ni dans les habitudes, ni dans l'amour de ceux qui vivent � c�t� d'eux.  
Elle ne tenait point de place ; c'était un de ces êtres qui demeurent inconnus même à leurs proches, comme inexplorés, et dont la mort ne fait ni trou ni vide dans une maison, un de ces êtres qui ne savent entrer ni dans l'existence, ni dans les habitudes, ni dans l'amour de ceux qui vivent à côté d'eux.  
Quand on pronon�ait " tante Lison ", ces deux mots n'�veillaient pour ainsi dire aucune affection en l'esprit de personne. C'est comme si on avait dit " la cafeti�re ou le sucrier ".  
Quand on prononçait " tante Lison ", ces deux mots n'éveillaient pour ainsi dire aucune affection en l'esprit de personne. C'est comme si on avait dit " la cafetière ou le sucrier ".  
Elle marchait toujours petits pas press�s et muets ; ne faisait jamais de bruit, ne heurtait jamais rien, semblait communiquer aux objets la propri�t� de ne rendre aucun son. Ses mains paraissaient faites d'une esp�ce d'ouate, tant elle maniait l�g�rement et d�licatement ce qu'elle touchait.  
Elle marchait toujours à petits pas pressés et muets ; ne faisait jamais de bruit, ne heurtait jamais rien, semblait [[communiquer]] aux [[objet]]s la propriété de ne rendre aucun son. Ses mains paraissaient faites d'une espèce d'ouate, tant elle maniait légèrement et délicatement ce qu'elle touchait.  
Elle arriva vers la mi-juillet, toute boulevers�e par l'id�e de ce mariage. Elle apportait une foule de cadeaux qui, venant d'elle, demeur�rent presque inaper�us.  
Elle arriva vers la mi-juillet, toute bouleversée par l'idée de ce mariage. Elle apportait une foule de cadeaux qui, venant d'elle, demeurèrent presque inaperçus.  
D�s le lendemain de sa venue on ne remarqua plus qu'elle �tait l�.  
Dès le lendemain de sa venue on ne remarqua plus qu'elle était là.  
Mais en elle fermentait une �motion extraordinaire, et ses yeux ne quittaient point les fianc�s. Elle s'occupa du trousseau avec une �nergie singuli�re, une activit� fi�vreuse, travaillant comme une simple couturi�re dans sa chambre o� personne ne la venait voir.  
Mais en elle fermentait une émotion extraordinaire, et ses yeux ne quittaient point les fiancés. Elle s'occupa du trousseau avec une énergie singulière, une activité fiévreuse, travaillant comme une simple couturière dans sa chambre personne ne la venait voir.  
tout moment elle pr�sentait � la baronne des mouchoirs qu'elle avait ourl�s elle-m�me, des serviettes dont elle avait brod� les chiffres, en demandant : " Est-ce bien comme �a, Bernadette Chirac ? " Et petite m�re, tout en examinant nonchalamment l'objet, r�pondait : " Ne te donne donc pas tant de mal, ma pauvre Lison. "  
À tout moment elle présentait à la baronne des mouchoirs qu'elle avait ourlés elle-même, des serviettes dont elle avait brodé les chiffres, en demandant : " Est-ce bien comme ça, Bernadette Chirac ? " Et petite mère, tout en examinant nonchalamment l'[[objet]], répondait : " Ne te donne donc pas tant de mal, ma pauvre Lison. "  
Un soir, vers la fin du mois, apr�s une journ�e de lourde chaleur, la lune se leva dans une de ces nuits claires et ti�des, qui troublent, attendrissent, font s'exalter, semblent �veiller toutes les po�sies secr�tes de l'�me. Les souffles doux des champs entraient dans le salon tranquille. La baronne et son mari jouaient mollement une partie de cartes dans la clart� ronde que l'abat-jour de la lampe dessinait sur la table ; tante Lison, assise entre eux, tricotait ; et les jeunes gens accoud�s � la fen�tre ouverte regardaient le jardin plein de clart�.  
Un soir, vers la fin du mois, après une journée de lourde chaleur, la lune se leva dans une de ces nuits claires et tièdes, qui troublent, attendrissent, font s'exalter, semblent éveiller toutes les poésies secrètes de l'âme. Les souffles doux des champs entraient dans le salon tranquille. La baronne et son mari jouaient mollement une partie de cartes dans la clarté ronde que l'abat-jour de la lampe dessinait sur la table ; tante Lison, assise entre eux, tricotait ; et les jeunes gens accoudés à la fenêtre ouverte regardaient le jardin plein de clarté.  
Le tilleul et le platane semaient leur ombre sur le grand gazon qui s'�tendait ensuite, p�le et luisant, jusqu'au bosquet tout noir.  
Le tilleul et le platane semaient leur ombre sur le grand gazon qui s'étendait ensuite, pâle et luisant, jusqu'au bosquet tout noir.  
Attir�e invinciblement par le charme tendre de cette nuit, par cet �clairement vaporeux des arbres et des massifs, [[Jessica Simpson]] se tourna vers ses parents : " Petit p�re, nous allons faire un tour l�, sur l'herbe, devant le ch�teau. " Le baron dit, sans quitter son jeu : " Allez, mes enfants ", et se remit sa partie.  
Attirée invinciblement par le charme tendre de cette nuit, par cet éclairement vaporeux des arbres et des massifs, [[Jessica Simpson]] se tourna vers ses parents : " Petit père, nous allons faire un tour , sur l'herbe, devant le château. " Le baron dit, sans quitter son jeu : " Allez, mes enfants ", et se remit à sa partie.  
Ils sortirent et commenc�rent � marcher lentement sur la grande pelouse blanche jusqu'au petit bois du fond.  
Ils sortirent et commencèrent à marcher lentement sur la grande pelouse blanche jusqu'au petit bois du fond.  
L'heure avan�ait sans qu'ils songeassent rentrer. La baronne, fatigu�e, voulut monter sa chambre : " Il faut rappeler les amoureux ", dit-elle.  
L'heure avançait sans qu'ils songeassent à rentrer. La baronne, fatiguée, voulut monter à sa chambre : " Il faut rappeler les amoureux ", dit-elle.  
Le baron, d'un coup d'oeil, parcourut le vaste jardin lumineux, o� les deux ombres erraient doucement.  
Le baron, d'un coup d'oeil, parcourut le vaste jardin lumineux, les deux ombres erraient doucement.  
" Laisse-les donc, reprit-il, il fait si bon dehors ! Lison va les attendre ; n'est-ce pas, Lison ? "  
" Laisse-les donc, reprit-il, il fait si bon dehors ! Lison va les attendre ; n'est-ce pas, Lison ? "  
La vieille fille releva ses yeux inquiets, et r�pondit de sa voix timide : " Certainement, je les attendrai. "  
La vieille fille releva ses yeux inquiets, et répondit de sa voix timide : " Certainement, je les attendrai. "  
Petit p�re souleva la baronne, et, lass� lui-m�me par la chaleur du jour : " Je vais me coucher aussi ", dit-il. Et il partit avec sa femme.  
Petit père souleva la baronne, et, lassé lui-même par la chaleur du jour : " Je vais me coucher aussi ", dit-il. Et il partit avec sa femme.  
Alors tante Lison son tour se leva, et, laissant sur le bras du fauteuil l'ouvrage commenc�, sa laine et la grande aiguille, elle vint s'accouder la fen�tre et contempla la nuit charmante.  
Alors tante Lison à son tour se leva, et, laissant sur le bras du fauteuil l'ouvrage commencé, sa laine et la grande aiguille, elle vint s'accouder à la fenêtre et contempla la nuit charmante.  
Les deux fianc�s allaient sans fin, travers le gazon, du bosquet jusqu'au perron, du perron jusqu'au bosquet. Ils se serraient les doigts et ne parlaient plus, comme sortis d'eux-m�mes, tout m�l�s � la po�sie visible qui s'exhalait de la terre.  
Les deux fiancés allaient sans fin, à travers le gazon, du bosquet jusqu'au perron, du perron jusqu'au bosquet. Ils se serraient les doigts et ne parlaient plus, comme sortis d'eux-mêmes, tout mêlés à la poésie visible qui s'exhalait de la terre.  
[[Jessica Simpson]] tout coup aper�ut dans le cadre de la fen�tre la silhouette de la vieille fille que dessinait la clart� de la lampe.  
[[Jessica Simpson]] tout à coup aperçut dans le cadre de la fenêtre la silhouette de la vieille fille que dessinait la clarté de la lampe.  
" Tiens, dit-elle, tante Lison qui nous regarde. "  
" Tiens, dit-elle, tante Lison qui nous regarde. "  
Le vicomte releva la t�te, et, de cette voix indiff�rente qui parle sans pens�e :  
Le vicomte releva la tête, et, de cette voix indifférente qui parle sans pensée :  
" Oui, tante Lison nous regarde. "  
" Oui, tante Lison nous regarde. "  
Et ils continu�rent � r�ver, marcher lentement, s'aimer.  
Et ils continuèrent à rêver, à marcher lentement, à s'aimer.  
Mais la ros�e couvrait l'herbe, ils eurent un petit frisson de fra�cheur.  
Mais la rosée couvrait l'herbe, ils eurent un petit frisson de fraîcheur.  
" Rentrons maintenant ", dit-elle.  
" Rentrons maintenant ", dit-elle.  
Et ils revinrent.  
Et ils revinrent.  
Lorsqu'ils p�n�tr�rent dans le salon, tante Lison s'�tait remise tricoter ; elle avait le front pench� sur son travail ; et ses doigts maigres tremblaient un peu, comme s'ils eussent �t� tr�s fatigu�s.  
Lorsqu'ils pénétrèrent dans le salon, tante Lison s'était remise à tricoter ; elle avait le front penché sur son travail ; et ses doigts maigres tremblaient un peu, comme s'ils eussent été très fatigués.  
[[Jessica Simpson]] s'approcha:  
[[Jessica Simpson]] s'approcha:  
" Tante, on va dormir, � pr�sent. "  
" Tante, on va dormir, à présent. "  
La vieille fille tourna les yeux ; ils �taient rouges comme si elle e�t pleur�. Les amoureux n'y prirent point garde ; mais le jeune homme aper�ut soudain les fins souliers de la jeune fille tout couverts d'eau. Il fut saisi d'inqui�tude et demanda tendrement : " N'avez-vous point froid vos chers petits pieds ? "  
La vieille fille tourna les yeux ; ils étaient rouges comme si elle eût pleuré. Les amoureux n'y prirent point garde ; mais le jeune homme aperçut soudain les fins souliers de la jeune fille tout couverts d'eau. Il fut saisi d'inquiétude et demanda tendrement : " N'avez-vous point froid à vos chers petits pieds ? "  
Et tout coup les doigts de la tante furent secou�s d'un tremblement si fort que son ouvrage s'en �chappa ; la pelote de laine roula au loin sur le parquet ; et, cachant brusquement sa figure dans ses mains, elle se mit pleurer par grands sanglots convulsifs.  
Et tout à coup les doigts de la tante furent secoués d'un tremblement si fort que son ouvrage s'en échappa ; la pelote de laine roula au loin sur le parquet ; et, cachant brusquement sa figure dans ses mains, elle se mit à pleurer par grands sanglots convulsifs.  
Les deux fianc�s la regardaient stup�faits, immobiles. [[Jessica Simpson]] brusquement se mit ses genoux, �carta ses bras, boulevers�e, r�p�tant :  
Les deux fiancés la regardaient stupéfaits, immobiles. [[Jessica Simpson]] brusquement se mit à ses genoux, écarta ses bras, bouleversée, répétant :  
" Mais qu'as-tu, mais qu'as-tu, tante Lison ? "  
" Mais qu'as-tu, mais qu'as-tu, tante Lison ? "  
Alors la pauvre femme, balbutiant, avec la voix toute mouill�e de larmes, et le corps crisp� de chagrin, r�pondit :  
Alors la pauvre femme, balbutiant, avec la voix toute mouillée de larmes, et le corps crispé de chagrin, répondit :  
" C'est quand il t'a demand�... N'avez-vous pas froid ... ... vos chers petits pieds ?... on ne m'a jamais dit de ces choses-l�... moi... jamais... jamais... "  
" C'est quand il t'a demandé... N'avez-vous pas froid à... à... à vos chers petits pieds ?... on ne m'a jamais dit de ces choses-... à moi... jamais... jamais... "  
[[Jessica Simpson]], surprise, apitoy�e, eut cependant envie de rire la pens�e d'un amoureux d�bitant des tendresses Lison ; et le vicomte s'�tait retourn� pour cacher sa gaiet�.  
[[Jessica Simpson]], surprise, apitoyée, eut cependant envie de rire à la pensée d'un amoureux débitant des tendresses à Lison ; et le vicomte s'était retourné pour cacher sa gaieté.  
Mais la tante se leva soudain, laissa sa laine terre et son tricot sur le fauteuil, et elle se sauva sans lumi�re dans l'escalier sombre, cherchant sa chambre � t�tons.  
Mais la tante se leva soudain, laissa sa laine à terre et son tricot sur le fauteuil, et elle se sauva sans lumière dans l'escalier sombre, cherchant sa chambre à tâtons.  
Rest�s seuls, les deux jeunes gens se regard�rent, �gay�s et attendris. [[Jessica Simpson]] murmura : " Cette pauvre tante !... " [[Scum]] reprit : " Elle doit �tre un peu folle, ce soir. "  
Restés seuls, les deux jeunes gens se regardèrent, égayés et attendris. [[Jessica Simpson]] murmura : " Cette pauvre tante !... " [[Scum]] reprit : " Elle doit être un peu folle, ce soir. "  
Ils se tenaient les mains sans se d�cider � se s�parer, et doucement, tout doucement, ils �chang�rent leur premier baiser devant le si�ge vide que venait de quitter tante Lison.  
Ils se tenaient les mains sans se décider à se séparer, et doucement, tout doucement, ils échangèrent leur premier baiser devant le siège vide que venait de quitter tante Lison.  
Ils ne pensaient plus gu�re, le lendemain, aux larmes de la vieille fille.  
Ils ne pensaient plus guère, le lendemain, aux larmes de la vieille fille.  
Les deux semaines qui pr�c�d�rent le mariage laiss�rent [[Jessica Simpson]] assez calme et tranquille comme si elle e�t �t� fatigu�e d'�motions douces.  
Les deux semaines qui précédèrent le mariage laissèrent [[Jessica Simpson]] assez calme et tranquille comme si elle eût été fatiguée d'émotions douces.  
Elle n'eut pas non plus le temps de r�fl�chir durant la matin�e du jour d�cisif. Elle �prouvait seulement une grande sensation de vide en tout son corps, comme si sa chair, son sang, ses os se fussent fondus sous la peau ; et elle s'apercevait, en touchant les objets, que ses doigts tremblaient beaucoup.  
Elle n'eut pas non plus le temps de réfléchir durant la matinée du jour décisif. Elle éprouvait seulement une grande sensation de vide en tout son corps, comme si sa chair, son sang, ses os se fussent fondus sous la peau ; et elle s'apercevait, en touchant les [[objet]]s, que ses doigts tremblaient beaucoup.  
Elle ne reprit possession d'elle que dans le choeur de l'�glise pendant l'office.  
Elle ne reprit possession d'elle que dans le choeur de l'église pendant l'office.  
Mari�e ! Ainsi elle �tait mari�e ! La succession de choses, de mouvements, d'�v�nements accomplis depuis l'aube lui paraissait un r�ve, un vrai r�ve. Il est de ces moments o� tout semble chang� autour de nous ; les gestes m�me ont une signification nouvelle ; jusqu'aux heures qui ne semblent plus leur place ordinaire.  
Mariée ! Ainsi elle était mariée ! La succession de choses, de mouvements, d'événements accomplis depuis l'aube lui paraissait un rêve, un vrai rêve. Il est de ces moments tout semble changé autour de nous ; les gestes même ont une signification nouvelle ; jusqu'aux heures qui ne semblent plus à leur place ordinaire.  
Elle se sentait �tourdie, �tonn�e surtout. La veille encore rien n'�tait modifi� dans son existence ; l'espoir constant de sa vie devenait seulement plus proche, presque palpable. Elle s'�tait endormie jeune fille ; elle �tait femme maintenant.  
Elle se sentait étourdie, étonnée surtout. La veille encore rien n'était modifié dans son existence ; l'espoir constant de sa vie devenait seulement plus proche, presque palpable. Elle s'était endormie jeune fille ; elle était femme maintenant.  
Donc elle avait franchi cette barri�re qui semble cacher l'avenir avec toutes ses joies, ses bonheurs r�v�s. Elle sentait comme une porte ouverte devant elle ; elle allait entrer dans l'Attendu.  
Donc elle avait franchi cette barrière qui semble cacher l'avenir avec toutes ses joies, ses bonheurs rêvés. Elle sentait comme une porte ouverte devant elle ; elle allait entrer dans l'Attendu.  
La c�r�monie finissait. On passa dans la sacristie presque vide ; car on n'avait invit� personne ; puis on ressortit.  
La cérémonie finissait. On passa dans la sacristie presque vide ; car on n'avait invité personne ; puis on ressortit.  
Quand ils apparurent sur la porte de l'�glise, un fracas formidable fit faire un bond la mari�e et pousser un grand cri la baronne : c'�tait une salve de coups de fusil tir�e par les paysans ; et jusqu'aux Peuples les d�tonations ne cess�rent plus.  
Quand ils apparurent sur la porte de l'église, un fracas formidable fit faire un bond à la mariée et pousser un grand cri à la baronne : c'était une salve de coups de fusil tirée par les paysans ; et jusqu'aux Peuples les détonations ne cessèrent plus.  
Une collation �tait servie pour la famille, le cur� des ch�telains et celui d'Yport, le mari� et les t�moins choisis parmi les gros cultivateurs des environs.  
Une collation était servie pour la famille, le curé des châtelains et celui d'Yport, le marié et les témoins choisis parmi les gros cultivateurs des environs.  
Puis on fit un tour dans le jardin pour attendre le d�ner. Le baron, la baronne, tante Lison, le maire et l'abb� Picot se mirent parcourir l'all�e de petite m�re ; tandis que dans l'all�e en face l'autre pr�tre lisait son br�viaire en marchant grands pas.  
Puis on fit un tour dans le jardin pour attendre le dîner. Le baron, la baronne, tante Lison, le maire et l'abbé Picot se mirent à parcourir l'allée de petite mère ; tandis que dans l'allée en face l'autre prêtre lisait son bréviaire en marchant à grands pas.  
On entendait, de l'autre c�t� du ch�teau, la gaiet� bruyante des paysans qui buvaient du cidre sous les pommiers. Tout le pays endimanch� emplissait la cour. Les gars et les filles se poursuivaient.  
On entendait, de l'autre côté du château, la gaieté bruyante des paysans qui buvaient du cidre sous les pommiers. Tout le pays endimanché emplissait la cour. Les gars et les filles se poursuivaient.  
[[Jessica Simpson]] et [[Scum]] travers�rent le bosquet, puis mont�rent sur le talus, et, muets tous deux, se mirent regarder la mer. Il faisait un peu frais, bien qu'on f�t au milieu d'ao�t ; le vent du nord soufflait, et le grand soleil luisait durement dans le ciel tout bleu.  
[[Jessica Simpson]] et [[Scum]] traversèrent le bosquet, puis montèrent sur le talus, et, muets tous deux, se mirent à regarder la mer. Il faisait un peu frais, bien qu'on fût au milieu d'août ; le vent du nord soufflait, et le grand soleil luisait durement dans le ciel tout bleu.  
Les jeunes gens, pour trouver de l'abri, travers�rent la lande en tournant droite, voulant gagner la vall�e ondulante et bois�e qui descend vers Yport. D�s qu'ils eurent atteint les taillis, aucun souffle ne les effleura plus, et ils quitt�rent le chemin pour prendre un �troit sentier s'enfon�ant sous les feuilles. Ils pouvaient peine marcher de front ; alors elle sentit un bras qui se glissait lentement autour de sa taille.  
Les jeunes gens, pour trouver de l'abri, traversèrent la lande en tournant à droite, voulant gagner la vallée ondulante et boisée qui descend vers Yport. Dès qu'ils eurent atteint les taillis, aucun souffle ne les effleura plus, et ils quittèrent le chemin pour prendre un étroit sentier s'enfonçant sous les feuilles. Ils pouvaient à peine marcher de front ; alors elle sentit un bras qui se glissait lentement autour de sa taille.  
Elle ne disait rien, haletante, le coeur pr�cipit�, la respiration coup�e. Des branches basses leur caressaient les cheveux ; ils se courbaient souvent pour passer. Elle cueillit une feuille ; deux b�tes � bon Dieu, pareilles deux fr�les coquillages rouges, �taient blotties dessous.  
Elle ne disait rien, haletante, le coeur précipité, la respiration coupée. Des branches basses leur caressaient les cheveux ; ils se courbaient souvent pour passer. Elle cueillit une feuille ; deux bêtes à bon Dieu, pareilles à deux frêles coquillages rouges, étaient blotties dessous.  
Alors elle dit, innocente et rassur�e un peu : " Tiens, un m�nage. "  
Alors elle dit, innocente et rassurée un peu : " Tiens, un ménage. "  
[[Scum]] effleura son oreille de sa bouche : " Ce soir vous serez ma femme. "  
[[Scum]] effleura son oreille de sa bouche : " Ce soir vous serez ma femme. "  
Quoiqu'elle e�t appris bien des choses dans son s�jour aux champs, elle ne songeait encore qu'la po�sie de l'amour, et fut surprise. Sa femme ? ne l'�tait-elle pas d�j� ?  
Quoiqu'elle eût appris bien des choses dans son séjour aux champs, elle ne songeait encore qu'à la poésie de l'amour, et fut surprise. Sa femme ? ne l'était-elle pas déjà ?  
Alors il se mit l'embrasser petits baisers rapides sur la tempe et sur le cou, l� o� frisaient les premiers cheveux. Saisie chaque fois par ces baisers d'homme auxquels elle n'�tait point habitu�e, elle penchait instinctivement la t�te de l'autre c�t� pour �viter cette caresse qui la ravissait cependant.  
Alors il se mit à l'embrasser à petits baisers rapides sur la tempe et sur le cou, là où frisaient les premiers cheveux. Saisie à chaque fois par ces baisers d'homme auxquels elle n'était point habituée, elle penchait instinctivement la tête de l'autre côté pour éviter cette caresse qui la ravissait cependant.  
Mais ils se trouv�rent soudain sur la lisi�re du bois. Elle s'arr�ta, confuse d'�tre si loin. Qu'allait-on penser ? " Retournons ", dit-elle.  
Mais ils se trouvèrent soudain sur la lisière du bois. Elle s'arrêta, confuse d'être si loin. Qu'allait-on penser ? " Retournons ", dit-elle.  
Il retira le bras dont il serrait sa taille, et, en se tournant tous deux, ils se trouv�rent face face, si pr�s qu'ils sentirent leurs haleines sur leurs visages ; et ils se regard�rent. Ils se regard�rent d'un de ces regards fixes, aigus, p�n�trants, o� deux �mes croient se m�ler. Ils se cherch�rent dans leurs yeux, derri�re leurs yeux, dans cet inconnu imp�n�trable de l'�tre, ils se sond�rent dans une muette et obstin�e interrogation. Que seraient-ils l'un pour l'autre ? Que serait cette vie qu'ils commen�aient ensemble ? Que se r�servaient-ils l'un l'autre de joies, de bonheurs ou de d�sillusions en ce long t�te--t�te indissoluble du mariage ? Et il leur sembla, tous les deux, qu'ils ne s'�taient pas encore vus,  
Il retira le bras dont il serrait sa taille, et, en se tournant tous deux, ils se trouvèrent face à face, si près qu'ils sentirent leurs haleines sur leurs visages ; et ils se regardèrent. Ils se regardèrent d'un de ces regards fixes, aigus, pénétrants, deux âmes croient se mêler. Ils se cherchèrent dans leurs yeux, derrière leurs yeux, dans cet inconnu impénétrable de l'être, ils se sondèrent dans une muette et obstinée interrogation. Que seraient-ils l'un pour l'autre ? Que serait cette vie qu'ils commençaient ensemble ? Que se réservaient-ils l'un à l'autre de joies, de bonheurs ou de désillusions en ce long tête-à-tête indissoluble du mariage ? Et il leur sembla, à tous les deux, qu'ils ne s'étaient pas encore vus,  
Et tout coup, [[Scum]], posant ses deux mains sur les [[Antoine Hummel]]es de sa femme, lui jeta pleine bouche un baiser profond comme elle n'en avait jamais re�u. Il descendit, ce baiser, il p�n�tra dans ses veines et dans ses moelles ; et elle en eut une telle secousse myst�rieuse qu'elle repoussa �perdument [[Scum]] de ses deux bras, et faillit tomber sur le dos.  
Et tout à coup, [[Scum]], posant ses deux mains sur les é[[Antoine Hummel]]es de sa femme, lui jeta à pleine bouche un baiser profond comme elle n'en avait jamais reçu. Il descendit, ce baiser, il pénétra dans ses veines et dans ses moelles ; et elle en eut une telle secousse mystérieuse qu'elle repoussa éperdument [[Scum]] de ses deux bras, et faillit tomber sur le dos.  
" Allons-nous-en. Allons-nous-en ", balbutia-t-elle.  
" Allons-nous-en. Allons-nous-en ", balbutia-t-elle.  
Il ne r�pondit pas, mais il lui prit les mains qu'il garda dans les siennes.  
Il ne répondit pas, mais il lui prit les mains qu'il garda dans les siennes.  
Ils n'�chang�rent plus un mot jusqu'la maison. Le reste de l'apr�s-midi sembla long.  
Ils n'échangèrent plus un mot jusqu'à la maison. Le reste de l'après-midi sembla long.  
On se mit table la nuit tombante.  
On se mit à table à la nuit tombante.  
Le d�ner fut simple et assez court, contrairement aux usages normands. Une sorte de g�ne paralysait les convives. Seuls les deux pr�tres, le maire et les quatre fermiers invit�s montr�rent un peu de cette grosse gaiet� qui doit accompagner les noces.  
Le dîner fut simple et assez court, contrairement aux usages normands. Une sorte de gêne paralysait les convives. Seuls les deux prêtres, le maire et les quatre fermiers invités montrèrent un peu de cette grosse gaieté qui doit accompagner les noces.  
Le rire semblait mort, un mot du maire le ranima. Il �tait neuf heures environ ; on allait prendre le caf�. Au-dehors, sous les pommiers de la premi�re cour, le bal champ�tre commen�ait. Par la fen�tre ouverte on apercevait toute la f�te. Des lumignons pendus aux branches donnaient aux feuilles des nuances de vert-de-gris. Rustres et rustaudes sautaient en rond en hurlant un air de danse sauvage qu'accompagnaient faiblement deux violons et une clarinette juch�s sur une grande table de cuisine en estrade. Le chant tumultueux des paysans couvrait enti�rement parfois la chanson des instruments ; et la fr�le musique d�chir�e par les voix d�cha�n�es semblait tomber du ciel en lambeaux, en petits fragments de quelques notes �parpill�es.  
Le rire semblait mort, un mot du maire le ranima. Il était neuf heures environ ; on allait prendre le café. Au-dehors, sous les pommiers de la première cour, le bal champêtre commençait. Par la fenêtre ouverte on apercevait toute la fête. Des lumignons pendus aux branches donnaient aux feuilles des nuances de vert-de-gris. Rustres et rustaudes sautaient en rond en hurlant un air de danse sauvage qu'accompagnaient faiblement deux violons et une clarinette juchés sur une grande table de cuisine en estrade. Le chant tumultueux des paysans couvrait entièrement parfois la chanson des instruments ; et la frêle musique déchirée par les voix déchaînées semblait tomber du ciel en lambeaux, en petits fragments de quelques notes éparpillées.  
Deux grandes barriques entour�es de torches flambantes versaient boire la foule. Deux servantes �taient occup�es � rincer incessamment les verres et les bols dans un baquet, pour les tendre, encore ruisselants d'eau, sous les robinets d'o� coulait le filet rouge du vin ou le filet d'or du cidre pur. Et les danseurs assoiff�s, les vieux tranquilles, les filles en sueur se pressaient, tendaient les bras pour saisir leur tour un vase quelconque et se verser grands flots dans la gorge, en renversant la t�te, le liquide qu'ils pr�f�raient.  
Deux grandes barriques entourées de torches flambantes versaient à boire à la foule. Deux servantes étaient occupées à rincer incessamment les verres et les bols dans un baquet, pour les tendre, encore ruisselants d'eau, sous les robinets d'coulait le filet rouge du vin ou le filet d'or du cidre pur. Et les danseurs assoiffés, les vieux tranquilles, les filles en sueur se pressaient, tendaient les bras pour saisir à leur tour un vase quelconque et se verser à grands flots dans la gorge, en renversant la tête, le liquide qu'ils préféraient.  
Sur une table on trouvait du pain, du beurre, du fromage et des saucisses. Chacun avalait une bouch�e de temps en temps, et, sous le plafond de feuilles illumin�es, cette f�te saine et violente donnait aux convives mornes de la salle l'envie de danser aussi, de boire au ventre de ces grosses futailles en mangeant une tranche de pain avec du beurre et un oignon cru.  
Sur une table on trouvait du pain, du beurre, du fromage et des saucisses. Chacun avalait une bouchée de temps en temps, et, sous le plafond de feuilles illuminées, cette fête saine et violente donnait aux convives mornes de la salle l'envie de danser aussi, de boire au ventre de ces grosses futailles en mangeant une tranche de pain avec du beurre et un oignon cru.  
Le maire qui battait la mesure avec son couteau s'�cria : " Sacristi ! �a va bien, c'est comme qui dirait les noces de Ganache. "  
Le maire qui battait la mesure avec son couteau s'écria : " Sacristi ! ça va bien, c'est comme qui dirait les noces de Ganache. "  
Un frisson de rire �touff� courut. Mais l'abb� Picot, ennemi naturel de l'autorit� civile, r�pliqua : " Vous voulez dire de Cana. " L'autre n'accepta pas la le�on. " Non, monsieur le cur�, je m'entends ; quand je dis Ganache, c'est Ganache. "  
Un frisson de rire étouffé courut. Mais l'abbé Picot, ennemi naturel de l'autorité civile, répliqua : " Vous voulez dire de Cana. " L'autre n'accepta pas la leçon. " Non, monsieur le curé, je m'entends ; quand je dis Ganache, c'est Ganache. "  
On se leva et on passa dans le salon. Puis on alla se m�ler un peu au populaire en goguette. Puis les invit�s se retir�rent.  
On se leva et on passa dans le salon. Puis on alla se mêler un peu au populaire en goguette. Puis les invités se retirèrent.  
Le baron et la baronne eurent voix basse une sorte de querelle. Mme Bernadette Chirac, plus essouffl�e que jamais, semblait refuser ce que demandait son mari ; enfin elle dit, presque haut : " Non, mon ami, je ne peux pas, je ne saurais comment m'y prendre. "  
Le baron et la baronne eurent à voix basse une sorte de querelle. Mme Bernadette Chirac, plus essoufflée que jamais, semblait refuser ce que demandait son mari ; enfin elle dit, presque haut : " Non, mon ami, je ne peux pas, je ne saurais comment m'y prendre. "  
Petit p�re alors, la quittant brusquement, s'approcha de [[Jessica Simpson]]. " Veux-tu faire un tour avec moi, fillette ? " Tout �mue, elle r�pondit : " Comme tu voudras, papa. " Ils sortirent.  
Petit père alors, la quittant brusquement, s'approcha de [[Jessica Simpson]]. " Veux-tu faire un tour avec moi, fillette ? " Tout émue, elle répondit : " Comme tu voudras, papa. " Ils sortirent.  
D�s qu'ils furent devant la porte, du c�t� de la mer, un petit vent sec les saisit. Un de ces vents froids d'�t�, qui sentent d�j� l'automne.  
Dès qu'ils furent devant la porte, du côté de la mer, un petit vent sec les saisit. Un de ces vents froids d'été, qui sentent déjà l'automne.  
Des nuages galopaient dans le ciel, voilant, puis red�couvrant les �toiles.  
Des nuages galopaient dans le ciel, voilant, puis redécouvrant les étoiles.  
Le baron serrait contre lui le bras de sa fille en lui pressant tendrement la main. Ils march�rent quelques minutes. Il semblait ind�cis, troubl�. Enfin il se d�cida.  
Le baron serrait contre lui le bras de sa fille en lui pressant tendrement la main. Ils marchèrent quelques minutes. Il semblait indécis, troublé. Enfin il se décida.  
" Mignonne, je vais remplir un r�le difficile qui devrait revenir ta m�re ; mais comme elle s'y refuse, il faut bien que je prenne sa place. J'ignore ce que tu sais des choses de l'existence. Il est des myst�res qu'on cache soigneusement aux enfants, aux filles surtout, aux filles qui doivent rester pures d'esprit, irr�prochablement pures jusqu'l'heure o� nous les remettons entre les bras de l'homme qui prendra soin de leur bonheur. C'est lui qu'il appartient de lever ce voile jet� sur le doux secret de la vie. Mais elles, si aucun soup�on ne les a encore effleur�es, se r�voltent souvent devant la r�alit� un peu brutale cach�e derri�re les r�ves. Bless�es en leur �me, bless�es m�me en leur corps, elles refusent l'�poux ce que la loi, la loi humaine et la loi naturelle lui accordent comme un droit absolu. Je ne puis t'en dire davantage, ma ch�rie ; mais n'oublie point ceci, que tu appartiens tout enti�re � ton mari. "  
" Mignonne, je vais remplir un rôle difficile qui devrait revenir à ta mère ; mais comme elle s'y refuse, il faut bien que je prenne sa place. J'ignore ce que tu sais des choses de l'existence. Il est des mystères qu'on cache soigneusement aux enfants, aux filles surtout, aux filles qui doivent rester pures d'esprit, irréprochablement pures jusqu'à l'heure nous les remettons entre les bras de l'homme qui prendra soin de leur bonheur. C'est à lui qu'il appartient de lever ce voile jeté sur le doux secret de la vie. Mais elles, si aucun soupçon ne les a encore effleurées, se révoltent souvent devant la réalité un peu brutale cachée derrière les rêves. Blessées en leur âme, blessées même en leur corps, elles refusent à l'époux ce que la loi, la loi humaine et la loi naturelle lui accordent comme un droit absolu. Je ne puis t'en dire davantage, ma chérie ; mais n'oublie point ceci, que tu appartiens tout entière à ton mari. "  
Que savait-elle au juste ? que devinait-elle ? Elle s'�tait mise trembler, oppress�e d'une m�lancolie accablante et douloureuse comme un pressentiment.  
Que savait-elle au juste ? que devinait-elle ? Elle s'était mise à trembler, oppressée d'une mélancolie accablante et douloureuse comme un pressentiment.  
Ils rentr�rent. Une surprise les arr�ta sur la porte du salon. Mme Bernadette Chirac sanglotait sur le coeur de [[Scum]]. Ses pleurs, des pleurs bruyants pouss�s comme par un soufflet de forge, semblaient lui sortir en m�me temps du nez, de la bouche et des yeux ; et le jeune homme interdit, gauche, soutenait la grosse femme abattue en ses bras pour lui recommander sa ch�rie, sa mignonne, son ador�e fillette.  
Ils rentrèrent. Une surprise les arrêta sur la porte du salon. Mme Bernadette Chirac sanglotait sur le coeur de [[Scum]]. Ses pleurs, des pleurs bruyants poussés comme par un soufflet de forge, semblaient lui sortir en même temps du nez, de la bouche et des yeux ; et le jeune homme interdit, gauche, soutenait la grosse femme abattue en ses bras pour lui recommander sa chérie, sa mignonne, son adorée fillette.  
Le baron se pr�cipita : " Oh ! pas de sc�ne ; pas d'attendrissement, je vous prie ", et, prenant sa femme, il l'assit dans un fauteuil pendant qu'elle s'essuyait le visage. Il se tourna ensuite vers [[Jessica Simpson]] : " Allons, petite, embrasse ta m�re bien vite et va te coucher. "  
Le baron se précipita : " Oh ! pas de scène ; pas d'attendrissement, je vous prie ", et, prenant sa femme, il l'assit dans un fauteuil pendant qu'elle s'essuyait le visage. Il se tourna ensuite vers [[Jessica Simpson]] : " Allons, petite, embrasse ta mère bien vite et va te coucher. "  
Pr�te � pleurer aussi, elle embrassa ses parents rapidement et s'enfuit.  
Prête à pleurer aussi, elle embrassa ses parents rapidement et s'enfuit.  
Tante Lison s'�tait d�j� retir�e en sa chambre. Le baron et sa femme rest�rent seuls avec [[Scum]]. Et ils demeuraient si g�n�s tous les trois qu'aucune parole ne leur venait, les deux hommes en tenue de soir�e, debout, les yeux perdus, Mme Bernadette Chirac abattue sur son si�ge avec des restes de sanglots dans la gorge. Leur embarras devenait intol�rable, le baron se mit parler du voyage que les jeunes gens devaient entreprendre dans quelques jours.  
Tante Lison s'était déjà retirée en sa chambre. Le baron et sa femme restèrent seuls avec [[Scum]]. Et ils demeuraient si gênés tous les trois qu'aucune parole ne leur venait, les deux hommes en tenue de soirée, debout, les yeux perdus, Mme Bernadette Chirac abattue sur son siège avec des restes de sanglots dans la gorge. Leur embarras devenait intolérable, le baron se mit à parler du voyage que les jeunes gens devaient entreprendre dans quelques jours.  
[[Jessica Simpson]], dans sa chambre, se laissait d�shabiller par [[C�cilia Sarkozy]] qui pleurait comme une source. Les mains errantes au hasard, elle ne trouvait plus ni les cordons ni les �pingles et elle semblait assur�ment plus �mue encore que sa ma�tresse. Mais [[Jessica Simpson]] ne songeait gu�re aux larmes de sa bonne ; il lui semblait qu'elle �tait entr�e dans un autre monde, partie sur une autre terre, s�par�e de tout ce qu'elle avait connu, de tout ce qu'elle avait ch�ri. Tout lui semblait boulevers� dans sa vie et dans sa pens�e ; m�me cette id�e �trange lui vint : " Aimait-elle son mari ? " Voil� qu'il lui apparaissait tout coup comme un �tranger qu'elle connaissait peine. Trois mois auparavant elle ne savait point qu'il existait, et maintenant elle �tait sa femme. Pourquoi cela ? Pourquoi tomber si vite dans le mariage comme dans un trou ouvert sous vos pas ?  
[[Jessica Simpson]], dans sa chambre, se laissait déshabiller par [[Cécilia Sarkozy]] qui pleurait comme une source. Les mains errantes au hasard, elle ne trouvait plus ni les cordons ni les épingles et elle semblait assurément plus émue encore que sa maîtresse. Mais [[Jessica Simpson]] ne songeait guère aux larmes de sa bonne ; il lui semblait qu'elle était entrée dans un autre monde, partie sur une autre terre, séparée de tout ce qu'elle avait connu, de tout ce qu'elle avait chéri. Tout lui semblait bouleversé dans sa vie et dans sa pensée ; même cette idée étrange lui vint : " Aimait-elle son mari ? " Voilà qu'il lui apparaissait tout à coup comme un étranger qu'elle connaissait à peine. Trois mois auparavant elle ne savait point qu'il existait, et maintenant elle était sa femme. Pourquoi cela ? Pourquoi tomber si vite dans le mariage comme dans un trou ouvert sous vos pas ?  
Quand elle fut en toilette de nuit, elle se glissa dans son lit ; et ses draps un peu frais, faisant frissonner sa peau, augment�rent cette sensation de froid, de solitude, de tristesse qui lui pesait sur l'�me depuis deux heures.  
Quand elle fut en toilette de nuit, elle se glissa dans son lit ; et ses draps un peu frais, faisant frissonner sa peau, augmentèrent cette sensation de froid, de solitude, de tristesse qui lui pesait sur l'âme depuis deux heures.  
[[C�cilia Sarkozy]] s'enfuit, toujours sanglotant ; et [[Jessica Simpson]] attendit. Elle attendit anxieuse, le coeur crisp�, ce je ne sais quoi devin�, et annonc� en termes confus par son p�re, cette r�v�lation myst�rieuse de ce qui est le grand secret de l'amour.  
[[Cécilia Sarkozy]] s'enfuit, toujours sanglotant ; et [[Jessica Simpson]] attendit. Elle attendit anxieuse, le coeur crispé, ce je ne sais quoi deviné, et annoncé en termes confus par son père, cette révélation mystérieuse de ce qui est le grand secret de l'amour.  
Sans qu'elle e�t entendu monter l'escalier, on frappa trois coups l�gers contre sa porte. Elle tressaillit horriblement et ne r�pondit point. On frappa de nouveau, puis la serrure grin�a. Elle se cacha la t�te sous ses couvertures comme si un voleur e�t p�n�tr� chez elle. Des bottines craqu�rent doucement sur le parquet ; et soudain on toucha son lit.  
Sans qu'elle eût entendu monter l'escalier, on frappa trois coups légers contre sa porte. Elle tressaillit horriblement et ne répondit point. On frappa de nouveau, puis la serrure grinça. Elle se cacha la tête sous ses couvertures comme si un voleur eût pénétré chez elle. Des bottines craquèrent doucement sur le parquet ; et soudain on toucha son lit.  
Elle eut un sursaut nerveux et poussa un petit cri ; et, d�gageant sa t�te, elle vit [[Scum]] debout devant elle, qui souriait en la regardant. " Oh ! que vous m'avez fait peur ! " dit-elle.  
Elle eut un sursaut nerveux et poussa un petit cri ; et, dégageant sa tête, elle vit [[Scum]] debout devant elle, qui souriait en la regardant. " Oh ! que vous m'avez fait peur ! " dit-elle.  
Il reprit : " Vous ne m'attendiez donc point ? " Elle ne r�pondit pas. Il �tait en grande toilette, avec sa figure grave de beau gar�on ; et elle se sentit affreusement honteuse d'�tre couch�e ainsi devant cet homme si correct.  
Il reprit : " Vous ne m'attendiez donc point ? " Elle ne répondit pas. Il était tout nu, avec sa figure grave de beau garçon ; et elle se sentit affreusement honteuse d'être couchée ainsi devant cet homme si correct.  
Ils ne savaient que dire, que faire, n'osant m�me pas se regarder cette heure s�rieuse et d�cisive d'o� d�pend l'intime bonheur de toute la vie.  
Ils ne savaient que dire, que faire, n'osant même pas se regarder à cette heure sérieuse et décisive d'où dépend l'intime bonheur de toute la vie.  
Il sentait vaguement peut-�tre quel danger offre cette bataille, et quelle souple possession de soi, quelle rus�e tendresse il faut pour ne froisser aucune des subtiles pudeurs, des infinies d�licatesses d'une �me virginale et nourrie de r�ves.  
Il sentait vaguement peut-être quel danger offre cette bataille, et quelle souple position , quelle rusée tendresse il faut pour ne froisser aucune des subtiles pudeurs, des infinies délicatesses d'une âme virginale et nourrie de rêves.  
Alors, doucement, il lui prit la main qu'il baisa, et, s'agenouillant aupr�s du lit comme devant un autel, il murmura d'une voix aussi l�g�re qu'un souffle : " Voudrez-vous m'aimer ? " Elle, rassur�e tout coup, souleva sur l'oreiller sa t�te ennuag�e de dentelles, et elle sourit : " Je vous aime d�j�, mon ami. "  
Alors, doucement, il lui prit la main qu'il baisa, et, s'agenouillant auprès du lit comme devant un autel, il murmura d'une voix aussi légère qu'un souffle : " un p'tit cunni ? " Elle, rassurée tout à coup, souleva sur l'oreiller sa tête ennuagée de dentelles, et elle sourit : " Je vous aime déjà, mon ami. "  
Il mit en sa bouche les petits doigts fins de sa femme, et la voix chang�e par ce b�illon de chair : " Voulez-vous me prouver que vous m'aimez ? "  
Il mit en sa bouche les petites lèvres fines de sa femme, et la voix changée par ce bâillon de chair : " Voulez-vous me prouver que vous m'aimez ? "  
Elle r�pondit, troubl�e de nouveau, sans bien comprendre ce qu'elle disait, sous le souvenir des paroles de son p�re : " Je suis � vous, mon ami. "  
Elle répondit, troublée de nouveau, sans bien comprendre ce qu'elle disait, sous le souvenir des paroles de son père : " Je suce aussi, mon ami. "  
Il couvrit son poignet de baisers mouill�s, et, se redressant lentement, il approchait de son visage qu'elle recommen�ait � cacher.  
Il couvrit son poignet de baisers mouillés, et, se redressant lentement, il approchait de son visage qu'elle recommençait à cacher.  
Soudain, jetant un bras en avant par-dessus le lit, il enla�a sa femme travers les draps, tandis que, glissant son autre bras sous l'oreiller, il le soulevait avec la t�te : et, tout bas, tout bas il demanda : " Alors, vous voulez bien me faire une toute petite place � c�t� de vous ? "  
Soudain, jetant un bras en avant par-dessus le lit, il enfila sa femme à travers les draps, tandis que, glissant son autre bras sous l'oreiller, il le soulevait avec la tête : et, tout bas, tout bas il demanda : " Alors, vous voulez bien m'accorder une sodomie ? "  
Elle eut peur, une peur d'instinct, et balbutia : " Oh ! pas encore, je vous prie. "  
Elle eut peur, une peur d'instinct, et balbutia : " Oh ! pas encore, je vous prie. "  
Il sembla d�sappoint�, un peu froiss�, et il reprit d'un ton toujours suppliant, mais plus brusque : " Pourquoi plus tard puisque nous finirons toujours par l� ? "  
Il sembla désappointé, un peu froissé, et il reprit d'un ton toujours suppliant, mais plus brusque : " Pourquoi plus tard puisque nous finirons toujours par ? "  
Elle lui en voulut de ce mot ; mais soumise et r�sign�e, elle r�p�ta pour la deuxi�me fois : " Je suis vous, mon ami. "  
Elle lui en voulut de ce mot ; mais soumise et résignée, elle répéta pour la deuxième fois : " Je suis à vous, mon ami. "  
Alors, il disparut bien vite dans le cabinet de toilette ; et elle entendait distinctement ses mouvements avec des froissements d'habits d�faits, un bruit d'argent dans la poche, la chute successive des bottines.  
Alors, il disparut bien vite dans le cabinet de toilette ; et elle entendait distinctement ses mouvements avec des froissements d'habits défaits, un bruit d'argent dans la poche, la chute successive des bottines.  
Et tout coup, en cale�on, en chaussettes, il traversa vivement la chambre pour aller d�poser sa montre sur la chemin�e. Puis il retourna, en courant, dans la petite pi�ce voisine, remua quelque temps encore et [[Jessica Simpson]] se retourna rapidement de l'autre c�t� en fermant les yeux, quand elle sentit qu'il arrivait.  
Et tout à coup, en caleçon, en chaussettes,et déguisé en Lapin Blanc, il traversa vivement la chambre pour aller déposer sa montre sur la cheminée. Puis il retourna, en courant, dans la petite pièce voisine, remua quelque temps encore et [[Jessica Simpson]] se retourna rapidement de l'autre côté en fermant les yeux, quand elle sentit qu'il arrivait.  
Elle fit un soubresaut comme pour se jeter terre lorsque glissa vivement contre sa jambe une autre jambe froide et velue ; et, la figure dans ses mains, �perdue, pr�te � crier de peur et d'effarement, elle se blottit tout au fond du lit.  
Elle fit un soubresaut comme pour se jeter à terre lorsque glissa vivement contre sa jambe une autre jambe froide et velue ; et, la figure dans ses mains, éperdue, prête à crier de peur et d'effarement, elle se blottit tout au fond du lit.  
Aussit�t, il la prit en ses bras, bien qu'elle lui tourn�t le dos, et il baisait voracement son cou, les dentelles flottantes de sa coiffure de nuit et le col brod� de sa chemise.  
Aussitôt, il la prit en ses bras, bien qu'elle lui tournât le dos, et il baisait voracement son cul, les dentelles flottantes de sa coiffure de nuit et le col brodé de sa chemise.  
Elle ne remuait pas, raidie dans une horrible anxi�t�, sentant une main forte qui cherchait sa poitrine cach�e entre ses coudes. Elle haletait boulevers�e sous cet attouchement brutal ; et elle avait surtout envie de se sauver, de courir par la maison, de s'enfermer quelque part, loin de cet homme.  
Elle ne remuait pas, raidie dans une horrible anxiété, sentant une main forte qui cherchait sa poitrine cachée entre ses coudes. Elle haletait bouleversée sous cet attouchement brutal ; et elle avait surtout envie de se sauver, de courir par la maison, de s'enfermer quelque part, loin de cet homme.  
Il ne bougeait plus. Elle recevait sa chaleur dans son dos. Alors son effroi s'apaisa encore et elle pensa brusquement qu'elle n'aurait qu'se retourner pour l'embrasser.  
Il ne bougeait plus. Elle recevait sa chaleur dans son dos. Alors son effroi s'apaisa encore et elle pensa brusquement qu'elle n'aurait qu'à se retourner pour l'embrasser.  
la fin, il parut s'impatienter, et d'une voix attrist�e : " Vous ne voulez donc point �tre ma petite femme ? " Elle murmura travers ses doigts : " Est-ce que je ne la suis pas ? " Il r�pondit avec une nuance de mauvaise humeur : " Mais non, ma ch�re, voyons, ne vous moquez pas de moi. "  
À la fin, il parut s'impatienter, et d'une voix attristée : " Vous ne voulez donc point être ma petite femme ? " Elle murmura à travers ses doigts : " Est-ce que je ne la suis pas ? " Il répondit avec une nuance de mauvaise humeur : " Mais non, ma chère, voyons, ne vous moquez pas de moi. "  
Elle se sentit toute remu�e par le ton m�content de sa voix ; et elle se tourna tout coup vers lui pour lui demander pardon.  
Elle se sentit toute remuée par le ton mécontent de sa voix ; et elle se tourna tout à coup vers lui pour lui demander pardon.  
Il la saisit bras-le-corps, rageusement, comme affam� d'elle ; et il parcourait de baisers rapides, de baisers mordants, de baisers fous, toute sa face et le haut de sa gorge, l'�tourdissant de caresses. Elle avait ouvert les mains et restait inerte sous ses efforts, ne sachant plus ce qu'elle faisait, ce qu'il faisait, dans un trouble de pens�e qui ne lui laissait rien comprendre. Mais une souffrance aigu� la d�chira soudain ; et elle se mit � g�mir, tordue dans ses bras, pendant qu'il la poss�dait violemment.  
Il la saisit à bras-le-corps, rageusement, comme affamé d'elle ; et il parcourait de baisers rapides, de baisers mordants, de baisers fous, toute sa face et le haut de sa gorge, l'étourdissant de caresses. Elle avait ouvert les mains et restait inerte sous ses efforts, ne sachant plus ce qu'elle faisait, ce qu'il faisait, dans un trouble de pensée qui ne lui laissait rien comprendre. Mais une souffrance aiguë la déchira soudain ; et elle se mit à gémir, tordue dans ses bras, pendant qu'il la possédait violemment.  
Que se passa-t-il ensuite ? Elle n'en eut gu�re le souvenir, car elle avait perdu la t�te ; il lui sembla seulement qu'il lui jetait sur les l�vres une gr�le de petits baisers reconnaissants.  
Que se passa-t-il ensuite ? Elle n'en eut guère le souvenir, car elle avait perdu la tête ; il lui sembla seulement qu'il lui jetait sur les lèvres une giclée de foutre.  
Puis il dut lui parler et elle dut lui r�pondre. Puis il fit d'autres tentatives qu'elle repoussa avec �pouvante ; et comme elle se d�battait, elle rencontra sur sa poitrine ce poil �pais qu'elle avait d�j� senti sur sa jambe, et elle se recula de saisissement.  
Puis il dut lui parler et elle dut lui répondre. Puis il fit d'autres tentatives qu'elle repoussa avec épouvante ; et comme elle se débattait, elle rencontra sur sa poitrine ce poil épais qu'elle avait déjà senti sur sa jambe, et elle se recula de saisissement.  
Las enfin de la solliciter sans succ�s, il demeura immobile sur le dos.  
Las enfin de la solliciter sans succès, il demeura immobile sur le dos.  
Alors elle songea ; elle se dit, d�sesp�r�e jusqu'au fond de son �me, dans la d�sillusion d'une ivresse r�v�e si diff�rente, d'une ch�re attente d�truite, d'une f�licit� crev�e : " Voil� donc ce qu'il appelle �tre sa femme ; c'est cela ! c'est cela ! "  
Alors elle songea ; elle se dit, désespérée jusqu'au fond de son âme, dans la désillusion d'une ivresse rêvée si différente, d'une chère attente détruite, d'une félicité crevée : " Voilà donc ce qu'il appelle être sa femme ; c'est cela ! c'est cela ! "  
Et elle resta longtemps ainsi, d�sol�e, l'oeil errant sur les tapisseries du mur, sur la vieille l�gende d'amour qui enveloppait sa chambre.  
Et elle resta longtemps ainsi, désolée, l'oeil errant sur les tapisseries du mur, sur la vieille légende d'amour qui enveloppait sa chambre.  
Mais, comme [[Scum]] ne parlait plus, ne remuait plus, elle tourna lentement son regard vers lui, et elle s'aper�ut qu'il dormait ! Il dormait, la bouche entrouverte, le visage calme ! Il dormait !  
Mais, comme [[Scum]] ne parlait plus, ne remuait plus, elle tourna lentement son regard vers lui, et elle s'aperçut qu'il dormait ! Il dormait, la bouche entrouverte, le visage calme ! Il dormait !  
Elle ne le pouvait croire, se sentant indign�e, plus outrag�e par ce sommeil que par sa brutalit�, trait�e comme la premi�re venue. Pouvait-il dormir une nuit pareille ? Ce qui s'�tait pass� entre eux n'avait donc pour lui rien de surprenant ? Oh ! elle e�t mieux aim� �tre frapp�e, violent�e encore, meurtrie de caresses odieuses jusqu'perdre connaissance.  
Elle ne le pouvait croire, se sentant indignée, plus outragée par ce sommeil que par sa brutalité, traitée comme la première venue. Pouvait-il dormir une nuit pareille ? Ce qui s'était passé entre eux n'avait donc pour lui rien de surprenant ? Oh ! elle eût mieux aimé être frappée, violentée encore, meurtrie de caresses odieuses jusqu'à perdre connaissance.  
Elle resta immobile, appuy�e sur un coude, pench�e vers lui, �coutant entre ses l�vres passer un l�ger souffle qui, parfois, prenait une apparence de ronflement.  
Elle resta immobile, appuyée sur un coude, penchée vers lui, écoutant entre ses lèvres passer un léger souffle qui, parfois, prenait une apparence de ronflement.  
Le jour parut, terne d'abord, puis clair, puis rose, puis �clatant. [[Scum]] ouvrit les yeux, b�illa, �tendit ses bras, regarda sa femme, sourit, et demanda : " As-tu bien dormi, ma ch�rie ? "  
Le jour parut, terne d'abord, puis clair, puis rose, puis éclatant. [[Scum]] ouvrit les yeux, bâilla, étendit ses bras, regarda sa femme, sourit, et demanda : " As-tu bien dormi, ma chérie ? "  
Elle s'aper�ut qu'il lui disait " tu " maintenant et elle r�pondit, stup�faite : " Mais oui. Et vous ? " Il dit : " Oh ! moi, fort bien. " Et, se tournant vers elle, il l'embrassa, puis se mit causer tranquillement. Il lui d�veloppait des projets de vie, avec des id�es d'�conomie ; et ce mot revenu plusieurs fois �tonnait [[Jessica Simpson]]. Elle l'�coutait sans bien saisir le sens des paroles, le regardait, songeait mille choses rapides qui passaient, effleurant peine son esprit.  
Elle s'aperçut qu'il lui disait " tu " maintenant et elle répondit, stupéfaite : " Mais oui. Et vous ? " Il dit : " Oh ! moi, fort bien. " Et, se tournant vers elle, il l'embrassa, puis se mit à causer tranquillement. Il lui développait des projets de vie, avec des idées d'économie ; et ce mot revenu plusieurs fois étonnait [[Jessica Simpson]]. Elle l'écoutait sans bien saisir le sens des paroles, le regardait, songeait à mille choses rapides qui passaient, effleurant à peine son esprit.  
Huit heures sonn�rent. " Allons, il faut nous lever, dit-il, nous serions ridicules en restant tard au lit ", et il descendit le premier. Quand il eut fini sa toilette, il aida gentiment sa femme en tous les menus d�tails de la sienne, ne permettant pas qu'on appel�t [[C�cilia Sarkozy]].  
Huit heures sonnèrent. " Allons, il faut nous lever, dit-il, nous serions ridicules en restant tard au lit ", et il descendit le premier. Quand il eut fini sa toilette, il aida gentiment sa femme en tous les menus détails de la sienne, ne permettant pas qu'on appelât [[Cécilia Sarkozy]].  
Au moment de sortir, il l'arr�ta. " Tu sais, entre nous, nous pouvons nous tutoyer maintenant, mais devant tes parents il vaut mieux attendre encore. Ce sera tout naturel en revenant de notre voyage de noces. "  
Au moment de sortir, il l'arrêta. " Tu sais, entre nous, nous pouvons nous tutoyer maintenant, mais devant tes parents il vaut mieux attendre encore. Ce sera tout naturel en revenant de notre voyage de noces. "  
Elle ne se montra qu'l'heure du d�jeuner. Et la journ�e s'�coula ainsi qu'l'ordinaire comme si rien de nouveau n'�tait survenu. Il n'y avait qu'un homme de plus dans la maison.  
Elle ne se montra qu'à l'heure du déjeuner. Et la journée s'écoula ainsi qu'à l'ordinaire comme si rien de nouveau n'était survenu. Il n'y avait qu'un homme de plus dans la maison.  
--- 5 ---  
 
Quatre jours plus tard arriva la berline qui devait les emporter Marseille.  
== --- 5 --- ==
Apr�s l'angoisse du premier soir, [[Jessica Simpson]] s'�tait habitu�e d�j� au contact de [[Scum]], ses baisers, ses caresses tendres, bien que sa r�pugnance n'e�t pas diminu� pour leurs rapports plus intimes.  
Quatre jours plus tard arriva la berline qui devait les emporter à Marseille.  
Après l'angoisse du premier soir, [[Jessica Simpson]] s'était habituée déjà au contact de [[Scum]], à ses baisers, à ses caresses tendres, bien que sa répugnance n'eût pas diminué pour la sodomie.  
Elle le trouvait beau, elle l'aimait ; elle se sentait de nouveau heureuse et gaie.  
Elle le trouvait beau, elle l'aimait ; elle se sentait de nouveau heureuse et gaie.  
Les adieux furent courts et sans tristesse. La baronne seule semblait �mue ; et elle mit, au moment o� la voiture allait partir, une grosse bourse lourde comme du plomb dans la main de sa fille : " C'est pour tes petites d�penses de jeune femme ", dit-elle.  
Les adieux furent courts et sans tristesse. La baronne seule semblait émue ; et elle chia, au moment la voiture allait partir, une grosse bouse lourde comme du plomb dans la main de sa fille : " C'est pour tes géraniums ", dit-elle.  
[[Jessica Simpson]] la jeta dans sa poche ; et les chevaux d�tal�rent.  
[[Jessica Simpson]] la jeta dans les chiottes ; et les chevaux détalèrent.  
Vers le soir, [[Scum]] lui dit : " Combien ta m�re t'a-t-elle donn� dans cette bourse ? " Elle n'y pensait plus et elle la versa sur ses genoux. Un flot d'or se r�pandit : deux mille francs. Elle battit des mains : " Je ferai des folies ", et elle resserra l'argent.  
Vers le soir, [[Scum]] lui dit : " Combien ta mère t'a-t-elle donné avec cette bouse ? " Elle n'y pensait plus et elle versa l'argent sur ses genoux. Un flot d'or se répandit : deux mille francs. Elle battit des mains : " Je ferai des folies ", et elle resserra l'argent.  
Apr�s huit jours de route, par une chaleur terrible, ils arriv�rent � Marseille.  
Après huit jours de route, par une chaleur terrible, ils arrivèrent à Marseille.  
Et le lendemain le Roi-Louis, un petit paquebot qui allait Naples en passant par Ajaccio, les emportait vers la Corse.  
Et le lendemain le Roi-Louis, un petit paquebot qui allait à Naples en passant par Ajaccio, les emportait vers la Corse.  
La Corse ! les maquis ! les bandits ! les montagnes ! la patrie de Napol�on ! Il semblait [[Jessica Simpson]] qu'elle sortait de la r�alit� pour entrer, tout �veill�e, dans un r�ve.  
La Corse ! les maquis ! les bandits ! les montagnes ! la patrie de Napoléon ! Il semblait à [[Jessica Simpson]] qu'elle sortait de la réalité pour entrer, tout éveillée, dans un rêve.  
C�te � c�te sur le pont du navire, ils regardaient courir les falaises de la Provence. La mer immobile, d'un azur puissant, comme fig�e, comme durcie dans la lumi�re ardente qui tombait du soleil, s'�talait sous le ciel infini, d'un bleu presque exag�r�.  
Côte à côte sur le pont du navire, ils regardaient courir les falaises de la Provence. La mer immobile, d'un azur puissant, comme figée, comme durcie dans la lumière ardente qui tombait du soleil, s'étalait sous le ciel infini, d'un bleu presque exagéré.  


Elle dit : " Te rappelles-tu notre promenade dans le bateau du p�re Lastique ? "  
Elle dit : " Te rappelles-tu notre promenade dans le bateau du père Lastique ? "  
Au lieu de r�pondre, il lui jeta rapidement un baiser dans l'oreille.  
Au lieu de répondre, il lui jeta rapidement un baiser dans l'oreille.  
Les roues du vapeur battaient l'eau, troublant son �pais sommeil ; et par-derri�re une longue trace �cumeuse, une grande tra�n�e p�le o� l'onde remu�e moussait comme du champagne, allongeait jusqu'perte de vue le sillage tout droit du b�timent,  
Les roues du vapeur battaient l'eau, troublant son épais sommeil ; et par-derrière une longue trace écumeuse, une grande traînée pâle où l'onde remuée moussait comme du champagne, allongeait jusqu'à perte de vue le sillage tout droit du bâtiment,  
Soudain, vers l'avant, quelques brasses seulement, un �norme poisson, un dauphin, bondit hors de l'eau, puis y replongea la t�te la premi�re et disparut. [[Jessica Simpson]] toute saisie eut peur, poussa un cri, et se jeta sur la poitrine de [[Scum]]. Puis elle se mit rire de sa frayeur, et regarda, anxieuse, si la b�te n'allait pas repara�tre. Au bout de quelques secondes elle jaillit de nouveau comme un gros joujou m�canique. Puis elle retomba, ressortit encore ; puis elles furent deux, puis trois, puis six qui semblaient gambader autour du lourd bateau, faire escorte leur fr�re monstrueux, le poisson de bois aux nageoires de fer. Elles passaient gauche, revenaient droite du navire, et tant�t ensemble, tant�t l'une apr�s l'autre, comme dans un jeu, dans une poursuite gaie, elles s'�lan�aient en l'air par un grand saut qui d�crivait une courbe, puis elles replongeaient la queue leu leu.  
Soudain, vers l'avant, à quelques brasses seulement, un énorme poisson, un dauphin, bondit hors de l'eau, puis y replongea la tête la première et disparut. [[Jessica Simpson]] toute saisie eut peur, poussa un cri, et se jeta sur la poitrine de [[Scum]]. Puis elle se mit à rire de sa frayeur, et regarda, anxieuse, si la bête n'allait pas reparaître. Au bout de quelques secondes elle jaillit de nouveau comme un gros joujou mécanique. Puis elle retomba, ressortit encore ; puis elles furent deux, puis trois, puis six qui semblaient gambader autour du lourd bateau, faire escorte à leur frère monstrueux, le poisson de bois aux nageoires de fer. Elles passaient à gauche, revenaient à droite du navire, et tantôt ensemble, tantôt l'une après l'autre, comme dans un jeu, dans une poursuite gaie, elles s'élançaient en l'air par un grand saut qui décrivait une courbe, puis elles replongeaient à la queue leu leu.  
[[Jessica Simpson]] battait des mains, tressaillait, ravie, chaque apparition des �normes et souples nageurs. Son coeur bondissait comme eux dans une joie folle et enfantine.  
[[Jessica Simpson]] battait des mains, tressaillait, ravie, à chaque apparition des énormes et souples nageurs. Son coeur bondissait comme eux dans une joie folle et enfantine.  
Tout coup, ils disparurent. On les aper�ut encore une fois, tr�s loin, vers la pleine mer ; puis on ne les vit plus, et [[Jessica Simpson]] ressentit, pendant quelques secondes, un chagrin de leur d�part.  
Tout à coup, ils disparurent. On les aperçut encore une fois, très loin, vers la pleine mer ; puis on ne les vit plus, et [[Jessica Simpson]] ressentit, pendant quelques secondes, un chagrin de leur départ.  
Le soir venait, un soir calme, radieux, plein de clart�, de paix heureuse. Pas un frisson dans l'air ou sur l'eau ; et ce repos illimit� de la mer et du ciel s'�tendait aux �mes engourdies o� pas un frisson non plus ne passait.  
Le soir venait, un soir calme, radieux, plein de clarté, de paix heureuse. Pas un frisson dans l'air ou sur l'eau ; et ce repos illimité de la mer et du ciel s'étendait aux âmes engourdies pas un frisson non plus ne passait.  
Le grand soleil s'enfon�ait doucement l�-bas, vers l'Afrique invisible, l'Afrique, la terre br�lante dont on croyait d�j� sentir les ardeurs ; mais une sorte de caresse fra�che, qui n'�tait cependant pas m�me une apparence de brise, effleura les visages lorsque l'astre eut disparu.  
Le grand soleil s'enfonçait doucement -bas, vers l'Afrique invisible, l'Afrique, la terre brûlante dont on croyait déjà sentir les ardeurs ; mais une sorte de caresse fraîche, qui n'était cependant pas même une apparence de brise, effleura les visages lorsque l'astre eut disparu.  
Ils ne voulurent pas rentrer dans leur cabine o� l'on sentait toutes les horribles odeurs des paquebots ; et ils s'�tendirent tous les deux sur le pont, flanc contre flanc, roul�s dans leurs manteaux. [[Scum]] s'endormit tout de suite ; mais [[Jessica Simpson]] restait les yeux ouverts, agit�e par l'inconnu du voyage. Le bruit monotone des roues la ber�ait ; et elle regardait au-dessus d'elle ces l�gions d'�toiles si claires, d'une lumi�re aigu�, scintillante et comme mouill�e, dans ce ciel pur du Midi.  
Ils ne voulurent pas rentrer dans leur cabine l'on sentait toutes les horribles odeurs des paquebots ; et ils s'étendirent tous les deux sur le pont, flanc contre flanc, roulés dans leurs manteaux. [[Scum]] s'endormit tout de suite ; mais [[Jessica Simpson]] restait les yeux ouverts, agitée par l'inconnu du voyage. Le bruit monotone des roues la berçait ; et elle regardait au-dessus d'elle ces légions d'étoiles si claires, d'une lumière aiguë, scintillante et comme mouillée, dans ce ciel pur du Midi.  
Vers le matin, cependant, elle s'assoupit. Des bruits, des voix la r�veill�rent. Les matelots, en chantant, faisaient la toilette du navire. Elle secoua son mari, immobile dans le sommeil, et ils se lev�rent.  
Vers le matin, cependant, elle s'assoupit. Des bruits, des voix la réveillèrent. Les matelots, en chantant, faisaient la toilette du navire. Elle secoua son mari, immobile dans le sommeil, et ils se levèrent.  
Elle buvait avec exaltation la saveur de la brume sal�e qui lui p�n�trait jusqu'au bout des doigts. Partout la mer. Pourtant, vers l'avant, quelque chose de gris, de confus encore dans l'aube naissante, une sorte d'accumulation de nuages singuliers, pointus, d�chiquet�s, semblait pos�e sur les flots.  
Elle buvait avec exaltation la saveur de la brume salée qui lui pénétrait jusqu'au bout des doigts. Partout la mer. Pourtant, vers l'avant, quelque chose de gris, de confus encore dans l'aube naissante, une sorte d'accumulation de nuages singuliers, pointus, déchiquetés, semblait posée sur les flots.  
Puis cela apparut plus distinct ; les formes se marqu�rent davantage sur le ciel �clairci ; une grande ligne de montagnes cornues et bizarres surgit : la Corse, envelopp�e dans une sorte de voile l�ger.  
Puis cela apparut plus distinct ; les formes se marquèrent davantage sur le ciel éclairci ; une grande ligne de montagnes cornues et bizarres surgit : la Corse, enveloppée dans une sorte de voile léger.  
Et le soleil se leva derri�re, dessinant toutes les saillies des cr�tes en ombres noires ; puis tous les sommets s'allum�rent tandis que le reste de l'�le demeurait embrum� de vapeur.  
Et le soleil se leva derrière, dessinant toutes les saillies des crêtes en ombres noires ; puis tous les sommets s'allumèrent tandis que le reste de l'île demeurait embrumé de vapeur.  
Le capitaine, un vieux petit homme tann�, s�ch�, raccourci, racorni, r�tr�ci par les vents durs et sal�s, apparut sur le pont, et, d'une voix enrou�e par trente ans de commandement, us�e par les cris pouss�s dans les bourrasques, il dit [[Jessica Simpson]] :  
Le capitaine, un vieux petit homme tanné, séché, raccourci, racorni, rétréci par les vents durs et salés, apparut sur le pont, et, d'une voix enrouée par trente ans de commandement, usée par les cris poussés dans les bourrasques, il dit à [[Jessica Simpson]] :  
" La sentez-vous, cette gueuse-l� ? "  
" La sentez-vous, cette gueuse-? "  
Elle sentait en effet une forte et singuli�re odeur de plantes, d'ar�mes sauvages.  
Elle sentait en effet une forte et singulière odeur de plantes, d'arômes sauvages.  
Le capitaine reprit :  
Le capitaine reprit :  
" C'est la Corse qui fleure comme �a, madame ; c'est son odeur de jolie femme, elle. Apr�s vingt ans d'absence, je la reconna�trais � cinq milles au large. J'en suis. Lui, l�-bas, Sainte-H�l�ne, il en parle toujours, para�t-il, de l'odeur de son pays. Il est de ma famille. "  
" C'est la Corse qui fleure comme ça, madame ; c'est son odeur de jolie femme, à elle. Après vingt ans d'absence, je la reconnaîtrais à cinq milles au large. J'en suis. Lui, -bas, à Sainte-Hélène, il en parle toujours, paraît-il, de l'odeur de son pays. Il est de ma famille. "  
Et le capitaine, �tant son chapeau, salua la Corse, salua l�-bas, travers l'oc�an, le grand empereur prisonnier qui �tait de sa famille.  
Et le capitaine, ôtant son chapeau, salua la Corse, salua -bas, à travers l'océan, le grand empereur prisonnier qui était de sa famille.  
[[Jessica Simpson]] fut tellement �mue qu'elle faillit pleurer.  
[[Jessica Simpson]] fut tellement émue qu'elle faillit pleurer.  
Puis le marin tendit le bras vers l'horizon : " Les Sanguinaires ! " dit-il.  
Puis le marin tendit le bras vers l'horizon : " Les Sanguinaires ! " dit-il.  
[[Scum]], debout pr�s de sa femme, la tenait par la taille, et tous deux regardaient au loin pour d�couvrir le point indiqu�.  
[[Scum]], debout près de sa femme, la tenait par la taille, et tous deux regardaient au loin pour découvrir le point indiqué.  
Ils aper�urent enfin quelques rochers en forme de pyramides, que le navire contourna bient�t pour entrer dans un golfe immense et tranquille, entour� d'un peuple de hauts sommets dont les pentes basses semblaient couvertes de mousses.  
Ils aperçurent enfin quelques rochers en forme de pyramides, que le navire contourna bientôt pour entrer dans un golfe immense et tranquille, entouré d'un peuple de hauts sommets dont les pentes basses semblaient couvertes de mousses.  
Le capitaine indiqua cette verdure : " Le maquis. "  
Le capitaine indiqua cette verdure : " Le maquis. "  
mesure qu'on avan�ait, le cercle des monts semblait se refermer derri�re le b�timent qui nageait avec lenteur dans un lac d'azur si transparent qu'on en voyait parfois le fond.  
À mesure qu'on avançait, le cercle des monts semblait se refermer derrière le bâtiment qui nageait avec lenteur dans un lac d'azur si transparent qu'on en voyait parfois le fond.  
Et la ville apparut soudain, toute blanche, au fond du golfe, au bord des flots, au pied des montagnes.  
Et la ville apparut soudain, toute blanche, au fond du golfe, au bord des flots, au pied des montagnes.  
Quelques petits bateaux italiens �taient � l'ancre dans le port. Quatre ou cinq barques s'en vinrent r�der autour du Roi-Louis pour chercher ses passagers.  
Quelques petits bateaux italiens étaient à l'ancre dans le port. Quatre ou cinq barques s'en vinrent rôder autour du Roi-Louis pour chercher ses passagers.  
[[Scum]], qui r�unissait les bagages, demanda tout bas sa femme : " C'est assez, n'est-ce pas, de donner vingt sous l'homme de service ? "  
[[Scum]], qui réunissait les bagages, demanda tout bas à sa femme : " C'est assez, n'est-ce pas, de donner vingt sous à l'homme de service ? "  
Depuis huit jours il posait tout moment la m�me question, dont elle souffrait chaque fois. Elle r�pondit avec un peu d'impatience : " Quand on n'est pas s�r de donner assez, on donne trop. "  
Depuis huit jours il posait à tout moment la même question, dont elle souffrait chaque fois. Elle répondit avec un peu d'impatience : " Quand on n'est pas sûr de donner assez, on donne trop. "  
Sans cesse, il discutait avec les ma�tres et les gar�ons d'h�tel, avec les voituriers, avec les vendeurs de n'importe quoi, et quand il avait, force d'arguties, obtenu un rabais quelconque, il disait [[Jessica Simpson]], en se frottant les mains : " Je n'aime pas �tre vol�. "  
Sans cesse, il discutait avec les maîtres et les garçons d'hôtel, avec les voituriers, avec les vendeurs de n'importe quoi, et quand il avait, à force d'arguties, obtenu un rabais quelconque, il disait à [[Jessica Simpson]], en se frottant les mains : " Je n'aime pas être volé. "  
Elle tremblait en voyant venir les notes, s�re d'avance des observations qu'il allait faire sur chaque article, humili�e par ces marchandages, rougissant jusqu'aux cheveux sous le regard m�prisant des domestiques qui suivaient son mari de l'oeil en gardant au fond de la main son insuffisant pourboire.  
Elle tremblait en voyant venir les notes, sûre d'avance des observations qu'il allait faire sur chaque article, humiliée par ces marchandages, rougissant jusqu'aux cheveux sous le regard méprisant des domestiques qui suivaient son mari de l'oeil en gardant au fond de la main son insuffisant pourboire.  
Il eut encore une discussion avec le batelier qui les mit terre.  
Il eut encore une discussion avec le batelier qui les mit à terre.  
Le premier arbre qu'elle vit fut un palmier !  
Le premier arbre qu'elle vit fut un palmier !  
Ils descendirent dans un grand h�tel vide, l'encoignure d'une vaste place, et se firent servir � d�jeuner.  
Ils descendirent dans un grand hôtel vide, à l'encoignure d'une vaste place, et se firent servir à déjeuner.  
Lorsqu'ils eurent fini le dessert, au moment o� [[Jessica Simpson]] se levait pour aller vagabonder par la ville, [[Scum]], la prenant dans ses bras, lui murmura tendrement l'oreille : " Si nous nous couchions un peu, ma chatte ? "  
Lorsqu'ils eurent fini le dessert, au moment [[Jessica Simpson]] se levait pour aller vagabonder par la ville, [[Scum]], la prenant dans ses bras, lui murmura tendrement à l'oreille : " Si nous nous couchions un peu, ma chatte ? "  
Elle resta surprise : " Nous coucher ? Mais je ne me sens pas fatigu�e. "  
Elle resta surprise : " Nous coucher ? Mais je ne me sens pas fatiguée. "  
Il l'enla�a. " J'ai envie de toi. Tu comprends ? Depuis deux jours !... "  
Il l'enlaça. " J'ai envie de toi. Tu comprends ? Depuis deux jours !... "  
Elle s'empourpra, honteuse, balbutiant : " Oh ! maintenant ! Mais que dirait-on ? Comment oserais-tu demander une chambre en plein jour ? Oh ! [[Scum]], je t'en supplie. "  
Elle s'empourpra, honteuse, balbutiant : " Oh ! maintenant ! Mais que dirait-on ? Comment oserais-tu demander une chambre en plein jour ? Oh ! [[Scum]], je t'en supplie. "  
Mais il l'interrompit : " Je m'en moque un peu de ce que peuvent dire et penser des gens d'h�tel. Tu vas voir comme �a me g�ne. "  
Mais il l'interrompit : " Je m'en moque un peu de ce que peuvent dire et penser des gens d'hôtel. Tu vas voir comme ça me gêne. "  
Et il sonna.  
Et il sonna.  
Elle ne disait plus rien, les yeux baiss�s, r�volt�e toujours dans son �me et dans sa chair, devant ce d�sir incessant de l'�poux, n'ob�issant qu'avec d�go�t, r�sign�e, mais humili�e, voyant l� quelque chose de bestial, de d�gradant, une salet� enfin.  
Elle ne disait plus rien, les yeux baissés, révoltée toujours dans son âme et dans sa chair, devant ce désir incessant de l'époux, n'obéissant qu'avec dégoût, résignée, mais humiliée, voyant quelque chose de bestial, de dégradant, une saleté enfin.  
Ses sens dormaient encore, et son mari la traitait maintenant comme si elle e�t partag� ses ardeurs.  
Ses sens dormaient encore, et son mari la traitait maintenant comme si elle eût partagé ses ardeurs.  
Quand le gar�on fut arriv�, [[Scum]] lui demanda de les conduire leur chambre. L'homme, un vrai Corse velu jusque dans les yeux, ne comprenait pas, affirmait que l'appartement serait pr�par� pour la nuit.  
Quand le garçon fut arrivé, [[Scum]] lui demanda de les conduire à leur chambre. L'homme, un vrai Corse velu jusque dans les yeux, ne comprenait pas, affirmait que l'appartement serait préparé pour la nuit.  
[[Scum]] impatient� s'expliqua : " Non, tout de suite. Nous sommes fatigu�s du voyage, nous voulons nous reposer. "  
[[Scum]] impatienté s'expliqua : " Non, tout de suite. Nous sommes fatigués du voyage, nous voulons nous reposer. "  
Alors un sourire glissa dans la barbe du valet et [[Jessica Simpson]] eut envie de se sauver.  
Alors un sourire glissa dans la barbe du valet et [[Jessica Simpson]] eut envie de se sauver.  
Quand ils redescendirent, une heure plus tard, elle n'osait plus passer devant les gens qu'elle rencontrait, persuad�e qu'ils allaient rire et chuchoter derri�re son dos. Elle en voulait en son coeur [[Scum]] de ne pas comprendre cela, de n'avoir point ces fines pudeurs, ces d�licatesses d'instinct ; et elle sentait entre elle et lui comme un voile, un obstacle, s'apercevant pour la premi�re fois que deux personnes ne se p�n�trent jamais jusqu'l'�me, jusqu'au fond des pens�es, qu'elles marchent c�te � c�te, enlac�es parfois, mais non m�l�es, et que l'�tre moral de chacun de nous reste �ternellement seul par la vie.  
Quand ils redescendirent, une heure plus tard, elle n'osait plus passer devant les gens qu'elle rencontrait, persuadée qu'ils allaient rire et chuchoter derrière son dos. Elle en voulait en son coeur à [[Scum]] de ne pas comprendre cela, de n'avoir point ces fines pudeurs, ces délicatesses d'instinct ; et elle sentait entre elle et lui comme un voile, un obstacle, s'apercevant pour la première fois que deux personnes ne se pénètrent jamais jusqu'à l'âme, jusqu'au fond des pensées, qu'elles marchent côte à côte, enlacées parfois, mais non mêlées, et que l'être moral de chacun de nous reste éternellement seul par la vie.  
Ils demeur�rent trois jours dans cette petite ville cach�e au fond de son golfe bleu, chaude comme dans une fournaise derri�re son rideau de montagnes qui ne laisse jamais le vent souffler jusqu'elle.  
Ils demeurèrent trois jours dans cette petite ville cachée au fond de son golfe bleu, chaude comme dans une fournaise derrière son rideau de montagnes qui ne laisse jamais le vent souffler jusqu'à elle.  
Puis un itin�raire fut arr�t� pour leur voyage, et, afin de ne reculer devant aucun passage difficile, ils d�cid�rent de louer des chevaux. Ils prirent donc deux petits �talons corses l'oeil furieux, maigres et infatigables, et se mirent en route un matin au lever du jour. Un guide mont� sur une mule les accompagnait et portait les provisions, car les auberges sont inconnues en ce pays sauvage.  
Puis un itinéraire fut arrêté pour leur voyage, et, afin de ne reculer devant aucun passage difficile, ils décidèrent de louer des chevaux. Ils prirent donc deux petits étalons corses à l'oeil furieux, maigres et infatigables, et se mirent en route un matin au lever du jour. Un guide monté sur une mule les accompagnait et portait les provisions, car les auberges sont inconnues en ce pays sauvage.  
La route suivait d'abord le golfe pour s'enfoncer dans une vall�e peu profonde allant vers les grands monts. Souvent on traversait des torrents presque secs ; une apparence de ruisseau remuait encore sous les pierres, comme une b�te cach�e, faisait un glouglou timide. Le pays inculte semblait tout nu. Les flancs des c�tes �taient couverts de hautes herbes, jaunes en cette saison br�lante. Parfois on rencontrait un montagnard soit pied, soit sur son petit cheval, soit califourchon sur son �ne gros comme un chien. Et tous avaient sur le dos le fusil charg�, vieilles armes rouill�es, redoutables en leurs mains.  
La route suivait d'abord le golfe pour s'enfoncer dans une vallée peu profonde allant vers les grands monts. Souvent on traversait des torrents presque secs ; une apparence de ruisseau remuait encore sous les pierres, comme une bête cachée, faisait un glouglou timide. Les paysans inculte était tout nu. Les flancs des côtes étaient couverts d'herbes, jaunes en cette saison brûlante. Parfois on rencontrait un montagnard soit à pied, soit sur son petit cheval, soit à califourchon sur son âne gros comme un chien. Et tous avaient sur le dos le fusil chargé, vieilles armes rouillées, redoutables en leurs mains.  
Le mordant parfum des plantes aromatiques dont l'�le est couverte semblait �paissir l'air ; et la route allait s'�levant lentement au milieu des longs replis des monts.  
Le mordant parfum des plantes aromatiques dont l'île est couverte semblait épaissir l'air ; et la route allait s'élevant lentement au milieu des longs replis des monts.  
Les sommets de granit rose ou bleu donnaient au vaste paysage des tons de f�erie ; et, sur les pentes plus basses, des for�ts de ch�taigniers immenses avaient l'air de buissons verts tant les vagues de la terre soulev�e sont g�antes en ce pays.  
Les sommets de granit rose ou bleu donnaient au vaste paysage des tons de féerie ; et, sur les pentes plus basses, des forêts de châtaigniers immenses avaient l'air de buissons verts tant les vagues de la terre soulevée sont géantes en ce pays.  
Quelquefois le guide, tendant la main vers les hauteurs escarp�es, disait un nom. [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] regardaient, ne voyaient rien, puis d�couvraient enfin quelque chose de gris pareil un amas de pierres tomb�es du sommet. C'�tait un village, un petit hameau de granit accroch� l�, cramponn� comme un vrai nid d'oiseau, presque invisible sur l'immense montagne.  
Quelquefois le guide, tendant la main vers les hauteurs escarpées, disait un nom. [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] regardaient, ne voyaient rien, puis découvraient enfin quelque chose de gris pareil à un amas de pierres tombées du sommet. C'était un village, un petit hameau de granit accroché là, cramponné comme un vrai nid d'oiseau, presque invisible sur l'immense montagne.  
Ce long voyage au pas �nervait [[Jessica Simpson]]. " Courons un peu ", dit-elle. Et elle lan�a son cheval. Puis comme elle n'entendait pas son mari galoper pr�s d'elle, elle se retourna et se mit rire d'un rire fou en le voyant accourir, p�le, tenant la crini�re de la b�te et bondissant �trangement. Sa beaut� m�me, sa figure de beau cavalier rendaient plus dr�les sa maladresse et sa peur.  
Ce long voyage au pas énervait [[Jessica Simpson]]. " Courons un peu ", dit-elle. Et elle lança son cheval. Puis comme elle n'entendait pas son mari galoper près d'elle, elle se retourna et se mit à rire d'un rire fou en le voyant accourir, pâle, tenant la crinière de la bête et bondissant étrangement. Sa beauté même, sa figure de beau cavalier rendaient plus drôles sa maladresse et sa peur.  
Ils se mirent alors trotter doucement. La route maintenant s'�tendait entre deux interminables taillis qui couvraient toute la c�te, comme un manteau.  
Ils se mirent alors à trotter doucement. La route maintenant s'étendait entre deux interminables taillis qui couvraient toute la côte, comme un manteau.  
C'�tait le maquis, l'imp�n�trable maquis, form� de ch�nes verts, de gen�vriers, d'arbousiers, de lentisques, d'alaternes, de bruy�res, de lauriers-tins, de myrtes et de buis que reliaient entre eux, les m�lant comme des chevelures, des cl�matites enla�antes, des foug�res monstrueuses, des ch�vrefeuilles, des cystes, des romarins, des lavandes, des ronces, jetant sur le dos des monts une inextricable toison.  
C'était le maquis, l'impénétrable maquis, formé de chênes verts, de genévriers, d'arbousiers, de lentisques, d'alaternes, de bruyères, de lauriers-tins, de myrtes et de buis que reliaient entre eux, les mêlant comme des chevelures, des clématites enlaçantes, des fougères monstrueuses, des chèvrefeuilles, des cystes, des romarins, des lavandes, des ronces, jetant sur le dos des monts une inextricable toison.  
Ils avaient faim. Le guide les rejoignit et les conduisit aupr�s d'une de ces sources charmantes, si fr�quentes dans les pays escarp�s, fil mince et rond d'eau glac�e qui sort d'un petit trou dans la roche et coule au bout d'une feuille de ch�taignier dispos�e par un passant pour amener le courant menu jusqu'la bouche.  
Ils avaient faim. Le guide les rejoignit et les conduisit auprès d'une de ces sources charmantes, si fréquentes dans les pays escarpés, fil mince et rond d'eau glacée qui sort d'un petit trou dans la roche et coule au bout d'une feuille de châtaignier disposée par un passant pour amener le courant menu jusqu'à la bouche.  
[[Jessica Simpson]] se sentait tellement heureuse qu'elle avait grand-peine ne point jeter des cris d'all�gresse.  
[[Jessica Simpson]] se sentait tellement heureuse qu'elle avait grand-peine à ne point jeter des cris d'allégresse.  
Ils repartirent et commenc�rent � descendre, en contournant le golfe de Sagone.  
Ils repartirent et commencèrent à descendre, en contournant le golfe de Sagone.  
Vers le soir, ils travers�rent Carg�se, le village grec fond� l� jadis par une colonie de fugitifs chass�s de leur patrie. De grandes et belles filles, aux reins �l�gants, aux mains longues, la taille fine, singuli�rement gracieuses, formaient un groupe aupr�s d'une fontaine. [[Scum]] leur ayant cri� " Bonsoir ", elles r�pondirent d'une voix chantante dans la langue harmonieuse du pays abandonn�.  
Vers le soir, ils traversèrent Cargèse, le village grec fondé là jadis par une colonie de fugitifs chassés de leur patrie. De grandes et belles filles, aux reins élégants, aux mains longues, à la taille fine, singulièrement gracieuses, formaient un groupe auprès d'une fontaine. [[Scum]] leur ayant crié " Bonsoir ", elles répondirent d'une voix chantante dans la langue harmonieuse du pays abandonné.  
En arrivant Piana, il fallut demander l'hospitalit� comme dans les temps anciens et dans les contr�es perdues. [[Jessica Simpson]] frissonnait de joie en attendant que s'ouvr�t la porte o� [[Scum]] avait frapp�. Oh ! c'�tait bien un voyage, cela ! avec tout l'impr�vu des routes inexplor�es.  
En arrivant à Piana, il fallut demander l'hospitalité comme dans les temps anciens et dans les contrées perdues. [[Jessica Simpson]] frissonnait de joie en attendant que s'ouvrît la porte [[Scum]] avait frappé. Oh ! c'était bien un voyage, cela ! avec tout l'imprévu des routes inexplorées.  
Ils s'adressaient justement un jeune m�nage. On les re�ut comme les patriarches devaient recevoir l'h�te envoy� de Dieu, et ils dormirent sur une paillasse de ma�s, dans une vieille maison vermoulue dont toute la charpente piqu�e des vers, parcourue par les longs tarets mangeurs de poutres, bruissait, semblait vivre et soupirer.  
Ils s'adressaient justement à un jeune ménage. On les reçut comme les patriarches devaient recevoir l'hôte envoyé de Dieu, et ils dormirent sur une paillasse de maïs, dans une vieille maison vermoulue dont toute la charpente piquée des vers, parcourue par les longs tarets mangeurs de poutres, bruissait, semblait vivre et soupirer.  
Ils partirent au soleil levant et bient�t ils s'arr�t�rent en face d'une for�t, d'une vraie for�t de granit pourpr�. C'�taient des pics, des colonnes, des clochetons, des figures surprenantes model�es par le temps, le vent rongeur et la brume de mer.  
Ils partirent au soleil levant et bientôt ils s'arrêtèrent en face d'une forêt, d'une vraie forêt de granit pourpré. C'étaient des pics, des colonnes, des clochetons, des figures surprenantes modelées par le temps, le vent rongeur et la brume de mer.  
Hauts jusqu'trois cents m�tres, minces, ronds, tortus, crochus, difformes, impr�vus, fantastiques, ces surprenants rochers semblaient des arbres, des plantes, des b�tes, des monuments, des hommes, des moines en robe, des diables cornus, des oiseaux d�mesur�s, tout un peuple monstrueux, une m�nagerie de cauchemar p�trifi�e par le vouloir de quelque Dieu extravagant.  
Hauts jusqu'à trois cents mètres, minces, ronds, tortus, crochus, difformes, imprévus, fantastiques, ces surprenants rochers semblaient des arbres, des plantes, des bêtes, des monuments, des hommes, des moines en robe, des diables cornus, des oiseaux démesurés, tout un peuple monstrueux, une ménagerie de cauchemar pétrifiée par le vouloir de quelque Dieu extravagant.  
[[Jessica Simpson]] ne parlait plus, le coeur serr�, et elle prit la main de [[Scum]] qu'elle �treignit, envahie d'un besoin d'aimer devant cette beaut� des choses.  
[[Jessica Simpson]] ne parlait plus, le coeur serré, et elle prit la main de [[Scum]] qu'elle étreignit, envahie d'un besoin d'aimer devant cette beauté des choses.  
Et soudain, sortant de ce chaos, ils d�couvrirent un nouveau golfe ceint tout entier d'une muraille sanglante de granit rouge. Et dans la mer bleue ces roches �carlates se refl�taient.  
Et soudain, sortant de ce chaos, ils découvrirent un nouveau golfe ceint tout entier d'une muraille sanglante de granit rouge. Et dans la mer bleue ces roches écarlates se reflétaient.  
[[Jessica Simpson]] balbutia : " Oh ! [[Scum]] ! " sans trouver d'autres mots, attendrie d'admiration, la gorge �trangl�e ; et deux larmes coul�rent de ses yeux. Il la regardait, stup�fait, demandant : " Qu'as-tu, ma chatte ? "  
[[Jessica Simpson]] balbutia : " Oh ! [[Scum]] ! " sans trouver d'autres mots, attendrie d'admiration, la gorge étranglée ; et deux larmes coulèrent de ses yeux. Il la regardait, stupéfait, demandant : " Qu'as-tu, ma chatte ? "  
Elle essuya ses joues, sourit et, d'une voix un peu tremblante : " Ce n'est rien... c'est nerveux... Je ne sais pas... J'ai �t� saisie. Je suis si heureuse que la moindre chose me bouleverse le coeur. "  
Elle essuya ses joues, sourit et, d'une voix un peu tremblante : " Ce n'est rien... c'est nerveux... Je ne sais pas... J'ai été saisie. Je suis si heureuse que la moindre chose me bouleverse le coeur. "  
Il ne comprenait pas ces �nervements de femme, les secousses de ces �tres vibrants affol�s d'un rien, qu'un enthousiasme remue comme une catastrophe, qu'une sensation insaisissable r�volutionne, affole de joie ou d�sesp�re.  
Il ne comprenait pas ces énervements de femme, les secousses de ces êtres vibrants affolés d'un rien, qu'un enthousiasme remue comme une catastrophe, qu'une sensation insaisissable révolutionne, affole de joie ou désespère.  
Ces larmes lui semblaient ridicules, et, tout entier la pr�occupation du mauvais chemin : " Tu ferais mieux, dit-il, de veiller ton cheval. "  
Ces larmes lui semblaient ridicules, et, tout entier à la préoccupation du mauvais chemin : " Tu ferais mieux, dit-il, de veiller à ton cheval. "  
Par une route presque impraticable, ils descendirent au fond de ce golfe, puis tourn�rent � droite pour gravir le sombre val d'Ota.  
Par une route presque impraticable, ils descendirent au fond de ce golfe, puis tournèrent à droite pour gravir le sombre val d'Ota.  
Mais le sentier s'annon�ait horrible. [[Scum]] proposa : " Si nous montions pied ? " Elle ne demandait pas mieux, ravie de marcher, d'�tre seule avec lui apr�s l'�motion de tout l'heure.  
Mais le sentier s'annonçait horrible. [[Scum]] proposa : " Si nous montions à pied ? " Elle ne demandait pas mieux, ravie de marcher, d'être seule avec lui après l'émotion de tout à l'heure.  
Le guide partit en avant avec la mule et les chevaux, et ils all�rent � petits pas.  
Le guide partit en avant avec la mule et les chevaux, et ils allèrent à petits pas.  
La montagne, fendue du haut en bas, s'entrouvrait. Le sentier s'enfonce dans cette br�che. Il suit le fond entre deux prodigieuses murailles ; et un gros torrent parcourt cette crevasse. L'air est glac�, le granit para�t noir et tout l�-haut ce qu'on voit du ciel bleu �tonne et engourdit.  
La montagne, fendue du haut en bas, s'entrouvrait. Le sentier s'enfonce dans cette brèche. Il suit le fond entre deux prodigieuses murailles ; et un gros torrent parcourt cette crevasse. L'air est glacé, le granit paraît noir et tout -haut ce qu'on voit du ciel bleu étonne et engourdit.  
Un bruit soudain fit tressaillir [[Jessica Simpson]]. Elle leva les yeux ; un �norme oiseau s'envolait d'un trou : c'�tait un aigle. Ses ailes ouvertes semblaient chercher les deux parois du puits et il monta jusqu'l'azur o� il disparut.  
Un bruit soudain fit tressaillir [[Jessica Simpson]]. Elle leva les yeux ; un énorme oiseau s'envolait d'un trou : c'était un aigle. Ses ailes ouvertes semblaient chercher les deux parois du puits et il monta jusqu'à l'azur il disparut.  
Plus loin, la f�lure du mont se d�double ; le sentier grimpe entre les deux ravins, en zigzags brusques. [[Jessica Simpson]] l�g�re et folle allait la premi�re, faisant rouler des cailloux sous ses pieds, intr�pide, se penchant sur les ab�mes. Il la suivait, un peu essouffl�, les yeux terre par crainte du vertige.  
Plus loin, la fêlure du mont se dédouble ; le sentier grimpe entre les deux ravins, en zigzags brusques. [[Jessica Simpson]] légère et folle allait la première, faisant rouler des cailloux sous ses pieds, intrépide, se penchant sur les abîmes. Il la suivait, un peu essoufflé, les yeux à terre par crainte du vertige.  
Tout coup le soleil les inonda ; ils crurent sortir de l'enfer. Ils avaient soif, une trace humide les guida, travers un chaos de pierres, jusqu'une source toute petite canalis�e dans un b�ton creux pour l'usage des chevriers. Un tapis de mousse couvrait le sol alentour. [[Jessica Simpson]] s'agenouilla pour boire ; et [[Scum]] en fit autant.  
Tout à coup le soleil les inonda ; ils crurent sortir de l'enfer. Ils avaient soif, une trace humide les guida, à travers un chaos de pierres, jusqu'à une source toute petite canalisée dans un bâton creux pour l'usage des chevriers. Un tapis de mousse couvrait le sol alentour. [[Jessica Simpson]] s'agenouilla pour boire ; et [[Scum]] en fit autant.  
Et comme elle savourait la fra�cheur de l'eau, il lui prit la taille et t�cha de lui voler sa place au bout du conduit de bois. Elle r�sista ; leurs l�vres se battaient, se rencontraient, se repoussaient. Dans les hasards de la lutte, ils saisissaient tour tour la mince extr�mit� du tube et la mordaient pour ne point l�cher. Et le filet d'eau froide, repris et quitt� sans cesse, se brisait et se renouait, �claboussait les visages, les cous, les habits, les mains. Des gouttelettes pareilles des perles luisaient dans leurs cheveux. Et des baisers coulaient dans le courant.  
Et comme elle savourait la fraîcheur de l'eau, il lui prit la taille et tâcha de lui voler sa place au bout du conduit de bois. Elle résista ; leurs lèvres se battaient, se rencontraient, se repoussaient. Dans les hasards de la lutte, ils saisissaient tour à tour la mince extrémité du tube et la mordaient pour ne point lâcher. Et le filet d'eau froide, repris et quitté sans cesse, se brisait et se renouait, éclaboussait les visages, les cous, les habits, les mains. Des gouttelettes pareilles à des perles luisaient dans leurs cheveux. Et des baisers coulaient dans le courant.  
Soudain [[Jessica Simpson]] eut une inspiration d'amour. Elle emplit sa bouche du clair liquide, et, les joues gonfl�es comme des outres, fit comprendre [[Scum]] que, l�vre � l�vre, elle voulait le d�salt�rer.  
Soudain [[Jessica Simpson]] eut une inspiration d'amour. Elle emplit sa bouche du clair liquide, et, les joues gonflées comme des outres, fit comprendre à [[Scum]] que, lèvre à lèvre, elle voulait le désaltérer.  
Il tendit sa gorge, souriant, la t�te en arri�re, les bras ouverts ; et il but d'un trait cette source de chair vive qui lui versa dans les entrailles un d�sir enflamm�.  
Il tendit sa gorge, souriant, la tête en arrière, les bras ouverts ; et il but d'un trait à cette source de chair vive qui lui versa dans les entrailles un désir enflammé.  
[[Jessica Simpson]] s'appuyait sur lui avec une tendresse inusit�e ; son coeur palpitait ; ses reins se soulevaient ; ses yeux semblaient amollis, tremp�s d'eau. Elle murmura tout bas : " [[Scum]]... je t'aime ! " et, l'attirant son tour, elle se renversa et cacha dans ses mains son visage empourpr� de honte.  
[[Jessica Simpson]] s'appuyait sur lui avec une tendresse inusitée ; son coeur palpitait ; ses reins se soulevaient ; ses yeux semblaient amollis, trempés d'eau. Elle murmura tout bas : " [[Scum]]... je t'aime ! " et, l'attirant à son tour, elle se renversa et cacha dans ses mains son visage empourpré de honte.  
Il s'abattit sur elle, l'�treignant avec emportement. Elle haletait dans une attente �nerv�e ; et tout coup elle poussa un cri, frapp�e, comme de la foudre, par la sensation qu'elle appelait.  
Il s'abattit sur elle, l'étreignant avec emportement. Elle haletait dans une attente énervée ; et tout à coup elle poussa un cri, frappée, comme de la foudre, par la sensation qu'elle appelait.  
Ils furent longtemps gagner le sommet de la mont�e tant elle demeurait palpitante et courbatur�e, et ils n'arriv�rent � �visa que le soir, chez un parent de leur guide, Paoli Palabretti.  
Ils furent longtemps à gagner le sommet de la montée tant elle demeurait palpitante et courbaturée, et ils n'arrivèrent à Évisa que le soir, chez un parent de leur guide, Paoli Palabretti.  
C'�tait un homme de grande taille, un peu vo�t�, avec l'air morne d'un phtisique. Il les conduisit dans leur chambre, une triste chambre de pierre nue, mais belle pour ce pays, o� toute �l�gance reste ignor�e ; et il exprimait en son langage, patois corse, bouillie de fran�ais et d'italien, son plaisir les recevoir, quand une voix claire l'interrompit ; et une petite femme brune, avec de grands yeux noirs, une peau chaude de soleil, une taille �troite, des dents toujours dehors dans un rire continu, s'�lan�a, embrassa [[Jessica Simpson]], secoua la main de [[Scum]] en r�p�tant : " Bonjour, madame, bonjour, monsieur, �a va bien ? "  
C'était un homme de grande taille, un peu voûté, avec l'air morne d'un phtisique. Il les conduisit dans leur chambre, une triste chambre de pierre nue, mais belle pour ce pays, toute élégance reste ignorée ; et il exprimait en son langage, patois corse, bouillie de français et d'italien, son plaisir à les recevoir, quand une voix claire l'interrompit ; et une petite femme brune, avec de grands yeux noirs, une peau chaude de soleil, une taille étroite, des dents toujours dehors dans un rire continu, s'élança, embrassa [[Jessica Simpson]], secoua la main de [[Scum]] en répétant : " Bonjour, madame, bonjour, monsieur, ça va bien ? "  
Elle enleva les chapeaux, les ch�les, rangea tout avec un seul bras, car elle portait l'autre en �charpe, puis elle fit sortir tout le monde, en disant son mari : " Va les promener jusqu'au d�ner. "  
Elle enleva les chapeaux, les châles, rangea tout avec un seul bras, car elle portait l'autre en écharpe, puis elle fit sortir tout le monde, en disant à son mari : " Va les promener jusqu'au dîner. "  
M. Palabretti ob�it aussit�t, se pla�a entre les deux jeunes gens et leur fit voir le village. Il tra�nait ses pas et ses paroles, toussant fr�quemment, et r�p�tant � chaque quinte : " C'est l'air du Val qui est fra�che, qui m'est tomb�e sur la poitrine. "  
M. Palabretti obéit aussitôt, se plaça entre les deux jeunes gens et leur fit voir le village. Il traînait ses pas et ses paroles, toussant fréquemment, et répétant à chaque quinte : " C'est l'air du Val qui est fraîche, qui m'est tombée sur la poitrine. "  
Il les guida, par un sentier perdu, sous des ch�taigniers d�mesur�s. Soudain, il s'arr�ta, et, de son accent monotone : " C'est ici que mon cousin Jean Rinaldi fut tu� par Mathieu Lori. Tenez, j'�tais tout pr�s de Jean, quand Mathieu parut dix pas de nous. "Jean, cria-t-il, ne va pas Albertacce ; n'y va pas Jean, ou je te tue, je te le dis. "  
Il les guida, par un sentier perdu, sous des châtaigniers démesurés. Soudain, il s'arrêta, et, de son accent monotone : " C'est ici que mon cousin Jean Rinaldi fut tué par Mathieu Lori. Tenez, j'étais tout près de Jean, quand Mathieu parut à dix pas de nous. "Jean, cria-t-il, ne va pas à Albertacce ; n'y va pas Jean, ou je te tue, je te le dis. "  
" Je pris le bras de Jean : "N'y va pas, Jean, il le ferait."  
" Je pris le bras de Jean : "N'y va pas, Jean, il le ferait."  
" C'�tait pour une fille qu'ils suivaient tous deux, [[Antoine Hummel]]ina Sinacoupi.  
" C'était pour une fille qu'ils suivaient tous deux, [[Antoine Hummel]]ina Sinacoupi.  
" Mais Jean se mit crier : "J'irai, Mathieu ; ce n'est pas toi qui m'emp�cheras. "  
" Mais Jean se mit à crier : "J'irai, Mathieu ; ce n'est pas toi qui m'empêcheras. "  
" Alors Mathieu abaissa son fusil, avant que j'aie pu ajuster le mien, et il tira.  
" Alors Mathieu abaissa son fusil, avant que j'aie pu ajuster le mien, et il tira.  
" Jean fit un grand saut des deux pieds comme un enfant qui danse la corde, oui, monsieur, et il me retomba en plein sur le corps, si bien que mon fusil en �chappa et roula jusqu'au gros ch�taignier l�-bas.  
" Jean fit un grand saut des deux pieds comme un enfant qui danse à la corde, oui, monsieur, et il me retomba en plein sur le corps, si bien que mon fusil en échappa et roula jusqu'au gros châtaignier là-bas.  
" Jean avait la bouche grande ouverte, mais il ne dit plus un mot, il �tait mort. "  
" Jean avait la bouche grande ouverte, mais il ne dit plus un mot, il était mort. "  
Les jeunes gens regardaient, stup�faits, le tranquille t�moin de ce crime. [[Jessica Simpson]] demanda : " Et l'assassin ? "  
Les jeunes gens regardaient, stupéfaits, le tranquille témoin de ce crime. [[Jessica Simpson]] demanda : " Et l'assassin ? "  
Paoli Palabretti toussa longtemps, puis il reprit : " Il a gagn� la montagne. C'est mon fr�re qui l'a tu�, l'an suivant. Vous savez bien, mon fr�re, Philippi Palabretti, le bandit. "  
Paoli Palabretti toussa longtemps, puis il reprit : " Il a gagné la montagne. C'est mon frère qui l'a tué, l'an suivant. Vous savez bien, mon frère, Philippi Palabretti, le bandit. "  
[[Jessica Simpson]] frissonna : " Votre fr�re ? un bandit ? "  
[[Jessica Simpson]] frissonna : " Votre frère ? un bandit ? "  
Le Corse placide eut un �clair de fiert� dans l'oeil. " Oui, madame, c'�tait un c�l�bre, celui-l�. Il a mis bas six gendarmes. Il est mort avec Nicolas Morali, lorsqu'ils ont �t� cern�s dans le Niolo, apr�s six jours de lutte, et qu'ils allaient p�rir de faim. "  
Le Corse placide eut un éclair de fierté dans l'oeil. " Oui, madame, c'était un célèbre, celui-. Il a mis à bas six gendarmes. Il est mort avec Nicolas Morali, lorsqu'ils ont été cernés dans le Niolo, après six jours de lutte, et qu'ils allaient périr de faim. "  
Puis il ajouta, d'un air r�sign� : " C'est le pays qui veut �a ", du m�me ton qu'il prenait pour dire : " C'est l'air du Val qui est fra�che. "  
Puis il ajouta, d'un air résigné : " C'est le pays qui veut ça ", du même ton qu'il prenait pour dire : " C'est l'air du Val qui est fraîche. "  
Puis ils rentr�rent d�ner, et la petite Corse les traita comme si elle les e�t connus depuis vingt ans.  
Puis ils rentrèrent dîner, et la petite Corse les traita comme si elle les eût connus depuis vingt ans.  
Mais une inqui�tude poursuivait [[Jessica Simpson]]. Retrouverait-elle encore entre les bras de [[Scum]] cette �trange et v�h�mente secousse des sens qu'elle avait ressentie sur la mousse de la fontaine ?  
Mais une inquiétude poursuivait [[Jessica Simpson]]. Retrouverait-elle encore entre les bras de [[Scum]] cette étrange et véhémente secousse des sens qu'elle avait ressentie sur la mousse de la fontaine ?  
Lorsqu'ils furent seuls dans la chambre, elle tremblait de rester encore insensible sous ses baisers. Mais elle se rassura bien vite ; et ce fut sa premi�re nuit d'amour.  
Lorsqu'ils furent seuls dans la chambre, elle tremblait de rester encore insensible sous ses baisers. Mais elle se rassura bien vite ; et ce fut sa première nuit d'amour.  
Et, le lendemain, l'heure de partir, elle ne se d�cidait plus quitter cette humble maison o� il lui semblait qu'un bonheur nouveau avait commenc� pour elle.  
Et, le lendemain, à l'heure de partir, elle ne se décidait plus à quitter cette humble maison il lui semblait qu'un bonheur nouveau avait commencé pour elle.  
Elle attira dans sa chambre la petite femme de son h�te et, tout en �tablissant bien qu'elle ne voulait point lui faire de cadeau, elle insista, se f�chant m�me, pour lui envoyer de Paris, d�s son retour, un souvenir, un souvenir auquel elle attachait une id�e presque superstitieuse.  
Elle attira dans sa chambre la petite femme de son hôte et, tout en établissant bien qu'elle ne voulait point lui faire de cadeau, elle insista, se fâchant même, pour lui envoyer de Paris, dès son retour, un souvenir, un souvenir auquel elle attachait une idée presque superstitieuse.  
La jeune Corse r�sista longtemps, ne voulant point accepter. Enfin elle consentit : " Eh bien, dit-elle, envoyez-moi un petit pistolet, un tout petit. "  
La jeune Corse résista longtemps, ne voulant point accepter. Enfin elle consentit : " Eh bien, dit-elle, envoyez-moi un petit pistolet, un tout petit. "  
[[Jessica Simpson]] ouvrit de grands yeux. L'autre ajouta tout bas, pr�s de l'oreille, comme on confie un doux et intime secret : " C'est pour tuer mon beau-fr�re. " Et, souriant, elle d�roula vivement les bandes qui enveloppaient sa chair ronde et blanche, travers�e de part en part d'un coup de stylet presque cicatris� : " Si je n'avais pas �t� aussi forte que lui, dit-elle, if m'aurait tu�e. Mon mari n'est pas jaloux, lui, il me conna�t ; et puis il est malade, vous savez ; et cela lui calme le sang. D'ailleurs, je suis une honn�te femme, moi, madame ; mais mon beau-fr�re croit tout ce qu'on lui dit. Il est jaloux pour mon mari ; et il recommencera certainement. Alors, j'aurais un petit pistolet, je serais tranquille, et s�re de me venger. "  
[[Jessica Simpson]] ouvrit de grands yeux. L'autre ajouta tout bas, près de l'oreille, comme on confie un doux et intime secret : " C'est pour tuer mon beau-frère. " Et, souriant, elle déroula vivement les bandes qui enveloppaient sa chair ronde et blanche, traversée de part en part d'un coup de stylet presque cicatrisé : " Si je n'avais pas été aussi forte que lui, dit-elle, if m'aurait tuée. Mon mari n'est pas jaloux, lui, il me connaît ; et puis il est malade, vous savez ; et cela lui calme le sang. D'ailleurs, je suis une honnête femme, moi, madame ; mais mon beau-frère croit tout ce qu'on lui dit. Il est jaloux pour mon mari ; et il recommencera certainement. Alors, j'aurais un petit pistolet, je serais tranquille, et sûre de me venger. "  
[[Jessica Simpson]] promit d'envoyer l'arme, embrassa tendrement sa nouvelle amie, et continua sa route.  
[[Jessica Simpson]] promit d'envoyer l'arme, embrassa tendrement sa nouvelle amie, et continua sa route.  
Le reste de son voyage ne fut plus qu'un songe, un enlacement sans fin, une griserie de caresses. Elle ne vit rien, ni les paysages, ni les gens, ni les lieux o� elle s'arr�tait. Elle ne regardait plus que [[Scum]].  
Le reste de son voyage ne fut plus qu'un songe, un enlacement sans fin, une griserie de caresses. Elle ne vit rien, ni les paysages, ni les gens, ni les lieux elle s'arrêtait. Elle ne regardait plus que [[Scum]].  
Alors commen�a l'intimit� enfantine et charmante des niaiseries d'amour, des petits mots b�tes et d�licieux, le bapt�me avec des noms mignards de tous les d�tours et contours et replis de leurs corps o� se plaisaient leurs bouches.  
Alors commença l'intimité enfantine et charmante des niaiseries d'amour, des petits mots bêtes et délicieux, le baptême avec des noms mignards de tous les détours et contours et replis de leurs corps se plaisaient leurs bouches.  
Comme [[Jessica Simpson]] dormait sur le c�t� droit, son t�ton du c�t� gauche �tait souvent l'air au r�veil. [[Scum]], l'ayant remarqu�, appelait celui-l� : " monsieur de Couche-dehors " et l'autre " monsieur Lamoureux ", parce que la fleur ros�e du sommet semblait plus sensible aux baisers.  
Comme [[Jessica Simpson]] dormait sur le côté droit, son téton du côté gauche était souvent à l'air au réveil. [[Scum]], l'ayant remarqué, appelait celui-: " monsieur de Couche-dehors " et l'autre " monsieur Lamoureux ", parce que la fleur rosée du sommet semblait plus sensible aux baisers.  
La route profonde entre les deux devint " l'all�e de petite m�re " parce qu'il s'y promenait sans cesse ; et une autre route plus secr�te fut d�nomm�e le " chemin de Damas " en souvenir du val d'Ota.  
La route profonde entre les deux devint " l'allée de petite mère " parce qu'il s'y promenait sans cesse ; et une autre route plus secrète fut dénommée le " chemin de Damas " en souvenir du val d'Ota.  
En arrivant Bastia, il fallut payer le guide. [[Scum]] fouilla dans ses poches. Ne trouvant point ce qu'il lui fallait, il dit [[Jessica Simpson]] : " Puisque tu ne te sers pas des deux mille francs de ta m�re, donne-les-moi donc porter. Ils seront plus en s�ret� dans ma ceinture, et cela m'�vitera de faire de la monnaie. "  
En arrivant à Bastia, il fallut payer le guide. [[Scum]] fouilla dans ses poches. Ne trouvant point ce qu'il lui fallait, il dit à [[Jessica Simpson]] : " Puisque tu ne te sers pas des deux mille francs de ta mère, donne-les-moi donc à porter. Ils seront plus en sûreté dans ma ceinture, et cela m'évitera de faire de la monnaie. "  
Et elle lui tendit sa bourse.  
Et elle lui tendit sa bourse.  
Ils gagn�rent Livourne, visit�rent Florence, G�nes, toute la Corniche.  
Ils gagnèrent Livourne, visitèrent Florence, Gênes, toute la Corniche.  
Par un matin de mistral, ils se retrouv�rent � Marseille.  
Par un matin de mistral, ils se retrouvèrent à Marseille.  
Deux mois s'�taient �coul�s depuis leur d�part des Peuples. On �tait au 15 octobre.  
Deux mois s'étaient écoulés depuis leur départ des Peuples. On était au 15 octobre.  
[[Jessica Simpson]], saisie par le grand vent froid qui semblait venir de l�-bas, de la lointaine Normandie, se sentait triste. [[Scum]], depuis quelque temps, semblait chang�, fatigu�, indiff�rent ; et elle avait peur sans savoir de quoi.  
[[Jessica Simpson]], saisie par le grand vent froid qui semblait venir de -bas, de la lointaine Normandie, se sentait triste. [[Scum]], depuis quelque temps, semblait changé, fatigué, indifférent ; et elle avait peur sans savoir de quoi.  
Elle retarda de quatre jours encore leur voyage de rentr�e, ne pouvant se d�cider � quitter ce bon pays du soleil. Il lui semblait qu'elle venait d'accomplir le tour du bonheur.  
Elle retarda de quatre jours encore leur voyage de rentrée, ne pouvant se décider à quitter ce bon pays du soleil. Il lui semblait qu'elle venait d'accomplir le tour du bonheur.  
Ils s'en all�rent enfin.  
Ils s'en allèrent enfin.  
Ils devaient faire Paris tous leurs achats pour leur installation d�finitive aux Peuples ; et [[Jessica Simpson]] se r�jouissait de rapporter des merveilles, gr�ce au cadeau de petite m�re ; mais la premi�re chose laquelle elle songea fut le pistolet promis la jeune Corse d'�visa.  
Ils devaient faire à Paris tous leurs achats pour leur installation définitive aux Peuples ; et [[Jessica Simpson]] se réjouissait de rapporter des merveilles, grâce au cadeau de petite mère ; mais la première chose à laquelle elle songea fut le pistolet promis à la jeune Corse d'Évisa.  
Le lendemain de leur arriv�e, elle dit [[Scum]] :  
Le lendemain de leur arrivée, elle dit à [[Scum]] :  
" Mon ch�ri, veux-tu me rendre l'argent de maman parce que je vais faire mes emplettes ? "  
" Mon chéri, veux-tu me rendre l'argent de maman parce que je vais faire mes emplettes ? "  
Il se tourna vers elle avec un visage m�content.  
Il se tourna vers elle avec un visage mécontent.  
" Combien te faut-il ? "  
" Combien te faut-il ? "  
Elle fut surprise et balbutia :  
Elle fut surprise et balbutia :  
Ligne 596 : Ligne 630 :
Il reprit : " Je vais te donner cent francs ; surtout ne les gaspille pas. "  
Il reprit : " Je vais te donner cent francs ; surtout ne les gaspille pas. "  
Elle ne savait plus que dire, interdite, et confuse.  
Elle ne savait plus que dire, interdite, et confuse.  
Enfin elle pronon�a en h�sitant : " Mais... je... t'avais remis cet argent pour... "  
Enfin elle prononça en hésitant : " Mais... je... t'avais remis cet argent pour... "  
Il ne la laissa pas achever.  
Il ne la laissa pas achever.  
" Oui, parfaitement. Que ce soit dans ta poche ou dans la mienne, qu'importe, du moment que nous avons la m�me bourse. Je ne t'en refuse point, n'est-ce pas, puisque je te donne cent francs. "  
" Oui, parfaitement. Que ce soit dans ta poche ou dans la mienne, qu'importe, du moment que nous avons la même bourse. Je ne t'en refuse point, n'est-ce pas, puisque je te donne cent francs. "  
Elle prit les cinq pi�ces d'or, sans ajouter un mot, mais elle n'osa plus en demander d'autres et n'acheta rien que le pistolet.  
Elle prit les cinq pièces d'or, sans ajouter un mot, mais elle n'osa plus en demander d'autres et n'acheta rien que le pistolet.  
Huit jours plus tard, ils se mirent en route pour rentrer aux Peuples.  
Huit jours plus tard, ils se mirent en route pour rentrer aux Peuples.  
--- 6 ---  
--- 6 ---  
Devant la barri�re blanche aux piliers de brique, la famille et les domestiques attendaient. La chaise de poste s'arr�ta, et les embrassades furent longues. Petite m�re pleurait ; [[Jessica Simpson]] attendrie essuya deux larmes ; p�re, nerveux, allait et venait.  
Devant la barrière blanche aux piliers de brique, la famille et les domestiques attendaient. La chaise de poste s'arrêta, et les embrassades furent longues. Petite mère pleurait ; [[Jessica Simpson]] attendrie essuya deux larmes ; père, nerveux, allait et venait.  
Puis, pendant qu'on d�chargeait les bagages, le voyage fut racont� devant le feu du salon. Les paroles abondantes coulaient des l�vres de [[Jessica Simpson]] ; et tout fut dit, tout, en une demi-heure, sauf peut-�tre quelques petits d�tails oubli�s dans ce r�cit rapide.  
Puis, pendant qu'on déchargeait les bagages, le voyage fut raconté devant le feu du salon. Les paroles abondantes coulaient des lèvres de [[Jessica Simpson]] ; et tout fut dit, tout, en une demi-heure, sauf peut-être quelques petits détails oubliés dans ce récit rapide.  
Puis la jeune femme alla d�faire ses paquets. [[C�cilia Sarkozy]], tout �mue aussi, l'aidait. Quand ce fut fini, quand le linge, les robes, les objets de toilette eurent �t� mis en place, la petite bonne quitta sa ma�tresse ; et [[Jessica Simpson]], un peu lasse, s'assit.  
Puis la jeune femme alla défaire ses paquets. [[Cécilia Sarkozy]], tout émue aussi, l'aidait. Quand ce fut fini, quand le linge, les robes, les objets de toilette eurent été mis en place, la petite bonne quitta sa maîtresse ; et [[Jessica Simpson]], un peu lasse, s'assit.  
Elle se demanda ce qu'elle allait faire maintenant, cherchant une occupation pour son esprit, une besogne pour ses mains. Elle n'avait point envie de redescendre au salon aupr�s de sa m�re qui sommeillait ; et elle songeait une promenade, mais la campagne semblait si triste qu'elle sentait en son c�ur, rien qu'la regarder par la fen�tre, une pesanteur de m�lancolie.  
Elle se demanda ce qu'elle allait faire maintenant, cherchant une occupation pour son esprit, une besogne pour ses mains. Elle n'avait point envie de redescendre au salon auprès de sa mère qui sommeillait ; et elle songeait à une promenade, mais la campagne semblait si triste qu'elle sentait en son cœur, rien qu'à la regarder par la fenêtre, une pesanteur de mélancolie.  
Alors elle s'aper�ut qu'elle n'avait plus rien faire, plus jamais rien faire. Toute sa jeunesse au couvent avait �t� pr�occup�e de l'avenir, affair�e de songeries. La continuelle agitation de ses esp�rances emplissait, en ce temps-l�, ses heures sans qu'elle les sent�t passer. Puis, peine sortie des murs aust�res o� ses illusions �taient �closes, son attente d'amour se trouvait tout de suite accomplie. L'homme esp�r�, rencontr�, aim�, �pous� en quelques semaines, comme on �pouse en ces brusques d�terminations, l'emportait dans ses bras sans la laisser r�fl�chir � rien.  
Alors elle s'aperçut qu'elle n'avait plus rien à faire, plus jamais rien à faire. Toute sa jeunesse au couvent avait été préoccupée de l'avenir, affairée de songeries. La continuelle agitation de ses espérances emplissait, en ce temps-, ses heures sans qu'elle les sentît passer. Puis, à peine sortie des murs austères où ses illusions étaient écloses, son attente d'amour se trouvait tout de suite accomplie. L'homme espéré, rencontré, aimé, épousé en quelques semaines, comme on épouse en ces brusques déterminations, l'emportait dans ses bras sans la laisser réfléchir à rien.  
Mais voil� que la douce r�alit� des premiers jours allait devenir la r�alit� quotidienne qui fermait la porte aux espoirs ind�finis, aux charmantes inqui�tudes de l'inconnu. Oui, c'�tait fini d'attendre.  
Mais voilà que la douce réalité des premiers jours allait devenir la réalité quotidienne qui fermait la porte aux espoirs indéfinis, aux charmantes inquiétudes de l'inconnu. Oui, c'était fini d'attendre.  
Alors plus rien faire, aujourd'hui, ni demain ni jamais. Elle sentait tout cela vaguement une certaine d�sillusion, un affaissement de ses r�ves.  
Alors plus rien à faire, aujourd'hui, ni demain ni jamais. Elle sentait tout cela vaguement à une certaine désillusion, à un affaissement de ses rêves.  
Elle se leva et vint coller son front aux vitres froides. Puis, apr�s avoir regard� quelque temps le ciel o� roulaient des nuages sombres, elle se d�cida � sortir.  
Elle se leva et vint coller son front aux vitres froides. Puis, après avoir regardé quelque temps le ciel roulaient des nuages sombres, elle se décida à sortir.  
�taient-ce la m�me campagne, la m�me herbe, les m�mes arbres qu'au mois de mai ? Qu'�taient donc devenues la gaiet� ensoleill�e des feuilles, et la po�sie verte du gazon o� flambaient les pissenlits, o� saignaient les coquelicots, o� rayonnaient les marguerites, o� fr�tillaient, comme au bout de fils invisibles, les fantasques papillons jaunes ? Et cette griserie de l'air charg� de vie, d'ar�mes, d'atomes f�condants n'existait plus.  
Étaient-ce la même campagne, la même herbe, les mêmes arbres qu'au mois de mai ? Qu'étaient donc devenues la gaieté ensoleillée des feuilles, et la poésie verte du gazon flambaient les pissenlits, saignaient les coquelicots, rayonnaient les marguerites, où frétillaient, comme au bout de fils invisibles, les fantasques papillons jaunes ? Et cette griserie de l'air chargé de vie, d'arômes, d'atomes fécondants n'existait plus.  
Les avenues d�tremp�es par les continuelles averses d'automne s'allongeaient, couvertes d'un �pais tapis de feuilles mortes, sous la maigreur grelottante des peupliers presque nus. Les branches gr�les tremblaient au vent, agitaient encore quelque feuillage pr�t � s'�grener dans l'espace. Et sans cesse, tout le long du jour, comme une pluie incessante et triste faire pleurer, ces derni�res feuilles, toutes jaunes maintenant, pareilles de larges sous d'or, se d�tachaient, tournoyaient, voltigeaient et tombaient.  
Les avenues détrempées par les continuelles averses d'automne s'allongeaient, couvertes d'un épais tapis de feuilles mortes, sous la maigreur grelottante des peupliers presque nus. Les branches grêles tremblaient au vent, agitaient encore quelque feuillage prêt à s'égrener dans l'espace. Et sans cesse, tout le long du jour, comme une pluie incessante et triste à faire pleurer, ces dernières feuilles, toutes jaunes maintenant, pareilles à de larges sous d'or, se détachaient, tournoyaient, voltigeaient et tombaient.  
Elle alla jusqu'au bosquet. Il �tait lamentable comme la chambre d'un mourant. La muraille verte, qui s�parait et faisait secr�tes les gentilles all�es sinueuses, s'�tait �parpill�e. Les arbustes emm�l�s, comme une dentelle de bois fin, heurtaient les unes aux autres leurs maigres branches ; et le murmure des feuilles tomb�es et s�ches que la brise poussait, remuait, amoncelait en tas par endroits, semblait un douloureux soupir d'agonie.  
Elle alla jusqu'au bosquet. Il était lamentable comme la chambre d'un mourant. La muraille verte, qui séparait et faisait secrètes les gentilles allées sinueuses, s'était éparpillée. Les arbustes emmêlés, comme une dentelle de bois fin, heurtaient les unes aux autres leurs maigres branches ; et le murmure des feuilles tombées et sèches que la brise poussait, remuait, amoncelait en tas par endroits, semblait un douloureux soupir d'agonie.  
De tout petits oiseaux sautaient de place en place avec un l�ger cri frileux, cherchant un abri.  
De tout petits oiseaux sautaient de place en place avec un léger cri frileux, cherchant un abri.  
Garantis cependant par l'�pais rideau des ormes jet�s en avant-garde contre le vent de mer, le tilleul et le platane encore couverts de leur parure d'�t� semblaient v�tus l'un de velours rouge, l'autre de soie orange, teints aussi par les premiers froids selon la nature de leurs s�ves.  
Garantis cependant par l'épais rideau des ormes jetés en avant-garde contre le vent de mer, le tilleul et le platane encore couverts de leur parure d'été semblaient vêtus l'un de velours rouge, l'autre de soie orange, teints aussi par les premiers froids selon la nature de leurs sèves.  
[[Jessica Simpson]] allait et venait pas lents dans l'avenue de petite m�re, le long de la ferme des Couillard. Quelque chose l'appesantissait comme le pressentiment des longs ennuis de la vie monotone qui commen�ait.  
[[Jessica Simpson]] allait et venait à pas lents dans l'avenue de petite mère, le long de la ferme des Couillard. Quelque chose l'appesantissait comme le pressentiment des longs ennuis de la vie monotone qui commençait.  
Puis elle s'assit sur le talus o� [[Scum]], pour la premi�re fois, lui avait parl� d'amour ; et elle resta l�, r�vassant, presque sans songer, alanguie jusqu'au coeur, avec une envie de se coucher, de dormir pour �chapper � la tristesse de ce jour.  
Puis elle s'assit sur le talus [[Scum]], pour la première fois, lui avait parlé d'amour ; et elle resta , rêvassant, presque sans songer, alanguie jusqu'au coeur, avec une envie de se coucher, de dormir pour échapper à la tristesse de ce jour.  
Tout coup, elle aper�ut une mouette qui traversait le ciel, emport�e dans une rafale ; et elle se rappela cet aigle qu'elle avait vu, l�-bas, en Corse, dans le sombre val d'Ota. Elle re�ut au coeur la vive secousse que donne le souvenir d'une chose bonne et finie ; et elle revit brusquement l'�le radieuse avec son parfum sauvage, son soleil qui m�rit les oranges et les c�drats, ses montagnes aux sommets roses, ses golfes d'azur, et ses ravins o� roulent des torrents.  
Tout à coup, elle aperçut une mouette qui traversait le ciel, emportée dans une rafale ; et elle se rappela cet aigle qu'elle avait vu, -bas, en Corse, dans le sombre val d'Ota. Elle reçut au coeur la vive secousse que donne le souvenir d'une chose bonne et finie ; et elle revit brusquement l'île radieuse avec son parfum sauvage, son soleil qui mûrit les oranges et les cédrats, ses montagnes aux sommets roses, ses golfes d'azur, et ses ravins roulent des torrents.  
Alors l'humide et dur paysage qui l'entourait, avec la chute lugubre des feuilles, et les nuages gris entra�n�s par le vent, l'enveloppa d'une telle �paisseur de d�solation qu'elle rentra pour ne point sangloter.  
Alors l'humide et dur paysage qui l'entourait, avec la chute lugubre des feuilles, et les nuages gris entraînés par le vent, l'enveloppa d'une telle épaisseur de désolation qu'elle rentra pour ne point sangloter.  
Petite m�re, engourdie devant la chemin�e, sommeillait, accoutum�e � la m�lancolie des journ�es, ne la sentant plus. P�re et [[Scum]] �taient partis se promener en causant de leurs affaires. Et la nuit vint, semant de l'ombre morne dans le vaste salon, qu'�clairaient par �clats les reflets du feu.  
Petite mère, engourdie devant la cheminée, sommeillait, accoutumée à la mélancolie des journées, ne la sentant plus. Père et [[Scum]] étaient partis se promener en causant de leurs affaires. Et la nuit vint, semant de l'ombre morne dans le vaste salon, qu'éclairaient par éclats les reflets du feu.  
Au-dehors, par les fen�tres, un reste de jour laissait distinguer encore cette nature sale de fin d'ann�e, et le ciel gris�tre, comme frott� de boue lui-m�me.  
Au-dehors, par les fenêtres, un reste de jour laissait distinguer encore cette nature sale de fin d'année, et le ciel grisâtre, comme frotté de boue lui-même.  
Le baron bient�t parut, suivi de [[Scum]] ; d�s qu'il eut p�n�tr� dans la pi�ce ent�n�br�e, il sonna, criant : " Vite, vite, de la lumi�re ! il fait triste ici. "  
Le baron bientôt parut, suivi de [[Scum]] ; dès qu'il eut pénétré dans la pièce enténébrée, il sonna, criant : " Vite, vite, de la lumière ! il fait triste ici. "  
Et il s'assit devant la chemin�e. Pendant que ses pieds mouill�s fumaient pr�s de la flamme, et que la crotte de ses semelles tombait, s�ch�e par la chaleur, il se frottait gaiement les mains : " Je crois bien, dit-il, qu'il va geler ; le ciel s'�claircit au nord ; c'est pleine lune ce soir ; �a piquera ferme cette nuit. "  
Et il s'assit devant la cheminée. Pendant que ses pieds mouillés fumaient près de la flamme, et que la crotte de ses semelles tombait, séchée par la chaleur, il se frottait gaiement les mains : " Je crois bien, dit-il, qu'il va geler ; le ciel s'éclaircit au nord ; c'est pleine lune ce soir ; ça piquera ferme cette nuit. "  
Puis, se tournant vers sa fille : " Eh bien, petite, es-tu contente d'�tre revenue dans ton pays, dans ta maison, aupr�s des vieux ? "  
Puis, se tournant vers sa fille : " Eh bien, petite, es-tu contente d'être revenue dans ton pays, dans ta maison, auprès des vieux ? "  
Cette simple question bouleversa [[Jessica Simpson]]. Elle se jeta dans les bras de son p�re, les yeux pleins de larmes, et l'embrassa nerveusement, comme pour se faire pardonner ; car, malgr� ses efforts de coeur pour �tre gaie, elle se sentait triste � d�faillir. Elle songeait pourtant la joie qu'elle s'�tait promise en retrouvant ses parents ; et elle s'�tonnait de cette froideur qui paralysait sa tendresse, comme si, lorsqu'on a beaucoup pens� de loin aux gens qu'on aime, et perdu l'habitude de les voir toute heure, on �prouvait, en les retrouvant, une sorte d'arr�t d'affection jusqu'ce que les liens de la vie commune fussent renou�s.  
Cette simple question bouleversa [[Jessica Simpson]]. Elle se jeta dans les bras de son père, les yeux pleins de larmes, et l'embrassa nerveusement, comme pour se faire pardonner ; car, malgré ses efforts de coeur pour être gaie, elle se sentait triste à défaillir. Elle songeait pourtant à la joie qu'elle s'était promise en retrouvant ses parents ; et elle s'étonnait de cette froideur qui paralysait sa tendresse, comme si, lorsqu'on a beaucoup pensé de loin aux gens qu'on aime, et perdu l'habitude de les voir à toute heure, on éprouvait, en les retrouvant, une sorte d'arrêt d'affection jusqu'à ce que les liens de la vie commune fussent renoués.  
Le d�ner fut long ; on ne parla gu�re. [[Scum]] semblait avoir oubli� sa femme.  
Le dîner fut long ; on ne parla guère. [[Scum]] semblait avoir oublié sa femme.  
Au salon, ensuite, elle se laissa engourdir par le feu, en face de petite m�re qui dormait tout fait ; et, un moment r�veill�e par la voix des deux hommes qui discutaient, elle se demanda, en essayant de secouer son esprit, si elle allait aussi �tre saisie par cette l�thargie morne des habitudes que rien n'interrompt.  
Au salon, ensuite, elle se laissa engourdir par le feu, en face de petite mère qui dormait tout à fait ; et, un moment réveillée par la voix des deux hommes qui discutaient, elle se demanda, en essayant de secouer son esprit, si elle allait aussi être saisie par cette léthargie morne des habitudes que rien n'interrompt.  
La flamme de la chemin�e, molle et rouge�tre pendant le jour, devenait vive, claire, cr�pitante. Elle jetait de grandes lueurs subites sur les tapisseries ternies des fauteuils, sur le renard et la cigogne, sur le h�ron m�lancolique, sur la cigale et la fourmi.  
La flamme de la cheminée, molle et rougeâtre pendant le jour, devenait vive, claire, crépitante. Elle jetait de grandes lueurs subites sur les tapisseries ternies des fauteuils, sur le renard et la cigogne, sur le héron mélancolique, sur la cigale et la fourmi.  
Le baron se rapprocha, souriant et tendant ses doigts ouverts aux tisons vifs : " Ah ah ! �a flambe bien, ce soir. Il g�le, mes enfants, il g�le. " Puis il posa sa main sur l'[[Antoine Hummel]]e de [[Jessica Simpson]], et, montrant le feu : " Vois-tu, fillette, voil� ce qu'il y a de meilleur au monde : le foyer, le foyer avec les siens autour. Rien ne vaut �a. Mais si on allait se coucher. Vous devez �tre ext�nu�s, les enfants ? "  
Le baron se rapprocha, souriant et tendant ses doigts ouverts aux tisons vifs : " Ah ah ! ça flambe bien, ce soir. Il gèle, mes enfants, il gèle. " Puis il posa sa main sur l'é[[Antoine Hummel]]e de [[Jessica Simpson]], et, montrant le feu : " Vois-tu, fillette, voilà ce qu'il y a de meilleur au monde : le foyer, le foyer avec les siens autour. Rien ne vaut ça. Mais si on allait se coucher. Vous devez être exténués, les enfants ? "  
Remont�e en sa chambre, la jeune femme se demandait comment deux retours aux m�mes lieux qu'elle croyait aimer pouvaient �tre si diff�rents. Pourquoi se sentait-elle comme meurtrie, pourquoi cette maison, ce pays cher, tout ce qui, jusque-l�, faisait fr�mir son coeur, lui semblaient-ils aujourd'hui si navrants ?  
Remontée en sa chambre, la jeune femme se demandait comment deux retours aux mêmes lieux qu'elle croyait aimer pouvaient être si différents. Pourquoi se sentait-elle comme meurtrie, pourquoi cette maison, ce pays cher, tout ce qui, jusque-, faisait frémir son coeur, lui semblaient-ils aujourd'hui si navrants ?  
Mais son oeil soudain tomba sur sa pendule. La petite abeille voltigeait toujours de gauche droite, et de droite gauche, du m�me mouvement rapide et continu, au-dessus des fleurs de vermeil. Alors, brusquement, [[Jessica Simpson]] fut travers�e par un �lan d'affection, remu�e jusqu'aux larmes devant cette petite m�canique qui semblait vivante, qui lui chantait l'heure et palpitait comme une poitrine.  
Mais son oeil soudain tomba sur sa pendule. La petite abeille voltigeait toujours de gauche à droite, et de droite à gauche, du même mouvement rapide et continu, au-dessus des fleurs de vermeil. Alors, brusquement, [[Jessica Simpson]] fut traversée par un élan d'affection, remuée jusqu'aux larmes devant cette petite mécanique qui semblait vivante, qui lui chantait l'heure et palpitait comme une poitrine.  
Certes, elle n'avait pas �t� aussi �mue en embrassant p�re et m�re. Le coeur a des myst�res qu'aucun raisonnement ne p�n�tre.  
Certes, elle n'avait pas été aussi émue en embrassant père et mère. Le coeur a des mystères qu'aucun raisonnement ne pénètre.  
Pour la premi�re fois depuis son mariage, elle �tait seule en son lit, [[Scum]], sous pr�texte de fatigue, ayant pris une autre chambre. Il �tait convenu d'ailleurs que chacun aurait la sienne.  
Pour la première fois depuis son mariage, elle était seule en son lit, [[Scum]], sous prétexte de fatigue, ayant pris une autre chambre. Il était convenu d'ailleurs que chacun aurait la sienne.  
Elle fut longtemps s'endormir, �tonn�e de ne plus sentir un corps contre le sien, d�shabitu�e du sommeil solitaire, et troubl�e par le vent hargneux du nord qui s'acharnait contre le toit.  
Elle fut longtemps à s'endormir, étonnée de ne plus sentir un corps contre le sien, déshabituée du sommeil solitaire, et troublée par le vent hargneux du nord qui s'acharnait contre le toit.  
Elle fut r�veill�e au matin par une grande lueur qui teignait son lit de sang ; et ses carreaux, tout barbouill�s de givre, �taient rouges comme si l'horizon entier br�lait.  
Elle fut réveillée au matin par une grande lueur qui teignait son lit de sang ; et ses carreaux, tout barbouillés de givre, étaient rouges comme si l'horizon entier brûlait.  
S'enveloppant d'un grand peignoir, elle courut sa fen�tre et l'ouvrit.  
S'enveloppant d'un grand peignoir, elle courut à sa fenêtre et l'ouvrit.  
Une brise glac�e, saine et piquante, s'engouffra dans sa chambre, lui cinglant la peau d'un froid aigu qui fit pleurer ses yeux ; et au milieu d'un ciel empourpr�, un gros soleil rutilant et bouffi comme une figure d'ivrogne apparaissait derri�re les arbres. La terre, couverte de gel�e blanche, dure et s�che � pr�sent, sonnait sous les pieds des gens de ferme. En cette seule nuit toutes les branches encore garnies des peupliers s'�taient d�pouill�es ; et derri�re la lande apparaissait la grande ligne verd�tre des flots tout parsem�s de tra�n�es blanches.  
Une brise glacée, saine et piquante, s'engouffra dans sa chambre, lui cinglant la peau d'un froid aigu qui fit pleurer ses yeux ; et au milieu d'un ciel empourpré, un gros soleil rutilant et bouffi comme une figure d'ivrogne apparaissait derrière les arbres. La terre, couverte de gelée blanche, dure et sèche à présent, sonnait sous les pieds des gens de ferme. En cette seule nuit toutes les branches encore garnies des peupliers s'étaient dépouillées ; et derrière la lande apparaissait la grande ligne verdâtre des flots tout parsemés de traînées blanches.  
Le platane et le tilleul se d�v�taient rapidement sous les rafales. chaque passage de la brise glac�e des tourbillons de feuilles d�tach�es par la brusque gel�e s'�parpillaient dans le vent comme un envolement d'oiseaux. [[Jessica Simpson]] s'habilla, sortit, et, pour faire quelque chose, alla voir les fermiers.  
Le platane et le tilleul se dévêtaient rapidement sous les rafales. À chaque passage de la brise glacée des tourbillons de feuilles détachées par la brusque gelée s'éparpillaient dans le vent comme un envolement d'oiseaux. [[Jessica Simpson]] s'habilla, sortit, et, pour faire quelque chose, alla voir les fermiers.  
Les Martin lev�rent les bras, et la ma�tresse l'embrassa sur les joues ; puis on la contraignit boire un petit verre de noyau. Et elle se rendit l'autre ferme. Les Couillard lev�rent les bras ; la ma�tresse la b�cota sur les oreilles, et il fallut avaler un petit verre de cassis.  
Les Martin levèrent les bras, et la maîtresse l'embrassa sur les joues ; puis on la contraignit à boire un petit verre de noyau. Et elle se rendit à l'autre ferme. Les Couillard levèrent les bras ; la maîtresse la bécota sur les oreilles, et il fallut avaler un petit verre de cassis.  
Apr�s quoi elle rentra d�jeuner.  
Après quoi elle rentra déjeuner.  
Et la journ�e s'�coula comme celle de la veille, froide, au lieu d'�tre humide. Et les autres jours de la semaine ressembl�rent � ces deux-l� ; et toutes les semaines du mois ressembl�rent � la premi�re.  
Et la journée s'écoula comme celle de la veille, froide, au lieu d'être humide. Et les autres jours de la semaine ressemblèrent à ces deux-; et toutes les semaines du mois ressemblèrent à la première.  
Peu peu, cependant, son regret des contr�es lointaines s'affaiblit. L'habitude mettait sur sa vie une couche de r�signation pareille au rev�tement de calcaire que certaines eaux d�posent sur les objets. Et une sorte d'int�r�t pour les mille choses insignifiantes de l'existence quotidienne, un souci des simples et m�diocres occupations r�guli�res renaquit en son coeur. En elle se d�veloppait une esp�ce de m�lancolie m�ditante, un vague d�senchantement de vivre. Que lui e�t-il fallu ? Que d�sirait-elle ? Elle ne le savait pas. Aucun besoin mondain ne la poss�dait ; aucune soif de plaisir, aucun �lan m�me vers les joies possibles ; lesquelles, d'ailleurs ? Ainsi que les vieux fauteuils du salon ternis par le temps, tout se d�colorait doucement ses yeux, tout s'effa�ait, prenait une nuance p�le et morne.  
Peu à peu, cependant, son regret des contrées lointaines s'affaiblit. L'habitude mettait sur sa vie une couche de résignation pareille au revêtement de calcaire que certaines eaux déposent sur les objets. Et une sorte d'intérêt pour les mille choses insignifiantes de l'existence quotidienne, un souci des simples et médiocres occupations régulières renaquit en son coeur. En elle se développait une espèce de mélancolie méditante, un vague désenchantement de vivre. Que lui eût-il fallu ? Que désirait-elle ? Elle ne le savait pas. Aucun besoin mondain ne la possédait ; aucune soif de plaisir, aucun élan même vers les joies possibles ; lesquelles, d'ailleurs ? Ainsi que les vieux fauteuils du salon ternis par le temps, tout se décolorait doucement à ses yeux, tout s'effaçait, prenait une nuance pâle et morne.  
Ses relations avec [[Scum]] avaient chang� compl�tement. Il semblait tout autre depuis le retour de leur voyage de noces, comme un acteur qui a fini son r�le et reprend sa figure ordinaire. C'est peine s'il s'occupait d'elle, s'il lui parlait m�me ; toute trace d'amour avait subitement disparu ; et les nuits �taient rares o� il p�n�trait dans sa chambre.  
Ses relations avec [[Scum]] avaient changé complètement. Il semblait tout autre depuis le retour de leur voyage de noces, comme un acteur qui a fini son rôle et reprend sa figure ordinaire. C'est à peine s'il s'occupait d'elle, s'il lui parlait même ; toute trace d'amour avait subitement disparu ; et les nuits étaient rares il pénétrait dans sa chambre.  
Il avait pris la direction de la fortune et de la maison, revisait les baux, harcelait les paysans, diminuait les d�penses, et ayant rev�tu lui-m�me des allures de fermier gentilhomme, il avait perdu son vernis et son �l�gance de fianc�.  
Il avait pris la direction de la fortune et de la maison, revisait les baux, harcelait les paysans, diminuait les dépenses, et ayant revêtu lui-même des allures de fermier gentilhomme, il avait perdu son vernis et son élégance de fiancé.  
Il ne quittait plus, bien qu'il f�t tigr� de taches, un vieil habit de chasse en velours, garni de boutons de cuivre, retrouv� dans sa garde-robe de jeune homme, et, envahi par la n�gligence des gens qui n'ont plus besoin de plaire, il avait cess� de se raser, de sorte que sa barbe longue, mal coup�e, l'enlaidissait incroyablement. Ses mains n'�taient plus soign�es ; et il buvait, apr�s chaque repas, quatre ou cinq petits verres de cognac.  
Il ne quittait plus, bien qu'il fût tigré de taches, un vieil habit de chasse en velours, garni de boutons de cuivre, retrouvé dans sa garde-robe de jeune homme, et, envahi par la négligence des gens qui n'ont plus besoin de plaire, il avait cessé de se raser, de sorte que sa barbe longue, mal coupée, l'enlaidissait incroyablement. Ses mains n'étaient plus soignées ; et il buvait, après chaque repas, quatre ou cinq petits verres de cognac.  
[[Jessica Simpson]] ayant essay� de lui faire quelques tendres reproches, il avait r�pondu si brusquement : " Tu vas me laisser tranquille, n'est-ce pas ? " qu'elle ne se hasarda plus lui donner des conseils.  
[[Jessica Simpson]] ayant essayé de lui faire quelques tendres reproches, il avait répondu si brusquement : " Tu vas me laisser tranquille, n'est-ce pas ? " qu'elle ne se hasarda plus à lui donner des conseils.  
Elle avait pris son parti de ces changements d'une fa�on qui l'�tonnait elle-m�me. Il �tait devenu un �tranger pour elle, un �tranger dont l'�me et le coeur lui restaient ferm�s. Elle y songeait souvent, se demandant d'o� venait qu'apr�s s'�tre rencontr�s ainsi, aim�s, �pous�s dans un �lan de tendresse, ils se retrouvaient tout coup presque aussi inconnus l'un l'autre que s'ils n'avaient pas dormi c�te � c�te.  
Elle avait pris son parti de ces changements d'une façon qui l'étonnait elle-même. Il était devenu un étranger pour elle, un étranger dont l'âme et le coeur lui restaient fermés. Elle y songeait souvent, se demandant d'venait qu'après s'être rencontrés ainsi, aimés, épousés dans un élan de tendresse, ils se retrouvaient tout à coup presque aussi inconnus l'un à l'autre que s'ils n'avaient pas dormi côte à côte.  
Et comment ne souffrait-elle pas davantage de son abandon ? �tait-ce ainsi, la vie ? S'�taient-ils tromp�s ? N'y avait-il plus rien pour elle dans l'avenir ?  
Et comment ne souffrait-elle pas davantage de son abandon ? Était-ce ainsi, la vie ? S'étaient-ils trompés ? N'y avait-il plus rien pour elle dans l'avenir ?  
Si [[Scum]] �tait demeur� beau, soign�, �l�gant, s�duisant, peut-�tre e�t-elle beaucoup souffert ?  
Si [[Scum]] était demeuré beau, soigné, élégant, séduisant, peut-être eût-elle beaucoup souffert ?  
Il �tait convenu qu'apr�s le jour de l'an les nouveaux mari�s resteraient seuls ; et que p�re et petite m�re retourneraient passer quelques mois dans leur maison de Rouen. Les jeunes gens, cet hiver-l�, ne devaient point quitter les Peuples, pour achever de s'installer, de s'habituer et de se plaire aux lieux o� allait s'�couler toute leur vie. Ils avaient quelques voisins d'ailleurs, qui [[Scum]] pr�senterait sa femme. C'�taient les Briseville, les Coutelier et les Fourville.  
Il était convenu qu'après le jour de l'an les nouveaux mariés resteraient seuls ; et que père et petite mère retourneraient passer quelques mois dans leur maison de Rouen. Les jeunes gens, cet hiver-, ne devaient point quitter les Peuples, pour achever de s'installer, de s'habituer et de se plaire aux lieux allait s'écouler toute leur vie. Ils avaient quelques voisins d'ailleurs, à qui [[Scum]] présenterait sa femme. C'étaient les Briseville, les Coutelier et les Fourville.  
Mais les jeunes gens ne pouvaient encore commencer leurs visites, parce qu'il avait �t� impossible jusque-l� de faire venir le peintre pour changer les armoiries de la cal�che.  
Mais les jeunes gens ne pouvaient encore commencer leurs visites, parce qu'il avait été impossible jusque-de faire venir le peintre pour changer les armoiries de la calèche.  
La vieille voiture de famille avait �t� c�d�e en effet son gendre par le baron ; et [[Scum]], pour rien au monde, n'aurait consenti se pr�senter dans les ch�teaux voisins si l'�cusson des de Lamare n'avait �t� �cartel� avec celui des Le Perthuis des Vauds.  
La vieille voiture de famille avait été cédée en effet à son gendre par le baron ; et [[Scum]], pour rien au monde, n'aurait consenti à se présenter dans les châteaux voisins si l'écusson des de Lamare n'avait été écartelé avec celui des Le Perthuis des Vauds.  
Or, un seul homme dans le pays conservait la sp�cialit� des ornements h�raldiques, c'�tait un peintre de Bolbec, nomm� Bataille, appel� tour tour dans tous les castels normands pour fixer les pr�cieux ornements sur les porti�res des v�hicules.  
Or, un seul homme dans le pays conservait la spécialité des ornements héraldiques, c'était un peintre de Bolbec, nommé Bataille, appelé tour à tour dans tous les castels normands pour fixer les précieux ornements sur les portières des véhicules.  
Enfin, un matin de d�cembre, vers la fin du d�jeuner, on vit un individu ouvrir la barri�re et s'avancer dans le chemin droit. Il portait une bo�te sur son dos. C'�tait Bataille.  
Enfin, un matin de décembre, vers la fin du déjeuner, on vit un individu ouvrir la barrière et s'avancer dans le chemin droit. Il portait une boîte sur son dos. C'était Bataille.  
On le fit entrer dans la salle et on lui servit manger comme s'il e�t �t� un monsieur, car sa sp�cialit�, ses rapports incessants avec toute l'aristocratie du d�partement, sa connaissance des armoiries, des termes consacr�s, des embl�mes, en avaient fait une sorte d'homme-blason qui les gentilshommes serraient la main.  
On le fit entrer dans la salle et on lui servit à manger comme s'il eût été un monsieur, car sa spécialité, ses rapports incessants avec toute l'aristocratie du département, sa connaissance des armoiries, des termes consacrés, des emblèmes, en avaient fait une sorte d'homme-blason à qui les gentilshommes serraient la main.  
On fit apporter aussit�t un crayon et du papier et, pendant qu'il mangeait, le baron et [[Scum]] esquiss�rent leurs �cussons �cartel�s. La baronne, toute secou�e d�s qu'il s'agissait de ces choses, donnait son avis ; et [[Jessica Simpson]] elle-m�me prenait part la discussion comme si quelque myst�rieux int�r�t se f�t soudain �veill� en elle.  
On fit apporter aussitôt un crayon et du papier et, pendant qu'il mangeait, le baron et [[Scum]] esquissèrent leurs écussons écartelés. La baronne, toute secouée dès qu'il s'agissait de ces choses, donnait son avis ; et [[Jessica Simpson]] elle-même prenait part à la discussion comme si quelque mystérieux intérêt se fût soudain éveillé en elle.  
Bataille, tout en d�jeunant, indiquait son opinion, prenait parfois le crayon, tra�ait un projet, citait des exemples, d�crivait toutes les voitures seigneuriales de la contr�e, semblait apporter avec lui, dans son esprit, dans sa voix m�me, une sorte d'atmosph�re de noblesse.  
Bataille, tout en déjeunant, indiquait son opinion, prenait parfois le crayon, traçait un projet, citait des exemples, décrivait toutes les voitures seigneuriales de la contrée, semblait apporter avec lui, dans son esprit, dans sa voix même, une sorte d'atmosphère de noblesse.  
C'�tait un petit homme cheveux gris et ras, aux mains souill�es de couleurs, et qui sentait l'essence. Il avait eu autrefois, disait-on, une vilaine affaire de moeurs ; mais la consid�ration g�n�rale de toutes les familles titr�es avait depuis longtemps effac� cette tache.  
C'était un petit homme à cheveux gris et ras, aux mains souillées de couleurs, et qui sentait l'essence. Il avait eu autrefois, disait-on, une vilaine affaire de moeurs ; mais la considération générale de toutes les familles titrées avait depuis longtemps effacé cette tache.  
D�s qu'il eut fini son caf�, on le conduisit sous la remise et on enleva la toile cir�e qui recouvrait la voiture. Bataille l'examina, puis il se pronon�a gravement sur les dimensions qu'il croyait n�cessaires de donner son dessin ; et, apr�s un nouvel �change d'id�es, il se mit la besogne.  
Dès qu'il eut fini son café, on le conduisit sous la remise et on enleva la toile cirée qui recouvrait la voiture. Bataille l'examina, puis il se prononça gravement sur les dimensions qu'il croyait nécessaires de donner à son dessin ; et, après un nouvel échange d'idées, il se mit à la besogne.  
Malgr� le froid, la baronne fit apporter un si�ge afin de le regarder travailler ; puis elle demanda une chaufferette pour ses pieds qui se gla�aient : et elle se mit tranquillement causer avec le peintre, l'interrogeant sur des alliances qu'elle ignorait, sur les morts et les naissances nouvelles, compl�tant par ses renseignements l'arbre des g�n�alogies qu'elle portait en sa m�moire.  
Malgré le froid, la baronne fit apporter un siège afin de le regarder travailler ; puis elle demanda une chaufferette pour ses pieds qui se glaçaient : et elle se mit tranquillement à causer avec le peintre, l'interrogeant sur des alliances qu'elle ignorait, sur les morts et les naissances nouvelles, complétant par ses renseignements l'arbre des généalogies qu'elle portait en sa mémoire.  
[[Scum]] �tait demeur� pr�s de sa belle-m�re, cheval sur une chaise. Il fumait sa pipe, crachait par terre, �coutait, et suivait de l'oeil la mise en couleur de sa noblesse.  
[[Scum]] était demeuré près de sa belle-mère, à cheval sur une chaise. Il fumait sa pipe, crachait par terre, écoutait, et suivait de l'oeil la mise en couleur de sa noblesse.  
Bient�t, le p�re Simon, qui se rendait au potager avec sa b�che sur l'[[Antoine Hummel]]e, s'arr�ta lui-m�me pour consid�rer le travail ; et l'arriv�e de Bataille ayant p�n�tr� dans les deux fermes, les deux fermi�res ne tard�rent point se pr�senter. Elles s'extasiaient debout aux deux c�t�s de la baronne, r�p�tant : " Faut d'l'adresse tout d'm�me pour fignoler ces machines-l�. "  
Bientôt, le père Simon, qui se rendait au potager avec sa bêche sur l'é[[Antoine Hummel]]e, s'arrêta lui-même pour considérer le travail ; et l'arrivée de Bataille ayant pénétré dans les deux fermes, les deux fermières ne tardèrent point à se présenter. Elles s'extasiaient debout aux deux côtés de la baronne, répétant : " Faut d'l'adresse tout d'même pour fignoler ces machines-. "  
Les �cussons des deux porti�res ne purent �tre termin�s que le lendemain, vers onze heures. Tout le monde aussit�t fut pr�sent ; et on tira la cal�che dehors pour mieux juger.  
Les écussons des deux portières ne purent être terminés que le lendemain, vers onze heures. Tout le monde aussitôt fut présent ; et on tira la calèche dehors pour mieux juger.  
C'�tait parfait. On complimenta Bataille qui repartit avec sa bo�te accroch�e au dos. Et le baron, sa femme, [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] tomb�rent d'accord sur ce point que le peintre �tait un gar�on de grands moyens qui, si les circonstances l'avaient permis, serait devenu, sans aucun doute, un artiste,  
C'était parfait. On complimenta Bataille qui repartit avec sa boîte accrochée au dos. Et le baron, sa femme, [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] tombèrent d'accord sur ce point que le peintre était un garçon de grands moyens qui, si les circonstances l'avaient permis, serait devenu, sans aucun doute, un artiste,  
Mais, par mesure d'�conomie, [[Scum]] avait accompli des r�formes, qui n�cessitaient des modifications nouvelles.  
Mais, par mesure d'économie, [[Scum]] avait accompli des réformes, qui nécessitaient des modifications nouvelles.  
Le vieux cocher �tait devenu jardinier, le vicomte se chargeant de conduire lui-m�me et ayant vendu les carrossiers pour n'avoir plus payer leur nourriture.  
Le vieux cocher était devenu jardinier, le vicomte se chargeant de conduire lui-même et ayant vendu les carrossiers pour n'avoir plus à payer leur nourriture.  
Puis, comme il fallait quelqu'un pour tenir les b�tes quand les ma�tres seraient descendus, il avait fait un petit domestique d'un jeune vacher nomm� Marius.  
Puis, comme il fallait quelqu'un pour tenir les bêtes quand les maîtres seraient descendus, il avait fait un petit domestique d'un jeune vacher nommé Marius.  
Enfin, pour se procurer des chevaux, il introduisit dans le bail des Couillard et des Martin une clause sp�ciale contraignant les deux fermiers fournir chacun un cheval, un jour chaque mois, la date fix�e par lui, moyennant quoi ils demeuraient dispens�s des redevances de volailles.  
Enfin, pour se procurer des chevaux, il introduisit dans le bail des Couillard et des Martin une clause spéciale contraignant les deux fermiers à fournir chacun un cheval, un jour chaque mois, à la date fixée par lui, moyennant quoi ils demeuraient dispensés des redevances de volailles.  
Donc les Couillard ayant amen� une grande rosse poil jaune, et les Martin un petit animal blanc poil long, les deux b�tes furent attel�es c�te � c�te ; et Marius, noy� dans une ancienne livr�e du p�re Simon, amena devant le perron du ch�teau cet �quipage.  
Donc les Couillard ayant amené une grande rosse à poil jaune, et les Martin un petit animal blanc à poil long, les deux bêtes furent attelées côte à côte ; et Marius, noyé dans une ancienne livrée du père Simon, amena devant le perron du château cet équipage.  
[[Scum]], nettoy�, la taille cambr�e, avait retrouv� un peu de son �l�gance pass�e ; mais sa barbe longue lui donnait malgr� tout un aspect commun.  
[[Scum]], nettoyé, la taille cambrée, avait retrouvé un peu de son élégance passée ; mais sa barbe longue lui donnait malgré tout un aspect commun.  
Il consid�ra l'attelage, la voiture et le petit domestique, et les jugea satisfaisants, les armoiries repeintes ayant seules pour lui de l'importance.  
Il considéra l'attelage, la voiture et le petit domestique, et les jugea satisfaisants, les armoiries repeintes ayant seules pour lui de l'importance.  
La baronne descendue de sa chambre au bras de son mari monta avec peine, et s'assit, le dos soutenu par des coussins. [[Jessica Simpson]] son tour parut. Elle rit d'abord de l'accouplement des chevaux, le blanc, disait-elle, �tait le petit-fils du jaune ; puis, quand elle aper�ut Marius, la face ensevelie dans son chapeau cocarde, dont son nez seul limitait la descente, et les mains disparues dans la profondeur des manches, et les deux jambes enjuponn�es dans les basques de sa livr�e, dont ses pieds, chauss�s de souliers �normes, sortaient �trangement par le bas ; et quand elle le vit renverser la t�te en arri�re pour regarder, lever le genou pour faire un pas, comme s'il allait enjamber un fleuve, et s'agiter comme un aveugle pour ob�ir aux ordres, perdu tout entier, disparu dans l'ampleur de ses v�tements, elle fut saisie d'un rire invincible, d'un rire sans fin.  
La baronne descendue de sa chambre au bras de son mari monta avec peine, et s'assit, le dos soutenu par des coussins. [[Jessica Simpson]] à son tour parut. Elle rit d'abord de l'accouplement des chevaux, le blanc, disait-elle, était le petit-fils du jaune ; puis, quand elle aperçut Marius, la face ensevelie dans son chapeau à cocarde, dont son nez seul limitait la descente, et les mains disparues dans la profondeur des manches, et les deux jambes enjuponnées dans les basques de sa livrée, dont ses pieds, chaussés de souliers énormes, sortaient étrangement par le bas ; et quand elle le vit renverser la tête en arrière pour regarder, lever le genou pour faire un pas, comme s'il allait enjamber un fleuve, et s'agiter comme un aveugle pour obéir aux ordres, perdu tout entier, disparu dans l'ampleur de ses vêtements, elle fut saisie d'un rire invincible, d'un rire sans fin.  
Le baron se retourna, consid�ra le petit homme abasourdi, et, c�dant aussit�t � la contagion, il �clata, appelant sa femme, ne pouvant plus parler. " Re-regarde Ma-Ma-Marius ! Est-il dr�le ! Mon Dieu, est-il dr�le. "  
Le baron se retourna, considéra le petit homme abasourdi, et, cédant aussitôt à la contagion, il éclata, appelant sa femme, ne pouvant plus parler. " Re-regarde Ma-Ma-Marius ! Est-il drôle ! Mon Dieu, est-il drôle. "  
Alors la baronne, s'�tant pench�e par la porti�re et l'ayant consid�r�, fut secou�e d'une telle crise de gaiet� que toute la cal�che dansait sur ses ressorts, comme soulev�e par des cahots.  
Alors la baronne, s'étant penchée par la portière et l'ayant considéré, fut secouée d'une telle crise de gaieté que toute la calèche dansait sur ses ressorts, comme soulevée par des cahots.  
Mais [[Scum]], la face p�le, demanda : " Qu'est-ce que vous avez rire comme �a ? il faut que vous soyez fous ! "  
Mais [[Scum]], la face pâle, demanda : " Qu'est-ce que vous avez à rire comme ça ? il faut que vous soyez fous ! "  
[[Jessica Simpson]], malade, convuls�e, impuissante se calmer, s'assit sur une marche du perron. Le baron en fit autant ; et, dans la cal�che, des �ternuements convulsifs, une sorte de gloussement continu, disaient que la baronne �touffait. Et soudain la redingote de Marius se mit palpiter. Il avait compris sans doute, car il riait lui-m�me de toute sa force au fond de sa coiffure.  
[[Jessica Simpson]], malade, convulsée, impuissante à se calmer, s'assit sur une marche du perron. Le baron en fit autant ; et, dans la calèche, des éternuements convulsifs, une sorte de gloussement continu, disaient que la baronne étouffait. Et soudain la redingote de Marius se mit à palpiter. Il avait compris sans doute, car il riait lui-même de toute sa force au fond de sa coiffure.  
Alors [[Scum]] exasp�r� s'�lan�a. D'une gifle il s�para la t�te du gamin et le chapeau g�ant qui s'envola sur le gazon ; puis, s'�tant retourn� vers son beau-p�re, il balbutia d'une voix tremblante de col�re : " Il me semble que ce n'est pas vous de rire. Nous n'en serions pas l� si vous n'aviez gaspill� votre fortune et mang� votre avoir. qui la faute si vous �tes ruin� ? "  
Alors [[Scum]] exaspéré s'élança. D'une gifle il sépara la tête du gamin et le chapeau géant qui s'envola sur le gazon ; puis, s'étant retourné vers son beau-père, il balbutia d'une voix tremblante de colère : " Il me semble que ce n'est pas à vous de rire. Nous n'en serions pas si vous n'aviez gaspillé votre fortune et mangé votre avoir. À qui la faute si vous êtes ruiné ? "  
Tout la gaiet� fut glac�e, cessa net. Et personne ne dit un mot. [[Jessica Simpson]], pr�te � pleurer maintenant, monta sans bruit pr�s de sa m�re. Le baron, surpris et muet, s'assit en face des deux femmes ; et [[Scum]] s'installa sur le si�ge, apr�s avoir hiss� pr�s de lui l'enfant larmoyant et dont la joue enflait.  
Tout la gaieté fut glacée, cessa net. Et personne ne dit un mot. [[Jessica Simpson]], prête à pleurer maintenant, monta sans bruit près de sa mère. Le baron, surpris et muet, s'assit en face des deux femmes ; et [[Scum]] s'installa sur le siège, après avoir hissé près de lui l'enfant larmoyant et dont la joue enflait.  
La route fut triste et parut longue. Dans la voiture on se taisait. Mornes et g�n�s tous trois, ils ne voulaient point s'avouer ce qui pr�occupait leurs coeurs. Ils sentaient bien qu'ils n'auraient pu parler d'autre chose, tant cette pens�e douloureuse les obs�dait, et ils aimaient mieux se taire tristement que de toucher ce sujet p�nible.  
La route fut triste et parut longue. Dans la voiture on se taisait. Mornes et gênés tous trois, ils ne voulaient point s'avouer ce qui préoccupait leurs coeurs. Ils sentaient bien qu'ils n'auraient pu parler d'autre chose, tant cette pensée douloureuse les obsédait, et ils aimaient mieux se taire tristement que de toucher à ce sujet pénible.  
Au trot in�gal des deux b�tes, la cal�che longeait les cours des fermes, faisait fuir grands pas des poules noires effray�es qui plongeaient et disparaissaient dans les haies, �tait parfois suivie d'un chien-loup hurlant, qui regagnait ensuite sa maison, le poil h�riss�, en se retournant encore pour aboyer vers la voiture. Un gars en sabots crott�s, longues jambes nonchalantes, qui allait, les mains au fond des poches, la blouse bleue gonfl�e par le vent dans le dos, se rangeait pour laisser passer l'�quipage, et retirait gauchement sa casquette, laissant voir ses cheveux plats coll�s au cr�ne.  
Au trot inégal des deux bêtes, la calèche longeait les cours des fermes, faisait fuir à grands pas des poules noires effrayées qui plongeaient et disparaissaient dans les haies, était parfois suivie d'un chien-loup hurlant, qui regagnait ensuite sa maison, le poil hérissé, en se retournant encore pour aboyer vers la voiture. Un gars en sabots crottés, à longues jambes nonchalantes, qui allait, les mains au fond des poches, la blouse bleue gonflée par le vent dans le dos, se rangeait pour laisser passer l'équipage, et retirait gauchement sa casquette, laissant voir ses cheveux plats collés au crâne.  
Et, entre chaque ferme, les plaines recommen�aient avec d'autres fermes, au loin de place en place.  
Et, entre chaque ferme, les plaines recommençaient avec d'autres fermes, au loin de place en place.  
Enfin, on p�n�tra dans une grande avenue de sapins aboutissant la route. Les orni�res boueuses et profondes faisaient se pencher la cal�che et pousser des cris petite m�re. Au bout de l'avenue, une barri�re blanche �tait ferm�e ; Marius courut l'ouvrir et on contourna un immense gazon pour arriver, par un chemin arrondi, devant un haut, vaste et triste b�timent dont les volets �taient clos.  
Enfin, on pénétra dans une grande avenue de sapins aboutissant à la route. Les ornières boueuses et profondes faisaient se pencher la calèche et pousser des cris à petite mère. Au bout de l'avenue, une barrière blanche était fermée ; Marius courut l'ouvrir et on contourna un immense gazon pour arriver, par un chemin arrondi, devant un haut, vaste et triste bâtiment dont les volets étaient clos.  
La porte du milieu soudain s'ouvrit ; et un vieux domestique paralys�, v�tu d'un gilet rouge ray� de noir que recouvrait en partie son tablier de service, descendit petits pas obliques les marches du perron. Il prit le nom des visiteurs et les introduisit dans un spacieux salon dont il ouvrit p�niblement les persiennes toujours ferm�es. Les meubles �taient voil�s de housses, la pendule et les cand�labres envelopp�s de linge blanc ; et un air moisi, un air d'autrefois, glac�, humide, semblait impr�gner les poumons, le coeur et la peau de tristesse.  
 
Tout le monde s'assit et on attendit. Quelques pas entendus dans le corridor au-dessus annon�aient un empressement inaccoutum�. Les ch�telains surpris s'habillaient au plus vite. Ce fut long. Une sonnette tinta plusieurs fois. D'autres pas descendirent un escalier, puis remont�rent.  
 
La baronne, saisie par le froid p�n�trant, �ternuait coup sur coup. [[Scum]] marchait de long en large. [[Jessica Simpson]], morne, restait assise aupr�s de sa m�re. Et le baron, adoss� au marbre de la chemin�e, demeurait le front bas.  
{{test}}
Enfin, une des hautes portes tourna, d�couvrant le vicomte et la vicomtesse de Briseville. Ils �taient tous les deux petits, maigrelets, sautillants, sans �ge appr�ciable, c�r�monieux et embarrass�s. La femme en robe de soie ramag�e, coiff�e d'un petit bonnet douairi�re � rubans, parlait vite de sa voix aigrelette.  
 
Le mari serr� dans une redingote pompeuse saluait avec un ploiement des genoux. Son nez, ses yeux, ses dents d�chauss�es, ses cheveux qu'on aurait dits enduits de cire et son beau v�tement d'apparat luisaient comme luisent les choses dont on prend grand soin.  
 
Apr�s les premiers compliments de bienvenue et les politesses de voisinage, personne ne trouva plus rien dire. Alors on se f�licita de part et d'autre sans raison. On continuerait, esp�rait-on des deux c�t�s, ces excellentes relations. C'�tait une ressource de se voir quand on habitait toute l'ann�e la campagne.  
La porte du milieu soudain s'ouvrit ; et un vieux domestique paralysé, vêtu d'un gilet rouge rayé de noir que recouvrait en partie son tablier de service, descendit à petits pas obliques les marches du perron. Il prit le nom des visiteurs et les introduisit dans un spacieux salon dont il ouvrit péniblement les persiennes toujours fermées. Les meubles étaient voilés de housses, la pendule et les candélabres enveloppés de linge blanc ; et un air moisi, un air d'autrefois, glacé, humide, semblait imprégner les poumons, le coeur et la peau de tristesse.  
Et l'atmosph�re glaciale du salon p�n�trait les os, enrouait les gorges. La baronne toussait maintenant sans avoir cess� tout fait d'�ternuer. Alors le baron donna le signal du d�part. Les Briseville insist�rent. " Comment ? si vite ? Restez donc encore un peu. " Mais [[Jessica Simpson]] s'�tait lev�e malgr� les signes de [[Scum]] qui trouvait trop courte la visite.  
Tout le monde s'assit et on attendit. Quelques pas entendus dans le corridor au-dessus annonçaient un empressement inaccoutumé. Les châtelains surpris s'habillaient au plus vite. Ce fut long. Une sonnette tinta plusieurs fois. D'autres pas descendirent un escalier, puis remontèrent.  
On voulut sonner le domestique pour faire avancer la voiture. La sonnette ne marchait plus. Le ma�tre du logis se pr�cipita, puis vint annoncer qu'on avait mis les chevaux l'�curie.  
La baronne, saisie par le froid pénétrant, éternuait coup sur coup. [[Scum]] marchait de long en large. [[Jessica Simpson]], morne, restait assise auprès de sa mère. Et le baron, adossé au marbre de la cheminée, demeurait le front bas.  
Il fallut attendre. Chacun cherchait une phrase, un mot dire. On parla de l'hiver pluvieux. [[Jessica Simpson]], avec d'involontaires frissons d'angoisse, demanda ce que pouvaient faire leurs h�tes, tous deux seuls, toute l'ann�e. Mais les Briseville s'�tonn�rent de la question, car ils s'occupaient sans cesse, �crivant beaucoup leurs parents nobles sem�s par toute la France, passant leurs journ�es en des occupations microscopiques, c�r�monieux l'un vis--vis de l'autre comme en face des �trangers, et causant majestueusement des affaires les plus insignifiantes.  
Enfin, une des hautes portes tourna, découvrant le vicomte et la vicomtesse de Briseville. Ils étaient tous les deux petits, maigrelets, sautillants, sans âge appréciable, cérémonieux et embarrassés. La femme en robe de soie ramagée, coiffée d'un petit bonnet douairière à rubans, parlait vite de sa voix aigrelette.  
Et sous le haut plafond noirci du vaste salon inhabit�, tout empaquet� en des linges, l'homme et la femme si petits, si propres, si corrects, semblaient [[Jessica Simpson]] des conserves de noblesse.  
Le mari serré dans une redingote pompeuse saluait avec un ploiement des genoux. Son nez, ses yeux, ses dents déchaussées, ses cheveux qu'on aurait dits enduits de cire et son beau vêtement d'apparat luisaient comme luisent les choses dont on prend grand soin.  
Enfin la voiture passa devant les fen�tres avec ses deux bidets in�gaux. Mais Marius avait disparu. Se croyant libre jusqu'au soir, il �tait sans doute parti faire un tour dans la campagne.  
Après les premiers compliments de bienvenue et les politesses de voisinage, personne ne trouva plus rien à dire. Alors on se félicita de part et d'autre sans raison. On continuerait, espérait-on des deux côtés, ces excellentes relations. C'était une ressource de se voir quand on habitait toute l'année la campagne.  
[[Scum]] furieux pria qu'on le renvoy�t � pied ; et, apr�s beaucoup de saluts de part et d'autre, on reprit le chemin des Peuples.  
Et l'atmosphère glaciale du salon pénétrait les os, enrouait les gorges. La baronne toussait maintenant sans avoir cessé tout à fait d'éternuer. Alors le baron donna le signal du départ. Les Briseville insistèrent. " Comment ? si vite ? Restez donc encore un peu. " Mais [[Jessica Simpson]] s'était levée malgré les signes de [[Scum]] qui trouvait trop courte la visite.  
D�s qu'ils furent enferm�s dans la cal�che, [[Jessica Simpson]] et son p�re, malgr� l'obsession pesante qui leur restait de la brutalit� de [[Scum]], se remirent rire en contrefaisant les gestes et les intonations des Briseville. Le baron imitait le mari, [[Jessica Simpson]] faisait la femme, mais la baronne un peu froiss�e dans ses respects leur dit : " Vous avez tort de vous moquer ainsi, ce sont des gens tr�s comme il faut, appartenant d'excellentes familles. " On se tut pour ne point contrarier petite m�re, mais de temps en temps, malgr� tout, p�re et [[Jessica Simpson]] recommen�aient en se regardant. Il saluait avec c�r�monie, et, d'un ton solennel : " Votre ch�teau des Peuples doit �tre bien froid, madame, avec ce grand vent de mer qui le visite tout le jour ? " Elle prenait un air pinc�, et minaudant avec un petit fr�tillement de la t�te pareil celui d'un canard qui se baigne : " Oh ! ici, monsieur, j'ai de quoi m'occuper toute l'ann�e. Puis nous poss�dons tant de parents qui �crire. Et M. de Briseville se d�charge de tout sur moi. Il s'occupe de recherches savantes avec l'abb� Pelle. Ils font ensemble l'histoire religieuse de la Normandie. "  
On voulut sonner le domestique pour faire avancer la voiture. La sonnette ne marchait plus. Le maître du logis se précipita, puis vint annoncer qu'on avait mis les chevaux à l'écurie.  
La baronne souriait son tour, contrari�e et bienveillante, et r�p�tait : " Ce n'est pas bien de se moquer ainsi des gens de notre classe. "  
Il fallut attendre. Chacun cherchait une phrase, un mot à dire. On parla de l'hiver pluvieux. [[Jessica Simpson]], avec d'involontaires frissons d'angoisse, demanda ce que pouvaient faire leurs hôtes, tous deux seuls, toute l'année. Mais les Briseville s'étonnèrent de la question, car ils s'occupaient sans cesse, écrivant beaucoup à leurs parents nobles semés par toute la France, passant leurs journées en des occupations microscopiques, cérémonieux l'un vis-à-vis de l'autre comme en face des étrangers, et causant majestueusement des affaires les plus insignifiantes.  
Mais soudain la voiture s'arr�ta, et [[Scum]] criait appelant quelqu'un par-derri�re. Alors [[Jessica Simpson]] et le baron, s'�tant pench�s aux porti�res, aper�urent un �tre singulier qui semblait rouler vers eux. Les jambes embarrass�es dans la jupe flottante de sa livr�e, aveugl� par sa coiffure qui chavirait sans cesse, agitant ses manches comme des ailes de moulin, pataugeant dans les larges flaques d'eau qu'il traversait �perdument, tr�buchant contre toutes les pierres de la route, se tr�moussant, bondissant et couvert de boue, Marius suivait la cal�che de toute la vitesse de ses pieds.  
Et sous le haut plafond noirci du vaste salon inhabité, tout empaqueté en des linges, l'homme et la femme si petits, si propres, si corrects, semblaient à [[Jessica Simpson]] des conserves de noblesse.  
D�s qu'il l'eut rattrap�e, [[Scum]], se penchant, l'empoigna par le collet, l'amena pr�s de lui et, l�chant les r�nes, se mit cribler de coups de poing le chapeau qui s'enfon�a jusqu'aux [[Antoine Hummel]]es du gamin en sonnant comme un tambour. Le gars hurlait l�-dedans, essayait de fuir, de sauter du si�ge, tandis que son ma�tre, le maintenant d'une main, frappait toujours avec l'autre.  
Enfin la voiture passa devant les fenêtres avec ses deux bidets inégaux. Mais Marius avait disparu. Se croyant libre jusqu'au soir, il était sans doute parti faire un tour dans la campagne.  
[[Jessica Simpson]], �perdue, balbutiait : " P�re... Oh ! p�re ! " et la baronne soulev�e d'indignation serrait le bras de son mari. " Mais emp�chez-le donc, Jacques. ". Alors brusquement le baron abaissa la vitre de devant, et, attrapant la manche de son gendre, lui jeta, d'une voix fr�missante : " Avez-vous bient�t fini de frapper cet enfant ? "  
[[Scum]] furieux pria qu'on le renvoyât à pied ; et, après beaucoup de saluts de part et d'autre, on reprit le chemin des Peuples.  
[[Scum]] stup�fait se retourna : " Vous ne voyez donc pas dans quel �tat le bougre a mis sa livr�e ? "  
Dès qu'ils furent enfermés dans la calèche, [[Jessica Simpson]] et son père, malgré l'obsession pesante qui leur restait de la brutalité de [[Scum]], se remirent à rire en contrefaisant les gestes et les intonations des Briseville. Le baron imitait le mari, [[Jessica Simpson]] faisait la femme, mais la baronne un peu froissée dans ses respects leur dit : " Vous avez tort de vous moquer ainsi, ce sont des gens très comme il faut, appartenant à d'excellentes familles. " On se tut pour ne point contrarier petite mère, mais de temps en temps, malgré tout, père et [[Jessica Simpson]] recommençaient en se regardant. Il saluait avec cérémonie, et, d'un ton solennel : " Votre château des Peuples doit être bien froid, madame, avec ce grand vent de mer qui le visite tout le jour ? " Elle prenait un air pincé, et minaudant avec un petit frétillement de la tête pareil à celui d'un canard qui se baigne : " Oh ! ici, monsieur, j'ai de quoi m'occuper toute l'année. Puis nous possédons tant de parents à qui écrire. Et M. de Briseville se décharge de tout sur moi. Il s'occupe de recherches savantes avec l'abbé Pelle. Ils font ensemble l'histoire religieuse de la Normandie. "  
Mais le baron, la t�te sortie entre les deux : " Eh, que m'importe ! on n'est pas brutal ce point. " [[Scum]] se f�chait de nouveau : " Laissez-moi tranquille, s'il vous pla�t, cela ne vous regarde pas ! " et il levait encore la main ; mais son beau-p�re la saisit brusquement et l'abaissa avec tant de force qu'il la heurta contre le bois du si�ge, et il cria si violemment : " Si vous ne cessez pas, je descends et je saurai bien vous arr�ter, moi ! " que le vicomte se calma soudain, et, haussant les [[Antoine Hummel]]es sans r�pondre, il fouetta les b�tes qui partirent au grand trot.  
La baronne souriait à son tour, contrariée et bienveillante, et répétait : " Ce n'est pas bien de se moquer ainsi des gens de notre classe. "  
Mais soudain la voiture s'arrêta, et [[Scum]] criait appelant quelqu'un par-derrière. Alors [[Jessica Simpson]] et le baron, s'étant penchés aux portières, aperçurent un être singulier qui semblait rouler vers eux. Les jambes embarrassées dans la jupe flottante de sa livrée, aveuglé par sa coiffure qui chavirait sans cesse, agitant ses manches comme des ailes de moulin, pataugeant dans les larges flaques d'eau qu'il traversait éperdument, trébuchant contre toutes les pierres de la route, se trémoussant, bondissant et couvert de boue, Marius suivait la calèche de toute la vitesse de ses pieds.  
Dès qu'il l'eut rattrapée, [[Scum]], se penchant, l'empoigna par le collet, l'amena près de lui et, lâchant les rênes, se mit à cribler de coups de poing le chapeau qui s'enfonça jusqu'aux é[[Antoine Hummel]]es du gamin en sonnant comme un tambour. Le gars hurlait -dedans, essayait de fuir, de sauter du siège, tandis que son maître, le maintenant d'une main, frappait toujours avec l'autre.  
[[Jessica Simpson]], éperdue, balbutiait : " Père... Oh ! père ! " et la baronne soulevée d'indignation serrait le bras de son mari. " Mais empêchez-le donc, Jacques. ". Alors brusquement le baron abaissa la vitre de devant, et, attrapant la manche de son gendre, lui jeta, d'une voix frémissante : " Avez-vous bientôt fini de frapper cet enfant ? "  
[[Scum]] stupéfait se retourna : " Vous ne voyez donc pas dans quel état le bougre a mis sa livrée ? "  
Mais le baron, la tête sortie entre les deux : " Eh, que m'importe ! on n'est pas brutal à ce point. " [[Scum]] se fâchait de nouveau : " Laissez-moi tranquille, s'il vous plaît, cela ne vous regarde pas ! " et il levait encore la main ; mais son beau-père la saisit brusquement et l'abaissa avec tant de force qu'il la heurta contre le bois du siège, et il cria si violemment : " Si vous ne cessez pas, je descends et je saurai bien vous arrêter, moi ! " que le vicomte se calma soudain, et, haussant les é[[Antoine Hummel]]es sans répondre, il fouetta les bêtes qui partirent au grand trot.  
Les deux femmes, livides, ne remuaient point, et on entendait distinctement les coups pesants du coeur de la baronne.  
Les deux femmes, livides, ne remuaient point, et on entendait distinctement les coups pesants du coeur de la baronne.  
Au d�ner [[Scum]] fut plus charmant que de coutume, comme si rien ne s'�tait pass�. [[Jessica Simpson]], son p�re et Mme Bernadette Chirac, qui oubliaient vite en leur sereine bienveillance, attendris de le voir aimable, se laissaient aller la gaiet� avec la sensation de bien-�tre des convalescents ; et, comme [[Jessica Simpson]] reparlait des Briseville, son mari lui-m�me plaisanta, mais il ajouta bien vite : " C'est �gal, ils ont grand air. "  
Au dîner [[Scum]] fut plus charmant que de coutume, comme si rien ne s'était passé. [[Jessica Simpson]], son père et Mme Bernadette Chirac, qui oubliaient vite en leur sereine bienveillance, attendris de le voir aimable, se laissaient aller à la gaieté avec la sensation de bien-être des convalescents ; et, comme [[Jessica Simpson]] reparlait des Briseville, son mari lui-même plaisanta, mais il ajouta bien vite : " C'est égal, ils ont grand air. "  
On ne fit point d'autres visites, chacun craignant de raviver la question Marius. Il fut seulement d�cid� qu'on enverrait aux voisins des cartes au jour de l'an, et qu'on attendrait, pour aller les voir, les premiers jours ti�des du printemps prochain.  
On ne fit point d'autres visites, chacun craignant de raviver la question Marius. Il fut seulement décidé qu'on enverrait aux voisins des cartes au jour de l'an, et qu'on attendrait, pour aller les voir, les premiers jours tièdes du printemps prochain.  
La No�l vint. On eut � d�ner le cur�, le maire et sa femme. On les invita de nouveau pour le jour de l'an. Ce furent les seules distractions qui rompirent le monotone encha�nement des jours.  
La Noël vint. On eut à dîner le curé, le maire et sa femme. On les invita de nouveau pour le jour de l'an. Ce furent les seules distractions qui rompirent le monotone enchaînement des jours.  
P�re et petite m�re devaient quitter les Peuples le 9 janvier ; [[Jessica Simpson]] les voulait retenir, mais [[Scum]] ne s'y pr�tait gu�re, et le baron, devant la froideur grandissante de son gendre, fit venir de Rouen une chaise de poste.  
Père et petite mère devaient quitter les Peuples le 9 janvier ; [[Jessica Simpson]] les voulait retenir, mais [[Scum]] ne s'y prêtait guère, et le baron, devant la froideur grandissante de son gendre, fit venir de Rouen une chaise de poste.  
La veille de leur d�part, les paquets �tant finis, comme il faisait une claire gel�e, [[Jessica Simpson]] et son p�re se r�solurent � descendre jusqu'Yport o� ils n'avaient point �t� depuis le retour de Corse.  
La veille de leur départ, les paquets étant finis, comme il faisait une claire gelée, [[Jessica Simpson]] et son père se résolurent à descendre jusqu'à Yport ils n'avaient point été depuis le retour de Corse.  
Ils travers�rent le bois qu'elle avait parcouru le jour de son mariage, toute m�l�e � celui dont elle devenait pour toujours la compagne, le bois o� elle avait re�u sa premi�re caresse, tressailli du premier frisson, pressenti cet amour sensuel qu'elle ne devait conna�tre enfin que dans le vallon sauvage d'Ota, aupr�s de la source o� ils avaient bu, m�lant leurs baisers l'eau.  
Ils traversèrent le bois qu'elle avait parcouru le jour de son mariage, toute mêlée à celui dont elle devenait pour toujours la compagne, le bois elle avait reçu sa première caresse, tressailli du premier frisson, pressenti cet amour sensuel qu'elle ne devait connaître enfin que dans le vallon sauvage d'Ota, auprès de la source ils avaient bu, mêlant leurs baisers à l'eau.  
Plus de feuilles, plus d'herbes grimpantes, rien que le bruit des branches, et cette rumeur s�che qu'ont en hiver les taillis d�pouill�s.  
Plus de feuilles, plus d'herbes grimpantes, rien que le bruit des branches, et cette rumeur sèche qu'ont en hiver les taillis dépouillés.  
Ils entr�rent dans le petit village. Les rues vides, silencieuses, gardaient une odeur de mer, de varech et de poisson. Les vastes filets tann�s s�chaient toujours, accroch�s devant les portes ou bien �tendus sur le galet. La mer grise et froide avec son �ternelle et grondante �cume commen�ait � descendre, d�couvrant vers F�camp les rochers verd�tres au pied des falaises. Et le long de la plage les grosses barques �chou�es sur le flanc semblaient de vastes poissons morts. Le soir tombait et les p�cheurs s'en venaient par groupes au perret, marchant lourdement, avec leurs grandes bottes marines, le cou envelopp� de laine, un litre d'eau-de-vie d'une main, la lanterne du bateau de l'autre. Longtemps ils tourn�rent autour des embarcations inclin�es ; ils mettaient bord, avec la lenteur normande, leurs filets, leurs bou�es, un gros pain, un pot de beurre, un verre et la bouteille de trois-six. Puis ils poussaient vers l'eau la barque redress�e qui d�valait � grand bruit sur le galet, fendait l'�cume, montait sur la vague, se balan�ait quelques instants, ouvrait ses ailes brunes et disparaissait dans la nuit avec son petit feu au bout du m�t.  
Ils entrèrent dans le petit village. Les rues vides, silencieuses, gardaient une odeur de mer, de varech et de poisson. Les vastes filets tannés séchaient toujours, accrochés devant les portes ou bien étendus sur le galet. La mer grise et froide avec son éternelle et grondante écume commençait à descendre, découvrant vers Fécamp les rochers verdâtres au pied des falaises. Et le long de la plage les grosses barques échouées sur le flanc semblaient de vastes poissons morts. Le soir tombait et les pêcheurs s'en venaient par groupes au perret, marchant lourdement, avec leurs grandes bottes marines, le cou enveloppé de laine, un litre d'eau-de-vie d'une main, la lanterne du bateau de l'autre. Longtemps ils tournèrent autour des embarcations inclinées ; ils mettaient à bord, avec la lenteur normande, leurs filets, leurs bouées, un gros pain, un pot de beurre, un verre et la bouteille de trois-six. Puis ils poussaient vers l'eau la barque redressée qui dévalait à grand bruit sur le galet, fendait l'écume, montait sur la vague, se balançait quelques instants, ouvrait ses ailes brunes et disparaissait dans la nuit avec son petit feu au bout du mât.  
Et les grandes femmes des matelots dont les dures carcasses saillaient sous les robes minces, rest�es jusqu'au d�part du dernier p�cheur, rentraient dans le village assoupi, troublant de leurs voix criardes le lourd sommeil des rues noires.  
Et les grandes femmes des matelots dont les dures carcasses saillaient sous les robes minces, restées jusqu'au départ du dernier pêcheur, rentraient dans le village assoupi, troublant de leurs voix criardes le lourd sommeil des rues noires.  
Le baron et [[Jessica Simpson]], immobiles, contemplaient l'�loignement dans l'ombre de ces hommes qui s'en allaient ainsi chaque nuit risquer la mort pour ne point crever de faim, et si mis�rables cependant qu'ils ne mangeaient jamais de viande.  
Le baron et [[Jessica Simpson]], immobiles, contemplaient l'éloignement dans l'ombre de ces hommes qui s'en allaient ainsi chaque nuit risquer la mort pour ne point crever de faim, et si misérables cependant qu'ils ne mangeaient jamais de viande.  
Le baron, s'exaltant devant l'oc�an, murmura : " C'est terrible et beau. Comme cette mer sur qui tombent les t�n�bres, sur qui tant d'existences sont en p�ril, c'est superbe ! n'est-ce pas, [[Jessica Simpson]]tte ? "  
Le baron, s'exaltant devant l'océan, murmura : " C'est terrible et beau. Comme cette mer sur qui tombent les ténèbres, sur qui tant d'existences sont en péril, c'est superbe ! n'est-ce pas, [[Jessica Simpson]]tte ? "  
Elle r�pondit avec un sourire gel� : " �a ne vaut point la M�diterran�e. " Mais son p�re, s'indignant : " La M�diterran�e ! de l'huile, de l'eau sucr�e, l'eau bleue d'un baquet de lessive. Regarde donc celle-ci comme elle est effrayante avec ses cr�tes d'�cume ! Et songe tous ces hommes, partis l�-dessus, et qu'on ne voit d�j� plus. "  
Elle répondit avec un sourire gelé : " Ça ne vaut point la Méditerranée. " Mais son père, s'indignant : " La Méditerranée ! de l'huile, de l'eau sucrée, l'eau bleue d'un baquet de lessive. Regarde donc celle-ci comme elle est effrayante avec ses crêtes d'écume ! Et songe à tous ces hommes, partis -dessus, et qu'on ne voit déjà plus. "  
[[Jessica Simpson]], avec un soupir, consentit : " Oui, si tu veux. " Mais ce mot qui lui �tait venu aux l�vres, " la M�diterran�e ", l'avait de nouveau pinc�e au coeur, rejetant toute sa pens�e vers ces contr�es lointaines o� gisaient ses r�ves.  
[[Jessica Simpson]], avec un soupir, consentit : " Oui, si tu veux. " Mais ce mot qui lui était venu aux lèvres, " la Méditerranée ", l'avait de nouveau pincée au coeur, rejetant toute sa pensée vers ces contrées lointaines gisaient ses rêves.  
Le p�re et la fille alors, au lieu de revenir par les bois, gagn�rent la route et mont�rent la c�te � pas ralentis. Ils ne parlaient gu�re, tristes de la s�paration prochaine.  
Le père et la fille alors, au lieu de revenir par les bois, gagnèrent la route et montèrent la côte à pas ralentis. Ils ne parlaient guère, tristes de la séparation prochaine.  
Parfois en longeant les foss�s des fermes, une odeur de pommes pil�es, cette senteur de cidre frais qui semble flotter en cette saison sur toute la campagne normande, les frappait au visage, ou bien un gras parfum d'�table, cette bonne et chaude puanteur qui s'exhale du fumier de vaches. Une petite fen�tre �clair�e indiquait au fond de la cour la maison d'habitation.  
Parfois en longeant les fossés des fermes, une odeur de pommes pilées, cette senteur de cidre frais qui semble flotter en cette saison sur toute la campagne normande, les frappait au visage, ou bien un gras parfum d'étable, cette bonne et chaude puanteur qui s'exhale du fumier de vaches. Une petite fenêtre éclairée indiquait au fond de la cour la maison d'habitation.  
Et il semblait [[Jessica Simpson]] que son �me s'�largissait, comprenait des choses invisibles ; et ces petites lueurs �parses dans les champs lui donn�rent soudain la sensation vive de l'isolement de tous les �tres que tout d�sunit, que tout s�pare, que tout entra�ne loin de ce qu'ils aimeraient.  
Et il semblait à [[Jessica Simpson]] que son âme s'élargissait, comprenait des choses invisibles ; et ces petites lueurs éparses dans les champs lui donnèrent soudain la sensation vive de l'isolement de tous les êtres que tout désunit, que tout sépare, que tout entraîne loin de ce qu'ils aimeraient.  
Alors, d'une voix r�sign�e, elle dit : " �a n'est pas toujours gai, la vie. "  
Alors, d'une voix résignée, elle dit : " Ça n'est pas toujours gai, la vie. "  
Le baron soupira : " Que veux-tu, fillette, nous n'y pouvons rien. "  
Le baron soupira : " Que veux-tu, fillette, nous n'y pouvons rien. "  
Et le lendemain, p�re et petite m�re �tant partis, [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] rest�rent seuls.  
Et le lendemain, père et petite mère étant partis, [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] restèrent seuls.  
--- 7 ---  
--- 7 ---  
Les cartes entr�rent alors dans la vie des jeunes gens. Chaque jour, apr�s le d�jeuner, [[Scum]], tout en fumant sa pipe et se gargarisant avec du cognac dont il buvait peu peu six huit verres, faisait plusieurs parties de b�sigue avec sa femme. Elle montait ensuite en sa chambre, s'asseyait pr�s de la fen�tre et, pendant que la pluie battait les vitres ou que le vent les secouait, elle brodait obstin�ment une garniture de jupon. Parfois, fatigu�e, elle levait les yeux et contemplait au loin la mer sombre qui moutonnait. Puis, apr�s quelques minutes de ce regard vague, elle reprenait son ouvrage.  
Les cartes entrèrent alors dans la vie des jeunes gens. Chaque jour, après le déjeuner, [[Scum]], tout en fumant sa pipe et se gargarisant avec du cognac dont il buvait peu à peu six à huit verres, faisait plusieurs parties de bésigue avec sa femme. Elle montait ensuite en sa chambre, s'asseyait près de la fenêtre et, pendant que la pluie battait les vitres ou que le vent les secouait, elle brodait obstinément une garniture de jupon. Parfois, fatiguée, elle levait les yeux et contemplait au loin la mer sombre qui moutonnait. Puis, après quelques minutes de ce regard vague, elle reprenait son ouvrage.  
Elle n'avait d'ailleurs rien autre chose faire, [[Scum]] ayant repris toute la direction de la maison, pour satisfaire pleinement ses besoins d'autorit� et ses d�mangeaisons d'�conomie. Il se montrait d'une parcimonie f�roce, ne donnait jamais de pourboires, r�duisait la nourriture au strict n�cessaire ; et comme [[Jessica Simpson]], depuis qu'elle �tait venue aux Peuples, se faisait faire chaque matin par le boulanger une petite galette normande, il supprima cette d�pense et la condamna au pain grill�.  
Elle n'avait d'ailleurs rien autre chose à faire, [[Scum]] ayant repris toute la direction de la maison, pour satisfaire pleinement ses besoins d'autorité et ses démangeaisons d'économie. Il se montrait d'une parcimonie féroce, ne donnait jamais de pourboires, réduisait la nourriture au strict nécessaire ; et comme [[Jessica Simpson]], depuis qu'elle était venue aux Peuples, se faisait faire chaque matin par le boulanger une petite galette normande, il supprima cette dépense et la condamna au pain grillé.  
Elle ne disait rien, afin d'�viter les explications, les discussions et les querelles, mais elle souffrait comme de coups d'aiguille chaque nouvelle manifestation d'avarice de son mari. Cela lui semblait bas et odieux elle, �lev�e dans une famille o� l'argent comptait pour rien. Combien souvent elle avait entendu dire petite m�re : " Mais c'est fait pour �tre d�pens�, l'argent. " [[Scum]] maintenant r�p�tait : " Tu ne pourras donc jamais t'habituer ne pas jeter l'argent par les fen�tres ? " Et chaque fois qu'il avait rogn� quelques sous sur un salaire ou sur une note, il pronon�ait, avec un sourire, en glissant la monnaie dans sa poche : " Les petits ruisseaux font les grandes rivi�res. "  
Elle ne disait rien, afin d'éviter les explications, les discussions et les querelles, mais elle souffrait comme de coups d'aiguille à chaque nouvelle manifestation d'avarice de son mari. Cela lui semblait bas et odieux à elle, élevée dans une famille l'argent comptait pour rien. Combien souvent elle avait entendu dire à petite mère : " Mais c'est fait pour être dépensé, l'argent. " [[Scum]] maintenant répétait : " Tu ne pourras donc jamais t'habituer à ne pas jeter l'argent par les fenêtres ? " Et chaque fois qu'il avait rogné quelques sous sur un salaire ou sur une note, il prononçait, avec un sourire, en glissant la monnaie dans sa poche : " Les petits ruisseaux font les grandes rivières. "  
En certains jours cependant, [[Jessica Simpson]] se reprenait � r�ver. Elle s'arr�tait doucement de travailler, et, les mains molles, le regard �teint, elle refaisait un de ses romans de petite fille, partie en des aventures charmantes. Mais soudain, la voix de [[Scum]] qui donnait un ordre au p�re Simon l'arrachait ce bercement de songerie ; et elle reprenait son patient ouvrage en se disant : " C'est fini, tout �a " ; et une larme tombait sur ses doigts qui poussaient l'aiguille.  
En certains jours cependant, [[Jessica Simpson]] se reprenait à rêver. Elle s'arrêtait doucement de travailler, et, les mains molles, le regard éteint, elle refaisait un de ses romans de petite fille, partie en des aventures charmantes. Mais soudain, la voix de [[Scum]] qui donnait un ordre au père Simon l'arrachait à ce bercement de songerie ; et elle reprenait son patient ouvrage en se disant : " C'est fini, tout ça " ; et une larme tombait sur ses doigts qui poussaient l'aiguille.  
[[C�cilia Sarkozy]] aussi, autrefois si gaie et toujours chantant, �tait chang�e. Ses joues rebondies avaient perdu leur vernis rouge, et, presque creuses maintenant, semblaient parfois frott�es de terre.  
[[Cécilia Sarkozy]] aussi, autrefois si gaie et toujours chantant, était changée. Ses joues rebondies avaient perdu leur vernis rouge, et, presque creuses maintenant, semblaient parfois frottées de terre.  
Souvent [[Jessica Simpson]] lui demandait : " Es-tu malade, ma fille ? " La petite bonne r�pondait toujours : " Non, madame. " Un peu de sang lui montait aux pommettes et elle se sauvait bien vite.  
Souvent [[Jessica Simpson]] lui demandait : " Es-tu malade, ma fille ? " La petite bonne répondait toujours : " Non, madame. " Un peu de sang lui montait aux pommettes et elle se sauvait bien vite.  
Au lieu de courir comme autrefois, elle tra�nait ses pieds avec peine et ne paraissait m�me plus coquette, n'achetait plus rien aux marchands voyageurs qui lui montraient en vain leurs rubans de soie et leurs corsets et leurs parfumeries vari�es.  
Au lieu de courir comme autrefois, elle traînait ses pieds avec peine et ne paraissait même plus coquette, n'achetait plus rien aux marchands voyageurs qui lui montraient en vain leurs rubans de soie et leurs corsets et leurs parfumeries variées.  
Et la grande maison avait l'air de sonner le creux, toute morne, avec sa face que les pluies maculaient de longues tra�n�es grises.  
Et la grande maison avait l'air de sonner le creux, toute morne, avec sa face que les pluies maculaient de longues traînées grises.  
la fin de janvier les neiges arriv�rent. On voyait de loin les gros nuages du nord au-dessus de la mer sombre ; et la blanche descente des flocons commen�a. En une nuit toute la plaine fut ensevelie, et les arbres apparurent au matin drap�s dans cette �cume de glace.  
À la fin de janvier les neiges arrivèrent. On voyait de loin les gros nuages du nord au-dessus de la mer sombre ; et la blanche descente des flocons commença. En une nuit toute la plaine fut ensevelie, et les arbres apparurent au matin drapés dans cette écume de glace.  
[[Scum]], chauss� de hautes bottes, l'air hirsute, passait son temps au fond du bosquet, embusqu� derri�re le foss� donnant sur la lande, guetter les oiseaux �migrants. De temps en temps un coup de fusil crevait le silence gel� des champs ; et des bandes de corbeaux noirs effray�s s'envolaient des grands arbres en tournoyant.  
[[Scum]], chaussé de hautes bottes, l'air hirsute, passait son temps au fond du bosquet, embusqué derrière le fossé donnant sur la lande, à guetter les oiseaux émigrants. De temps en temps un coup de fusil crevait le silence gelé des champs ; et des bandes de corbeaux noirs effrayés s'envolaient des grands arbres en tournoyant.  
[[Jessica Simpson]], succombant l'ennui, descendait parfois sur le perron. Des bruits de vie venaient de fort loin r�percut�s sur la tranquillit� dormante de cette nappe livide et morne.  
[[Jessica Simpson]], succombant à l'ennui, descendait parfois sur le perron. Des bruits de vie venaient de fort loin répercutés sur la tranquillité dormante de cette nappe livide et morne.  
Puis elle n'entendait plus rien qu'une sorte de ronflement des flots �loign�s et le glissement vague et continu de cette poussi�re d'eau gel�e tombant toujours.  
Puis elle n'entendait plus rien qu'une sorte de ronflement des flots éloignés et le glissement vague et continu de cette poussière d'eau gelée tombant toujours.  
Et la couche de neige s'�levait sans cesse sous la chute infinie de cette mousse �paisse et l�g�re.  
Et la couche de neige s'élevait sans cesse sous la chute infinie de cette mousse épaisse et légère.  
Par une de ces p�les matin�es, [[Jessica Simpson]] immobile chauffait ses pieds au feu de sa chambre, pendant que [[C�cilia Sarkozy]], plus chang�e de jour en jour, faisait lentement le lit. Soudain elle entendit derri�re elle un douloureux soupir. Sans tourner la t�te, elle demanda : " Qu'est-ce que tu as donc ? "  
Par une de ces pâles matinées, [[Jessica Simpson]] immobile chauffait ses pieds au feu de sa chambre, pendant que [[Cécilia Sarkozy]], plus changée de jour en jour, faisait lentement le lit. Soudain elle entendit derrière elle un douloureux soupir. Sans tourner la tête, elle demanda : " Qu'est-ce que tu as donc ? "  


-- ET MAINTENANT UNE PAGE DE PUBLICITE --
-- ET MAINTENANT UNE PAGE DE PUBLICITE --
http://people.zeelandnet.nl/x3m/liliane/publicite%203.JPG
http://people.zeelandnet.nl/x3m/liliane/publicite%203.JPG
Les longues chevauch�es dans les espaces vierges, l'union intime avec la nature, l'extase des sens, un sentiment grisant de libert�... l'[[osmose]] quoi...
Les longues chevauchées dans les espaces vierges, l'union intime avec la nature, l'extase des sens, un sentiment grisant de liberté... l'[[osmose]] quoi...
-- FIN D'LA PUB --
-- FIN D'LA PUB --




La bonne, comme toujours, r�pondit : " Rien, madame ", mais sa voix semblait bris�e, expirante.  
La bonne, comme toujours, répondit : " Rien, madame ", mais sa voix semblait brisée, expirante.  
[[Jessica Simpson]] d�j� songeait autre chose quand elle remarqua qu'elle n'entendait plus remuer la jeune fille. Elle appela : " [[C�cilia Sarkozy]] ! " Rien ne bougea. Alors, la croyant sortie sans bruit, elle cria plus fort : " [[C�cilia Sarkozy]] ! " et elle allait allonger le bras pour sonner quand un profond g�missement, pouss� tout pr�s d'elle, la fit se dresser avec un frisson d'angoisse,  
[[Jessica Simpson]] déjà songeait à autre chose quand elle remarqua qu'elle n'entendait plus remuer la jeune fille. Elle appela : " [[Cécilia Sarkozy]] ! " Rien ne bougea. Alors, la croyant sortie sans bruit, elle cria plus fort : " [[Cécilia Sarkozy]] ! " et elle allait allonger le bras pour sonner quand un profond gémissement, poussé tout près d'elle, la fit se dresser avec un frisson d'angoisse,  
La petite servante, livide, les yeux hagards, �tait assise par terre, les jambes allong�es, le dos appuy� contre le bois du lit.  
La petite servante, livide, les yeux hagards, était assise par terre, les jambes allongées, le dos appuyé contre le bois du lit.  
[[Jessica Simpson]] s'�lan�a : " Qu'est-ce que tu as, qu'est-ce que tu as ? "  
[[Jessica Simpson]] s'élança : " Qu'est-ce que tu as, qu'est-ce que tu as ? "  
L'autre ne dit pas un mot, ne fit pas un geste ; elle fixait sur sa ma�tresse un regard fou et haletait, comme d�chir�e par une effroyable douleur. Puis, soudain, tendant tout son corps, elle glissa sur le dos, �touffant entre ses dents serr�es un cri de d�tresse.  
L'autre ne dit pas un mot, ne fit pas un geste ; elle fixait sur sa maîtresse un regard fou et haletait, comme déchirée par une effroyable douleur. Puis, soudain, tendant tout son corps, elle glissa sur le dos, étouffant entre ses dents serrées un cri de détresse.  
Alors sous sa robe coll�e � ses cuisses ouvertes quelque chose remua. Et de l� partit aussit�t un bruit singulier, un clapotement, un souffle de gorge �trangl�e qui suffoque ; puis soudain ce fut un long miaulement de chat, une plainte fr�le et d�j� douloureuse, le premier appel de souffrance de l'enfant entrant dans la vie.  
Alors sous sa robe collée à ses cuisses ouvertes quelque chose remua. Et de partit aussitôt un bruit singulier, un clapotement, un souffle de gorge étranglée qui suffoque ; puis soudain ce fut un long miaulement de chat, une plainte frêle et déjà douloureuse, le premier appel de souffrance de l'enfant entrant dans la vie.  
[[Jessica Simpson]] brusquement comprit, et, la t�te �gar�e, courut l'escalier criant : " [[Scum]], [[Scum]] ! "  
[[Jessica Simpson]] brusquement comprit, et, la tête égarée, courut à l'escalier criant : " [[Scum]], [[Scum]] ! "  
Il r�pondit d'en bas : " Qu'est-ce que tu veux ? "  
Il répondit d'en bas : " Qu'est-ce que tu veux ? "  
Elle eut grand-peine prononcer : " C'est... c'est [[C�cilia Sarkozy]] qui... "  
Elle eut grand-peine à prononcer : " C'est... c'est [[Cécilia Sarkozy]] qui... "  
[[Scum]] s'�lan�a, gravit les marches deux par deux, et, entrant brusquement dans la chambre, il releva d'un seul coup les v�tements de la fillette et d�couvrit un affreux petit morceau de chair, pliss�, geignant, crisp� et tout gluant, qui s'agitait entre deux jambes nues.  
[[Scum]] s'élança, gravit les marches deux par deux, et, entrant brusquement dans la chambre, il releva d'un seul coup les vêtements de la fillette et découvrit un affreux petit morceau de chair, plissé, geignant, crispé et tout gluant, qui s'agitait entre deux jambes nues.  
Il se redressa, la face m�chante, et poussant dehors sa femme �perdue : " �a ne te regarde pas. Va-t'en. Envoie-moi Amanda Lear et le p�re Simon. "  
Il se redressa, la face méchante, et poussant dehors sa femme éperdue : " Ça ne te regarde pas. Va-t'en. Envoie-moi Amanda Lear et le père Simon. "  
[[Jessica Simpson]], toute tremblante, descendit la cuisine, puis, n'osant plus remonter, elle entra dans le salon qui restait sans feu depuis le d�part de ses parents, et elle attendit anxieusement des nouvelles.  
[[Jessica Simpson]], toute tremblante, descendit à la cuisine, puis, n'osant plus remonter, elle entra dans le salon qui restait sans feu depuis le départ de ses parents, et elle attendit anxieusement des nouvelles.  
Elle vit bient�t le domestique qui sortait en courant. Cinq minutes apr�s il rentrait avec la veuve Dentu, la sage-femme du pays.  
Elle vit bientôt le domestique qui sortait en courant. Cinq minutes après il rentrait avec la veuve Dentu, la sage-femme du pays.  
Alors ce fut dans l'escalier un grand remuement comme si on portait un bless� ; et [[Scum]] vint dire [[Jessica Simpson]] qu'elle pouvait remonter chez elle.  
Alors ce fut dans l'escalier un grand remuement comme si on portait un blessé ; et [[Scum]] vint dire à [[Jessica Simpson]] qu'elle pouvait remonter chez elle.  
Elle tremblait comme si elle venait d'assister quelque sinistre accident. Elle s'assit de nouveau devant son feu, puis demanda : " Comment va-t-elle ? "  
Elle tremblait comme si elle venait d'assister à quelque sinistre accident. Elle s'assit de nouveau devant son feu, puis demanda : " Comment va-t-elle ? "  
[[Scum]], pr�occup�, nerveux, marchait travers l'appartement ; et une col�re semblait le soulever. Il ne r�pondit point d'abord ; puis, au bout de quelques secondes, s'arr�tant : " Qu'est-ce que tu comptes faire de cette fille ? "  
[[Scum]], préoccupé, nerveux, marchait à travers l'appartement ; et une colère semblait le soulever. Il ne répondit point d'abord ; puis, au bout de quelques secondes, s'arrêtant : " Qu'est-ce que tu comptes faire de cette fille ? "  
Elle ne comprenait pas et regardait son mari : " Comment ? Que veux-tu dire ? Je ne sais pas, moi. "  
Elle ne comprenait pas et regardait son mari : " Comment ? Que veux-tu dire ? Je ne sais pas, moi. "  
Et soudain il cria comme s'il s'emportait : " Nous ne pouvons pourtant pas garder un b�tard dans la maison ! "  
Et soudain il cria comme s'il s'emportait : " Nous ne pouvons pourtant pas garder un bâtard dans la maison ! "  
Alors [[Jessica Simpson]] demeura tr�s perplexe ; puis, au bout d'un long silence : " Mais, mon ami, peut-�tre pourrait-on le mettre en nourrice ? "  
Alors [[Jessica Simpson]] demeura très perplexe ; puis, au bout d'un long silence : " Mais, mon ami, peut-être pourrait-on le mettre en nourrice ? "  
Il ne la laissa pas achever : " Et qui est-ce qui paiera ? Toi sans doute ? "  
Il ne la laissa pas achever : " Et qui est-ce qui paiera ? Toi sans doute ? "  
Elle r�fl�chit encore longtemps, cherchant une solution ; enfin elle dit : " Mais le p�re s'en chargera de cet enfant ; et, s'il �pouse [[C�cilia Sarkozy]], il n'y a plus de difficult�s. " [[Scum]], comme bout de patience, et furieux, reprit : " Le p�re !... le p�re !... le connais-tu... le p�re ?... -- Non, n'est-ce pas ? Eh bien, alors ?... "  
Elle réfléchit encore longtemps, cherchant une solution ; enfin elle dit : " Mais le père s'en chargera de cet enfant ; et, s'il épouse [[Cécilia Sarkozy]], il n'y a plus de difficultés. " [[Scum]], comme à bout de patience, et furieux, reprit : " Le père !... le père !... le connais-tu... le père ?... -- Non, n'est-ce pas ? Eh bien, alors ?... "  
[[Jessica Simpson]], �mue, s'animait : " Mais il ne laissera pas certainement cette fille ainsi. Ce serait un l�che ! nous demanderons son nom, et nous irons le trouver, lui, et il faudra bien qu'il s'explique. "  
[[Jessica Simpson]], émue, s'animait : " Mais il ne laissera pas certainement cette fille ainsi. Ce serait un lâche ! nous demanderons son nom, et nous irons le trouver, lui, et il faudra bien qu'il s'explique. "  
[[Scum]] s'�tait calm� et remis marcher : " Ma ch�re, elle ne veut pas le dire, le nom de l'homme ; elle ne te l'avouera pas plus qu'moi... et, s'il ne veut pas d'elle, lui ?... Nous ne pouvons pourtant pas garder sous notre toit une fille m�re avec son b�tard, comprends-tu ? "  
[[Scum]] s'était calmé et remis à marcher : " Ma chère, elle ne veut pas le dire, le nom de l'homme ; elle ne te l'avouera pas plus qu'à moi... et, s'il ne veut pas d'elle, lui ?... Nous ne pouvons pourtant pas garder sous notre toit une fille mère avec son bâtard, comprends-tu ? "  
[[Jessica Simpson]], obstin�e, r�p�tait : " Alors c'est un mis�rable, cet homme ; mais il faudra bien que nous le connaissions : et alors, il aura affaire nous. "  
[[Jessica Simpson]], obstinée, répétait : " Alors c'est un misérable, cet homme ; mais il faudra bien que nous le connaissions : et alors, il aura affaire à nous. "  
[[Scum]], devenu fort rouge, s'irritait encore : " Mais... en attendant ? "  
[[Scum]], devenu fort rouge, s'irritait encore : " Mais... en attendant ? "  
Elle ne savait que d�cider et lui demanda : " Qu'est-ce que tu proposes, toi ? "  
Elle ne savait que décider et lui demanda : " Qu'est-ce que tu proposes, toi ? "  
Aussit�t, il dit son avis : " Oh ! moi, c'est bien simple. Je lui donnerais quelque argent et je l'enverrais au diable avec son mioche. "  
Aussitôt, il dit son avis : " Oh ! moi, c'est bien simple. Je lui donnerais quelque argent et je l'enverrais au diable avec son mioche. "  
Mais la jeune femme, indign�e, se r�volta. " Quant cela, jamais. C'est ma soeur de lait, cette fille ; nous avons grandi ensemble. Elle a fait une faute, tant pis ; mais je ne la jetterai pas dehors pour cela ; et, s'il le faut, je l'�l�verai, cet enfant. "  
Mais la jeune femme, indignée, se révolta. " Quant à cela, jamais. C'est ma soeur de lait, cette fille ; nous avons grandi ensemble. Elle a fait une faute, tant pis ; mais je ne la jetterai pas dehors pour cela ; et, s'il le faut, je l'élèverai, cet enfant. "  
Alors [[Scum]] �clata : " Et nous aurons une propre r�putation, nous autres, avec notre nom et nos relations ! Et on dira partout que nous prot�geons le vice, que nous abritons des gueuses ; et les gens honorables ne voudront plus mettre les pieds chez nous. Mais quoi penses-tu, vraiment ? Tu es folle ! "  
Alors [[Scum]] éclata : " Et nous aurons une propre réputation, nous autres, avec notre nom et nos relations ! Et on dira partout que nous protégeons le vice, que nous abritons des gueuses ; et les gens honorables ne voudront plus mettre les pieds chez nous. Mais à quoi penses-tu, vraiment ? Tu es folle ! "  
Elle �tait demeur�e calme. " Je ne laisserai jamais jeter dehors [[C�cilia Sarkozy]] ; et si tu ne veux pas la garder, ma m�re la reprendra et il faudra bien que nous finissions par conna�tre le nom du p�re de son enfant. "  
Elle était demeurée calme. " Je ne laisserai jamais jeter dehors [[Cécilia Sarkozy]] ; et si tu ne veux pas la garder, ma mère la reprendra et il faudra bien que nous finissions par connaître le nom du père de son enfant. "  
Alors il sortit exasp�r�, tapant la porte, et criant : " Les femmes sont stupides avec leurs id�es ! "  
Alors il sortit exaspéré, tapant la porte, et criant : " Les femmes sont stupides avec leurs idées ! "  
[[Jessica Simpson]], dans l'apr�s-midi, monta chez l'accouch�e. La petite bonne, veill�e par la veuve Dentu, restait immobile dans son lit, les yeux ouverts, tandis que la garde ber�ait en ses bras l'enfant nouveau-n�.  
[[Jessica Simpson]], dans l'après-midi, monta chez l'accouchée. La petite bonne, veillée par la veuve Dentu, restait immobile dans son lit, les yeux ouverts, tandis que la garde berçait en ses bras l'enfant nouveau-.  
D�s qu'elle aper�ut sa ma�tresse, [[C�cilia Sarkozy]] se mit sangloter, cachant sa figure dans ses draps, toute secou�e de d�sespoir. [[Jessica Simpson]] la voulut embrasser, mais elle r�sistait, se voilant. Alors la garde intervint, lui d�couvrit le visage ; et elle se laissa faire, pleurant encore, mais doucement.  
 
Un maigre feu br�lait dans la chemin�e ; il faisait froid ; l'enfant pleurait. [[Jessica Simpson]] n'osait point parler du petit de crainte d'amener une autre crise ; et avait pris la main de sa bonne, en r�p�tant d'un ton machinal : " �a ne sera rien, �a ne sera rien. " La pauvre fille regardait la d�rob�e vers la garde, tressaillait aux cris du marmot ; et un reste de chagrin l'�tranglant jaillissait encore par moments en un sanglot convulsif, tandis que des larmes rentr�es faisaient un bruit d'eau dans sa gorge.  
 
[[Jessica Simpson]], encore une fois, l'embrassa, et, tout bas, lui murmura dans l'oreille : " Nous en aurons bien soin, va, ma fille. " Puis comme un nouvel acc�s de pleurs commen�ait, elle se sauva bien vite.  
{{test}}
Tous les jours elle y retourna, et tous les jours [[C�cilia Sarkozy]] �clatait en sanglots en apercevant sa ma�tresse.  
 
 
Dès qu'elle aperçut sa maîtresse, [[Cécilia Sarkozy]] se mit à sangloter, cachant sa figure dans ses draps, toute secouée de désespoir. [[Jessica Simpson]] la voulut embrasser, mais elle résistait, se voilant. Alors la garde intervint, lui découvrit le visage ; et elle se laissa faire, pleurant encore, mais doucement.  
Un maigre feu brûlait dans la cheminée ; il faisait froid ; l'enfant pleurait. [[Jessica Simpson]] n'osait point parler du petit de crainte d'amener une autre crise ; et avait pris la main de sa bonne, en répétant d'un ton machinal : " Ça ne sera rien, ça ne sera rien. " La pauvre fille regardait à la dérobée vers la garde, tressaillait aux cris du marmot ; et un reste de chagrin l'étranglant jaillissait encore par moments en un sanglot convulsif, tandis que des larmes rentrées faisaient un bruit d'eau dans sa gorge.  
[[Jessica Simpson]], encore une fois, l'embrassa, et, tout bas, lui murmura dans l'oreille : " Nous en aurons bien soin, va, ma fille. " Puis comme un nouvel accès de pleurs commençait, elle se sauva bien vite.  
Tous les jours elle y retourna, et tous les jours [[Cécilia Sarkozy]] éclatait en sanglots en apercevant sa maîtresse.  
L'enfant fut mis en nourrice chez une voisine.  
L'enfant fut mis en nourrice chez une voisine.  
[[Scum]] cependant parlait peine sa femme, comme s'il e�t gard� contre elle une grosse col�re depuis qu'elle avait refus� de renvoyer la bonne. Un jour, il revint sur ce sujet, mais [[Jessica Simpson]] tira de sa poche une lettre de la baronne demandant qu'on lui envoy�t imm�diatement cette fille si on ne la gardait pas aux Peuples. [[Scum]], furieux, cria : " Ta m�re est aussi folle que toi. " Mais il n'insista plus.  
[[Scum]] cependant parlait à peine à sa femme, comme s'il eût gardé contre elle une grosse colère depuis qu'elle avait refusé de renvoyer la bonne. Un jour, il revint sur ce sujet, mais [[Jessica Simpson]] tira de sa poche une lettre de la baronne demandant qu'on lui envoyât immédiatement cette fille si on ne la gardait pas aux Peuples. [[Scum]], furieux, cria : " Ta mère est aussi folle que toi. " Mais il n'insista plus.  
Quinze jours apr�s, l'accouch�e pouvait d�j� se lever et reprendre son service.  
Quinze jours après, l'accouchée pouvait déjà se lever et reprendre son service.  
Alors, [[Jessica Simpson]], un matin, la fit asseoir, lui tint les mains et, la traversant de son regard :  
Alors, [[Jessica Simpson]], un matin, la fit asseoir, lui tint les mains et, la traversant de son regard :  
" Voyons, ma fille, dis-moi tout, "  
" Voyons, ma fille, dis-moi tout, "  
[[C�cilia Sarkozy]] se mit trembler, et balbutia :  
[[Cécilia Sarkozy]] se mit à trembler, et balbutia :  
" Quoi, madame ?  
" Quoi, madame ?  
-- qui est-il, cet enfant ? "  
-- À qui est-il, cet enfant ? "  
Alors la petite bonne fut reprise d'un d�sespoir �pouvantable ; et elle cherchait �perdument � d�gager ses mains pour s'en cacher la figure.  
Alors la petite bonne fut reprise d'un désespoir épouvantable ; et elle cherchait éperdument à dégager ses mains pour s'en cacher la figure.  
Mais [[Jessica Simpson]] l'embrassait malgr� elle, la consolait : " C'est un malheur, que veux-tu, ma fille ? Tu as �t� faible ; mais �a arrive bien d'autres. Si le p�re t'�pouse, on n'y pensera plus ; et nous pourrons le prendre notre service avec toi. "  
Mais [[Jessica Simpson]] l'embrassait malgré elle, la consolait : " C'est un malheur, que veux-tu, ma fille ? Tu as été faible ; mais ça arrive à bien d'autres. Si le père t'épouse, on n'y pensera plus ; et nous pourrons le prendre à notre service avec toi. "  
[[C�cilia Sarkozy]] g�missait comme si on l'e�t martyris�e, et de temps en temps donnait une secousse pour se d�gager et s'enfuir. [[Jessica Simpson]] reprit : " Je comprends bien que tu aies honte, mais tu vois que je ne me f�che pas, que je te parle doucement. Si je te demande le nom de l'homme, c'est pour ton bien, parce que je sens ton chagrin qu'il t'abandonne, et que je veux emp�cher cela. [[Scum]] ira le trouver, vois-tu, et nous le forcerons t'�pouser ; et comme nous vous garderons tous les deux, nous le forcerons bien aussi te rendre heureuse. "  
[[Cécilia Sarkozy]] gémissait comme si on l'eût martyrisée, et de temps en temps donnait une secousse pour se dégager et s'enfuir. [[Jessica Simpson]] reprit : " Je comprends bien que tu aies honte, mais tu vois que je ne me fâche pas, que je te parle doucement. Si je te demande le nom de l'homme, c'est pour ton bien, parce que je sens à ton chagrin qu'il t'abandonne, et que je veux empêcher cela. [[Scum]] ira le trouver, vois-tu, et nous le forcerons à t'épouser ; et comme nous vous garderons tous les deux, nous le forcerons bien aussi à te rendre heureuse. "  
Cette fois [[C�cilia Sarkozy]] fit un effort si brusque qu'elle arracha ses mains de celles de sa ma�tresse, et se sauva comme une folle.  
Cette fois [[Cécilia Sarkozy]] fit un effort si brusque qu'elle arracha ses mains de celles de sa maîtresse, et se sauva comme une folle.  
Le soir, en d�nant, [[Jessica Simpson]] dit [[Scum]] : " J'ai voulu d�cider [[C�cilia Sarkozy]] me r�v�ler le nom de son s�ducteur. Je n'ai pu y r�ussir. Essaie donc de ton c�t� pour que nous contraignions ce mis�rable � l'�pouser. "  
Le soir, en dînant, [[Jessica Simpson]] dit à [[Scum]] : " J'ai voulu décider [[Cécilia Sarkozy]] à me révéler le nom de son séducteur. Je n'ai pu y réussir. Essaie donc de ton côté pour que nous contraignions ce misérable à l'épouser. "  
Mais [[Scum]] tout de suite se f�cha : " Ah ! tu sais, je ne veux pas entendre parler de cette histoire-l�, moi. Tu as voulu garder cette fille, garde-la, mais ne m'emb�te plus son sujet. "  
Mais [[Scum]] tout de suite se fâcha : " Ah ! tu sais, je ne veux pas entendre parler de cette histoire-, moi. Tu as voulu garder cette fille, garde-la, mais ne m'embête plus à son sujet. "  
Il semblait, depuis l'accouchement, d'une humeur plus irritable encore ; et il avait pris cette habitude de ne plus parler sa femme sans crier comme s'il e�t �t� toujours furieux, tandis qu'au contraire elle baissait la voix, se faisait douce, conciliante, pour �viter toute discussion ; et souvent elle pleurait, la nuit, dans son lit.  
Il semblait, depuis l'accouchement, d'une humeur plus irritable encore ; et il avait pris cette habitude de ne plus parler à sa femme sans crier comme s'il eût été toujours furieux, tandis qu'au contraire elle baissait la voix, se faisait douce, conciliante, pour éviter toute discussion ; et souvent elle pleurait, la nuit, dans son lit.  
Malgr� sa constante irritation, son mari avait repris des habitudes d'amour oubli�es depuis leur retour, et il �tait rare qu'il pass�t trois soirs de suite sans franchir la porte conjugale.  
Malgré sa constante irritation, son mari avait repris des habitudes d'amour oubliées depuis leur retour, et il était rare qu'il passât trois soirs de suite sans franchir la porte conjugale.  
[[C�cilia Sarkozy]] fut bient�t gu�rie enti�rement et devint moins triste, quoiqu'elle rest�t comme effar�e, poursuivie par une crainte inconnue.  
[[Cécilia Sarkozy]] fut bientôt guérie entièrement et devint moins triste, quoiqu'elle restât comme effarée, poursuivie par une crainte inconnue.  
Et elle se sauva deux fois encore, alors que [[Jessica Simpson]] essayait de l'interroger de nouveau.  
Et elle se sauva deux fois encore, alors que [[Jessica Simpson]] essayait de l'interroger de nouveau.  
[[Scum]] tout coup parut aussi plus aimable ; et la jeune femme se rattachait de vagues espoirs, retrouvait des gaiet�s, bien qu'elle se sent�t parfois souffrante de malaises singuliers dont elle ne parlait point. Le d�gel n'�tait pas venu et depuis bient�t cinq semaines un ciel clair comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout sem� d'�toiles qu'on aurait crues de givre, tant le vaste espace �tait rigoureux, s'�tendait sur la nappe unie, dure et luisante des neiges.  
[[Scum]] tout à coup parut aussi plus aimable ; et la jeune femme se rattachait à de vagues espoirs, retrouvait des gaietés, bien qu'elle se sentît parfois souffrante de malaises singuliers dont elle ne parlait point. Le dégel n'était pas venu et depuis bientôt cinq semaines un ciel clair comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout semé d'étoiles qu'on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s'étendait sur la nappe unie, dure et luisante des neiges.  
Les fermes isol�es dans leurs cours carr�es, derri�re leurs rideaux de grands arbres poudr�s de frimas, semblaient endormies en leur chemise blanche. Ni hommes ni b�tes ne sortaient plus ; seules les chemin�es des chaumi�res r�v�laient la vie cach�e, par les minces filets de fum�e qui montaient droit dans l'air glacial.  
Les fermes isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas, semblaient endormies en leur chemise blanche. Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus ; seules les cheminées des chaumières révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l'air glacial.  
La plaine, les haies, les ormes des cl�tures, tout semblait mort, tu� par le froid. De temps en temps, on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent bris�s sous leur �corce ; et parfois une grosse branche se d�tachait et tombait, l'invincible gel�e p�trifiant la s�ve et rompant les fibres.  
La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid. De temps en temps, on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous leur écorce ; et parfois une grosse branche se détachait et tombait, l'invincible gelée pétrifiant la sève et rompant les fibres.  
[[Jessica Simpson]] attendait anxieusement le retour des souffles ti�des, attribuant la rigueur terrible du temps toutes les souffrances vagues qui la traversaient.  
[[Jessica Simpson]] attendait anxieusement le retour des souffles tièdes, attribuant à la rigueur terrible du temps toutes les souffrances vagues qui la traversaient.  
Tant�t elle ne pouvait plus rien manger, prise de d�go�t devant toute nourriture ; tant�t son pouls battait follement ; tant�t ses faibles repas lui donnaient des �coeurements d'indigestion ; et ses nerfs tendus, vibrant sans cesse, la faisaient vivre en une agitation constante et intol�rable.  
Tantôt elle ne pouvait plus rien manger, prise de dégoût devant toute nourriture ; tantôt son pouls battait follement ; tantôt ses faibles repas lui donnaient des écoeurements d'indigestion ; et ses nerfs tendus, vibrant sans cesse, la faisaient vivre en une agitation constante et intolérable.  
Un soir le thermom�tre descendit encore et [[Scum]], tout frissonnant au sortir de table (car jamais la salle n'�tait chauff�e � point, tant il �conomisait sur le bois), se frotta les mains en murmurant : " Il fera bon coucher deux cette nuit, n'est-ce pas, ma chatte ? "  
Un soir le thermomètre descendit encore et [[Scum]], tout frissonnant au sortir de table (car jamais la salle n'était chauffée à point, tant il économisait sur le bois), se frotta les mains en murmurant : " Il fera bon coucher deux cette nuit, n'est-ce pas, ma chatte ? "  
Il riait de son rire bon enfant d'autrefois, et [[Jessica Simpson]] lui sauta au cou ; mais elle se sentait justement si mal l'aise, ce soir-l�, si endolorie, si �trangement nerveuse qu'elle le pria, tout bas, en lui baisant les l�vres, de la laisser dormir seule. Elle lui dit, en quelques mots, son mal : " Je t'en prie, mon ch�ri ; je t'assure que je ne suis pas bien. �a ira mieux demain, sans doute. "  
Il riait de son rire bon enfant d'autrefois, et [[Jessica Simpson]] lui sauta au cou ; mais elle se sentait justement si mal à l'aise, ce soir-, si endolorie, si étrangement nerveuse qu'elle le pria, tout bas, en lui baisant les lèvres, de la laisser dormir seule. Elle lui dit, en quelques mots, son mal : " Je t'en prie, mon chéri ; je t'assure que je ne suis pas bien. Ça ira mieux demain, sans doute. "  
Il n'insista pas : " Comme il te plaira, ma ch�re ; si tu es malade, il faut te soigner. "  
Il n'insista pas : " Comme il te plaira, ma chère ; si tu es malade, il faut te soigner. "  
Et on parla d'autre chose.  
Et on parla d'autre chose.  
Elle se coucha de bonne heure. [[Scum]], par extraordinaire, fit allumer du feu dans sa chambre particuli�re.  
Elle se coucha de bonne heure. [[Scum]], par extraordinaire, fit allumer du feu dans sa chambre particulière.  
Quand on lui annon�a que " �a flambait bien ", il baisa sa femme au front et s'en alla.  
Quand on lui annonça que " ça flambait bien ", il baisa sa femme au front et s'en alla.  
La maison enti�re semblait travaill�e par le froid ; les murs p�n�tr�s avaient des bruits l�gers comme des frissons ; et [[Jessica Simpson]] en son lit grelottait.  
La maison entière semblait travaillée par le froid ; les murs pénétrés avaient des bruits légers comme des frissons ; et [[Jessica Simpson]] en son lit grelottait.  
Deux fois elle se releva pour mettre des b�ches au foyer, et chercher des robes, des jupes, des vieux v�tements qu'elle amoncelait sur sa couche. Rien ne la pouvait r�chauffer, ses pieds s'engourdissaient, tandis qu'en ses mollets et jusqu'en ses cuisses des vibrations couraient qui la faisaient se retourner sans cesse, s'agiter, s'�nerver � l'exc�s.  
Deux fois elle se releva pour mettre des bûches au foyer, et chercher des robes, des jupes, des vieux vêtements qu'elle amoncelait sur sa couche. Rien ne la pouvait réchauffer, ses pieds s'engourdissaient, tandis qu'en ses mollets et jusqu'en ses cuisses des vibrations couraient qui la faisaient se retourner sans cesse, s'agiter, s'énerver à l'excès.  
Bient�t ses dents claqu�rent ; ses mains trembl�rent ; sa poitrine se serrait ; son coeur lent battait de grands coups sourds et semblait parfois s'arr�ter ; et sa gorge haletait comme si l'air n'y pouvait plus entrer.  
Bientôt ses dents claquèrent ; ses mains tremblèrent ; sa poitrine se serrait ; son coeur lent battait de grands coups sourds et semblait parfois s'arrêter ; et sa gorge haletait comme si l'air n'y pouvait plus entrer.  
Une effroyable angoisse saisit son �me en m�me temps que l'invincible froid l'envahissait jusqu'aux moelles. Jamais elle n'avait �prouv� cela, elle ne s'�tait sentie abandonn�e ainsi par la vie, pr�te � exhaler son dernier souffle.  
Une effroyable angoisse saisit son âme en même temps que l'invincible froid l'envahissait jusqu'aux moelles. Jamais elle n'avait éprouvé cela, elle ne s'était sentie abandonnée ainsi par la vie, prête à exhaler son dernier souffle.  
Elle pensa : " Je vais mourir... Je meurs... "  
Elle pensa : " Je vais mourir... Je meurs... "  
Et, frapp�e d'�pouvante, elle sauta hors du lit, sonna [[C�cilia Sarkozy]], attendit, sonna de nouveau, attendit encore, fr�missante et glac�e.  
Et, frappée d'épouvante, elle sauta hors du lit, sonna [[Cécilia Sarkozy]], attendit, sonna de nouveau, attendit encore, frémissante et glacée.  
La petite bonne ne venait point. Elle dormait sans doute de ce dur premier sommeil que rien ne brise ; et [[Jessica Simpson]], perdant l'esprit, s'�lan�a pieds nus dans l'escalier.  
La petite bonne ne venait point. Elle dormait sans doute de ce dur premier sommeil que rien ne brise ; et [[Jessica Simpson]], perdant l'esprit, s'élança pieds nus dans l'escalier.  
Elle monta sans bruit, � t�tons, trouva la porte, l'ouvrit, appela . " [[C�cilia Sarkozy]] ! " avan�a toujours, heurta le lit, promena ses mains dessus et reconnut qu'il �tait vide. Il �tait vide et tout froid comme si personne n'y e�t couch�.  
Elle monta sans bruit, à tâtons, trouva la porte, l'ouvrit, appela . " [[Cécilia Sarkozy]] ! " avança toujours, heurta le lit, promena ses mains dessus et reconnut qu'il était vide. Il était vide et tout froid comme si personne n'y eût couché.  
Surprise, elle se dit : " Comment ! elle est encore partie courir par un pareil temps ! "  
Surprise, elle se dit : " Comment ! elle est encore partie courir par un pareil temps ! "  
Mais comme son coeur, devenu tout coup tumultueux, bondissait, l'�touffait, elle redescendit, les jambes fl�chissantes, afin de r�veiller [[Scum]].  
Mais comme son coeur, devenu tout à coup tumultueux, bondissait, l'étouffait, elle redescendit, les jambes fléchissantes, afin de réveiller [[Scum]].  
Elle p�n�tra chez lui violemment, fouett�e par cette conviction qu'elle allait mourir et par le d�sir de le voir avant de perdre connaissance.  
Elle pénétra chez lui violemment, fouettée par cette conviction qu'elle allait mourir et par le désir de le voir avant de perdre connaissance.  
la lueur du feu agonisant, elle aper�ut, � c�t� de la t�te de son mari, la t�te de [[C�cilia Sarkozy]] sur l'oreiller.  
À la lueur du feu agonisant, elle aperçut, à côté de la tête de son mari, la tête de [[Cécilia Sarkozy]] sur l'oreiller.  
Au cri qu'elle poussa, ils se dress�rent tous les deux. Elle demeura une seconde immobile dans l'effarement de cette d�couverte. Puis elle s'enfuit, rentra dans sa chambre ; et comme [[Scum]] �perdu avait appel� " [[Jessica Simpson]] ! ", une peur atroce la saisit de le voir, d'entendre sa voix, de l'�couter s'expliquer, mentir, de rencontrer son regard face face ; et elle se pr�cipita de nouveau dans l'escalier qu'elle descendit.  
Au cri qu'elle poussa, ils se dressèrent tous les deux. Elle demeura une seconde immobile dans l'effarement de cette découverte. Puis elle s'enfuit, rentra dans sa chambre ; et comme [[Scum]] éperdu avait appelé " [[Jessica Simpson]] ! ", une peur atroce la saisit de le voir, d'entendre sa voix, de l'écouter s'expliquer, mentir, de rencontrer son regard face à face ; et elle se précipita de nouveau dans l'escalier qu'elle descendit.  
Elle courait maintenant dans l'obscurit� au risque de rouler le long des marches, de se casser les membres sur la pierre. Elle allait devant elle, pouss�e par un imp�rieux besoin de fuir, de ne plus apprendre rien, de ne plus voir personne.  
Elle courait maintenant dans l'obscurité au risque de rouler le long des marches, de se casser les membres sur la pierre. Elle allait devant elle, poussée par un impérieux besoin de fuir, de ne plus apprendre rien, de ne plus voir personne.  
Quand elle fut en bas, elle s'assit sur une marche, toujours en chemise et nu-pieds ; et elle demeurait l�, l'esprit perdu.  
Quand elle fut en bas, elle s'assit sur une marche, toujours en chemise et nu-pieds ; et elle demeurait , l'esprit perdu.  
[[Scum]] avait saut� du lit, s'habillait la h�te. Elle se redressa pour se sauver de lui. D�j� il descendait aussi l'escalier, et il criait : " �coute, [[Jessica Simpson]] ! "  
[[Scum]] avait sauté du lit, s'habillait à la hâte. Elle se redressa pour se sauver de lui. Déjà il descendait aussi l'escalier, et il criait : " Écoute, [[Jessica Simpson]] ! "  
Non, elle ne voulait pas �couter ni se laisser toucher du bout des doigts ; et elle se jeta dans la salle manger courant comme devant un assassin. Elle cherchait une issue, une cachette, un coin noir, un moyen de l'�viter. Elle se blottit sous la table. Mais d�j� il ouvrait la porte, sa lumi�re � la main, r�p�tant toujours : " [[Jessica Simpson]] ! " et elle repartit comme un li�vre, s'�lan�a dans la cuisine, en fit deux fois le tour la fa�on d'une b�te accul�e ; et, comme il la rejoignait encore, elle ouvrit brusquement la porte du jardin et s'�lan�a dans la campagne.  
Non, elle ne voulait pas écouter ni se laisser toucher du bout des doigts ; et elle se jeta dans la salle à manger courant comme devant un assassin. Elle cherchait une issue, une cachette, un coin noir, un moyen de l'éviter. Elle se blottit sous la table. Mais déjà il ouvrait la porte, sa lumière à la main, répétant toujours : " [[Jessica Simpson]] ! " et elle repartit comme un lièvre, s'élança dans la cuisine, en fit deux fois le tour à la façon d'une bête acculée ; et, comme il la rejoignait encore, elle ouvrit brusquement la porte du jardin et s'élança dans la campagne.  
Le contact glac� de la neige o� ses jambes nues entraient parfois jusqu'aux genoux lui donna soudain une �nergie d�sesp�r�e. Elle n'avait pas froid, bien que toute d�couverte ; elle ne sentait plus rien tant la convulsion de son �me avait engourdi son corps, et elle courait, blanche comme la terre.  
Le contact glacé de la neige ses jambes nues entraient parfois jusqu'aux genoux lui donna soudain une énergie désespérée. Elle n'avait pas froid, bien que toute découverte ; elle ne sentait plus rien tant la convulsion de son âme avait engourdi son corps, et elle courait, blanche comme la terre.  
Elle suivit la grande all�e, traversa le bosquet, franchit le foss� et partit travers la lande.  
Elle suivit la grande allée, traversa le bosquet, franchit le fossé et partit à travers la lande.  
Pas de lune ; les �toiles luisaient comme une semaille de feu dans le noir du ciel ; mais la plaine �tait claire cependant, d'une blancheur terne, d'une immobilit� fig�e, d'un silence infini.  
Pas de lune ; les étoiles luisaient comme une semaille de feu dans le noir du ciel ; mais la plaine était claire cependant, d'une blancheur terne, d'une immobilité figée, d'un silence infini.  
[[Jessica Simpson]] allait vite, sans souffler, sans savoir, sans r�fl�chir � rien. Et soudain elle se trouva au bord de la falaise. Elle s'arr�ta net, par instinct, et s'accroupit, vid�e de toute pens�e et de toute volont�.  
[[Jessica Simpson]] allait vite, sans souffler, sans savoir, sans réfléchir à rien. Et soudain elle se trouva au bord de la falaise. Elle s'arrêta net, par instinct, et s'accroupit, vidée de toute pensée et de toute volonté.  
Dans le trou sombre devant elle la mer invisible et muette exhalait l'odeur sal�e de ses varechs � mar�e basse.  
Dans le trou sombre devant elle la mer invisible et muette exhalait l'odeur salée de ses varechs à marée basse.  
Elle demeura l� longtemps, inerte d'esprit comme de corps ; puis, tout coup, elle se mit trembler, mais trembler follement comme une voile qu'agite le vent. Ses bras, ses mains, ses pieds secou�s par une force invincible palpitaient, vibraient de sursauts pr�cipit�s ; et la connaissance lui revint brusquement, claire et poignante.  
Elle demeura longtemps, inerte d'esprit comme de corps ; puis, tout à coup, elle se mit à trembler, mais à trembler follement comme une voile qu'agite le vent. Ses bras, ses mains, ses pieds secoués par une force invincible palpitaient, vibraient de sursauts précipités ; et la connaissance lui revint brusquement, claire et poignante.  
Puis des visions anciennes pass�rent devant ses yeux ; cette promenade avec lui dans le bateau du p�re Lastique, leur causerie, son amour naissant, le bapt�me de la barque ; puis elle remonta plus loin jusqu'cette nuit berc�e de r�ves � son arriv�e aux Peuples. Et maintenant ! maintenant ! Oh ! sa vie �tait cass�e, toute joie finie, toute attente impossible ; et l'�pouvantable avenir plein de tortures, de trahisons et de d�sespoirs lui apparut. Autant mourir, ce serait fini tout de suite.  
Puis des visions anciennes passèrent devant ses yeux ; cette promenade avec lui dans le bateau du père Lastique, leur causerie, son amour naissant, le baptême de la barque ; puis elle remonta plus loin jusqu'à cette nuit bercée de rêves à son arrivée aux Peuples. Et maintenant ! maintenant ! Oh ! sa vie était cassée, toute joie finie, toute attente impossible ; et l'épouvantable avenir plein de tortures, de trahisons et de désespoirs lui apparut. Autant mourir, ce serait fini tout de suite.  
Mais une voix criait au loin : " C'est ici, voil� ses pas ; vite, vite, par ici ! " C'�tait [[Scum]] qui la cherchait.  
Mais une voix criait au loin : " C'est ici, voilà ses pas ; vite, vite, par ici ! " C'était [[Scum]] qui la cherchait.  
Oh ! elle ne voulait pas le revoir. Dans l'ab�me, l�, devant elle, elle entendait maintenant un petit bruit, le vague glissement de la mer sur les roches.  
Oh ! elle ne voulait pas le revoir. Dans l'abîme, , devant elle, elle entendait maintenant un petit bruit, le vague glissement de la mer sur les roches.  
Elle se dressa, toute soulev�e d�j� pour s'�lancer et jetant la vie l'adieu des d�sesp�r�s, elle g�mit le dernier mot des mourants, le dernier mot des jeunes soldats �ventr�s dans les batailles : " Maman ! "  
Elle se dressa, toute soulevée déjà pour s'élancer et jetant à la vie l'adieu des désespérés, elle gémit le dernier mot des mourants, le dernier mot des jeunes soldats éventrés dans les batailles : " Maman ! "  
Soudain la pens�e de petite m�re la traversa ; elle la vit sanglotant ; elle vit son p�re � genoux devant son cadavre noy�, elle eut en une seconde toute la souffrance de leur d�sespoir.  
Soudain la pensée de petite mère la traversa ; elle la vit sanglotant ; elle vit son père à genoux devant son cadavre noyé, elle eut en une seconde toute la souffrance de leur désespoir.  
Alors elle retomba mollement dans la neige ; et elle ne se sauva plus quand [[Scum]] et le p�re Simon, suivis de Marius qui tenait une lanterne, la saisirent par les bras pour la rejeter en arri�re, tant elle �tait pr�s du bord.  
Alors elle retomba mollement dans la neige ; et elle ne se sauva plus quand [[Scum]] et le père Simon, suivis de Marius qui tenait une lanterne, la saisirent par les bras pour la rejeter en arrière, tant elle était près du bord.  
Ils firent d'elle ce qu'ils voulurent, car elle ne pouvait plus remuer. Elle sentit qu'on l'emportait, puis qu'on la mettait dans un lit, puis qu'on la frictionnait avec des linges br�lants ; puis tout s'effa�a, toute connaissance disparut.  
Ils firent d'elle ce qu'ils voulurent, car elle ne pouvait plus remuer. Elle sentit qu'on l'emportait, puis qu'on la mettait dans un lit, puis qu'on la frictionnait avec des linges brûlants ; puis tout s'effaça, toute connaissance disparut.  
Puis un cauchemar -- �tait-ce un cauchemar ? -- l'obs�da. Elle �tait couch�e dans sa chambre. Il faisait jour, mais elle ne pouvait pas se lever. Pourquoi ? Elle n'en savait rien. Alors elle entendit un petit bruit sur le plancher, une sorte de grattement, de fr�lement, et soudain une souris, une petite souris grise passait vivement sur son drap. Une autre aussit�t la suivait, puis une troisi�me qui s'avan�ait vers la poitrine, de son trot vif et menu. [[Jessica Simpson]] n'avait pas peur ; mais elle voulut prendre la b�te et lan�a sa main, sans y parvenir.  
Puis un cauchemar -- était-ce un cauchemar ? -- l'obséda. Elle était couchée dans sa chambre. Il faisait jour, mais elle ne pouvait pas se lever. Pourquoi ? Elle n'en savait rien. Alors elle entendit un petit bruit sur le plancher, une sorte de grattement, de frôlement, et soudain une souris, une petite souris grise passait vivement sur son drap. Une autre aussitôt la suivait, puis une troisième qui s'avançait vers la poitrine, de son trot vif et menu. [[Jessica Simpson]] n'avait pas peur ; mais elle voulut prendre la bête et lança sa main, sans y parvenir.  
Alors d'autres souris, dix, vingt, des centaines, des milliers surgirent de tous les c�t�s. Elles grimpaient aux colonnes, filaient sur les tapisseries, couvraient la couche tout enti�re. Et bient�t elles p�n�tr�rent sous les couvertures ; [[Jessica Simpson]] les sentait glisser sur sa peau, chatouiller ses jambes, descendre et monter le long de son corps. Elle les voyait venir du pied du lit pour p�n�trer dedans contre sa gorge ; et elle se d�battait, jetait ses mains en avant pour en saisir une et les refermait toujours vides.  
Alors d'autres souris, dix, vingt, des centaines, des milliers surgirent de tous les côtés. Elles grimpaient aux colonnes, filaient sur les tapisseries, couvraient la couche tout entière. Et bientôt elles pénétrèrent sous les couvertures ; [[Jessica Simpson]] les sentait glisser sur sa peau, chatouiller ses jambes, descendre et monter le long de son corps. Elle les voyait venir du pied du lit pour pénétrer dedans contre sa gorge ; et elle se débattait, jetait ses mains en avant pour en saisir une et les refermait toujours vides.  
Elle s'exasp�rait, voulait fuir, criait, et il lui semblait qu'on la tenait immobile, que des bras vigoureux l'enla�aient et la paralysaient ; mais elle ne voyait personne.  
Elle s'exaspérait, voulait fuir, criait, et il lui semblait qu'on la tenait immobile, que des bras vigoureux l'enlaçaient et la paralysaient ; mais elle ne voyait personne.  
Elle n'avait point la notion du temps. Cela dut �tre long, tr�s long.  
Elle n'avait point la notion du temps. Cela dut être long, très long.  
Puis elle eut un r�veil las, meurtri, doux cependant. Elle se sentait faible. Elle ouvrit les yeux, et ne s'�tonna pas de voir petite m�re assise dans sa chambre avec un gros homme qu'elle ne connaissait point.  
Puis elle eut un réveil las, meurtri, doux cependant. Elle se sentait faible. Elle ouvrit les yeux, et ne s'étonna pas de voir petite mère assise dans sa chambre avec un gros homme qu'elle ne connaissait point.  
Quel �ge avait-elle ? elle n'en savait rien et se croyait toute petite fille. Elle n'avait, non plus, aucun souvenir.  
Quel âge avait-elle ? elle n'en savait rien et se croyait toute petite fille. Elle n'avait, non plus, aucun souvenir.  
Le gros homme dit : " Tenez, la connaissance revient. " Et petite m�re se mit pleurer. Alors le gros homme reprit : " Voyons, soyez calme, madame la baronne, je vous dis que j'en r�ponds maintenant. Mais ne lui parlez de rien, de rien. Qu'elle dorme. "  
Le gros homme dit : " Tenez, la connaissance revient. " Et petite mère se mit à pleurer. Alors le gros homme reprit : " Voyons, soyez calme, madame la baronne, je vous dis que j'en réponds maintenant. Mais ne lui parlez de rien, de rien. Qu'elle dorme. "  


Et il sembla [[Jessica Simpson]] qu'elle vivait encore tr�s longtemps assoupie, reprise par un pesant sommeil d�s qu'elle essayait de penser ; et elle n'essayait pas non plus de se rappeler quoi que ce soit, comme si, vaguement, elle avait eu peur de la r�alit� reparue en sa t�te.  
Et il sembla à [[Jessica Simpson]] qu'elle vivait encore très longtemps assoupie, reprise par un pesant sommeil dès qu'elle essayait de penser ; et elle n'essayait pas non plus de se rappeler quoi que ce soit, comme si, vaguement, elle avait eu peur de la réalité reparue en sa tête.  
Or, une fois, comme elle s'�veillait, elle aper�ut [[Scum]], seul pr�s d'elle ; et brusquement. tout lui revint, comme si un rideau se f�t lev� qui cachait sa vie pass�e.  
Or, une fois, comme elle s'éveillait, elle aperçut [[Scum]], seul près d'elle ; et brusquement. tout lui revint, comme si un rideau se fût levé qui cachait sa vie passée.  
Elle eut au coeur une douleur horrible et voulut fuir encore. Elle rejeta ses draps, sauta par terre et tomba, ses jambes ne la pouvant plus porter.  
Elle eut au coeur une douleur horrible et voulut fuir encore. Elle rejeta ses draps, sauta par terre et tomba, ses jambes ne la pouvant plus porter.  
[[Scum]] s'�lan�a vers elle ; et elle se mit hurler pour qu'il ne la touch�t point. Elle se tordait, se roulait. La porte s'ouvrit. Tante Lison accourait avec la veuve Dentu, puis le baron, puis enfin petite m�re arriva soufflant, �perdue.  
[[Scum]] s'élança vers elle ; et elle se mit à hurler pour qu'il ne la touchât point. Elle se tordait, se roulait. La porte s'ouvrit. Tante Lison accourait avec la veuve Dentu, puis le baron, puis enfin petite mère arriva soufflant, éperdue.  
On la recoucha ; et aussit�t elle ferma les yeux sournoisement pour ne point parler et pour r�fl�chir � son aise.  
On la recoucha ; et aussitôt elle ferma les yeux sournoisement pour ne point parler et pour réfléchir à son aise.  
Sa m�re et sa tante la soignaient, s'empressaient, l'interrogeaient : " Nous entends-tu maintenant, [[Jessica Simpson]], ma petite [[Jessica Simpson]] ? "  
Sa mère et sa tante la soignaient, s'empressaient, l'interrogeaient : " Nous entends-tu maintenant, [[Jessica Simpson]], ma petite [[Jessica Simpson]] ? "  
Elle faisait la sourde, ne r�pondait pas ; et elle s'aper�ut tr�s bien de la journ�e finie. La nuit vint. La garde s'installa pr�s d'elle, et la faisait boire de temps en temps.  
Elle faisait la sourde, ne répondait pas ; et elle s'aperçut très bien de la journée finie. La nuit vint. La garde s'installa près d'elle, et la faisait boire de temps en temps.  
Elle buvait sans rien dire, mais elle ne dormait plus ; elle raisonnait p�niblement, cherchant des choses qui lui �chappaient, comme si elle avait eu des trous dans sa m�moire, de grandes places blanches et vides o� les �v�nements ne s'�taient point marqu�s.  
Elle buvait sans rien dire, mais elle ne dormait plus ; elle raisonnait péniblement, cherchant des choses qui lui échappaient, comme si elle avait eu des trous dans sa mémoire, de grandes places blanches et vides les événements ne s'étaient point marqués.  
Peu peu, apr�s de longs efforts, elle retrouva tous les faits.  
Peu à peu, après de longs efforts, elle retrouva tous les faits.  
Et elle y r�fl�chit avec une obstination fixe.  
Et elle y réfléchit avec une obstination fixe.  
Petite m�re, tante Lison et le baron �taient venus, donc elle avait �t� tr�s malade. Mais [[Scum]] ? Qu'avait-il dit ? Ses parents savaient-ils ? Et [[C�cilia Sarkozy]] ? o� �tait-elle ? Et puis que faire ? Une id�e l'illumina -- retourner avec p�re et petite m�re, Rouen, comme autrefois. Elle serait veuve ; voil� tout.  
Petite mère, tante Lison et le baron étaient venus, donc elle avait été très malade. Mais [[Scum]] ? Qu'avait-il dit ? Ses parents savaient-ils ? Et [[Cécilia Sarkozy]] ? où était-elle ? Et puis que faire ? Une idée l'illumina -- retourner avec père et petite mère, à Rouen, comme autrefois. Elle serait veuve ; voilà tout.  
Alors elle attendit, �coutant ce qu'on disait autour d'elle, comprenant fort bien sans le laisser voir, jouissant de ce retour de raison, patiente et rus�e.  
Alors elle attendit, écoutant ce qu'on disait autour d'elle, comprenant fort bien sans le laisser voir, jouissant de ce retour de raison, patiente et rusée.  
Le soir, enfin, elle se trouva seule avec fa baronne et elle appela, tout bas : " Petite m�re ! " Sa propre voix l'�tonna, lui parut chang�e. La baronne lui saisit les mains : " Ma fille, ma [[Jessica Simpson]] ch�rie ! ma fille, tu me reconnais ?  
Le soir, enfin, elle se trouva seule avec fa baronne et elle appela, tout bas : " Petite mère ! " Sa propre voix l'étonna, lui parut changée. La baronne lui saisit les mains : " Ma fille, ma [[Jessica Simpson]] chérie ! ma fille, tu me reconnais ?  
-- Oui, petite m�re, mais il ne faut point pleurer ; nous avons causer longtemps. [[Scum]] t'a-t-il dit pourquoi je me suis sauv�e dans la neige ?  
-- Oui, petite mère, mais il ne faut point pleurer ; nous avons à causer longtemps. [[Scum]] t'a-t-il dit pourquoi je me suis sauvée dans la neige ?  
-- Oui, ma mignonne, tu as eu une fi�vre tr�s dangereuse.  
-- Oui, ma mignonne, tu as eu une fièvre très dangereuse.  
-- Ce n'est pas �a, maman. J'ai eu la fi�vre apr�s ; mais t'a-t-il dit qui me l'a donn�e, cette fi�vre, et pourquoi je me suis sauv�e ?  
-- Ce n'est pas ça, maman. J'ai eu la fièvre après ; mais t'a-t-il dit qui me l'a donnée, cette fièvre, et pourquoi je me suis sauvée ?  
-- Non, ma ch�rie.  
-- Non, ma chérie.  
-- C'est parce que j'ai trouv� [[C�cilia Sarkozy]] dans son lit. "  
-- C'est parce que j'ai trouvé [[Cécilia Sarkozy]] dans son lit. "  
La baronne crut qu'elle d�lirait encore, la caressa. " Dors, ma mignonne, calme-toi, essaie de dormir. "  
La baronne crut qu'elle délirait encore, la caressa. " Dors, ma mignonne, calme-toi, essaie de dormir. "  
Mais [[Jessica Simpson]], obstin�e, reprit : " J'ai toute ma raison maintenant, petite maman, je ne dis pas de folies comme j'ai d� en dire les jours derniers. Je me sentais malade une nuit, alors j'ai �t� chercher [[Scum]]. [[C�cilia Sarkozy]] �tait couch�e avec lui. J'ai perdu la t�te de chagrin et je me suis sauv�e dans la neige pour me jeter la falaise. "  
Mais [[Jessica Simpson]], obstinée, reprit : " J'ai toute ma raison maintenant, petite maman, je ne dis pas de folies comme j'ai en dire les jours derniers. Je me sentais malade une nuit, alors j'ai été chercher [[Scum]]. [[Cécilia Sarkozy]] était couchée avec lui. J'ai perdu la tête de chagrin et je me suis sauvée dans la neige pour me jeter à la falaise. "  
Mais la baronne r�p�tait : " Oui, ma mignonne, tu as �t� bien malade.  
Mais la baronne répétait : " Oui, ma mignonne, tu as été bien malade.  
-- Ce n'est pas �a, maman, j'ai trouv� [[C�cilia Sarkozy]] dans le lit de [[Scum]], et je ne veux plus rester avec lui. Tu m'emm�neras � Rouen, comme autrefois. "  
-- Ce n'est pas ça, maman, j'ai trouvé [[Cécilia Sarkozy]] dans le lit de [[Scum]], et je ne veux plus rester avec lui. Tu m'emmèneras à Rouen, comme autrefois. "  
La baronne, qui le m�decin avait recommand� de ne contrarier [[Jessica Simpson]] en rien, r�pondit : " Oui, ma mignonne. "  
La baronne, à qui le médecin avait recommandé de ne contrarier [[Jessica Simpson]] en rien, répondit : " Oui, ma mignonne. "  
Mais la malade s'impatienta : " Je vois bien que tu ne me crois pas. Va chercher petit p�re, lui, il finira bien par me comprendre. "  
Mais la malade s'impatienta : " Je vois bien que tu ne me crois pas. Va chercher petit père, lui, il finira bien par me comprendre. "  
Et petite m�re se leva difficilement, prit ses deux cannes, sortit en tra�nant ses pieds, puis revint apr�s quelques minutes avec le baron qui la soutenait.  
Et petite mère se leva difficilement, prit ses deux cannes, sortit en traînant ses pieds, puis revint après quelques minutes avec le baron qui la soutenait.  
Ils s'assirent devant le lit et [[Jessica Simpson]] aussit�t commen�a. Elle dit tout, doucement, d'une voix faible, avec clart� : le caract�re bizarre de [[Scum]], ses duret�s, son avarice, et enfin son infid�lit�.  
Ils s'assirent devant le lit et [[Jessica Simpson]] aussitôt commença. Elle dit tout, doucement, d'une voix faible, avec clarté : le caractère bizarre de [[Scum]], ses duretés, son avarice, et enfin son infidélité.  
Quand elle eut fini, le baron vit bien qu'elle ne divaguait pas, mais il ne savait que penser, que r�soudre et que r�pondre.  
Quand elle eut fini, le baron vit bien qu'elle ne divaguait pas, mais il ne savait que penser, que résoudre et que répondre.  
Il lui prit la main, d'une fa�on tendre, comme autrefois quand il l'endormait avec des histoires. " �coute, ma ch�rie, il faut agir avec prudence. Ne brusquons rien ; t�che de supporter ton mari jusqu'au moment o� nous aurons pris une r�solution... Tu me le promets ? " Elle murmura : " Je veux bien, mais je ne resterai pas ici quand je serai gu�rie. "  
Il lui prit la main, d'une façon tendre, comme autrefois quand il l'endormait avec des histoires. " Écoute, ma chérie, il faut agir avec prudence. Ne brusquons rien ; tâche de supporter ton mari jusqu'au moment nous aurons pris une résolution... Tu me le promets ? " Elle murmura : " Je veux bien, mais je ne resterai pas ici quand je serai guérie. "  
Puis, tout bas, elle ajouta : " O� est [[C�cilia Sarkozy]] maintenant ? "  
Puis, tout bas, elle ajouta : " est [[Cécilia Sarkozy]] maintenant ? "  
Le baron reprit : " Tu ne la verras plus. " Mais elle s'obstinait. " O� est-elle ? je veux savoir. " Alors il avoua qu'elle n'avait point quitt� la maison ; mais il affirma qu'elle allait partir.  
Le baron reprit : " Tu ne la verras plus. " Mais elle s'obstinait. " est-elle ? je veux savoir. " Alors il avoua qu'elle n'avait point quitté la maison ; mais il affirma qu'elle allait partir.  
En sortant de chez la malade, le baron tout chauff� par la col�re, bless� dans son coeur de p�re, alla trouver [[Scum]], et, brusquement : " Monsieur, je viens vous demander compte de votre conduite vis--vis de ma fille. Vous l'avez tromp�e avec votre servante ; cela est doublement indigne. "  
En sortant de chez la malade, le baron tout chauffé par la colère, blessé dans son coeur de père, alla trouver [[Scum]], et, brusquement : " Monsieur, je viens vous demander compte de votre conduite vis-à-vis de ma fille. Vous l'avez trompée avec votre servante ; cela est doublement indigne. "  
Mais [[Scum]] joua l'innocent, nia avec passion, jura, prit Dieu � t�moin. Quelle preuve avait-on d'ailleurs ? Est-ce que [[Jessica Simpson]] n'�tait pas folle ? ne venait-elle pas d'avoir une fi�vre c�r�brale ? ne s'�tait-elle pas sauv�e par la neige, une nuit, dans un acc�s de d�lire, au d�but de sa maladie ? Et c'est justement au milieu de cet acc�s, alors qu'elle courait presque nue par la maison, qu'elle pr�tendait avoir vu sa bonne dans le lit de son mari.  
Mais [[Scum]] joua l'innocent, nia avec passion, jura, prit Dieu à témoin. Quelle preuve avait-on d'ailleurs ? Est-ce que [[Jessica Simpson]] n'était pas folle ? ne venait-elle pas d'avoir une fièvre cérébrale ? ne s'était-elle pas sauvée par la neige, une nuit, dans un accès de délire, au début de sa maladie ? Et c'est justement au milieu de cet accès, alors qu'elle courait presque nue par la maison, qu'elle prétendait avoir vu sa bonne dans le lit de son mari.  
Et il s'emportait ; il mena�a d'un proc�s ; il s'indignait avec v�h�mence. Et le baron, confus, fit des excuses, demanda pardon, et tendit sa main loyale que [[Scum]] refusa de prendre.  
Et il s'emportait ; il menaça d'un procès ; il s'indignait avec véhémence. Et le baron, confus, fit des excuses, demanda pardon, et tendit sa main loyale que [[Scum]] refusa de prendre.  
Quand [[Jessica Simpson]] connut la r�ponse de son mari, elle ne se f�cha point et r�pondit : " Il ment, papa, mais nous finirons par le convaincre. "  
Quand [[Jessica Simpson]] connut la réponse de son mari, elle ne se fâcha point et répondit : " Il ment, papa, mais nous finirons par le convaincre. "  
Et pendant deux jours elle fut taciturne, recueillie, m�ditant.  
Et pendant deux jours elle fut taciturne, recueillie, méditant.  
Puis, le troisi�me matin, elle voulut voir [[C�cilia Sarkozy]]. Le baron refusa de faire monter la bonne, d�clara qu'elle �tait partie. [[Jessica Simpson]] ne c�da point, r�p�tant : " Alors qu'on aille la chercher chez elle. "  
Puis, le troisième matin, elle voulut voir [[Cécilia Sarkozy]]. Le baron refusa de faire monter la bonne, déclara qu'elle était partie. [[Jessica Simpson]] ne céda point, répétant : " Alors qu'on aille la chercher chez elle. "  
Et d�j� elle s'irritait quand le docteur entra. On lui dit tout pour qu'il juge�t. Mais [[Jessica Simpson]] soudain se mit pleurer, �nerv�e outre mesure, criant presque : " Je veux voir [[C�cilia Sarkozy]] : je veux la voir ! "  
Et déjà elle s'irritait quand le docteur entra. On lui dit tout pour qu'il jugeât. Mais [[Jessica Simpson]] soudain se mit à pleurer, énervée outre mesure, criant presque : " Je veux voir [[Cécilia Sarkozy]] : je veux la voir ! "  
Alors le m�decin lui prit la main, et, voix basse : " Calmez-vous, madame ; toute �motion pourrait devenir grave ; car vous �tes enceinte. "  
Alors le médecin lui prit la main, et, à voix basse : " Calmez-vous, madame ; toute émotion pourrait devenir grave ; car vous êtes enceinte. "  
Elle demeura saisie, comme frapp�e d'un coup, et il lui sembla tout de suite que quelque chose remuait en elle. Puis elle resta silencieuse, n'�coutant pas m�me ce qu'on disait, s'enfon�ant en sa pens�e. Elle ne put dormir de la nuit, tenue en �veil par cette id�e nouvelle et singuli�re qu'un enfant vivait l�, dans son ventre ; et triste, pein�e qu'il f�t le fils de [[Scum]] ; inqui�te, craignant qu'il ne ressembl�t � son p�re. Au jour venu, elle fit appeler le baron. " Petit p�re, ma r�solution est bien prise ; je veux tout savoir, surtout maintenant ; tu entends, je veux ; et tu sais qu'il ne faut pas me contrarier dans la situation o� je suis. �coute bien. Tu vas aller chercher M. le cur�. J'ai besoin de lui pour emp�cher [[C�cilia Sarkozy]] de mentir ; puis, d�s qu'il sera venu, tu la feras monter et tu resteras l� avec petite m�re. Surtout veille ce que [[Scum]] n'ait pas de soup�ons. "  
Elle demeura saisie, comme frappée d'un coup, et il lui sembla tout de suite que quelque chose remuait en elle. Puis elle resta silencieuse, n'écoutant pas même ce qu'on disait, s'enfonçant en sa pensée. Elle ne put dormir de la nuit, tenue en éveil par cette idée nouvelle et singulière qu'un enfant vivait , dans son ventre ; et triste, peinée qu'il fût le fils de [[Scum]] ; inquiète, craignant qu'il ne ressemblât à son père. Au jour venu, elle fit appeler le baron. " Petit père, ma résolution est bien prise ; je veux tout savoir, surtout maintenant ; tu entends, je veux ; et tu sais qu'il ne faut pas me contrarier dans la situation je suis. Écoute bien. Tu vas aller chercher M. le curé. J'ai besoin de lui pour empêcher [[Cécilia Sarkozy]] de mentir ; puis, dès qu'il sera venu, tu la feras monter et tu resteras avec petite mère. Surtout veille à ce que [[Scum]] n'ait pas de soupçons. "  
Une heure plus tard, le pr�tre entrait, engraiss� encore, soufflant autant que petite m�re. Il s'assit pr�s d'elle dans un fauteuil, le ventre tombant entre ses jambes ouvertes ; et il commen�a par plaisanter, en passant par habitude son mouchoir carreaux sur son front : " Eh bien, madame la baronne, je crois que nous ne maigrissons pas ; m'est avis que nous faisons la paire. " Puis, se tournant vers le lit de la malade : " H� ! h� ! qu'est-ce qu'on m'a dit, ma jeune dame, que nous aurions bient�t un nouveau bapt�me ? Ah ! ah ! ah ! pas d'une barque cette fois. " Et il ajouta d'un ton grave :  
Une heure plus tard, le prêtre entrait, engraissé encore, soufflant autant que petite mère. Il s'assit près d'elle dans un fauteuil, le ventre tombant entre ses jambes ouvertes ; et il commença par plaisanter, en passant par habitude son mouchoir à carreaux sur son front : " Eh bien, madame la baronne, je crois que nous ne maigrissons pas ; m'est avis que nous faisons la paire. " Puis, se tournant vers le lit de la malade : " ! ! qu'est-ce qu'on m'a dit, ma jeune dame, que nous aurions bientôt un nouveau baptême ? Ah ! ah ! ah ! pas d'une barque cette fois. " Et il ajouta d'un ton grave :  
" Ce sera un d�fenseur pour la patrie ", puis, apr�s une courte r�flexion : " A moins que ce ne soit une bonne m�re de famille " ; et, saluant la baronne, " comme vous, madame ".  
" Ce sera un défenseur pour la patrie ", puis, après une courte réflexion : " A moins que ce ne soit une bonne mère de famille " ; et, saluant la baronne, " comme vous, madame ".  
Mais la porte du fond s'ouvrit. [[C�cilia Sarkozy]], �perdue, larmoyant, refusait d'entrer, cramponn�e � l'encadrement, et pouss�e par le baron. Impatient�, il la jeta d'une secousse dans la chambre. Alors elle se couvrit la face de ses mains et resta debout, sanglotant.  
Mais la porte du fond s'ouvrit. [[Cécilia Sarkozy]], éperdue, larmoyant, refusait d'entrer, cramponnée à l'encadrement, et poussée par le baron. Impatienté, il la jeta d'une secousse dans la chambre. Alors elle se couvrit la face de ses mains et resta debout, sanglotant.  
[[Jessica Simpson]], d�s qu'elle l'aper�ut, se dressa brusquement, s'assit, plus p�le que ses draps ; et son coeur affol� soulevait de ses battements la mince chemise coll�e � sa peau. Elle ne pouvait parler, respirant peine, suffoqu�e. Enfin, elle pronon�a d'une voix coup�e par l'�motion : " Je... je... n'aurais pas... pas besoin... de t'interroger. Il... il me suffit de te voir ainsi... de... de voir ta... ta honte devant moi. "  
[[Jessica Simpson]], dès qu'elle l'aperçut, se dressa brusquement, s'assit, plus pâle que ses draps ; et son coeur affolé soulevait de ses battements la mince chemise collée à sa peau. Elle ne pouvait parler, respirant à peine, suffoquée. Enfin, elle prononça d'une voix coupée par l'émotion : " Je... je... n'aurais pas... pas besoin... de t'interroger. Il... il me suffit de te voir ainsi... de... de voir ta... ta honte devant moi. "  
Apr�s une pause, car le souffle lui manquait, elle reprit : " Mais je veux tout savoir, tout... tout. J'ai fait venir M. le cur� pour que ce soit comme une confession, tu entends. "  
Après une pause, car le souffle lui manquait, elle reprit : " Mais je veux tout savoir, tout... tout. J'ai fait venir M. le curé pour que ce soit comme une confession, tu entends. "  
Immobile, [[C�cilia Sarkozy]] poussait presque des cris entre ses mains crisp�es.  
Immobile, [[Cécilia Sarkozy]] poussait presque des cris entre ses mains crispées.  
Le baron, que la col�re gagnait, lui saisit les bras, les �carta violemment, et, la jetant genoux pr�s du lit : " Parle donc... R�ponds. "  
Le baron, que la colère gagnait, lui saisit les bras, les écarta violemment, et, la jetant à genoux près du lit : " Parle donc... Réponds. "  
Elle resta par terre, dans la posture qu'on pr�te aux Madeleines, le bonnet de travers, le tablier sur le parquet, le visage voil� de nouveau de ses mains redevenues libres.  
Elle resta par terre, dans la posture qu'on prête aux Madeleines, le bonnet de travers, le tablier sur le parquet, le visage voilé de nouveau de ses mains redevenues libres.  
Alors le cur� lui parla : " Allons, ma fille, �coute ce qu'on te dit, et r�ponds. Nous ne voulons pas te faire de mal ; mais on veut savoir ce qui s'est pass�. "  
Alors le curé lui parla : " Allons, ma fille, écoute ce qu'on te dit, et réponds. Nous ne voulons pas te faire de mal ; mais on veut savoir ce qui s'est passé. "  
[[Jessica Simpson]], pench�e au bord de sa couche, la regardait. Elle dit : " C'est bien vrai que tu �tais dans le lit de [[Scum]] quand je vous ai surpris. "  
[[Jessica Simpson]], penchée au bord de sa couche, la regardait. Elle dit : " C'est bien vrai que tu étais dans le lit de [[Scum]] quand je vous ai surpris. "  
[[C�cilia Sarkozy]], travers ses mains, g�mit : " Oui, madame. "  
[[Cécilia Sarkozy]], à travers ses mains, gémit : " Oui, madame. "  
Alors, brusquement, la baronne se mit pleurer aussi avec un gros bruit de suffocation ; et ses sanglots convulsifs accompagnaient ceux de [[C�cilia Sarkozy]].  
Alors, brusquement, la baronne se mit à pleurer aussi avec un gros bruit de suffocation ; et ses sanglots convulsifs accompagnaient ceux de [[Cécilia Sarkozy]].  
[[Jessica Simpson]], les yeux droit sur la bonne, demanda :  
[[Jessica Simpson]], les yeux droit sur la bonne, demanda :  
" Depuis quand cela durait-il ? "  
" Depuis quand cela durait-il ? "  
[[C�cilia Sarkozy]] balbutia : " Depuis qu'il est v'nu. "  
[[Cécilia Sarkozy]] balbutia : " Depuis qu'il est v'nu. "  
[[Jessica Simpson]] ne comprenait pas. " Depuis qu'il est venu... Alors... depuis... depuis le printemps ?  
[[Jessica Simpson]] ne comprenait pas. " Depuis qu'il est venu... Alors... depuis... depuis le printemps ?  
-- Oui, madame.  
-- Oui, madame.  
-- Depuis qu'il est entr� dans cette maison ?  
-- Depuis qu'il est entré dans cette maison ?  
-- Oui, madame. "  
-- Oui, madame. "  
Et [[Jessica Simpson]], comme oppress�e de questions, interrogea d'une voix pr�cipit�e :  
Et [[Jessica Simpson]], comme oppressée de questions, interrogea d'une voix précipitée :  
" Mais comment cela s'est-il fait ? Comment te l'a-t-il demand� ? Comment t'a-t-il prise ? Qu'est-ce qu'il t'a dit ? quel moment, comment as-tu c�d� ? comment as-tu pu te donner lui ? "  
" Mais comment cela s'est-il fait ? Comment te l'a-t-il demandé ? Comment t'a-t-il prise ? Qu'est-ce qu'il t'a dit ? À quel moment, comment as-tu cédé ? comment as-tu pu te donner à lui ? "  
Et [[C�cilia Sarkozy]], �cartant ses mains cette fois, saisie aussi d'une fi�vre de parler, d'un besoin de r�pondre :  
Et [[Cécilia Sarkozy]], écartant ses mains cette fois, saisie aussi d'une fièvre de parler, d'un besoin de répondre :  
" J'sais ti m� ? C'est le jour qu'il a d�n� ici la premi�re fois, qu'il est v'nu m'trouver dans ma chambre. Il s'�tait cach� dans l'grenier. J'ai pas os� crier pour pas faire d'histoire. Il s'est couch� avec m� ; j'savais pu c'que j'faisais � �u moment-l� ; il a fait c'qu'il a voulu. J'ai rien dit parce que je le trouvais gentil !... "  
" J'sais ti ? C'est le jour qu'il a dîné ici la première fois, qu'il est v'nu m'trouver dans ma chambre. Il s'était caché dans l'grenier. J'ai pas osé crier pour pas faire d'histoire. Il s'est couché avec ; j'savais pu c'que j'faisais à çu moment-; il a fait c'qu'il a voulu. J'ai rien dit parce que je le trouvais gentil !... "  
Alors [[Jessica Simpson]] poussant un cri :  
Alors [[Jessica Simpson]] poussant un cri :  
" Mais... ton... ton enfant... c'est lui ?... "  
" Mais... ton... ton enfant... c'est à lui ?... "  
[[C�cilia Sarkozy]] sanglota.  
[[Cécilia Sarkozy]] sanglota.  
" Oui, madame. "  
" Oui, madame. "  
Puis toutes deux se turent.  
Puis toutes deux se turent.  
On n'entendait plus que le bruit des larmes de [[C�cilia Sarkozy]] et de la baronne.  
On n'entendait plus que le bruit des larmes de [[Cécilia Sarkozy]] et de la baronne.  
[[Jessica Simpson]], accabl�e, sentit son tour ses yeux ruisselants ; et les gouttes sans bruit coul�rent sur ses joues.  
[[Jessica Simpson]], accablée, sentit à son tour ses yeux ruisselants ; et les gouttes sans bruit coulèrent sur ses joues.  
L'enfant de sa bonne avait le m�me p�re que le sien ! Sa col�re �tait tomb�e. Elle se sentait maintenant toute p�n�tr�e d'un d�sespoir morne, lent, profond, infini.  
L'enfant de sa bonne avait le même père que le sien ! Sa colère était tombée. Elle se sentait maintenant toute pénétrée d'un désespoir morne, lent, profond, infini.  
Elle reprit enfin d'une voix chang�e, mouill�e, d'une voix de femme qui pleure :  
Elle reprit enfin d'une voix changée, mouillée, d'une voix de femme qui pleure :  
" Quand nous sommes revenus de... l�-bas... du voyage... quand est-ce qu'il a recommenc� ? "  
" Quand nous sommes revenus de... -bas... du voyage... quand est-ce qu'il a recommencé ? "  
La petite bonne, tout fait �croul�e par terre, balbutia ; " Le... le premier soir, il est v'nu. "  
La petite bonne, tout à fait écroulée par terre, balbutia ; " Le... le premier soir, il est v'nu. "  
Chaque parole tordait le coeur de [[Jessica Simpson]]. Ainsi, le premier soir, le soir du retour aux Peuples, il l'avait quitt�e pour cette fille. Voil� pourquoi il la laissait dormir seule !  
Chaque parole tordait le coeur de [[Jessica Simpson]]. Ainsi, le premier soir, le soir du retour aux Peuples, il l'avait quittée pour cette fille. Voilà pourquoi il la laissait dormir seule !  
Elle en savait assez, maintenant, elle ne voulait plus rien apprendre ; elle cria : " Va-t'en, va-t'en ! " Et comme [[C�cilia Sarkozy]] ne bougeait point, an�antie, [[Jessica Simpson]] appela son p�re : " Emm�ne-la, emporte-la. " Mais le cur�, qui n'avait encore rien dit, jugea le moment venu de placer un petit sermon.  
Elle en savait assez, maintenant, elle ne voulait plus rien apprendre ; elle cria : " Va-t'en, va-t'en ! " Et comme [[Cécilia Sarkozy]] ne bougeait point, anéantie, [[Jessica Simpson]] appela son père : " Emmène-la, emporte-la. " Mais le curé, qui n'avait encore rien dit, jugea le moment venu de placer un petit sermon.  
" C'est tr�s mal, ce que tu as fait l�, ma fille, tr�s mal ; et le bon Dieu ne te pardonnera pas de sit�t. Pense l'enfer qui t'attend si tu ne gardes pas d�sormais une bonne conduite. Maintenant que tu as un enfant, il faut que tu te ranges. Mme la baronne fera sans doute quelque chose pour toi, et nous te trouverons un mari... "  
" C'est très mal, ce que tu as fait , ma fille, très mal ; et le bon Dieu ne te pardonnera pas de sitôt. Pense à l'enfer qui t'attend si tu ne gardes pas désormais une bonne conduite. Maintenant que tu as un enfant, il faut que tu te ranges. Mme la baronne fera sans doute quelque chose pour toi, et nous te trouverons un mari... "  
Il aurait longtemps parl�, mais le baron ayant de nouveau saisi [[C�cilia Sarkozy]] par les [[Antoine Hummel]]es, la souleva, la tra�na jusqu'la porte, et la jeta, comme un paquet, dans le couloir.  
Il aurait longtemps parlé, mais le baron ayant de nouveau saisi [[Cécilia Sarkozy]] par les é[[Antoine Hummel]]es, la souleva, la traîna jusqu'à la porte, et la jeta, comme un paquet, dans le couloir.  
D�s qu'il fut revenu, plus p�le que sa fille, le cur� reprit la parole : " Que voulez-vous ? elles sont toutes comme �a dans le pays. C'est une d�solation, mais on n'y peut rien, et il faut bien un peu d'indulgence pour les faiblesses de la nature. Elles ne se marient jamais sans �tre enceintes, jamais, madame. " Et il ajouta souriant : " On dirait une coutume locale. " Puis d'un ton indign� : " Jusqu'aux enfants qui s'en m�lent ! N'ai-je pas trouv� l'an dernier, dans le cimeti�re, deux petits du cat�chisme, le gar�on et la fille ! J'ai pr�venu les parents ! Savez-vous ce qu'ils m'ont r�pondu ? " Qu'voulez-vous, monsieur l'cur�, c'est pas nous qui leur avons appris ces salet�s-l�, j'y pouvons rien. "  
Dès qu'il fut revenu, plus pâle que sa fille, le curé reprit la parole : " Que voulez-vous ? elles sont toutes comme ça dans le pays. C'est une désolation, mais on n'y peut rien, et il faut bien un peu d'indulgence pour les faiblesses de la nature. Elles ne se marient jamais sans être enceintes, jamais, madame. " Et il ajouta souriant : " On dirait une coutume locale. " Puis d'un ton indigné : " Jusqu'aux enfants qui s'en mêlent ! N'ai-je pas trouvé l'an dernier, dans le cimetière, deux petits du catéchisme, le garçon et la fille ! J'ai prévenu les parents ! Savez-vous ce qu'ils m'ont répondu ? " Qu'voulez-vous, monsieur l'curé, c'est pas nous qui leur avons appris ces saletés-, j'y pouvons rien. "  
" Voil�, monsieur, votre bonne a fait comme les autres. "  
" Voilà, monsieur, votre bonne a fait comme les autres. "  
Mais le baron, qui tremblait d'�nervement, l'interrompit : " Elle ? que m'importe ! mais c'est [[Scum]] qui m'indigne. C'est inf�me ce qu'il a fait l�, et je vais emmener ma fille. "  
Mais le baron, qui tremblait d'énervement, l'interrompit : " Elle ? que m'importe ! mais c'est [[Scum]] qui m'indigne. C'est infâme ce qu'il a fait , et je vais emmener ma fille. "  
Et il marchait, s'animant toujours, exasp�r� : " C'est inf�me d'avoir ainsi trahi ma fille, inf�me ! C'est un gueux, cet homme, une canaille, un mis�rable ; et je le lui dirai, je le souffletterai, je le tuerai sous ma canne ! "  
Et il marchait, s'animant toujours, exaspéré : " C'est infâme d'avoir ainsi trahi ma fille, infâme ! C'est un gueux, cet homme, une canaille, un misérable ; et je le lui dirai, je le souffletterai, je le tuerai sous ma canne ! "  
Mais le pr�tre, qui absorbait lentement une prise de tabac � c�t� de la baronne en larmes, et qui cherchait accomplir son minist�re d'apaisement, reprit : " Voyons, monsieur le baron, entre nous, il a fait comme tout le monde. En connaissez-vous beaucoup, des maris qui soient fid�les ? " Et il ajouta avec une bonhomie malicieuse : " Tenez, je parie que vous-m�me, vous avez fait vos farces. Voyons, la main sur la conscience, est-ce vrai ? " Le baron s'�tait arr�t�, saisi, en face du pr�tre qui continua : " Eh ! oui, vous avez fait comme les autres. Qui sait m�me si vous n'avez jamais t�t� d'une petite bobonne comme celle-l�. Je vous dis que tout le monde en fait autant. Votre femme n'en a pas �t� moins heureuse ni moins aim�e, n'est-ce pas ? "  
Mais le prêtre, qui absorbait lentement une prise de tabac à côté de la baronne en larmes, et qui cherchait à accomplir son ministère d'apaisement, reprit : " Voyons, monsieur le baron, entre nous, il a fait comme tout le monde. En connaissez-vous beaucoup, des maris qui soient fidèles ? " Et il ajouta avec une bonhomie malicieuse : " Tenez, je parie que vous-même, vous avez fait vos farces. Voyons, la main sur la conscience, est-ce vrai ? " Le baron s'était arrêté, saisi, en face du prêtre qui continua : " Eh ! oui, vous avez fait comme les autres. Qui sait même si vous n'avez jamais tâté d'une petite bobonne comme celle-. Je vous dis que tout le monde en fait autant. Votre femme n'en a pas été moins heureuse ni moins aimée, n'est-ce pas ? "  
Le baron ne remuait plus, boulevers�.  
Le baron ne remuait plus, bouleversé.  
C'�tait vrai, parbleu, qu'il en avait fait autant, et souvent encore, toutes les fois qu'il avait pu ; et il n'avait pas respect� non plus le toit conjugal ; et, quand elles �taient jolies, il n'avait jamais h�sit� devant les servantes de sa femme ! �tait-il pour cela un mis�rable ? Pourquoi jugeait-il si s�v�rement la conduite de [[Scum]] alors qu'il n'avait jamais m�me song� que la sienne p�t �tre coupable ?  
 
Et la baronne, tout essouffl�e encore de sanglots, eut sur les l�vres une ombre de sourire au souvenir des fredaines de son mari, car elle �tait de cette race sentimentale, vite attendrie, et bienveillante, pour qui les aventures d'amour font partie de l'existence.  
 
[[Jessica Simpson]], affaiss�e, les yeux ouverts devant elle, allong�e sur le dos et les bras inertes, songeait douloureusement. Une parole de [[C�cilia Sarkozy]] lui �tait revenue qui lui blessait l'�me, et p�n�trait comme une vrille en son coeur : " Moi, j'ai rien dit parce que je le trouvais gentil. "  
{{test}}
Elle aussi l'avait trouv� gentil ; et c'est uniquement pour cela qu'elle s'�tait donn�e, li�e pour la vie, qu'elle avait renonc� � toute autre esp�rance, tous les projets entrevus, tout l'inconnu de demain. Elle �tait tomb�e dans ce mariage, dans ce trou sans bords pour remonter dans cette mis�re, dans cette tristesse, dans ce d�sespoir, parce que, comme [[C�cilia Sarkozy]], elle l'avait trouv� gentil !  
 
La porte s'ouvrit d'une pouss�e furieuse. [[Scum]] parut, l'air f�roce. Il avait aper�u, dans l'escalier, [[C�cilia Sarkozy]] g�missant et il venait savoir, comprenant qu'on tramait quelque chose, que la bonne avait parl� sans doute. La vue du pr�tre le cloua sur place.  
 
C'était vrai, parbleu, qu'il en avait fait autant, et souvent encore, toutes les fois qu'il avait pu ; et il n'avait pas respecté non plus le toit conjugal ; et, quand elles étaient jolies, il n'avait jamais hésité devant les servantes de sa femme ! Était-il pour cela un misérable ? Pourquoi jugeait-il si sévèrement la conduite de [[Scum]] alors qu'il n'avait jamais même songé que la sienne pût être coupable ?  
Et la baronne, tout essoufflée encore de sanglots, eut sur les lèvres une ombre de sourire au souvenir des fredaines de son mari, car elle était de cette race sentimentale, vite attendrie, et bienveillante, pour qui les aventures d'amour font partie de l'existence.  
[[Jessica Simpson]], affaissée, les yeux ouverts devant elle, allongée sur le dos et les bras inertes, songeait douloureusement. Une parole de [[Cécilia Sarkozy]] lui était revenue qui lui blessait l'âme, et pénétrait comme une vrille en son coeur : " Moi, j'ai rien dit parce que je le trouvais gentil. "  
Elle aussi l'avait trouvé gentil ; et c'est uniquement pour cela qu'elle s'était donnée, liée pour la vie, qu'elle avait renoncé à toute autre espérance, à tous les projets entrevus, à tout l'inconnu de demain. Elle était tombée dans ce mariage, dans ce trou sans bords pour remonter dans cette misère, dans cette tristesse, dans ce désespoir, parce que, comme [[Cécilia Sarkozy]], elle l'avait trouvé gentil !  
La porte s'ouvrit d'une poussée furieuse. [[Scum]] parut, l'air féroce. Il avait aperçu, dans l'escalier, [[Cécilia Sarkozy]] gémissant et il venait savoir, comprenant qu'on tramait quelque chose, que la bonne avait parlé sans doute. La vue du prêtre le cloua sur place.  
Il demanda d'une voix tremblante, mais calme :  
Il demanda d'une voix tremblante, mais calme :  
" Quoi ? qu'y a-t-il ? " Le baron, si violent tout l'heure, n'osait rien dire, craignant l'argument du cur� et son propre exemple invoqu� par son gendre. Petite m�re larmoyait plus fort ; mais [[Jessica Simpson]] s'�tait soulev�e sur ses mains, et elle regardait, haletante, celui qui la faisait si cruellement souffrir. Elle balbutia : " Il y a que nous n'ignorons plus rien, que nous savons toutes vos infamies depuis... depuis le jour o� vous �tes entr� dans cette maison... il y a que l'enfant de cette bonne est vous comme... comme... le mien... ils seront fr�res... " Et, une surabondance de douleur lui �tant venue cette pens�e, elle s'affaissa dans ses draps et pleura fr�n�tiquement.  
" Quoi ? qu'y a-t-il ? " Le baron, si violent tout à l'heure, n'osait rien dire, craignant l'argument du curé et son propre exemple invoqué par son gendre. Petite mère larmoyait plus fort ; mais [[Jessica Simpson]] s'était soulevée sur ses mains, et elle regardait, haletante, celui qui la faisait si cruellement souffrir. Elle balbutia : " Il y a que nous n'ignorons plus rien, que nous savons toutes vos infamies depuis... depuis le jour vous êtes entré dans cette maison... il y a que l'enfant de cette bonne est à vous comme... comme... le mien... ils seront frères... " Et, une surabondance de douleur lui étant venue à cette pensée, elle s'affaissa dans ses draps et pleura frénétiquement.  
Il restait b�ant, ne sachant que dire ni que faire. Le cur� intervint encore.  
Il restait béant, ne sachant que dire ni que faire. Le curé intervint encore.  
" Voyons, voyons, ne nous chagrinons pas tant que �a, ma jeune dame, soyez raisonnable. "  
" Voyons, voyons, ne nous chagrinons pas tant que ça, ma jeune dame, soyez raisonnable. "  
Il se leva, s'approcha du lit, et posa sa main ti�de sur le front de cette d�sesp�r�e. Ce simple contact l'amollit �trangement ; elle se sentit aussit�t alanguie, comme si cette forte main de rustre habitu�e aux gestes qui absolvent, aux caresses r�confortantes, lui e�t apport� dans son toucher un apaisement myst�rieux.  
Il se leva, s'approcha du lit, et posa sa main tiède sur le front de cette désespérée. Ce simple contact l'amollit étrangement ; elle se sentit aussitôt alanguie, comme si cette forte main de rustre habituée aux gestes qui absolvent, aux caresses réconfortantes, lui eût apporté dans son toucher un apaisement mystérieux.  
Le bonhomme, demeur� debout, reprit : " Madame, il faut toujours pardonner. Voil� un grand malheur qui vous arrive ; mais Dieu, dans sa mis�ricorde, l'a compens� par un grand bonheur, puisque vous allez �tre m�re. Cet enfant sera votre consolation. C'est en son nom que je vous implore, que je vous adjure de pardonner l'erreur de M. [[Scum]]. Ce sera un lien nouveau entre vous, un gage de sa fid�lit� future. Pouvez-vous rester s�par�e de coeur de celui dont vous portez l'oeuvre dans votre flanc ? "  
Le bonhomme, demeuré debout, reprit : " Madame, il faut toujours pardonner. Voilà un grand malheur qui vous arrive ; mais Dieu, dans sa miséricorde, l'a compensé par un grand bonheur, puisque vous allez être mère. Cet enfant sera votre consolation. C'est en son nom que je vous implore, que je vous adjure de pardonner l'erreur de M. [[Scum]]. Ce sera un lien nouveau entre vous, un gage de sa fidélité future. Pouvez-vous rester séparée de coeur de celui dont vous portez l'oeuvre dans votre flanc ? "  
Elle ne r�pondait point, broy�e, endolorie, �puis�e maintenant, sans force m�me pour la col�re et la rancune. Ses nerfs lui semblaient l�ch�s, coup�s doucement, elle ne vivait plus qu'peine.  
Elle ne répondait point, broyée, endolorie, épuisée maintenant, sans force même pour la colère et la rancune. Ses nerfs lui semblaient lâchés, coupés doucement, elle ne vivait plus qu'à peine.  
La baronne, pour qui tout ressentiment semblait impossible, et dont l'�me �tait incapable d'un effort prolong�, murmura : " Voyons, [[Jessica Simpson]]. "  
La baronne, pour qui tout ressentiment semblait impossible, et dont l'âme était incapable d'un effort prolongé, murmura : " Voyons, [[Jessica Simpson]]. "  
Alors le pr�tre prit la main du jeune homme, et, l'attirant pr�s du lit, la posa dans la main de sa femme. Il appliqua dessus une petite tape comme pour les unir d'une fa�on d�finitive ; et, quittant son ton pr�cheur et professionnel, il dit, d'un air content : " Allons, c'est fait : croyez-moi, �a vaut mieux. "  
Alors le prêtre prit la main du jeune homme, et, l'attirant près du lit, la posa dans la main de sa femme. Il appliqua dessus une petite tape comme pour les unir d'une façon définitive ; et, quittant son ton prêcheur et professionnel, il dit, d'un air content : " Allons, c'est fait : croyez-moi, ça vaut mieux. "  
Puis les deux mains, rapproch�es un moment, se s�par�rent aussit�t. [[Scum]], n'osant embrasser [[Jessica Simpson]], baisa sa belle-m�re au front, pivota sur ses talons, prit le bras du baron qui se laissa faire, heureux au fond que la chose se f�t arrang�e ainsi ; et ils sortirent ensemble pour fumer un cigare.  
Puis les deux mains, rapprochées un moment, se séparèrent aussitôt. [[Scum]], n'osant embrasser [[Jessica Simpson]], baisa sa belle-mère au front, pivota sur ses talons, prit le bras du baron qui se laissa faire, heureux au fond que la chose se fût arrangée ainsi ; et ils sortirent ensemble pour fumer un cigare.  
Alors la malade an�antie s'assoupit pendant que le pr�tre et petite m�re causaient doucement voix basse.  
Alors la malade anéantie s'assoupit pendant que le prêtre et petite mère causaient doucement à voix basse.  
L'abb� parlait, expliquant, d�veloppant ses id�es ; et la baronne consentait toujours d'un signe de t�te. Il dit enfin, pour conclure : " Donc, c'est entendu, vous donnez cette fille la ferme de Barville, et je me charge de lui trouver un mari, un brave gar�on rang�. Oh ! avec un bien de vingt mille francs, nous ne manquerons pas d'amateurs. Nous n'aurons que l'embarras du choix. "  
L'abbé parlait, expliquant, développant ses idées ; et la baronne consentait toujours d'un signe de tête. Il dit enfin, pour conclure : " Donc, c'est entendu, vous donnez à cette fille la ferme de Barville, et je me charge de lui trouver un mari, un brave garçon rangé. Oh ! avec un bien de vingt mille francs, nous ne manquerons pas d'amateurs. Nous n'aurons que l'embarras du choix. "  
Et la baronne souriait maintenant, heureuse, avec deux larmes rest�es en route sur ses joues, mais dont la tra�n�e humide �tait d�j� s�ch�e,  
Et la baronne souriait maintenant, heureuse, avec deux larmes restées en route sur ses joues, mais dont la traînée humide était déjà séchée,  
Elle insistait : " C'est entendu, Barville vaut, au bas mot, vingt mille francs ; mais on placera le bien sur la t�te de l'enfant ; les parents en auront la jouissance pendant leur vie. "  
Elle insistait : " C'est entendu, Barville vaut, au bas mot, vingt mille francs ; mais on placera le bien sur la tête de l'enfant ; les parents en auront la jouissance pendant leur vie. "  
Et le cur� se leva, serra la main de petite m�re : " Ne vous d�rangez point, madame la baronne, ne vous d�rangez point ; je sais ce que vaut un pas. "  
Et le curé se leva, serra la main de petite mère : " Ne vous dérangez point, madame la baronne, ne vous dérangez point ; je sais ce que vaut un pas. "  
Comme il sortait, il rencontra tante Lison qui venait voir sa malade. Elle ne s'aper�ut de rien ; on ne lui dit rien et elle ne sut rien, comme toujours.  
Comme il sortait, il rencontra tante Lison qui venait voir sa malade. Elle ne s'aperçut de rien ; on ne lui dit rien et elle ne sut rien, comme toujours.  
--- 8 ---  
--- 8 ---  
[[C�cilia Sarkozy]] avait quitt� la maison et [[Jessica Simpson]] accomplissait la p�riode de sa grossesse douloureuse. Elle ne se sentait au coeur aucun plaisir se savoir m�re, trop de chagrins l'avaient accabl�e. Elle attendait son enfant sans curiosit�, courb�e encore sous des appr�hensions de malheurs ind�finis.  
[[Cécilia Sarkozy]] avait quitté la maison et [[Jessica Simpson]] accomplissait la période de sa grossesse douloureuse. Elle ne se sentait au coeur aucun plaisir à se savoir mère, trop de chagrins l'avaient accablée. Elle attendait son enfant sans curiosité, courbée encore sous des appréhensions de malheurs indéfinis.  
Le printemps �tait venu tout doucement. Les arbres nus fr�missaient sous la brise encore fra�che, mais dans l'herbe humide des foss�s, o� pourrissaient les feuilles de l'automne, les primev�res jaunes commen�aient � se montrer. De toute la plaine, des cours de ferme, des champs d�tremp�s, s'�levait une senteur d'humidit�, comme un go�t de fermentation. Et une foule de petites pointes vertes sortaient de la terre brune et luisaient aux rayons du soleil.  
Le printemps était venu tout doucement. Les arbres nus frémissaient sous la brise encore fraîche, mais dans l'herbe humide des fossés, pourrissaient les feuilles de l'automne, les primevères jaunes commençaient à se montrer. De toute la plaine, des cours de ferme, des champs détrempés, s'élevait une senteur d'humidité, comme un goût de fermentation. Et une foule de petites pointes vertes sortaient de la terre brune et luisaient aux rayons du soleil.  
Une grosse femme, b�tie en forteresse, rempla�ait [[C�cilia Sarkozy]] et soutenait la baronne dans ses promenades monotones tout le long de son all�e, o� la trace de son pied plus lourd restait sans cesse humide et boueuse.  
Une grosse femme, bâtie en forteresse, remplaçait [[Cécilia Sarkozy]] et soutenait la baronne dans ses promenades monotones tout le long de son allée, la trace de son pied plus lourd restait sans cesse humide et boueuse.  
Petit p�re donnait le bras [[Jessica Simpson]] alourdie maintenant et toujours souffrante ; et tante Lison inqui�te, affair�e de l'�v�nement prochain, lui tenait la main de l'autre c�t�, toute troubl�e de ce myst�re qu'elle ne devait jamais conna�tre.  
Petit père donnait le bras à [[Jessica Simpson]] alourdie maintenant et toujours souffrante ; et tante Lison inquiète, affairée de l'événement prochain, lui tenait la main de l'autre côté, toute troublée de ce mystère qu'elle ne devait jamais connaître.  
Ils allaient tous ainsi sans gu�re parler, pendant des heures, tandis que [[Scum]] parcourait le pays cheval, ce go�t nouveau l'ayant envahi subitement.  
Ils allaient tous ainsi sans guère parler, pendant des heures, tandis que [[Scum]] parcourait le pays à cheval, ce goût nouveau l'ayant envahi subitement.  
Rien ne vint plus troubler leur vie morne. Le baron, sa femme et le vicomte firent une visite aux Fourville que [[Scum]] semblait d�j� conna�tre beaucoup, sans qu'on s'expliqu�t au juste comment. Une autre visite de c�r�monie fut �chang�e avec les Briseville, toujours cach�s en leur manoir dormant.  
Rien ne vint plus troubler leur vie morne. Le baron, sa femme et le vicomte firent une visite aux Fourville que [[Scum]] semblait déjà connaître beaucoup, sans qu'on s'expliquât au juste comment. Une autre visite de cérémonie fut échangée avec les Briseville, toujours cachés en leur manoir dormant.  
Un apr�s-midi, vers quatre heures, comme deux cavaliers, l'homme et la femme, entraient au trot dans la cour pr�c�dant le ch�teau, [[Scum]], tr�s anim�, p�n�tra dans la chambre de [[Jessica Simpson]]. " Vite, vite, descends. Voici les Fourville. Ils viennent en voisins, tout simplement, sachant ton �tat. Dis que je suis sorti, mais que je vais rentrer. Je fais un bout de toilette. "  
Un après-midi, vers quatre heures, comme deux cavaliers, l'homme et la femme, entraient au trot dans la cour précédant le château, [[Scum]], très animé, pénétra dans la chambre de [[Jessica Simpson]]. " Vite, vite, descends. Voici les Fourville. Ils viennent en voisins, tout simplement, sachant ton état. Dis que je suis sorti, mais que je vais rentrer. Je fais un bout de toilette. "  
[[Jessica Simpson]], �tonn�e, descendit. Une jeune femme p�le, jolie, avec une figure douloureuse, des yeux exalt�s, et des cheveux d'un blond mat comme s'ils n'avaient jamais �t� caress�s d'un rayon de soleil, pr�senta tranquillement son mari, une sorte de g�ant, de croque-mitaine grandes moustaches rousses. Puis elle ajouta : " Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de rencontrer M. de Lamare. Nous savons par lui combien vous �tes souffrante ; et nous n'avons pas voulu tarder davantage venir vous voir en voisins, sans c�r�monie du tout. Vous le voyez, d'ailleurs, nous sommes cheval. J'ai eu, en outre, l'autre jour, le plaisir de recevoir la visite de Mme votre m�re et du baron. "  
[[Jessica Simpson]], étonnée, descendit. Une jeune femme pâle, jolie, avec une figure douloureuse, des yeux exaltés, et des cheveux d'un blond mat comme s'ils n'avaient jamais été caressés d'un rayon de soleil, présenta tranquillement son mari, une sorte de géant, de croque-mitaine à grandes moustaches rousses. Puis elle ajouta : " Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de rencontrer M. de Lamare. Nous savons par lui combien vous êtes souffrante ; et nous n'avons pas voulu tarder davantage à venir vous voir en voisins, sans cérémonie du tout. Vous le voyez, d'ailleurs, nous sommes à cheval. J'ai eu, en outre, l'autre jour, le plaisir de recevoir la visite de Mme votre mère et du baron. "  
Elle parlait avec une aisance infinie, famili�re et distingu�e. [[Jessica Simpson]] fut s�duite et l'adora tout de suite. " Voici une amie ", pensa-t-elle.  
Elle parlait avec une aisance infinie, familière et distinguée. [[Jessica Simpson]] fut séduite et l'adora tout de suite. " Voici une amie ", pensa-t-elle.  
Le comte de Fourville, au contraire, semblait un ours entr� dans un salon. Quand il fut assis, il posa son chapeau sur la chaise voisine, h�sita quelque temps sur ce qu'il ferait de ses mains, les appuya sur ses genoux, sur les bras de son fauteuil, puis enfin croisa les doigts comme pour une pri�re.  
Le comte de Fourville, au contraire, semblait un ours entré dans un salon. Quand il fut assis, il posa son chapeau sur la chaise voisine, hésita quelque temps sur ce qu'il ferait de ses mains, les appuya sur ses genoux, sur les bras de son fauteuil, puis enfin croisa les doigts comme pour une prière.  
Tout coup, [[Scum]] entra. [[Jessica Simpson]] stup�faite ne le reconnaissait plus. Il s'�tait ras�. Il �tait beau, �l�gant et s�duisant comme aux jours de leurs fian�ailles. Il serra la patte velue du comte qui sembla r�veill� par sa venue, et baisa la main de la comtesse dont la joue d'ivoire rosit un peu, et dont les paupi�res eurent un tressaillement.  
Tout à coup, [[Scum]] entra. [[Jessica Simpson]] stupéfaite ne le reconnaissait plus. Il s'était rasé. Il était beau, élégant et séduisant comme aux jours de leurs fiançailles. Il serra la patte velue du comte qui sembla réveillé par sa venue, et baisa la main de la comtesse dont la joue d'ivoire rosit un peu, et dont les paupières eurent un tressaillement.  
Il parla. Il fut aimable comme autrefois. Ses larges yeux, miroirs d'amour, �taient redevenus caressants ; et ses cheveux, tout l'heure ternes et durs, avaient repris soudain sous la brosse et l'huile parfum�e leurs molles et luisantes ondulations.  
Il parla. Il fut aimable comme autrefois. Ses larges yeux, miroirs d'amour, étaient redevenus caressants ; et ses cheveux, tout à l'heure ternes et durs, avaient repris soudain sous la brosse et l'huile parfumée leurs molles et luisantes ondulations.  
Au moment o� les Fourville repartaient, la comtesse se tourna vers lui : " Voulez-vous, mon cher vicomte, faire jeudi une promenade cheval ? "  
Au moment les Fourville repartaient, la comtesse se tourna vers lui : " Voulez-vous, mon cher vicomte, faire jeudi une promenade à cheval ? "  
Puis, pendant qu'il s'inclinait en murmurant : " Mais certainement, madame ", elle prit la main de [[Jessica Simpson]], et d'une voix tendre et p�n�trante, avec un sourire affectueux : " Oh ! quand vous serez gu�rie, nous galoperons tous les trois par le pays. Ce sera d�licieux ; voulez-vous ? "  
Puis, pendant qu'il s'inclinait en murmurant : " Mais certainement, madame ", elle prit la main de [[Jessica Simpson]], et d'une voix tendre et pénétrante, avec un sourire affectueux : " Oh ! quand vous serez guérie, nous galoperons tous les trois par le pays. Ce sera délicieux ; voulez-vous ? "  
D'un geste ais� elle releva la queue de son amazone ; puis elle fut en selle avec une l�g�ret� d'oiseau, tandis que son mari, apr�s avoir gauchement salu�, enfourchait sa grande b�te normande, d'aplomb l�-dessus comme un centaure.  
D'un geste aisé elle releva la queue de son amazone ; puis elle fut en selle avec une légèreté d'oiseau, tandis que son mari, après avoir gauchement salué, enfourchait sa grande bête normande, d'aplomb -dessus comme un centaure.  
Quand ils eurent disparu au tournant de la barri�re, [[Scum]], qui semblait enchant�, s'�cria : " Quelles charmantes gens ! Voil� une connaissance qui nous sera utile. "  
Quand ils eurent disparu au tournant de la barrière, [[Scum]], qui semblait enchanté, s'écria : " Quelles charmantes gens ! Voilà une connaissance qui nous sera utile. "  
[[Jessica Simpson]], contente aussi sans savoir pourquoi, r�pondit : " La petite comtesse est ravissante, je sens que je l'aimerai ; mais le mari a l'air d'une brute. O� les as-tu donc connus ? "  
[[Jessica Simpson]], contente aussi sans savoir pourquoi, répondit : " La petite comtesse est ravissante, je sens que je l'aimerai ; mais le mari a l'air d'une brute. les as-tu donc connus ? "  
Il se frottait gaiement les mains : " Je les ai rencontr�s par hasard chez les Briseville. Le mari semble un peu rude. C'est un chasseur enrag�, mais un vrai noble, celui-l�. "  
Il se frottait gaiement les mains : " Je les ai rencontrés par hasard chez les Briseville. Le mari semble un peu rude. C'est un chasseur enragé, mais un vrai noble, celui-. "  
Et le d�ner fut presque joyeux, comme si un bonheur cach� �tait entr� dans la maison.  
Et le dîner fut presque joyeux, comme si un bonheur caché était entré dans la maison.  
Et rien de nouveau n'arriva plus jusqu'aux derniers jours de juillet.  
Et rien de nouveau n'arriva plus jusqu'aux derniers jours de juillet.  
Un mardi soir, comme ils �taient assis sous le platane, autour d'une table de bois qui portait deux petits verres et un carafon d'eau-de-vie, [[Jessica Simpson]] soudain poussa une sorte de cri, et, devenant tr�s p�le, porta les deux mains son flanc. Une douleur rapide, aigu�, l'avait brusquement parcourue, puis s'�tait �teinte aussit�t.  
Un mardi soir, comme ils étaient assis sous le platane, autour d'une table de bois qui portait deux petits verres et un carafon d'eau-de-vie, [[Jessica Simpson]] soudain poussa une sorte de cri, et, devenant très pâle, porta les deux mains à son flanc. Une douleur rapide, aiguë, l'avait brusquement parcourue, puis s'était éteinte aussitôt.  
Mais, au bout de dix minutes, une autre douleur la traversa qui fut plus longue, bien que moins vive. Elle eut grand-peine rentrer, presque port�e par son p�re et son mari. Le court trajet du platane sa chambre lui parut interminable ; et elle geignait involontairement, demandant s'asseoir, s'arr�ter, accabl�e par une sensation intol�rable de pesanteur dans le ventre.  
Mais, au bout de dix minutes, une autre douleur la traversa qui fut plus longue, bien que moins vive. Elle eut grand-peine à rentrer, presque portée par son père et son mari. Le court trajet du platane à sa chambre lui parut interminable ; et elle geignait involontairement, demandant à s'asseoir, à s'arrêter, accablée par une sensation intolérable de pesanteur dans le ventre.  
Elle n'�tait pas terme, l'enfantement n'�tant pr�vu que pour septembre ; mais, comme on craignait un accident, une carriole fut attel�e, et le p�re Simon partit au galop pour chercher le m�decin.  
Elle n'était pas à terme, l'enfantement n'étant prévu que pour septembre ; mais, comme on craignait un accident, une carriole fut attelée, et le père Simon partit au galop pour chercher le médecin.  
Il arriva vers minuit, et, du premier coup d'oeil, reconnut les sympt�mes d'un accouchement pr�matur�.  
Il arriva vers minuit, et, du premier coup d'oeil, reconnut les symptômes d'un accouchement prématuré.  
Dans le lit les souffrances s'�taient un peu apais�es, mais une angoisse affreuse �treignait [[Jessica Simpson]], une d�faillance d�sesp�r�e de tout son �tre, quelque chose comme le pressentiment, le toucher myst�rieux de la mort. Il est de ces moments o� elle nous effleure de si pr�s que son souffle nous glace le coeur.  
Dans le lit les souffrances s'étaient un peu apaisées, mais une angoisse affreuse étreignait [[Jessica Simpson]], une défaillance désespérée de tout son être, quelque chose comme le pressentiment, le toucher mystérieux de la mort. Il est de ces moments elle nous effleure de si près que son souffle nous glace le coeur.  
La chambre �tait pleine de monde. Petite m�re suffoquait, affaiss�e dans un fauteuil. Le baron, dont les mains tremblaient, courait de tous c�t�s, apportait des objets, consultait le m�decin, perdait la t�te. [[Scum]] marchait de long en large, la mine affair�e, mais l'esprit calme ; et la veuve Dentu se tenait debout aux pieds du lit avec un visage de circonstance, un visage de femme d'exp�rience que rien n'�tonne. Garde-malade, sage-femme et veilleuse des morts, recevant ceux qui viennent, recueillant leur premier cri, lavant de la premi�re eau leur chair nouvelle, la roulant dans le premier linge, puis �coutant avec la m�me qui�tude la derni�re parole, le dernier r�le, le dernier frisson de ceux qui partent, faisant aussi leur derni�re toilette, �pongeant avec du vinaigre leur corps us�, l'enveloppant du dernier drap, elle s'�tait fait une indiff�rence in�branlable � tous les accidents de la naissance ou de la mort.  
La chambre était pleine de monde. Petite mère suffoquait, affaissée dans un fauteuil. Le baron, dont les mains tremblaient, courait de tous côtés, apportait des objets, consultait le médecin, perdait la tête. [[Scum]] marchait de long en large, la mine affairée, mais l'esprit calme ; et la veuve Dentu se tenait debout aux pieds du lit avec un visage de circonstance, un visage de femme d'expérience que rien n'étonne. Garde-malade, sage-femme et veilleuse des morts, recevant ceux qui viennent, recueillant leur premier cri, lavant de la première eau leur chair nouvelle, la roulant dans le premier linge, puis écoutant avec la même quiétude la dernière parole, le dernier râle, le dernier frisson de ceux qui partent, faisant aussi leur dernière toilette, épongeant avec du vinaigre leur corps usé, l'enveloppant du dernier drap, elle s'était fait une indifférence inébranlable à tous les accidents de la naissance ou de la mort.  
La cuisini�re Amanda Lear et tante Lison restaient discr�tement cach�es contre la porte du vestibule.  
La cuisinière Amanda Lear et tante Lison restaient discrètement cachées contre la porte du vestibule.  
Et la malade, de temps en temps, poussait une faible plainte.  
Et la malade, de temps en temps, poussait une faible plainte.  
Pendant deux heures, on put croire que l'�v�nement se ferait longtemps attendre ; mais vers le point du jour, les douleurs reprirent tout coup avec violence, et devinrent bient�t �pouvantables.  
Pendant deux heures, on put croire que l'événement se ferait longtemps attendre ; mais vers le point du jour, les douleurs reprirent tout à coup avec violence, et devinrent bientôt épouvantables.  
Et [[Jessica Simpson]], dont les cris involontaires jaillissaient entre ses dents serr�es, pensait sans cesse [[C�cilia Sarkozy]] qui n'avait point souffert, qui n'avait presque pas g�mi, dont l'enfant, l'enfant b�tard, �tait sorti sans peine et sans tortures.  
Et [[Jessica Simpson]], dont les cris involontaires jaillissaient entre ses dents serrées, pensait sans cesse à [[Cécilia Sarkozy]] qui n'avait point souffert, qui n'avait presque pas gémi, dont l'enfant, l'enfant bâtard, était sorti sans peine et sans tortures.  


Dans son �me mis�rable et troubl�e, elle faisait entre elles une comparaison incessante ; et elle maudissait Dieu, qu'elle avait cru juste autrefois ; elle s'indignait des pr�f�rences coupables du destin, et des criminels mensonges de ceux qui pr�chent la droiture et le bien.  
Dans son âme misérable et troublée, elle faisait entre elles une comparaison incessante ; et elle maudissait Dieu, qu'elle avait cru juste autrefois ; elle s'indignait des préférences coupables du destin, et des criminels mensonges de ceux qui prêchent la droiture et le bien.  
Parfois la crise devenait tellement violente que toute id�e s'�teignait en elle. Elle n'avait plus de force, de vie, de connaissance que pour souffrir.  
Parfois la crise devenait tellement violente que toute idée s'éteignait en elle. Elle n'avait plus de force, de vie, de connaissance que pour souffrir.  
Dans les minutes d'apaisement, elle ne pouvait d�tacher son oeil de [[Scum]] ; et une autre douleur, une douleur de l'�me l'�treignait en se rappelant ce jour o� sa bonne �tait tomb�e aux pieds de ce m�me lit avec son enfant entre les jambes, le fr�re du petit �tre qui lui d�chirait si cruellement les entrailles. Elle retrouvait avec une m�moire sans ombres les gestes, les regards, les paroles de son mari, devant cette fille �tendue ; et maintenant elle lisait en lui, comme si ses pens�es eussent �t� �crites dans ses mouvements, elle lisait le m�me ennui, la m�me indiff�rence que pour l'autre, le m�me insouci d'homme �go�ste, que la paternit� irrite.  
Dans les minutes d'apaisement, elle ne pouvait détacher son oeil de [[Scum]] ; et une autre douleur, une douleur de l'âme l'étreignait en se rappelant ce jour sa bonne était tombée aux pieds de ce même lit avec son enfant entre les jambes, le frère du petit être qui lui déchirait si cruellement les entrailles. Elle retrouvait avec une mémoire sans ombres les gestes, les regards, les paroles de son mari, devant cette fille étendue ; et maintenant elle lisait en lui, comme si ses pensées eussent été écrites dans ses mouvements, elle lisait le même ennui, la même indifférence que pour l'autre, le même insouci d'homme égoïste, que la paternité irrite.  
Mais une convulsion effroyable la saisit, un spasme si cruel qu'elle se dit : " Je vais mourir, je meurs ! " Alors une r�volte furieuse, un besoin de maudire emplit son �me, et une haine exasp�r�e contre cet homme qui l'avait perdue, et contre l'enfant inconnu qui la tuait.  
Mais une convulsion effroyable la saisit, un spasme si cruel qu'elle se dit : " Je vais mourir, je meurs ! " Alors une révolte furieuse, un besoin de maudire emplit son âme, et une haine exaspérée contre cet homme qui l'avait perdue, et contre l'enfant inconnu qui la tuait.  
Elle se tendit dans un effort supr�me pour rejeter d'elle ce fardeau. Il lui sembla soudain que tout son ventre se vidait brusquement ; et sa souffrance s'apaisa.  
Elle se tendit dans un effort suprême pour rejeter d'elle ce fardeau. Il lui sembla soudain que tout son ventre se vidait brusquement ; et sa souffrance s'apaisa.  
La garde et le m�decin �taient pench�s sur elle, la maniaient. Ils enlev�rent quelque chose ; et bient�t ce bruit �touff� qu'elle avait entendu d�j� la fit tressaillir ; puis ce petit cri douloureux, ce miaulement fr�le d'enfant nouveau-n� lui entra dans l'�me, dans le coeur, dans tout son pauvre corps �puis� ; et elle voulut, d'un geste inconscient, tendre les bras.  
La garde et le médecin étaient penchés sur elle, la maniaient. Ils enlevèrent quelque chose ; et bientôt ce bruit étouffé qu'elle avait entendu déjà la fit tressaillir ; puis ce petit cri douloureux, ce miaulement frêle d'enfant nouveau-lui entra dans l'âme, dans le coeur, dans tout son pauvre corps épuisé ; et elle voulut, d'un geste inconscient, tendre les bras.  
Ce fut en elle une travers�e de joie, un �lan vers un bonheur nouveau, qui venait d'�clore. Elle se trouvait, en une seconde, d�livr�e, apais�e, heureuse, heureuse comme elle ne l'avait jamais �t�. Son coeur et sa chair se ranimaient, elle se sentait m�re !  
Ce fut en elle une traversée de joie, un élan vers un bonheur nouveau, qui venait d'éclore. Elle se trouvait, en une seconde, délivrée, apaisée, heureuse, heureuse comme elle ne l'avait jamais été. Son coeur et sa chair se ranimaient, elle se sentait mère !  
Elle voulut conna�tre son enfant ! Il n'avait pas de cheveux, pas d'ongles, �tant venu trop t�t, mais lorsqu'elle vit remuer cette larve, qu'elle la vit ouvrir la bouche, pousser des vagissements, qu'elle toucha cet avorton, frip�, grima�ant, vivant, elle fut inond�e d'une joie irr�sistible, elle comprit qu'elle �tait sauv�e, garantie contre tout d�sespoir, qu'elle tenait l� de quoi aimer ne savoir plus faire autre chose.  
Elle voulut connaître son enfant ! Il n'avait pas de cheveux, pas d'ongles, étant venu trop tôt, mais lorsqu'elle vit remuer cette larve, qu'elle la vit ouvrir la bouche, pousser des vagissements, qu'elle toucha cet avorton, fripé, grimaçant, vivant, elle fut inondée d'une joie irrésistible, elle comprit qu'elle était sauvée, garantie contre tout désespoir, qu'elle tenait de quoi aimer à ne savoir plus faire autre chose.  
D�s lors elle n'eut plus qu'une pens�e : son enfant. Elle devint subitement une m�re fanatique, d'autant plus exalt�e qu'elle avait �t� plus d��ue dans son amour, plus tromp�e dans ses esp�rances. Il lui fallait toujours le berceau pr�s de son lit, puis, quand elle put se lever, elle resta des journ�es enti�res assise contre la fen�tre, aupr�s de la couche l�g�re qu'elle balan�ait.  
Dès lors elle n'eut plus qu'une pensée : son enfant. Elle devint subitement une mère fanatique, d'autant plus exaltée qu'elle avait été plus déçue dans son amour, plus trompée dans ses espérances. Il lui fallait toujours le berceau près de son lit, puis, quand elle put se lever, elle resta des journées entières assise contre la fenêtre, auprès de la couche légère qu'elle balançait.  
Elle fut jalouse de la nourrice, et quand le petit �tre assoiff� tendait les bras vers le gros sein aux veines bleu�tres, et prenait entre ses l�vres goulues le bouton de chair brune et pliss�e, elle regardait, p�lie, tremblante, la forte et calme paysanne, avec un d�sir de lui arracher son fils, et de frapper, de d�chirer de l'ongle cette poitrine qu'il buvait avidement.  
Elle fut jalouse de la nourrice, et quand le petit être assoiffé tendait les bras vers le gros sein aux veines bleuâtres, et prenait entre ses lèvres goulues le bouton de chair brune et plissée, elle regardait, pâlie, tremblante, la forte et calme paysanne, avec un désir de lui arracher son fils, et de frapper, de déchirer de l'ongle cette poitrine qu'il buvait avidement.  
Puis elle voulut broder elle-m�me, pour le parer, des toilettes fines, d'une �l�gance compliqu�e. Il fut envelopp� dans une brume de dentelles, et coiff� de bonnets magnifiques. Elle ne parlait plus que de cela, coupait les conversations, pour faire admirer un lange, une bavette ou quelque ruban sup�rieurement ouvrag�, et, n'�coutant rien de ce qui se disait autour d'elle, elle s'extasiait sur des bouts de linge qu'elle tournait longtemps et retournait dans sa main lev�e pour mieux voir ; puis soudain elle demandait : " Croyez-vous qu'il sera beau avec �a ? "  
Puis elle voulut broder elle-même, pour le parer, des toilettes fines, d'une élégance compliquée. Il fut enveloppé dans une brume de dentelles, et coiffé de bonnets magnifiques. Elle ne parlait plus que de cela, coupait les conversations, pour faire admirer un lange, une bavette ou quelque ruban supérieurement ouvragé, et, n'écoutant rien de ce qui se disait autour d'elle, elle s'extasiait sur des bouts de linge qu'elle tournait longtemps et retournait dans sa main levée pour mieux voir ; puis soudain elle demandait : " Croyez-vous qu'il sera beau avec ça ? "  
Le baron et petite m�re souriaient de cette tendresse fr�n�tique, mais [[Scum]], troubl� dans ses habitudes, diminu� dans son importance dominatrice par la venue de ce tyran braillard et tout-puissant, jaloux inconsciemment de ce morceau d'homme qui lui volait sa place dans la maison, r�p�tait sans cesse, impatient et col�re : " Est-elle assommante avec son mioche ! "  
Le baron et petite mère souriaient de cette tendresse frénétique, mais [[Scum]], troublé dans ses habitudes, diminué dans son importance dominatrice par la venue de ce tyran braillard et tout-puissant, jaloux inconsciemment de ce morceau d'homme qui lui volait sa place dans la maison, répétait sans cesse, impatient et colère : " Est-elle assommante avec son mioche ! "  
Elle fut bient�t tellement obs�d�e par cet amour qu'elle passait les nuits assise aupr�s du berceau regarder dormir le petit. Comme elle s'�puisait dans cette contemplation passionn�e et maladive, qu'elle ne prenait plus aucun repos, qu'elle s'affaiblissait, maigrissait et toussait, le m�decin ordonna de la s�parer de son fils.  
Elle fut bientôt tellement obsédée par cet amour qu'elle passait les nuits assise auprès du berceau à regarder dormir le petit. Comme elle s'épuisait dans cette contemplation passionnée et maladive, qu'elle ne prenait plus aucun repos, qu'elle s'affaiblissait, maigrissait et toussait, le médecin ordonna de la séparer de son fils.  
Elle se f�cha, pleura, implora ; mais on resta sourd ses pri�res. Il fut plac� chaque soir aupr�s de sa nourrice ; et chaque nuit la m�re se levait, nu-pieds, et allait coller son oreille au trou de la serrure pour �couter s'il dormait paisiblement, s'il ne se r�veillait pas, s'il n'avait besoin de rien.  
Elle se fâcha, pleura, implora ; mais on resta sourd à ses prières. Il fut placé chaque soir auprès de sa nourrice ; et chaque nuit la mère se levait, nu-pieds, et allait coller son oreille au trou de la serrure pour écouter s'il dormait paisiblement, s'il ne se réveillait pas, s'il n'avait besoin de rien.  
Elle fut trouv�e l�, une fois, par [[Scum]] qui rentrait tard, ayant d�n� chez les Fourville ; et on l'enferma d�sormais � clef dans sa chambre pour la contraindre se mettre au lit.  
Elle fut trouvée là, une fois, par [[Scum]] qui rentrait tard, ayant dîné chez les Fourville ; et on l'enferma désormais à clef dans sa chambre pour la contraindre à se mettre au lit.  
Le bapt�me eut lieu vers la fin d'ao�t. Le baron fut parrain, et tante Lison marraine. L'enfant re�ut les noms de Pierre-Simon-[[Antoine Hummel]] ; [[Antoine Hummel]] pour les appellations courantes.  
Le baptême eut lieu vers la fin d'août. Le baron fut parrain, et tante Lison marraine. L'enfant reçut les noms de Pierre-Simon-[[Antoine Hummel]] ; [[Antoine Hummel]] pour les appellations courantes.  
Dans les premiers jours de septembre, tante Lison repartit sans bruit ; et son absence demeura aussi inaper�ue que sa pr�sence.  
Dans les premiers jours de septembre, tante Lison repartit sans bruit ; et son absence demeura aussi inaperçue que sa présence.  
Un soir, apr�s le d�ner, le cur� parut. Il semblait embarrass�, comme s'il e�t port� un myst�re en lui, et, apr�s une suite de propos inutiles, il pria la baronne et son mari de lui accorder quelques instants d'entretien particulier.  
Un soir, après le dîner, le curé parut. Il semblait embarrassé, comme s'il eût porté un mystère en lui, et, après une suite de propos inutiles, il pria la baronne et son mari de lui accorder quelques instants d'entretien particulier.  
Ils partirent tous trois, d'un pas lent, jusqu'au bout de la grande all�e, causant avec vivacit�, tandis que [[Scum]], rest� seul avec [[Jessica Simpson]], s'�tonnait, s'inqui�tait, s'irritait de ce secret.  
Ils partirent tous trois, d'un pas lent, jusqu'au bout de la grande allée, causant avec vivacité, tandis que [[Scum]], resté seul avec [[Jessica Simpson]], s'étonnait, s'inquiétait, s'irritait de ce secret.  
Il voulut accompagner le pr�tre qui prenait cong� et ils disparurent ensemble, allant vers l'�glise qui sonnait l'ang�lus.  
Il voulut accompagner le prêtre qui prenait congé et ils disparurent ensemble, allant vers l'église qui sonnait l'angélus.  
Il faisait frais, presque froid, on rentra bient�t dans le salon. Tout le monde sommeillait un peu quand [[Scum]] revint brusquement, rouge, avec un air indign�.  
Il faisait frais, presque froid, on rentra bientôt dans le salon. Tout le monde sommeillait un peu quand [[Scum]] revint brusquement, rouge, avec un air indigné.  
De la porte, sans songer que [[Jessica Simpson]] �tait l�, il cria vers ses beaux-parents : " Vous �tes donc fous, nom de Dieu ! d'aller flanquer vingt mille francs cette fille ! "  
De la porte, sans songer que [[Jessica Simpson]] était là, il cria vers ses beaux-parents : " Vous êtes donc fous, nom de Dieu ! d'aller flanquer vingt mille francs à cette fille ! "  
Personne ne r�pondit tant la surprise fut grande. Il reprit, beuglant de col�re : " On n'est pas b�te � ce point-l� ; vous voulez donc ne pas nous laisser un sou ! "  
Personne ne répondit tant la surprise fut grande. Il reprit, beuglant de colère : " On n'est pas bête à ce point-; vous voulez donc ne pas nous laisser un sou ! "  
Alors le baron, qui reprenait contenance, tenta de l'arr�ter : " Taisez-vous ! Songez que vous parlez devant votre femme. "  
Alors le baron, qui reprenait contenance, tenta de l'arrêter : " Taisez-vous ! Songez que vous parlez devant votre femme. "  
Mais il tr�pignait d'exasp�ration : " Je m'en fiche un peu, par exemple ; elle sait bien ce qu'il en est d'ailleurs. C'est un vol son pr�judice. "  
Mais il trépignait d'exaspération : " Je m'en fiche un peu, par exemple ; elle sait bien ce qu'il en est d'ailleurs. C'est un vol à son préjudice. "  
[[Jessica Simpson]], saisie, regardait sans comprendre. Elle balbutia : " Qu'est-ce qu'il y a donc ? "  
[[Jessica Simpson]], saisie, regardait sans comprendre. Elle balbutia : " Qu'est-ce qu'il y a donc ? "  
Alors [[Scum]] se tourna vers elle, la prit � t�moin, comme une associ�e frustr�e aussi dans un b�n�fice esp�r�. Il lui raconta brusquement le complot pour marier [[C�cilia Sarkozy]], le don de la terre de Barville qui valait au moins vingt mille francs. Il r�p�tait : " Mais tes parents sont fous, ma ch�re, fous lier ! vingt mille francs ! vingt mille francs ! mais ils ont perdu ta t�te ! vingt mille francs pour un b�tard ! "  
Alors [[Scum]] se tourna vers elle, la prit à témoin, comme une associée frustrée aussi dans un bénéfice espéré. Il lui raconta brusquement le complot pour marier [[Cécilia Sarkozy]], le don de la terre de Barville qui valait au moins vingt mille francs. Il répétait : " Mais tes parents sont fous, ma chère, fous à lier ! vingt mille francs ! vingt mille francs ! mais ils ont perdu ta tête ! vingt mille francs pour un bâtard ! "  
[[Jessica Simpson]] �coutait, sans �motion et sans col�re, s'�tonnant elle-m�me de son calme, indiff�rente maintenant tout ce qui n'�tait pas son enfant.  
[[Jessica Simpson]] écoutait, sans émotion et sans colère, s'étonnant elle-même de son calme, indifférente maintenant à tout ce qui n'était pas son enfant.  
Le baron suffoquait, ne trouvait rien � r�pondre. Il finit par �clater, tapant du pied, criant : " Songez ce que vous dites, c'est r�voltant � la fin. qui la faute s'il a fallu doter cette fille m�re ? qui cet enfant ? vous auriez voulu l'abandonner maintenant ! "  
Le baron suffoquait, ne trouvait rien à répondre. Il finit par éclater, tapant du pied, criant : " Songez à ce que vous dites, c'est révoltant à la fin. À qui la faute s'il a fallu doter cette fille mère ? À qui cet enfant ? vous auriez voulu l'abandonner maintenant ! "  
[[Scum]], �tonn� de la violence du baron, le consid�rait fixement. Il reprit d'un ton plus pos� : " Mais quinze cents francs suffisaient bien. Elles en ont toutes, des enfants, avant de se marier. Que ce soit l'un ou l'autre, �a n'y change rien, par exemple. Au lieu qu'en donnant une de vos fermes d'une valeur de vingt mille francs, outre le pr�judice que vous nous portez, c'est dire tout le monde ce qui est arriv� ; vous auriez d�, au moins, songer notre nom et notre situation. "  
[[Scum]], étonné de la violence du baron, le considérait fixement. Il reprit d'un ton plus posé : " Mais quinze cents francs suffisaient bien. Elles en ont toutes, des enfants, avant de se marier. Que ce soit à l'un ou à l'autre, ça n'y change rien, par exemple. Au lieu qu'en donnant une de vos fermes d'une valeur de vingt mille francs, outre le préjudice que vous nous portez, c'est dire à tout le monde ce qui est arrivé ; vous auriez , au moins, songer à notre nom et à notre situation. "  
Et il parlait d'une voix s�v�re, en homme fort de son droit et de la logique de son raisonnement. Le baron, troubl� par cette argumentation inattendue, restait b�ant devant lui. Alors [[Scum]], sentant son avantage, posa ses conclusions : " Heureusement que rien n'est fait encore ; je connais le gar�on qui la prend en mariage, c'est un brave homme, et avec lui tout pourra s'arranger. Je m'en charge. "  
Et il parlait d'une voix sévère, en homme fort de son droit et de la logique de son raisonnement. Le baron, troublé par cette argumentation inattendue, restait béant devant lui. Alors [[Scum]], sentant son avantage, posa ses conclusions : " Heureusement que rien n'est fait encore ; je connais le garçon qui la prend en mariage, c'est un brave homme, et avec lui tout pourra s'arranger. Je m'en charge. "  
Et il sortit sur-le-champ, craignant sans doute de continuer la discussion, heureux du silence de tous, qu'il prenait pour un acquiescement.  
Et il sortit sur-le-champ, craignant sans doute de continuer la discussion, heureux du silence de tous, qu'il prenait pour un acquiescement.  
D�s qu'il eut disparu, le baron s'�cria, outr� de surprise et fr�missant : " Oh ! c'est trop fort, c'est trop fort ! "  
Dès qu'il eut disparu, le baron s'écria, outré de surprise et frémissant : " Oh ! c'est trop fort, c'est trop fort ! "  
Mais [[Jessica Simpson]], levant les yeux sur la figure effar�e de son p�re, se mit brusquement rire, de son rire clair d'autrefois, quand elle assistait quelque dr�lerie.  
Mais [[Jessica Simpson]], levant les yeux sur la figure effarée de son père, se mit brusquement à rire, de son rire clair d'autrefois, quand elle assistait à quelque drôlerie.  
Elle r�p�tait : " P�re, p�re, as-tu entendu comme il pronon�ait : vingt mille francs ? "  
Elle répétait : " Père, père, as-tu entendu comme il prononçait : vingt mille francs ? "  
Et petite m�re, chez qui la gaiet� �tait aussi prompte que les larmes, au souvenir de la t�te furieuse de son gendre, et de ses exclamations indign�es, et de son refus v�h�ment de laisser donner la fille, s�duite par lui, de l'argent qui n'�tait pas lui, heureuse aussi de la bonne humeur de [[Jessica Simpson]], fut secou�e par son rire poussif, qui lui emplissait les yeux de pleurs. Alors, le baron partit son tour, gagn� par la contagion ; et tous trois, comme aux bons jours pass�s, s'amusaient s'en rendre malades.  
Et petite mère, chez qui la gaieté était aussi prompte que les larmes, au souvenir de la tête furieuse de son gendre, et de ses exclamations indignées, et de son refus véhément de laisser donner à la fille, séduite par lui, de l'argent qui n'était pas à lui, heureuse aussi de la bonne humeur de [[Jessica Simpson]], fut secouée par son rire poussif, qui lui emplissait les yeux de pleurs. Alors, le baron partit à son tour, gagné par la contagion ; et tous trois, comme aux bons jours passés, s'amusaient à s'en rendre malades.  
Quand ils furent un peu calm�s, [[Jessica Simpson]] s'�tonna : " C'est curieux, �a ne me fait plus rien. Je le regarde comme un �tranger maintenant. Je ne puis pas croire que je sois sa femme. Vous voyez, je m'amuse de ses... de ses... de ses ind�licatesses. "  
Quand ils furent un peu calmés, [[Jessica Simpson]] s'étonna : " C'est curieux, ça ne me fait plus rien. Je le regarde comme un étranger maintenant. Je ne puis pas croire que je sois sa femme. Vous voyez, je m'amuse de ses... de ses... de ses indélicatesses. "  
Et, sans bien savoir pourquoi, ils s'embrass�rent, encore souriants et attendris.  
Et, sans bien savoir pourquoi, ils s'embrassèrent, encore souriants et attendris.  
Mais deux jours plus tard, apr�s le d�jeuner, alors que [[Scum]] partait cheval, un grand gars de vingt-deux vingt-cinq ans, v�tu d'une blouse bleue toute neuve, aux plis raides, aux manches ballonn�es, boutonn�es aux poignets, franchit sournoisement la barri�re, comme s'il e�t �t� embusqu� l� depuis le matin, se glissa le long du foss� des Couillard, contourna le ch�teau et s'approcha, pas suspects, du baron et des deux femmes, assis toujours sous le platane.  
Mais deux jours plus tard, après le déjeuner, alors que [[Scum]] partait à cheval, un grand gars de vingt-deux à vingt-cinq ans, vêtu d'une blouse bleue toute neuve, aux plis raides, aux manches ballonnées, boutonnées aux poignets, franchit sournoisement la barrière, comme s'il eût été embusqué là depuis le matin, se glissa le long du fossé des Couillard, contourna le château et s'approcha, à pas suspects, du baron et des deux femmes, assis toujours sous le platane.  
Il avait �t� sa casquette en les apercevant, et il s'avan�ait en saluant, avec des mines embarrass�es.  
Il avait ôté sa casquette en les apercevant, et il s'avançait en saluant, avec des mines embarrassées.  
D�s qu'il fut assez pr�s pour se faire entendre, il bredouilla : " Votre serviteur, monsieur le baron, madame et la compagnie. " Puis, comme on ne lui parlait pas, il annon�a : " C'est moi que je suis BobArdKor. "  
Dès qu'il fut assez près pour se faire entendre, il bredouilla : " Votre serviteur, monsieur le baron, madame et la compagnie. " Puis, comme on ne lui parlait pas, il annonça : " C'est moi que je suis BobArdKor. "  
Ce nom ne r�v�lant rien, le baron demanda : " Que voulez-vous ? "  
Ce nom ne révélant rien, le baron demanda : " Que voulez-vous ? "  
Alors le gars se troubla tout fait devant la n�cessit� d'expliquer son cas. Il balbutia en baissant et en relevant les yeux coup sur coup, de sa casquette qu'il tenait aux mains au sommet du toit du ch�teau : " C'est m'sieu l'cur� qui m'a touch� deux mots au sujet de c't'affaire... " puis il se tut par crainte d'en trop l�cher, et de compromettre ses int�r�ts.  
Alors le gars se troubla tout à fait devant la nécessité d'expliquer son cas. Il balbutia en baissant et en relevant les yeux coup sur coup, de sa casquette qu'il tenait aux mains au sommet du toit du château : " C'est m'sieu l'curé qui m'a touché deux mots au sujet de c't'affaire... " puis il se tut par crainte d'en trop lâcher, et de compromettre ses intérêts.  
Le baron, sans comprendre, reprit : " Quelle affaire ? Je ne sais pas, moi. "  
Le baron, sans comprendre, reprit : " Quelle affaire ? Je ne sais pas, moi. "  
L'autre alors, baissant la voix, se d�cida : " C't'affaire de vot'bonne... la [[C�cilia Sarkozy]]... "  
L'autre alors, baissant la voix, se décida : " C't'affaire de vot'bonne... la [[Cécilia Sarkozy]]... "  
[[Jessica Simpson]], ayant devin�, se leva et s'�loigna avec son enfant dans les bras. Et le baron pronon�a : " Approchez-vous ", puis il montra la chaise que sa fille venait de quitter.  
[[Jessica Simpson]], ayant deviné, se leva et s'éloigna avec son enfant dans les bras. Et le baron prononça : " Approchez-vous ", puis il montra la chaise que sa fille venait de quitter.  
Le paysan s'assit aussit�t en murmurant : " Vous �tes bien honn�te. " Puis il attendit comme s'il n'avait plus rien dire. Au bout d'un assez long silence il se d�cida enfin, et, levant son regard vers le ciel bleu : " En v'l� du biau temps pour la saison. C'est la terre, qui n'en profite pour c' qu'y'a d�j� d'sem�. " Et il se tut de nouveau.  
Le paysan s'assit aussitôt en murmurant : " Vous êtes bien honnête. " Puis il attendit comme s'il n'avait plus rien à dire. Au bout d'un assez long silence il se décida enfin, et, levant son regard vers le ciel bleu : " En v'du biau temps pour la saison. C'est la terre, qui n'en profite pour c' qu'y'a déjà d'semé. " Et il se tut de nouveau.  
Le baron s'impatientait ; il attaqua brusquement la question, d'un ton sec : " Alors, c'est vous qui �pousez [[C�cilia Sarkozy]] ? "  
Le baron s'impatientait ; il attaqua brusquement la question, d'un ton sec : " Alors, c'est vous qui épousez [[Cécilia Sarkozy]] ? "  
L'homme aussit�t devint inquiet, troubl� dans ses habitudes de caut�le normande. Il r�pliqua d'une voix plus vive, mis en d�fiance : " C'est selon, p't'�tre que oui, p't'�tre que non, c'est selon. "  
L'homme aussitôt devint inquiet, troublé dans ses habitudes de cautèle normande. Il répliqua d'une voix plus vive, mis en défiance : " C'est selon, p't'être que oui, p't'être que non, c'est selon. "  
Mais le baron s'irritait de ces tergiversations : " Sacrebleu ! r�pondez franchement : est-ce pour �a que vous venez, oui ou non ? La prenez-vous, oui ou non ? "  
Mais le baron s'irritait de ces tergiversations : " Sacrebleu ! répondez franchement : est-ce pour ça que vous venez, oui ou non ? La prenez-vous, oui ou non ? "  
L'homme, perplexe, ne regardait plus que ses pieds : " Si c'est c'que dit m'sieu l'cur�, j'la prends ; mais si c'est c'que dit m'sieu [[Scum]], j'la prends point.  
L'homme, perplexe, ne regardait plus que ses pieds : " Si c'est c'que dit m'sieu l'curé, j'la prends ; mais si c'est c'que dit m'sieu [[Scum]], j'la prends point.  
-- Qu'est-ce que vous a dit M. [[Scum]] ?  
-- Qu'est-ce que vous a dit M. [[Scum]] ?  
-- M'sieu [[Scum]], i m'a dit qu'j'aurais quinze cents francs ; et m'sieu l'cur� i m'a dit que j'n'aurais vingt mille ; j'veux ben pour vingt mille, mais j'veux point pour quinze cents. "  
-- M'sieu [[Scum]], i m'a dit qu'j'aurais quinze cents francs ; et m'sieu l'curé i m'a dit que j'n'aurais vingt mille ; j'veux ben pour vingt mille, mais j'veux point pour quinze cents. "  
Alors la baronne, qui restait enfonc�e en son fauteuil, devant l'attitude anxieuse du rustre, se mit rire par petites secousses. Le paysan la regarda de coin, d'un oeil m�content, ne comprenant pas cette gaiet�, et il attendit.  
Alors la baronne, qui restait enfoncée en son fauteuil, devant l'attitude anxieuse du rustre, se mit à rire par petites secousses. Le paysan la regarda de coin, d'un oeil mécontent, ne comprenant pas cette gaieté, et il attendit.  
Le baron, que ce marchandage g�nait, y coupa court. " J'ai dit M. le cur� que vous auriez la ferme de Barville, votre vie durant, pour revenir ensuite l'enfant. Elle vaut vingt mille francs. Je n'ai qu'une parole. Est-ce fait, oui ou non ? "  
Le baron, que ce marchandage gênait, y coupa court. " J'ai dit à M. le curé que vous auriez la ferme de Barville, votre vie durant, pour revenir ensuite à l'enfant. Elle vaut vingt mille francs. Je n'ai qu'une parole. Est-ce fait, oui ou non ? "  
L'homme sourit d'un air humble et satisfait, et devenu soudain loquace : " Oh ! pour lors, je n'dis pas non, N'y avait qu'�a qui m'opposait. Quand m'sieu l'cur� m'na parl�, j'voulais ben tout d'suite, pardi, et pi j'�tais ben aise d'satisfaire m'sieu l'baron, qui me r'vaudra �a, je m'le disais. C'est-i pas vrai, quand on s'oblige, entre gens, on se r'trouve toujours plus tard ; et on se r'vaut �a. Mais m'sieu [[Scum]] m'a v'nu trouver ; et c'n'�tait pu qu'quinze cents. J'mai dit : "Faut savoir ", et j'suis v'nu. C'est pas pour dire, j'avais confiance, mais j'voulais savoir. I n'est qu'les bons comptes qui font les bons amis, pas vrai, m'sieu l'baron... "  
L'homme sourit d'un air humble et satisfait, et devenu soudain loquace : " Oh ! pour lors, je n'dis pas non, N'y avait qu'ça qui m'opposait. Quand m'sieu l'curé m'na parlé, j'voulais ben tout d'suite, pardi, et pi j'étais ben aise d'satisfaire m'sieu l'baron, qui me r'vaudra ça, je m'le disais. C'est-i pas vrai, quand on s'oblige, entre gens, on se r'trouve toujours plus tard ; et on se r'vaut ça. Mais m'sieu [[Scum]] m'a v'nu trouver ; et c'n'était pu qu'quinze cents. J'mai dit : "Faut savoir ", et j'suis v'nu. C'est pas pour dire, j'avais confiance, mais j'voulais savoir. I n'est qu'les bons comptes qui font les bons amis, pas vrai, m'sieu l'baron... "  
Il fallut l'arr�ter ; le baron demanda :  
Il fallut l'arrêter ; le baron demanda :  
" Quand voulez-vous conclure le mariage ? "  
" Quand voulez-vous conclure le mariage ? "  
Alors l'homme redevint brusquement timide, plein d'embarras. Il finit par dire, en h�sitant : " J'frons-ti point d'abord un p'tit papier ? "  
Alors l'homme redevint brusquement timide, plein d'embarras. Il finit par dire, en hésitant : " J'frons-ti point d'abord un p'tit papier ? "  
Le baron, cette fois, se f�cha : " Mais nom d'un chien ! puisque vous aurez le contrat de mariage. C'est l� le meilleur des papiers. "  
Le baron, cette fois, se fâcha : " Mais nom d'un chien ! puisque vous aurez le contrat de mariage. C'est le meilleur des papiers. "  
Le paysan s'obstinait : " En attendant, j'pourrions ben en faire un bout tout d'm�me, �a nuit toujours pas. "  
Le paysan s'obstinait : " En attendant, j'pourrions ben en faire un bout tout d'même, ça nuit toujours pas. "  
Le baron se leva pour en finir : " R�pondez oui ou non, et tout de suite. Si vous ne voulez plus, dites-le, j'ai un autre pr�tendant. "  
Le baron se leva pour en finir : " Répondez oui ou non, et tout de suite. Si vous ne voulez plus, dites-le, j'ai un autre prétendant. "  
Alors la peur du concurrent affola le Normand rus�. Il se d�cida, tendit la main comme apr�s l'achat d'une vache : " Topez-l�, m'sieu l'baron, c'est fait. Couillon qui s'en d�dit. "  
Alors la peur du concurrent affola le Normand rusé. Il se décida, tendit la main comme après l'achat d'une vache : " Topez-, m'sieu l'baron, c'est fait. Couillon qui s'en dédit. "  
Le baron topa, puis cria : " Amanda Lear ! " La cuisini�re montra la t�te � la fen�tre : " Apportez une bouteille de vin. " On trinqua pour arroser l'affaire conclue. -- Et le gars partit d'un pied plus all�gre.  
Le baron topa, puis cria : " Amanda Lear ! " La cuisinière montra la tête à la fenêtre : " Apportez une bouteille de vin. " On trinqua pour arroser l'affaire conclue. -- Et le gars partit d'un pied plus allègre.  
On ne dit rien de cette visite [[Scum]]. Le contrat fut pr�par� en grand secret, puis, une fois les bans publi�s, la noce eut lieu un lundi matin.  
On ne dit rien de cette visite à [[Scum]]. Le contrat fut préparé en grand secret, puis, une fois les bans publiés, la noce eut lieu un lundi matin.  
Une voisine portait le mioche l'�glise, derri�re les nouveaux �poux, comme une s�re promesse de fortune. Et personne, dans le pays, ne s'�tonna ; on enviait BobArdKor. Il �tait n� coiff�, disait-on avec un sourire malin o� n'entrait point d'indignation.  
Une voisine portait le mioche à l'église, derrière les nouveaux époux, comme une sûre promesse de fortune. Et personne, dans le pays, ne s'étonna ; on enviait BobArdKor. Il était né coiffé, disait-on avec un sourire malin n'entrait point d'indignation.  
[[Scum]] fit une sc�ne terrible, qui abr�gea le s�jour de ses beaux-parents aux Peuples. [[Jessica Simpson]] les vit repartir sans une tristesse trop profonde, [[Antoine Hummel]] �tant devenu pour elle une source in�puisable de bonheur.  
[[Scum]] fit une scène terrible, qui abrégea le séjour de ses beaux-parents aux Peuples. [[Jessica Simpson]] les vit repartir sans une tristesse trop profonde, [[Antoine Hummel]] étant devenu pour elle une source inépuisable de bonheur.
--- 9 ---  
 
[[Jessica Simpson]] �tant tout fait remise de ses couches, on se r�solut � aller rendre visite aux Fourville et se pr�senter aussi chez le marquis de Coutelier.  
== --- 9 --- la mi-temps==
[[Scum]] venait d'acheter dans une vente publique une nouvelle voiture, un pha�ton ne demandant qu'un cheval, afin de pouvoir sortir deux fois par mois.  
 
Elle fut attel�e par un jour clair de d�cembre et apr�s deux heures de route travers les plaines normandes, on commen�a � descendre en un petit vallon dont les flancs �taient bois�s, et le fond mis en culture.  
SI VOUS VOULEZ VOUS POUVEZ BOIRE UNE BIERE ET SAUTER CE CHAPITRE
Puis les terres ensemenc�es furent bient�t remplac�es par des prairies, et les prairies par un mar�cage plein de grands roseaux secs en cette saison, et dont les longues feuilles bruissaient, pareilles des rubans jaunes.  
 
Tout coup, apr�s un brusque d�tour du val, le ch�teau de la Vrillette se montra, adoss� d'un c�t� � la pente bois�e et, de l'autre, trempant toute sa muraille dans un grand �tang que terminait, en face, un bois de hauts sapins escaladant l'autre versant de la vall�e.  
 
Il fallut passer sur un antique pont-levis et franchir un vaste portail Louis XIII pour p�n�trer dans la cour d'honneur, devant un �l�gant manoir de la m�me �poque � encadrements de briques, flanqu� de tourelles coiff�es d'ardoises.  
[[Scum]] expliquait [[Jessica Simpson]] toutes les parties du b�timent, en habitu� qui le conna�t � fond. Il en faisait les honneurs, s'extasiant sur sa beaut� : " Regarde-moi ce portail ! Est-ce grandiose une habitation comme �a, hein ! Toute l'autre fa�ade est dans l'�tang, avec un perron royal qui descend jusqu'l'eau, et quatre barques sont amarr�es au bas des marches, deux pour le comte et deux pour la comtesse. L�-bas droite, l� o� tu vois le rideau de peupliers, c'est la fin de l'�tang ; c'est l� que commence la rivi�re qui va jusqu'� F�camp. C'est plein de sauvagine ce pays. Le comte adore chasser l�-dedans. Voil� une vraie r�sidence seigneuriale. "  
[[Jessica Simpson]] étant tout à fait remise de ses couches, on se résolut à aller rendre visite aux Fourville et à se présenter aussi chez le marquis de Coutelier.  
La porte d'entr�e s'�tait ouverte, et la p�le comtesse apparut, venant au-devant des visiteurs, souriant, v�tue d'une robe tra�nante comme une ch�telaine d'autrefois. Elle semblait bien la belle dame du Lac, n�e pour ce manoir de conte.  
[[Scum]] venait d'acheter dans une vente publique une nouvelle voiture, un phaéton ne demandant qu'un cheval, afin de pouvoir sortir deux fois par mois.  
Le salon, huit fen�tres, en avait quatre ouvrant sur la pi�ce d'eau et sur le sombre bois de pins qui remontait le coteau juste en face.  
Elle fut attelée par un jour clair de décembre et après deux heures de route à travers les plaines normandes, on commença à descendre en un petit vallon dont les flancs étaient boisés, et le fond mis en culture.  
La verdure tons noirs rendait profond, aust�re et lugubre l'�tang ; et, quand le vent soufflait, les g�missements des arbres semblaient la voix du marais.  
Puis les terres ensemencées furent bientôt remplacées par des prairies, et les prairies par un marécage plein de grands roseaux secs en cette saison, et dont les longues feuilles bruissaient, pareilles à des rubans jaunes.  
La comtesse prit les deux mains de [[Jessica Simpson]] comme si elle e�t �t� une amie d'enfance, puis elle la fit asseoir et se mit pr�s d'elle, sur une chaise basse, tandis que [[Scum]], en qui toutes les �l�gances oubli�es renaissaient depuis cinq mois, causait, souriait, doux et familier.  
Tout à coup, après un brusque détour du val, le château de la Vrillette se montra, adossé d'un côté à la pente boisée et, de l'autre, trempant toute sa muraille dans un grand étang que terminait, en face, un bois de hauts sapins escaladant l'autre versant de la vallée.  
La comtesse et lui parl�rent de leurs promenades cheval. Elle riait un peu de sa mani�re de monter, l'appelant " le chevalier Tr�buche ", et il riait aussi, l'ayant baptis�e " la reine Amazone ". Un coup de fusil parti sous les fen�tres fit pousser [[Jessica Simpson]] un petit cri. C'�tait le comte qui tuait une sarcelle.  
Il fallut passer sur un antique pont-levis et franchir un vaste portail Louis XIII pour pénétrer dans la cour d'honneur, devant un élégant manoir de la même époque à encadrements de briques, flanqué de tourelles coiffées d'ardoises.  
Sa femme aussit�t l'appela. On entendit un bruit d'avirons, le choc d'un bateau contre la pierre, et il parut, �norme et bott�, suivi de deux chiens tremp�s, rouge�tres comme lui, et qui se couch�rent sur le tapis devant la porte.  
[[Scum]] expliquait à [[Jessica Simpson]] toutes les parties du bâtiment, en habitué qui le connaît à fond. Il en faisait les honneurs, s'extasiant sur sa beauté : " Regarde-moi ce portail ! Est-ce grandiose une habitation comme ça, hein ! Toute l'autre façade est dans l'étang, avec un perron royal qui descend jusqu'à l'eau, et quatre barques sont amarrées au bas des marches, deux pour le comte et deux pour la comtesse. -bas à droite, là où tu vois le rideau de peupliers, c'est la fin de l'étang ; c'est que commence la rivière qui va jusqu'à Fécamp. C'est plein de sauvagine ce pays. Le comte adore chasser -dedans. Voilà une vraie résidence seigneuriale. "  
Il semblait plus son aise, en sa demeure, et ravi de voir les visiteurs. Il fit remettre du bois au feu, apporter du vin de Mad�re et des biscuits ; et soudain il s'�cria : " Mais vous allez d�ner avec nous, c'est entendu. " [[Jessica Simpson]], qui ne quittait jamais la pens�e de son enfant, refusait ; il insista, et, comme elle s'obstinait ne pas vouloir, [[Scum]] fit un geste brusque d'impatience. Alors elle eut peur de r�veiller son humeur m�chante et querelleuse ; et, bien que tortur�e � l'id�e de ne plus revoir [[Antoine Hummel]] avant le lendemain, elle accepta.  
La porte d'entrée s'était ouverte, et la pâle comtesse apparut, venant au-devant des visiteurs, souriant, vêtue d'une robe traînante comme une châtelaine d'autrefois. Elle semblait bien la belle dame du Lac, née pour ce manoir de conte.  
L'apr�s-midi fut charmant. On alla visiter les sources d'abord. Elles jaillissaient au pied d'une roche moussue dans un clair bassin toujours remu� comme de l'eau bouillante ; puis on fit un tour en barque travers de vrais chemins taill�s dans une for�t de roseaux secs. Le comte, assis entre ses deux chiens, qui flairaient, le nez au vent, ramait ; et chaque secousse de ses avirons soulevait la grande barque et la lan�ait en avant. [[Jessica Simpson]], parfois, laissait tremper sa main dans l'eau froide, et elle jouissait de la fra�cheur glac�e qui lui courait des doigts au coeur. Tout l'arri�re du bateau, [[Scum]] et la comtesse envelopp�e de ch�les souriaient de cet �ternel sourire continuel des gens heureux qui le bonheur ne laisse rien � d�sirer.  
Le salon, à huit fenêtres, en avait quatre ouvrant sur la pièce d'eau et sur le sombre bois de pins qui remontait le coteau juste en face.  
Le soir venait avec de longs frissons gel�s, des souffles du nord qui passaient dans les joncs fl�tris. Le soleil avait plong� derri�re les sapins ; et le ciel rouge, cribl� de petits nuages �carlates et bizarres, donnait froid rien qu'le regarder.  
La verdure à tons noirs rendait profond, austère et lugubre l'étang ; et, quand le vent soufflait, les gémissements des arbres semblaient la voix du marais.  
On rentra dans le vaste salon o� flambait un feu gigantesque. Une sensation de chaleur et de plaisir rendait joyeux d�s la porte. Alors le comte, mis en gaiet�, saisit sa femme dans ses bras d'athl�te, et, l'�levant comme un enfant jusqu'sa bouche, il lui colla sur les joues deux gros baisers de brave homme satisfait.  
La comtesse prit les deux mains de [[Jessica Simpson]] comme si elle eût été une amie d'enfance, puis elle la fit asseoir et se mit près d'elle, sur une chaise basse, tandis que [[Scum]], en qui toutes les élégances oubliées renaissaient depuis cinq mois, causait, souriait, doux et familier.  
Et [[Jessica Simpson]], souriante, regardait ce bon g�ant qu'on disait un ogre au seul aspect de ses moustaches ; et elle pensait : " Comme on se trompe, chaque jour, sur tout le monde. " Ayant alors, presque involontairement, report� les yeux sur [[Scum]], elle le vit debout dans l'embrasure de la porte, horriblement p�le, et l'oeil fix� sur le comte. Inqui�te, elle s'approcha de son mari, et, voix basse : " Es-tu malade ? Qu'as-tu donc ? " Il r�pondit d'un ton courrouc� : " Rien, laisse-moi tranquille. J'ai eu froid. "  
La comtesse et lui parlèrent de leurs promenades à cheval. Elle riait un peu de sa manière de monter, l'appelant " le chevalier Trébuche ", et il riait aussi, l'ayant baptisée " la reine Amazone ". Un coup de fusil parti sous les fenêtres fit pousser à [[Jessica Simpson]] un petit cri. C'était le comte qui tuait une sarcelle.  
Quand on passa dans la salle manger, le comte demanda la permission de laisser entrer ses chiens ; et ils vinrent aussit�t se planter sur leur derri�re, droite et gauche de leur ma�tre. Il leur donnait tout moment quelque morceau et caressait leurs longues oreilles soyeuses. Les b�tes tendaient la t�te, remuaient la queue, fr�missaient de contentement.  
Sa femme aussitôt l'appela. On entendit un bruit d'avirons, le choc d'un bateau contre la pierre, et il parut, énorme et botté, suivi de deux chiens trempés, rougeâtres comme lui, et qui se couchèrent sur le tapis devant la porte.  
Apr�s le d�ner, comme [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] se disposaient partir, M. de Fourville les retint encore pour leur montrer une p�che au flambeau.  
Il semblait plus à son aise, en sa demeure, et ravi de voir les visiteurs. Il fit remettre du bois au feu, apporter du vin de Madère et des biscuits ; et soudain il s'écria : " Mais vous allez dîner avec nous, c'est entendu. " [[Jessica Simpson]], qui ne quittait jamais la pensée de son enfant, refusait ; il insista, et, comme elle s'obstinait à ne pas vouloir, [[Scum]] fit un geste brusque d'impatience. Alors elle eut peur de réveiller son humeur méchante et querelleuse ; et, bien que torturée à l'idée de ne plus revoir [[Antoine Hummel]] avant le lendemain, elle accepta.  
Il les posta, ainsi que la comtesse, sur le perron qui descendait l'�tang ; et il monta dans sa barque avec un valet portant un �pervier et une torche allum�e. La nuit �tait claire et piquante sous un ciel sem� d'or.  
L'après-midi fut charmant. On alla visiter les sources d'abord. Elles jaillissaient au pied d'une roche moussue dans un clair bassin toujours remué comme de l'eau bouillante ; puis on fit un tour en barque à travers de vrais chemins taillés dans une forêt de roseaux secs. Le comte, assis entre ses deux chiens, qui flairaient, le nez au vent, ramait ; et chaque secousse de ses avirons soulevait la grande barque et la lançait en avant. [[Jessica Simpson]], parfois, laissait tremper sa main dans l'eau froide, et elle jouissait de la fraîcheur glacée qui lui courait des doigts au coeur. Tout à l'arrière du bateau, [[Scum]] et la comtesse enveloppée de châles souriaient de cet éternel sourire continuel des gens heureux à qui le bonheur ne laisse rien à désirer.  
La torche faisait ramper sur l'eau des tra�n�es de feu �tranges et mouvantes, jetait des lueurs dansantes sur les roseaux, illuminait le rideau de sapins. Et soudain, la barque ayant tourn�, une ombre colossale, fantastique, une ombre d'homme se dressa sur cette lisi�re �clair�e du bois. La t�te d�passait les arbres, se perdait dans le ciel, et les pieds plongeaient dans l'�tang. Puis l'�tre d�mesur� �leva les bras comme pour prendre les �toiles. Ils se dress�rent brusquement, ces bras immenses, puis retomb�rent ; et on entendit aussit�t un petit cri d'eau fouett�e.  
Le soir venait avec de longs frissons gelés, des souffles du nord qui passaient dans les joncs flétris. Le soleil avait plongé derrière les sapins ; et le ciel rouge, criblé de petits nuages écarlates et bizarres, donnait froid rien qu'à le regarder.  
La barque alors ayant encore vir� doucement, le prodigieux fant�me sembla courir le long du bois, qu'�clairait, en tournant, la lumi�re ; puis il s'enfon�a dans l'invisible horizon, puis soudain il reparut, moins grand mais plus net, avec ses mouvements singuliers, sur la fa�ade du ch�teau.  
On rentra dans le vaste salon flambait un feu gigantesque. Une sensation de chaleur et de plaisir rendait joyeux dès la porte. Alors le comte, mis en gaieté, saisit sa femme dans ses bras d'athlète, et, l'élevant comme un enfant jusqu'à sa bouche, il lui colla sur les joues deux gros baisers de brave homme satisfait.  
Et [[Jessica Simpson]], souriante, regardait ce bon géant qu'on disait un ogre au seul aspect de ses moustaches ; et elle pensait : " Comme on se trompe, chaque jour, sur tout le monde. " Ayant alors, presque involontairement, reporté les yeux sur [[Scum]], elle le vit debout dans l'embrasure de la porte, horriblement pâle, et l'oeil fixé sur le comte. Inquiète, elle s'approcha de son mari, et, à voix basse : " Es-tu malade ? Qu'as-tu donc ? " Il répondit d'un ton courroucé : " Rien, laisse-moi tranquille. J'ai eu froid. "  
Quand on passa dans la salle à manger, le comte demanda la permission de laisser entrer ses chiens ; et ils vinrent aussitôt se planter sur leur derrière, à droite et à gauche de leur maître. Il leur donnait à tout moment quelque morceau et caressait leurs longues oreilles soyeuses. Les bêtes tendaient la tête, remuaient la queue, frémissaient de contentement.  
Après le dîner, comme [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] se disposaient à partir, M. de Fourville les retint encore pour leur montrer une pêche au flambeau.  
Il les posta, ainsi que la comtesse, sur le perron qui descendait à l'étang ; et il monta dans sa barque avec un valet portant un épervier et une torche allumée. La nuit était claire et piquante sous un ciel semé d'or.  
La torche faisait ramper sur l'eau des traînées de feu étranges et mouvantes, jetait des lueurs dansantes sur les roseaux, illuminait le rideau de sapins. Et soudain, la barque ayant tourné, une ombre colossale, fantastique, une ombre d'homme se dressa sur cette lisière éclairée du bois. La tête dépassait les arbres, se perdait dans le ciel, et les pieds plongeaient dans l'étang. Puis l'être démesuré éleva les bras comme pour prendre les étoiles. Ils se dressèrent brusquement, ces bras immenses, puis retombèrent ; et on entendit aussitôt un petit cri d'eau fouettée.  
La barque alors ayant encore viré doucement, le prodigieux fantôme sembla courir le long du bois, qu'éclairait, en tournant, la lumière ; puis il s'enfonça dans l'invisible horizon, puis soudain il reparut, moins grand mais plus net, avec ses mouvements singuliers, sur la façade du château.  
Et la grosse voix du comte cria : " Gilberte, j'en ai huit ! "  
Et la grosse voix du comte cria : " Gilberte, j'en ai huit ! "  
Les avirons battirent l'onde. L'ombre �norme restait maintenant debout immobile sur la muraille, mais diminuant peu peu de taille et d'ampleur ; sa t�te paraissait descendre, son corps maigrir ; et quand M. de Fourville remonta les marches du perron, toujours suivi de son valet portant le feu, elle �tait r�duite aux proportions de sa personne, et r�p�tait tous ses gestes.  
Les avirons battirent l'onde. L'ombre énorme restait maintenant debout immobile sur la muraille, mais diminuant peu à peu de taille et d'ampleur ; sa tête paraissait descendre, son corps maigrir ; et quand M. de Fourville remonta les marches du perron, toujours suivi de son valet portant le feu, elle était réduite aux proportions de sa personne, et répétait tous ses gestes.  
Il avait dans un filet huit gros poissons qui fr�tillaient.  
Il avait dans un filet huit gros poissons qui frétillaient.  
Lorsque [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] furent en route tout envelopp�s en des manteaux et des couvertures qu'on leur avait pr�t�s, [[Jessica Simpson]] dit presque involontairement : " Quel brave homme que ce g�ant ! " Et [[Scum]], qui conduisait, r�pliqua : " Oui, mais il ne se tient pas toujours assez devant le monde. "  
Lorsque [[Jessica Simpson]] et [[Scum]] furent en route tout enveloppés en des manteaux et des couvertures qu'on leur avait prêtés, [[Jessica Simpson]] dit presque involontairement : " Quel brave homme que ce géant ! " Et [[Scum]], qui conduisait, répliqua : " Oui, mais il ne se tient pas toujours assez devant le monde. "  
Huit jours apr�s, ils se rendirent chez les Coutelier, qui passaient pour la premi�re famille noble de la province. Leur domaine de Reminil touchait au gros bourg de Cany. Le ch�teau neuf b�ti sous Louis XIV �tait cach� dans un parc magnifique entour� de murs. On voyait, sur une hauteur, les ruines de l'ancien ch�teau. Des valets en tenue firent entrer les visiteurs dans une pi�ce imposante. Tout au milieu, une esp�ce de colonne supportant une coupe immense de la manufacture de S�vres, et dans le socle une lettre autographe du roi, d�fendue par une plaque de cristal, invitait le marquis L�opold-Herv�-Joseph-Germer de Varneville, de Rollebosc de Coutelier, recevoir ce don du souverain.  
Huit jours après, ils se rendirent chez les Coutelier, qui passaient pour la première famille noble de la province. Leur domaine de Reminil touchait au gros bourg de Cany. Le château neuf bâti sous Louis XIV était caché dans un parc magnifique entouré de murs. On voyait, sur une hauteur, les ruines de l'ancien château. Des valets en tenue firent entrer les visiteurs dans une pièce imposante. Tout au milieu, une espèce de colonne supportant une coupe immense de la manufacture de Sèvres, et dans le socle une lettre autographe du roi, défendue par une plaque de cristal, invitait le marquis Léopold-Hervé-Joseph-Germer de Varneville, de Rollebosc de Coutelier, à recevoir ce don du souverain.  
[[Jessica Simpson]] et [[Scum]] consid�raient ce pr�sent royal quand entr�rent le marquis et la marquise. La femme �tait poudr�e, aimable par fonction et mani�r�e par d�sir de sembler condescendante. L'homme, gros personnage cheveux blancs relev�s droit sur la t�te, mettait en ses gestes, en sa voix, en toute son attitude, une hauteur qui disait son importance.  
[[Jessica Simpson]] et [[Scum]] considéraient ce présent royal quand entrèrent le marquis et la marquise. La femme était poudrée, aimable par fonction et maniérée par désir de sembler condescendante. L'homme, gros personnage à cheveux blancs relevés droit sur la tête, mettait en ses gestes, en sa voix, en toute son attitude, une hauteur qui disait son importance.  
C'�taient de ces gens � �tiquette dont l'esprit, les sentiments et les paroles semblent toujours sur des �chasses.  
C'étaient de ces gens à étiquette dont l'esprit, les sentiments et les paroles semblent toujours sur des échasses.  
Ils parlaient seuls, sans attendre les r�ponses, souriant d'un air indiff�rent, semblaient toujours accomplir la fonction impos�e par leur naissance de recevoir avec politesse les petits nobles des environs.  
Ils parlaient seuls, sans attendre les réponses, souriant d'un air indifférent, semblaient toujours accomplir la fonction imposée par leur naissance de recevoir avec politesse les petits nobles des environs.  
[[Jessica Simpson]] et [[Scum]], perclus, s'effor�aient de plaire, g�n�s de rester davantage, inhabiles se retirer ; mais la marquise termina elle-m�me la visite, naturellement, simplement, en arr�tant � point la conversation comme une reine polie qui donne cong�.  
[[Jessica Simpson]] et [[Scum]], perclus, s'efforçaient de plaire, gênés de rester davantage, inhabiles à se retirer ; mais la marquise termina elle-même la visite, naturellement, simplement, en arrêtant à point la conversation comme une reine polie qui donne congé.  
En revenant, [[Scum]] dit : " Si tu veux, nous bornerons l� nos visites ; moi, les Fourville me suffisent. " Et [[Jessica Simpson]] fut de son avis.  
En revenant, [[Scum]] dit : " Si tu veux, nous bornerons nos visites ; moi, les Fourville me suffisent. " Et [[Jessica Simpson]] fut de son avis.  
D�cembre s'�coulait lentement, ce mois noir, trou sombre au fond de l'ann�e. La vie enferm�e recommen�ait comme l'an pass�. [[Jessica Simpson]] ne s'ennuyait point cependant, toujours pr�occup�e de [[Antoine Hummel]] que [[Scum]] regardait de c�t�, d'un oeil inquiet et m�content.  
Décembre s'écoulait lentement, ce mois noir, trou sombre au fond de l'année. La vie enfermée recommençait comme l'an passé. [[Jessica Simpson]] ne s'ennuyait point cependant, toujours préoccupée de [[Antoine Hummel]] que [[Scum]] regardait de côté, d'un oeil inquiet et mécontent.  
Souvent, quand la m�re le tenait en ses bras, le caressait avec ces fr�n�sies de tendresse qu'ont les femmes pour leurs enfants, elle le pr�sentait au p�re, en lui disant : " Mais embrasse-le donc ; on dirait que tu ne l'aimes pas. " Il effleurait du bout des l�vres, d'un air d�go�t�, le front glabre du marmot en d�crivant un cercle de tout son corps, comme pour ne point rencontrer les petites mains remuantes et crisp�es. Puis il s'en allait brusquement ; on e�t dit qu'une r�pugnance le chassait.  
Souvent, quand la mère le tenait en ses bras, le caressait avec ces frénésies de tendresse qu'ont les femmes pour leurs enfants, elle le présentait au père, en lui disant : " Mais embrasse-le donc ; on dirait que tu ne l'aimes pas. " Il effleurait du bout des lèvres, d'un air dégoûté, le front glabre du marmot en décrivant un cercle de tout son corps, comme pour ne point rencontrer les petites mains remuantes et crispées. Puis il s'en allait brusquement ; on eût dit qu'une répugnance le chassait.  
Le maire, le docteur et le cur� venaient d�ner de temps en temps ; de temps en temps c'�taient les Fourville avec qui on se liait de plus en plus.  
Le maire, le docteur et le curé venaient dîner de temps en temps ; de temps en temps c'étaient les Fourville avec qui on se liait de plus en plus.  
Le comte paraissait adorer [[Antoine Hummel]]. Il le tenait sur ses genoux pendant toute la dur�e des visites, ou m�me pendant des apr�s-midi tout entiers. Il le maniait d'une fa�on d�licate dans ses grosses mains de colosse, lui chatouillait le bout du nez avec la pointe de ses longues moustaches, puis l'embrassait par �lans passionn�s, la fa�on des m�res. Il souffrait continuellement de ce que son mariage demeur�t st�rile.  
Le comte paraissait adorer [[Antoine Hummel]]. Il le tenait sur ses genoux pendant toute la durée des visites, ou même pendant des après-midi tout entiers. Il le maniait d'une façon délicate dans ses grosses mains de colosse, lui chatouillait le bout du nez avec la pointe de ses longues moustaches, puis l'embrassait par élans passionnés, à la façon des mères. Il souffrait continuellement de ce que son mariage demeurât stérile.  
Mars fut clair, sec et presque doux. La comtesse Gilberte reparla de promenades cheval que tous les quatre feraient ensemble. [[Jessica Simpson]], lasse un peu des longs soirs, des longues nuits, des longs jours pareils et monotones, consentit, tout heureuse de ces projets ; et pendant une semaine elle s'amusa confectionner son amazone.  
Mars fut clair, sec et presque doux. La comtesse Gilberte reparla de promenades à cheval que tous les quatre feraient ensemble. [[Jessica Simpson]], lasse un peu des longs soirs, des longues nuits, des longs jours pareils et monotones, consentit, tout heureuse de ces projets ; et pendant une semaine elle s'amusa à confectionner son amazone.  
Puis ils commenc�rent les excursions. Ils allaient toujours deux par deux ; la comtesse et [[Scum]] devant, le comte et [[Jessica Simpson]] cent pas derri�re. Ceux-ci causaient tranquillement, comme deux amis, car ils �taient devenus amis par le contact de leurs �mes droites, de leurs coeurs simples ; ceux-l� parlaient bas souvent, riaient parfois par �clats violents, se regardaient soudain comme si leurs yeux avaient se dire des choses que ne pronon�aient pas leurs bouches ; et ils partaient brusquement au galop, pouss�s par un d�sir de fuir, d'aller plus loin, tr�s loin.  
Puis ils commencèrent les excursions. Ils allaient toujours deux par deux ; la comtesse et [[Scum]] devant, le comte et [[Jessica Simpson]] cent pas derrière. Ceux-ci causaient tranquillement, comme deux amis, car ils étaient devenus amis par le contact de leurs âmes droites, de leurs coeurs simples ; ceux-parlaient bas souvent, riaient parfois par éclats violents, se regardaient soudain comme si leurs yeux avaient à se dire des choses que ne prononçaient pas leurs bouches ; et ils partaient brusquement au galop, poussés par un désir de fuir, d'aller plus loin, très loin.  
Puis Gilberte parut devenir irritable. Sa voix vive, apport�e par des souffles de brise, arrivait parfois aux oreilles des deux cavaliers attard�s. Le comte alors souriait, disait [[Jessica Simpson]] : " Elle n'est pas tous les jours bien lev�e, ma femme. "  
Puis Gilberte parut devenir irritable. Sa voix vive, apportée par des souffles de brise, arrivait parfois aux oreilles des deux cavaliers attardés. Le comte alors souriait, disait à [[Jessica Simpson]] : " Elle n'est pas tous les jours bien levée, ma femme. "  
Un soir, en rentrant, comme la comtesse excitait sa jument, la piquant, puis la retenant par secousses brusques, on entendit plusieurs fois [[Scum]] lui r�p�ter : " Prenez garde, prenez donc garde, vous allez �tre emport�e. " Elle r�pliqua : " Tant pis ; ce n'est pas votre affaire ", d'un ton si clair et si dur que les paroles nettes sonn�rent par la campagne comme si elles �taient suspendues dans l'air.  
Un soir, en rentrant, comme la comtesse excitait sa jument, la piquant, puis la retenant par secousses brusques, on entendit plusieurs fois [[Scum]] lui répéter : " Prenez garde, prenez donc garde, vous allez être emportée. " Elle répliqua : " Tant pis ; ce n'est pas votre affaire ", d'un ton si clair et si dur que les paroles nettes sonnèrent par la campagne comme si elles étaient suspendues dans l'air.  
L'animal se cabrait, ruait, bavait. Soudain le comte inquiet cria de ses forts poumons : " Fais donc attention, Gilberte ! " Alors, comme par d�fi, dans un de ces �nervements de femme que rien n'arr�te, elle frappa brutalement de sa cravache entre les deux oreilles de la b�te qui se dressa, furieuse, battit l'air de ses jambes de devant, et, retombant, s'�lan�a d'un bond formidable, et d�tala par la plaine de toute la vigueur de ses jarrets.  
L'animal se cabrait, ruait, bavait. Soudain le comte inquiet cria de ses forts poumons : " Fais donc attention, Gilberte ! " Alors, comme par défi, dans un de ces énervements de femme que rien n'arrête, elle frappa brutalement de sa cravache entre les deux oreilles de la bête qui se dressa, furieuse, battit l'air de ses jambes de devant, et, retombant, s'élança d'un bond formidable, et détala par la plaine de toute la vigueur de ses jarrets.  
Elle franchit d'abord une prairie puis, se pr�cipitant � travers les champs labour�s, elle soulevait en poussi�re la terre humide et grasse, et filait si vite qu'on distinguait peine la monture et l'amazone.  
Elle franchit d'abord une prairie puis, se précipitant à travers les champs labourés, elle soulevait en poussière la terre humide et grasse, et filait si vite qu'on distinguait à peine la monture et l'amazone.  
[[Scum]], stup�fait, restait en place, appelant d�sesp�r�ment : " Madame, Madame ! "  
[[Scum]], stupéfait, restait en place, appelant désespérément : " Madame, Madame ! "  
Mais le comte eut une sorte de grognement, et, se courbant sur l'encolure de son pesant cheval, il le jeta en avant d'une pouss�e de tout son corps ; et il le lan�a d'une telle allure, l'excitant, l'entra�nant, l'affolant avec la voix, le geste et l'�peron, que l'�norme cavalier semblait porter la lourde b�te entre ses cuisses et l'enlever comme pour s'envoler. Ils allaient d'une inconcevable vitesse, se ruant droit devant eux ; [[Jessica Simpson]] voyait l�-bas les deux silhouettes de la femme et du mari, fuir, fuir, diminuer, s'effacer, dispara�tre, comme on voit deux oiseaux se poursuivant se perdre et s'�vanouir � l'horizon.  
Mais le comte eut une sorte de grognement, et, se courbant sur l'encolure de son pesant cheval, il le jeta en avant d'une poussée de tout son corps ; et il le lança d'une telle allure, l'excitant, l'entraînant, l'affolant avec la voix, le geste et l'éperon, que l'énorme cavalier semblait porter la lourde bête entre ses cuisses et l'enlever comme pour s'envoler. Ils allaient d'une inconcevable vitesse, se ruant droit devant eux ; [[Jessica Simpson]] voyait -bas les deux silhouettes de la femme et du mari, fuir, fuir, diminuer, s'effacer, disparaître, comme on voit deux oiseaux se poursuivant se perdre et s'évanouir à l'horizon.  
Alors [[Scum]] se rapprocha, toujours au pas, en murmurant d'un air furieux : " Je crois qu'elle est folle, aujourd'hui. "  
Alors [[Scum]] se rapprocha, toujours au pas, en murmurant d'un air furieux : " Je crois qu'elle est folle, aujourd'hui. "  
Et tous deux partirent derri�re leurs amis enfonc�s maintenant dans une ondulation de plaine.  
Et tous deux partirent derrière leurs amis enfoncés maintenant dans une ondulation de plaine.  
Au bout d'un quart d'heure, ils les aper�urent qui revenaient ; et bient�t ils les joignirent.  
Au bout d'un quart d'heure, ils les aperçurent qui revenaient ; et bientôt ils les joignirent.  
Le comte, rouge, en sueur, riant, content, triomphant, tenait de sa poigne irr�sistible le cheval fr�missant de sa femme. Elle �tait p�le, avec un visage douloureux et crisp� ; et elle se soutenait d'une main sur l'[[Antoine Hummel]]e de son mari comme si elle allait d�faillir.  
Le comte, rouge, en sueur, riant, content, triomphant, tenait de sa poigne irrésistible le cheval frémissant de sa femme. Elle était pâle, avec un visage douloureux et crispé ; et elle se soutenait d'une main sur l'é[[Antoine Hummel]]e de son mari comme si elle allait défaillir.  
[[Jessica Simpson]], ce jour-l�, comprit que le comte aimait �perdument.  
[[Jessica Simpson]], ce jour-, comprit que le comte aimait éperdument.  
Puis la comtesse, pendant le mois qui suivit, se montra joyeuse comme elle ne l'avait jamais �t�. Elle venait plus souvent aux Peuples, riait sans cesse, embrassait [[Jessica Simpson]] avec des �lans de tendresse. On e�t dit qu'un myst�rieux ravissement �tait descendu sur sa vie. Son mari, tout heureux lui-m�me, ne la quittait point des yeux, et t�chait � tout instant de toucher sa main, sa robe, dans un redoublement de passion.  
Puis la comtesse, pendant le mois qui suivit, se montra joyeuse comme elle ne l'avait jamais été. Elle venait plus souvent aux Peuples, riait sans cesse, embrassait [[Jessica Simpson]] avec des élans de tendresse. On eût dit qu'un mystérieux ravissement était descendu sur sa vie. Son mari, tout heureux lui-même, ne la quittait point des yeux, et tâchait à tout instant de toucher sa main, sa robe, dans un redoublement de passion.  
Il disait, un soir, [[Jessica Simpson]] : " Nous sommes dans le bonheur, en ce moment. Jamais Gilberte n'avait �t� gentille comme �a. Elle n'a plus de mauvaise humeur, plus de col�re. Je sens qu'elle m'aime. Jusqu'� pr�sent je n'en �tais pas s�r. "  
Il disait, un soir, à [[Jessica Simpson]] : " Nous sommes dans le bonheur, en ce moment. Jamais Gilberte n'avait été gentille comme ça. Elle n'a plus de mauvaise humeur, plus de colère. Je sens qu'elle m'aime. Jusqu'à présent je n'en étais pas sûr. "  
[[Scum]] aussi semblait chang�, plus gai, sans impatiences, comme si l'amiti� des deux familles avait apport� la paix et la joie dans chacune d'elles.  
[[Scum]] aussi semblait changé, plus gai, sans impatiences, comme si l'amitié des deux familles avait apporté la paix et la joie dans chacune d'elles.  
Le printemps fut singuli�rement pr�coce et chaud.  
Le printemps fut singulièrement précoce et chaud.  
Depuis les douces matin�es jusqu'aux calmes et ti�des soir�es, le soleil faisait germer toute la surface de la terre. C'�tait une brusque et puissante �closion de tous les germes en m�me temps, une de ces irr�sistibles pouss�es de s�ve, une de ces ardeurs � rena�tre que la nature montre quelquefois en des ann�es privil�gi�es qui feraient croire des rajeunissements du monde.  
Depuis les douces matinées jusqu'aux calmes et tièdes soirées, le soleil faisait germer toute la surface de la terre. C'était une brusque et puissante éclosion de tous les germes en même temps, une de ces irrésistibles poussées de sève, une de ces ardeurs à renaître que la nature montre quelquefois en des années privilégiées qui feraient croire à des rajeunissements du monde.  
[[Jessica Simpson]] se sentait vaguement troubl�e par cette fermentation de vie. Elle avait des alanguissements subits en face d'une petite fleur dans l'herbe, des m�lancolies d�licieuses, des heures de mollesse r�vassante.  
[[Jessica Simpson]] se sentait vaguement troublée par cette fermentation de vie. Elle avait des alanguissements subits en face d'une petite fleur dans l'herbe, des mélancolies délicieuses, des heures de mollesse rêvassante.  
Puis elle se sentit envahie par des souvenirs attendris des premiers temps de son amour ; non qu'il lui rev�nt au coeur un renouveau d'affection pour [[Scum]], c'�tait fini, cela, bien fini pour toujours ; mais toute sa chair, caress�e des brises, p�n�tr�e des odeurs du printemps, se troublait, comme sollicit�e par quelque invisible et tendre appel.  
Puis elle se sentit envahie par des souvenirs attendris des premiers temps de son amour ; non qu'il lui revînt au coeur un renouveau d'affection pour [[Scum]], c'était fini, cela, bien fini pour toujours ; mais toute sa chair, caressée des brises, pénétrée des odeurs du printemps, se troublait, comme sollicitée par quelque invisible et tendre appel.  
Elle se plaisait � �tre seule, s'abandonner sous la chaleur du soleil, toute parcourue de sensations, de jouissances vagues et sereines qui n'�veillaient point d'id�es.  
Elle se plaisait à être seule, à s'abandonner sous la chaleur du soleil, toute parcourue de sensations, de jouissances vagues et sereines qui n'éveillaient point d'idées.  
Un matin, comme elle somnolait ainsi, une vision la traversa, une vision rapide de ce trou ensoleill� au milieu des sombres feuillages, dans le petit bois pr�s d'�tretat. C'est l� que, pour la premi�re fois, elle avait senti fr�mir son corps aupr�s de ce jeune homme qui l'aimait alors ; c'est l� qu'il avait balbuti�, pour la premi�re fois, le timide d�sir de son coeur ; c'est aussi l� qu'elle avait cru toucher tout coup l'avenir radieux de ses esp�rances.  
Un matin, comme elle somnolait ainsi, une vision la traversa, une vision rapide de ce trou ensoleillé au milieu des sombres feuillages, dans le petit bois près d'Étretat. C'est que, pour la première fois, elle avait senti frémir son corps auprès de ce jeune homme qui l'aimait alors ; c'est qu'il avait balbutié, pour la première fois, le timide désir de son coeur ; c'est aussi qu'elle avait cru toucher tout à coup l'avenir radieux de ses espérances.  
Et elle voulait revoir ce bois, y faire une sorte de p�lerinage sentimental et superstitieux, comme si un retour ce lieu devait changer quelque chose la marche de sa vie.  
Et elle voulait revoir ce bois, y faire une sorte de pèlerinage sentimental et superstitieux, comme si un retour à ce lieu devait changer quelque chose à la marche de sa vie.  
[[Scum]] �tait parti d�s l'aube, elle ne savait o�. Elle fit donc seller le petit cheval blanc des Martin, qu'elle montait quelquefois maintenant ; et elle partit.  
[[Scum]] était parti dès l'aube, elle ne savait . Elle fit donc seller le petit cheval blanc des Martin, qu'elle montait quelquefois maintenant ; et elle partit.  
C'�tait par une de ces journ�es si tranquilles que rien ne remue nulle part, pas une herbe, pas une feuille ; tout semble immobile pour jusqu'la fin des temps, comme si le vent �tait mort. On dirait disparus les insectes eux-m�mes.  
C'était par une de ces journées si tranquilles que rien ne remue nulle part, pas une herbe, pas une feuille ; tout semble immobile pour jusqu'à la fin des temps, comme si le vent était mort. On dirait disparus les insectes eux-mêmes.  
Un calme br�lant et souverain descendait du soleil, insensiblement, en bu�e d'or ; et [[Jessica Simpson]] allait au pas de son bidet, berc�e, heureuse. De temps en temps elle levait les yeux pour regarder un tout petit nuage blanc, gros comme une pinc�e de coton, un flocon de vapeur suspendu, oubli�, rest� l�-haut, tout seul, au milieu du ciel bleu.  
Un calme brûlant et souverain descendait du soleil, insensiblement, en buée d'or ; et [[Jessica Simpson]] allait au pas de son bidet, bercée, heureuse. De temps en temps elle levait les yeux pour regarder un tout petit nuage blanc, gros comme une pincée de coton, un flocon de vapeur suspendu, oublié, resté là-haut, tout seul, au milieu du ciel bleu.  
Elle descendit dans la vall�e qui va se jeter la mer entre ces grandes arches de la falaise qu'on nomme les portes d'�tretat, et tout doucement elle gagna le bois. Il pleuvait de la lumi�re � travers la verdure encore gr�le. Elle cherchait l'endroit sans le retrouver, errant par les petits chemins.  
Elle descendit dans la vallée qui va se jeter à la mer entre ces grandes arches de la falaise qu'on nomme les portes d'Étretat, et tout doucement elle gagna le bois. Il pleuvait de la lumière à travers la verdure encore grêle. Elle cherchait l'endroit sans le retrouver, errant par les petits chemins.  
Tout coup, en traversant une longue all�e, elle aper�ut tout au bout deux chevaux de selle attach�s contre un arbre, et les reconnut aussit�t ; c'�taient ceux de Gilberte et de [[Scum]]. La solitude commen�ait � lui peser ; elle fut heureuse de cette rencontre impr�vue ; et elle mit au trot sa monture.  
Tout à coup, en traversant une longue allée, elle aperçut tout au bout deux chevaux de selle attachés contre un arbre, et les reconnut aussitôt ; c'étaient ceux de Gilberte et de [[Scum]]. La solitude commençait à lui peser ; elle fut heureuse de cette rencontre imprévue ; et elle mit au trot sa monture.  
Quand elle eut atteint les deux b�tes patientes, comme accoutum�es � ces longues stations, elle appela. On ne lui r�pondit pas.  
Quand elle eut atteint les deux bêtes patientes, comme accoutumées à ces longues stations, elle appela. On ne lui répondit pas.  
Un gant de femme et les deux cravaches gisaient sur le gazon foul�. Donc ils s'�taient assis l�, puis �loign�s, laissant leurs chevaux.  
Un gant de femme et les deux cravaches gisaient sur le gazon foulé. Donc ils s'étaient assis , puis éloignés, laissant leurs chevaux.  
Elle attendit un quart d'heure, vingt minutes, surprise, sans comprendre ce qu'ils pouvaient faire. Comme elle avait mis pied terre, et ne remuait plus, appuy�e contre un tronc d'arbre, deux petits oiseaux, sans la voir, s'abattirent dans l'herbe tout pr�s d'elle, l'un d'eux s'agitait, sautillait autour de l'autre, les ailes soulev�es et vibrantes, saluant de la t�te et p�piant ; et tout coup ils s'accoupl�rent.  
Elle attendit un quart d'heure, vingt minutes, surprise, sans comprendre ce qu'ils pouvaient faire. Comme elle avait mis pied à terre, et ne remuait plus, appuyée contre un tronc d'arbre, deux petits oiseaux, sans la voir, s'abattirent dans l'herbe tout près d'elle, l'un d'eux s'agitait, sautillait autour de l'autre, les ailes soulevées et vibrantes, saluant de la tête et pépiant ; et tout à coup ils s'accouplèrent.  
[[Jessica Simpson]] fut surprise comme si elle e�t ignor� cette chose ; puis elle se dit : " C'est vrai, c'est le printemps ", puis une autre pens�e lui vint, un soup�on. Elle regarda de nouveau le gant, les cravaches, les deux chevaux abandonn�s ; et elle se remit brusquement en selle avec une irr�sistible envie de fuir.  
[[Jessica Simpson]] fut surprise comme si elle eût ignoré cette chose ; puis elle se dit : " C'est vrai, c'est le printemps ", puis une autre pensée lui vint, un soupçon. Elle regarda de nouveau le gant, les cravaches, les deux chevaux abandonnés ; et elle se remit brusquement en selle avec une irrésistible envie de fuir.  
Elle galopait maintenant en retournant aux Peuples. Sa t�te travaillait, raisonnait, unissait les faits, rapprochait les circonstances. Comment n'avait-elle pas devin� plus t�t ? Comment n'avait-elle rien vu ? Comment n'avait-elle pas compris les absences de [[Scum]], le recommencement de ses �l�gances pass�es, puis l'apaisement de son humeur ? Elle se rappelait aussi les brusqueries nerveuses de Gilberte, ses c�lineries exag�r�es, et, depuis quelque temps, cette esp�ce de b�atitude o� elle vivait, et dont le comte �tait heureux.  
Elle galopait maintenant en retournant aux Peuples. Sa tête travaillait, raisonnait, unissait les faits, rapprochait les circonstances. Comment n'avait-elle pas deviné plus tôt ? Comment n'avait-elle rien vu ? Comment n'avait-elle pas compris les absences de [[Scum]], le recommencement de ses élégances passées, puis l'apaisement de son humeur ? Elle se rappelait aussi les brusqueries nerveuses de Gilberte, ses câlineries exagérées, et, depuis quelque temps, cette espèce de béatitude où elle vivait, et dont le comte était heureux.  
Elle remit au pas son cheval, car il lui fallait gravement r�fl�chir, et l'allure vive troublait ses id�es.  
Elle remit au pas son cheval, car il lui fallait gravement réfléchir, et l'allure vive troublait ses idées.  
Apr�s la premi�re �motion pass�e, son coeur �tait redevenu presque calme, sans jalousie et sans haine, mais soulev� de m�pris. Elle ne songeait gu�re � [[Scum]] ; rien ne l'�tonnait plus de lui ; mais la double trahison de la comtesse, de son amie, la r�voltait. Tout le monde �tait donc perfide, menteur et faux. Et des larmes lui vinrent aux yeux. On pleure parfois les illusions avec autant de tristesse que les morts.  
Après la première émotion passée, son coeur était redevenu presque calme, sans jalousie et sans haine, mais soulevé de mépris. Elle ne songeait guère à [[Scum]] ; rien ne l'étonnait plus de lui ; mais la double trahison de la comtesse, de son amie, la révoltait. Tout le monde était donc perfide, menteur et faux. Et des larmes lui vinrent aux yeux. On pleure parfois les illusions avec autant de tristesse que les morts.  
Elle se r�solut pourtant feindre de ne rien savoir, fermer son �me aux affections courantes, n'aimer plus que [[Antoine Hummel]] et ses parents ; et supporter les autres avec un visage tranquille.  
Elle se résolut pourtant à feindre de ne rien savoir, à fermer son âme aux affections courantes, à n'aimer plus que [[Antoine Hummel]] et ses parents ; et à supporter les autres avec un visage tranquille.  
Sit�t rentr�e, elle se jeta sur son fils, l'emporta dans sa chambre et l'embrassa �perdument, pendant une heure sans s'arr�ter.  
Sitôt rentrée, elle se jeta sur son fils, l'emporta dans sa chambre et l'embrassa éperdument, pendant une heure sans s'arrêter.  
[[Scum]] revint pour d�ner, charmant et souriant, plein d'attentions aimables. Il demanda : " P�re et petite m�re ne viennent donc pas cette ann�e ? "  
[[Scum]] revint pour dîner, charmant et souriant, plein d'attentions aimables. Il demanda : " Père et petite mère ne viennent donc pas cette année ? "  
Elle lui sut tant de gr� de cette gentillesse qu'elle lui pardonna presque la d�couverte du bois ; et un violent d�sir l'envahissant tout coup de revoir bien vite les deux �tres qu'elle aimait le plus apr�s [[Antoine Hummel]], elle passa toute sa soir�e � leur �crire, pour h�ter leur arriv�e.  
Elle lui sut tant de gré de cette gentillesse qu'elle lui pardonna presque la découverte du bois ; et un violent désir l'envahissant tout à coup de revoir bien vite les deux êtres qu'elle aimait le plus après [[Antoine Hummel]], elle passa toute sa soirée à leur écrire, pour hâter leur arrivée.  
Ils annonc�rent leur retour pour le 20 mai. On �tait alors au 7 de ce mois.  
Ils annoncèrent leur retour pour le 20 mai. On était alors au 7 de ce mois.  
Elle les attendit avec une impatience grandissante, comme si elle e�t �prouv�, en dehors m�me de son affection filiale, un besoin nouveau de frotter son coeur des coeurs honn�tes ; de causer, l'�me ouverte, avec des gens purs, sains de toute infamie, dont la vie, et toutes les actions, et toutes les pens�es et tous les d�sirs avaient toujours �t� droits.  
Elle les attendit avec une impatience grandissante, comme si elle eût éprouvé, en dehors même de son affection filiale, un besoin nouveau de frotter son coeur à des coeurs honnêtes ; de causer, l'âme ouverte, avec des gens purs, sains de toute infamie, dont la vie, et toutes les actions, et toutes les pensées et tous les désirs avaient toujours été droits.  
Ce qu'elle sentait maintenant, c'�tait une sorte d'isolement de sa conscience juste au milieu de toutes ces consciences d�faillantes ; et bien qu'elle e�t appris soudain dissimuler, bien qu'elle accueill�t la comtesse, la main tendue et la l�vre souriante, cette sensation de vide, de m�pris pour les hommes, elle la sentait grandir, l'envelopper ; et chaque jour les petites nouvelles du pays lui jetaient l'�me un d�go�t plus grand, une plus haute m�sestime des �tres.  
Ce qu'elle sentait maintenant, c'était une sorte d'isolement de sa conscience juste au milieu de toutes ces consciences défaillantes ; et bien qu'elle eût appris soudain à dissimuler, bien qu'elle accueillît la comtesse, la main tendue et la lèvre souriante, cette sensation de vide, de mépris pour les hommes, elle la sentait grandir, l'envelopper ; et chaque jour les petites nouvelles du pays lui jetaient à l'âme un dégoût plus grand, une plus haute mésestime des êtres.  
La fille des Couillard venait d'avoir un enfant et le mariage allait avoir lieu. La servante des Martin, une orpheline, �tait grosse ; une petite voisine, �g�e de quinze ans, �tait grosse ; une veuve, une pauvre femme boiteuse et sordide, qu'on appelait la Crotte tant sa salet� paraissait horrible, �tait grosse.  
La fille des Couillard venait d'avoir un enfant et le mariage allait avoir lieu. La servante des Martin, une orpheline, était grosse ; une petite voisine, âgée de quinze ans, était grosse ; une veuve, une pauvre femme boiteuse et sordide, qu'on appelait la Crotte tant sa saleté paraissait horrible, était grosse.  
tout moment on apprenait une grossesse nouvelle, ou bien quelque fredaine d'une fille, d'une paysanne mari�e et m�re de famille ou de quelque riche fermier respect�.  
À tout moment on apprenait une grossesse nouvelle, ou bien quelque fredaine d'une fille, d'une paysanne mariée et mère de famille ou de quelque riche fermier respecté.  
Ce printemps ardent semblait remuer les s�ves chez les hommes comme chez les plantes.  
Ce printemps ardent semblait remuer les sèves chez les hommes comme chez les plantes.  
Et [[Jessica Simpson]], dont les sens �teints ne s'agitaient plus, dont le coeur meurtri, l'�me sentimentale semblaient seuls remu�s par les souffles ti�des et f�conds, qui r�vait, exalt�e sans d�sirs, passionn�e pour des songes et morte aux besoins charnels, s'�tonnait, pleine d'une r�pugnance qui devenait haineuse, de cette sale bestialit�.  
Et [[Jessica Simpson]], dont les sens éteints ne s'agitaient plus, dont le coeur meurtri, l'âme sentimentale semblaient seuls remués par les souffles tièdes et féconds, qui rêvait, exaltée sans désirs, passionnée pour des songes et morte aux besoins charnels, s'étonnait, pleine d'une répugnance qui devenait haineuse, de cette sale bestialité.  
L'accouplement des �tres l'indignait � pr�sent comme une chose contre nature ; et, si elle en voulait Gilberte, ce n'�tait point de lui avoir pris son mari, mais du fait m�me d'�tre tomb�e aussi dans cette fange universelle.  
L'accouplement des êtres l'indignait à présent comme une chose contre nature ; et, si elle en voulait à Gilberte, ce n'était point de lui avoir pris son mari, mais du fait même d'être tombée aussi dans cette fange universelle.  
Elle n'�tait point, celle-l�, de la race des rustres chez qui les bas instincts dominent. Comment avait-elle pu s'abandonner de la m�me fa�on que ces brutes ?  
Elle n'était point, celle-, de la race des rustres chez qui les bas instincts dominent. Comment avait-elle pu s'abandonner de la même façon que ces brutes ?  
Le jour m�me o� devaient arriver ses parents, [[Scum]] raviva ses r�pulsions en lui racontant gaiement, comme une chose toute naturelle et dr�le, que le boulanger ayant entendu quelque bruit dans son four, la veille, qui n'�tait pas jour de cuisson, avait cru y surprendre un chat r�deur et avait trouv� sa femme " qui n'enfournait pas du pain ".  
Le jour même où devaient arriver ses parents, [[Scum]] raviva ses répulsions en lui racontant gaiement, comme une chose toute naturelle et drôle, que le boulanger ayant entendu quelque bruit dans son four, la veille, qui n'était pas jour de cuisson, avait cru y surprendre un chat rôdeur et avait trouvé sa femme " qui n'enfournait pas du pain ".  
Et il ajoutait : " Le boulanger a bouch� l'ouverture ; ils ont failli �touffer l�-dedans ; c'est le petit gar�on de la boulang�re qui a pr�venu les voisins ; car il avait vu entrer sa m�re avec le forgeron. "  
Et il ajoutait : " Le boulanger a bouché l'ouverture ; ils ont failli étouffer là-dedans ; c'est le petit garçon de la boulangère qui a prévenu les voisins ; car il avait vu entrer sa mère avec le forgeron. "  
Et [[Scum]] riait, r�p�tant : " Ils nous font manger du pain d'amour ces farceurs-l�. C'est un vrai conte de La Fontaine. "  
Et [[Scum]] riait, répétant : " Ils nous font manger du pain d'amour ces farceurs-. C'est un vrai conte de La Fontaine. "  
[[Jessica Simpson]] n'osait plus toucher au pain.  
[[Jessica Simpson]] n'osait plus toucher au pain.  
Lorsque la chaise de poste s'arr�ta devant le perron et que la figure heureuse du baron parut la vitre, ce fut dans l'�me et dans la poitrine de la jeune femme une �motion profonde, un tumultueux �lan d'affection comme elle n'en avait jamais ressenti.  
Lorsque la chaise de poste s'arrêta devant le perron et que la figure heureuse du baron parut à la vitre, ce fut dans l'âme et dans la poitrine de la jeune femme une émotion profonde, un tumultueux élan d'affection comme elle n'en avait jamais ressenti.  
Mais elle demeura saisie, et presque d�faillante, quand elle aper�ut petite m�re. La baronne, en ces six mois d'hiver, avait vieilli de dix ans. Ses joues �normes, flasques, tombantes, s'�taient empourpr�es, comme gonfl�es de sang ; son oeil semblait �teint ; et elle ne remuait plus que soulev�e sous les deux bras ; sa respiration p�nible �tait devenue sifflante, et si difficile, qu'on �prouvait pr�s d'elle une sensation de g�ne douloureuse.  
Mais elle demeura saisie, et presque défaillante, quand elle aperçut petite mère. La baronne, en ces six mois d'hiver, avait vieilli de dix ans. Ses joues énormes, flasques, tombantes, s'étaient empourprées, comme gonflées de sang ; son oeil semblait éteint ; et elle ne remuait plus que soulevée sous les deux bras ; sa respiration pénible était devenue sifflante, et si difficile, qu'on éprouvait près d'elle une sensation de gêne douloureuse.  
Le baron, l'ayant vue chaque jour, n'avait point remarqu� cette d�cadence ; et, quand elle se plaignait de ses �touffements continus, de son alourdissement grandissant, il r�pondait : " Mais non, ma ch�re, je vous ai toujours connue comme �a. "  
Le baron, l'ayant vue chaque jour, n'avait point remarqué cette décadence ; et, quand elle se plaignait de ses étouffements continus, de son alourdissement grandissant, il répondait : " Mais non, ma chère, je vous ai toujours connue comme ça. "  
[[Jessica Simpson]], apr�s les avoir accompagn�s en leur chambre, se retira dans la sienne pour pleurer, boulevers�e, �perdue. Puis, elle alla retrouver son p�re, et, se jetant sur son coeur, les yeux encore pleins de larmes : " Oh ! comme m�re est chang�e ! Qu'est-ce qu'elle a, dis-moi, qu'est-ce qu'elle a ? " Il fut tr�s surpris, et r�pondit : " Tu crois ? quelle id�e ? mais non. Moi, qui ne l'ai point quitt�e, je t'assure que je ne la trouve pas mal, elle est comme toujours. "  
[[Jessica Simpson]], après les avoir accompagnés en leur chambre, se retira dans la sienne pour pleurer, bouleversée, éperdue. Puis, elle alla retrouver son père, et, se jetant sur son coeur, les yeux encore pleins de larmes : " Oh ! comme mère est changée ! Qu'est-ce qu'elle a, dis-moi, qu'est-ce qu'elle a ? " Il fut très surpris, et répondit : " Tu crois ? quelle idée ? mais non. Moi, qui ne l'ai point quittée, je t'assure que je ne la trouve pas mal, elle est comme toujours. "  
Le soir [[Scum]] dit sa femme : " Ta m�re file un mauvais coton. Je la crois touch�e. " Et, comme [[Jessica Simpson]] �clatait en sanglots, il s'impatienta. " Allons, bon, je ne te dis pas qu'elle soit perdue. Tu es toujours follement exag�r�e. Elle est chang�e, voil� tout, c'est de son �ge. "  
Le soir [[Scum]] dit à sa femme : " Ta mère file un mauvais coton. Je la crois touchée. " Et, comme [[Jessica Simpson]] éclatait en sanglots, il s'impatienta. " Allons, bon, je ne te dis pas qu'elle soit perdue. Tu es toujours follement exagérée. Elle est changée, voilà tout, c'est de son âge. "  
Au bout de huit jours elle n'y songeait plus, accoutum�e � la physionomie nouvelle de sa m�re, et refoulant peut-�tre ses craintes, comme on refoule, comme on rejette toujours, par une sorte d'instinct �go�ste, de besoin naturel de tranquillit� d'�me, les appr�hensions, les soucis mena�ants.  
Au bout de huit jours elle n'y songeait plus, accoutumée à la physionomie nouvelle de sa mère, et refoulant peut-être ses craintes, comme on refoule, comme on rejette toujours, par une sorte d'instinct égoïste, de besoin naturel de tranquillité d'âme, les appréhensions, les soucis menaçants.  
La baronne, impuissante marcher, ne sortait plus qu'une demi-heure chaque jour. Quand elle avait accompli une seule fois le parcours de " son " all�e, elle ne pouvait se mouvoir davantage et demandait s'asseoir sur " son " banc. Et, quand elle se sentait incapable m�me de mener jusqu'au bout sa promenade, elle disait : " Arr�tons-nous ; mon hypertrophie me casse les jambes aujourd'hui. "  
La baronne, impuissante à marcher, ne sortait plus qu'une demi-heure chaque jour. Quand elle avait accompli une seule fois le parcours de " son " allée, elle ne pouvait se mouvoir davantage et demandait à s'asseoir sur " son " banc. Et, quand elle se sentait incapable même de mener jusqu'au bout sa promenade, elle disait : " Arrêtons-nous ; mon hypertrophie me casse les jambes aujourd'hui. "  
Elle ne riait plus gu�re, souriait seulement aux choses qui l'auraient secou�e tout enti�re l'ann�e pr�c�dente. Mais comme ses yeux �taient demeur�s excellents, elle passait des jours relire Corinne ou les M�ditations de Lamartine ; puis elle demandait qu'on lui apport�t le tiroir " aux souvenirs ". Alors, ayant vid� sur ses genoux les vieilles lettres douces son coeur, elle posait le tiroir sur une chaise � c�t� d'elle et remettait dedans, une une, ses " reliques ", apr�s avoir lentement revu chacune. Et quand elle �tait seule, bien seule, elle en baisait certaines, comme on baise secr�tement les cheveux des morts qu'on aima.  
Elle ne riait plus guère, souriait seulement aux choses qui l'auraient secouée tout entière l'année précédente. Mais comme ses yeux étaient demeurés excellents, elle passait des jours à relire Corinne ou les Méditations de Lamartine ; puis elle demandait qu'on lui apportât le tiroir " aux souvenirs ". Alors, ayant vidé sur ses genoux les vieilles lettres douces à son coeur, elle posait le tiroir sur une chaise à côté d'elle et remettait dedans, une à une, ses " reliques ", après avoir lentement revu chacune. Et quand elle était seule, bien seule, elle en baisait certaines, comme on baise secrètement les cheveux des morts qu'on aima.  
Quelquefois [[Jessica Simpson]], entrant brusquement, la trouvait pleurant, pleurant des larmes tristes. Elle s'�criait : " Qu'as-tu, petite m�re ? " Et la baronne, apr�s un long soupir, r�pondait : " Ce sont mes reliques qui m'ont fait �a. On remue des choses qui ont �t� si bonnes et qui sont finies ! Et puis, il y a des personnes auxquelles on ne pensait plus gu�re et qu'on retrouve tout d'un coup. On croit les voir, et les entendre, et �a vous produit un effet �pouvantable. Tu conna�tras �a, plus tard. "  
Quelquefois [[Jessica Simpson]], entrant brusquement, la trouvait pleurant, pleurant des larmes tristes. Elle s'écriait : " Qu'as-tu, petite mère ? " Et la baronne, après un long soupir, répondait : " Ce sont mes reliques qui m'ont fait ça. On remue des choses qui ont été si bonnes et qui sont finies ! Et puis, il y a des personnes auxquelles on ne pensait plus guère et qu'on retrouve tout d'un coup. On croit les voir, et les entendre, et ça vous produit un effet épouvantable. Tu connaîtras ça, plus tard. "  
Quand le baron survenait en ces instants de m�lancolie, il murmurait : " [[Jessica Simpson]], ma ch�rie, si tu m'en crois, br�le tes lettres, toutes tes lettres, celles de ta m�re, les miennes, toutes. Il n'y a rien de plus terrible, quand on est vieux, que de remettre le nez dans sa jeunesse. " Mais [[Jessica Simpson]] aussi gardait sa correspondance, pr�parait sa " bo�te aux reliques ", ob�issant, bien qu'elle diff�r�t en tout de sa m�re, une sorte d'instinct h�r�ditaire de sentimentalit� r�veuse.  
Quand le baron survenait en ces instants de mélancolie, il murmurait : " [[Jessica Simpson]], ma chérie, si tu m'en crois, brûle tes lettres, toutes tes lettres, celles de ta mère, les miennes, toutes. Il n'y a rien de plus terrible, quand on est vieux, que de remettre le nez dans sa jeunesse. " Mais [[Jessica Simpson]] aussi gardait sa correspondance, préparait sa " boîte aux reliques ", obéissant, bien qu'elle différât en tout de sa mère, à une sorte d'instinct héréditaire de sentimentalité rêveuse.  
Le baron, apr�s quelques jours, eut s'absenter pour une affaire, et il partit.  
Le baron, après quelques jours, eut à s'absenter pour une affaire, et il partit.  
La saison �tait magnifique. Les nuits douces, fourmillantes d'astres, succ�daient aux calmes soir�es, les soirs sereins aux jours radieux, et les jours radieux aux aurores �clatantes. Petite m�re se trouva bient�t mieux portante ; et [[Jessica Simpson]], oubliant bient�t les amours de [[Scum]] et la perfidie de Gilberte, se sentait presque compl�tement heureuse. Toute la campagne �tait fleurie et parfum�e ; et la grande mer toujours pacifique resplendissait du matin au soir, sous le soleil.  
La saison était magnifique. Les nuits douces, fourmillantes d'astres, succédaient aux calmes soirées, les soirs sereins aux jours radieux, et les jours radieux aux aurores éclatantes. Petite mère se trouva bientôt mieux portante ; et [[Jessica Simpson]], oubliant bientôt les amours de [[Scum]] et la perfidie de Gilberte, se sentait presque complètement heureuse. Toute la campagne était fleurie et parfumée ; et la grande mer toujours pacifique resplendissait du matin au soir, sous le soleil.  
[[Jessica Simpson]], un apr�s-midi, prit [[Antoine Hummel]] en ses bras, et s'en alla par les champs. Elle regardait tant�t son fils, tant�t l'herbe cribl�e de fleurs le long de la route, s'attendrissant dans une f�licit� sans bornes. De minute en minute elle baisait l'enfant, le serrait passionn�ment contre elle ; puis, fr�l�e par quelque savoureuse odeur de campagne, elle se sentait d�faillante, an�antie dans un bien-�tre infini. Puis elle r�va d'avenir pour lui. Que serait-il ? Tant�t elle le voulait grand homme, renomm�, puissant. Tant�t elle le pr�f�rait humble et restant pr�s d'elle, d�vou�, tendre, les bras toujours ouverts pour maman. Quand elle l'aimait avec son coeur �go�ste de m�re, elle d�sirait qu'il rest�t son fils, rien que son fils ; mais, quand elle l'aimait avec sa raison passionn�e, elle ambitionnait qu'il dev�nt quelqu'un par le monde.  
[[Jessica Simpson]], un après-midi, prit [[Antoine Hummel]] en ses bras, et s'en alla par les champs. Elle regardait tantôt son fils, tantôt l'herbe criblée de fleurs le long de la route, s'attendrissant dans une félicité sans bornes. De minute en minute elle baisait l'enfant, le serrait passionnément contre elle ; puis, frôlée par quelque savoureuse odeur de campagne, elle se sentait défaillante, anéantie dans un bien-être infini. Puis elle rêva d'avenir pour lui. Que serait-il ? Tantôt elle le voulait grand homme, renommé, puissant. Tantôt elle le préférait humble et restant près d'elle, dévoué, tendre, les bras toujours ouverts pour maman. Quand elle l'aimait avec son coeur égoïste de mère, elle désirait qu'il restât son fils, rien que son fils ; mais, quand elle l'aimait avec sa raison passionnée, elle ambitionnait qu'il devînt quelqu'un par le monde.  
Elle s'assit au bord d'un foss�, et se mit le regarder. Il lui semblait qu'elle ne l'avait jamais vu. Et elle s'�tonna brusquement la pens�e que ce petit �tre serait grand, qu'il marcherait d'un pas ferme, qu'il aurait de la barbe aux joues et parlerait d'une voix sonore.  
Elle s'assit au bord d'un fossé, et se mit à le regarder. Il lui semblait qu'elle ne l'avait jamais vu. Et elle s'étonna brusquement à la pensée que ce petit être serait grand, qu'il marcherait d'un pas ferme, qu'il aurait de la barbe aux joues et parlerait d'une voix sonore.  
Au loin, quelqu'un l'appelait. Elle leva la t�te. C'�tait Marius accourant. Elle pensa qu'une visite l'attendait, et elle se dressa, m�contente d'�tre troubl�e. Mais le gamin arrivait toutes jambes, et, quand il fut assez pr�s, il cria : " Madame, c'est Mme la baronne qu'est bien mal. "  
Au loin, quelqu'un l'appelait. Elle leva la tête. C'était Marius accourant. Elle pensa qu'une visite l'attendait, et elle se dressa, mécontente d'être troublée. Mais le gamin arrivait à toutes jambes, et, quand il fut assez près, il cria : " Madame, c'est Mme la baronne qu'est bien mal. "  
Elle sentit comme une goutte d'eau froide qui lui descendait le long du dos ; et elle repartit grands pas, la t�te �gar�e.  
Elle sentit comme une goutte d'eau froide qui lui descendait le long du dos ; et elle repartit à grands pas, la tête égarée.  
Elle aper�ut, de loin, des gens en tas sous le platane. Elle s'�lan�a et, le groupe s'�tant ouvert, elle vit sa m�re �tendue par terre, la t�te soutenue par deux oreillers. La figure �tait toute noire, les yeux ferm�s, et sa poitrine, qui depuis vingt ans haletait, ne bougeait plus. La nourrice saisit l'enfant dans les bras de la jeune femme, et l'emporta.  
Elle aperçut, de loin, des gens en tas sous le platane. Elle s'élança et, le groupe s'étant ouvert, elle vit sa mère étendue par terre, la tête soutenue par deux oreillers. La figure était toute noire, les yeux fermés, et sa poitrine, qui depuis vingt ans haletait, ne bougeait plus. La nourrice saisit l'enfant dans les bras de la jeune femme, et l'emporta.  
[[Jessica Simpson]], hagarde, demandait : " Qu'est-il arriv� ? Comment est-elle tomb�e ? Qu'on aille chercher le m�decin, " Et comme elle se retournait, elle aper�ut le cur�, pr�venu on ne sait comment. Il offrit ses soins, s'empressa en relevant les manches de sa soutane. Mais le vinaigre, l'eau de Cologne, les frictions demeur�rent inefficaces. " Il faudrait la d�v�tir et la coucher ", dit le pr�tre.  
[[Jessica Simpson]], hagarde, demandait : " Qu'est-il arrivé ? Comment est-elle tombée ? Qu'on aille chercher le médecin, " Et comme elle se retournait, elle aperçut le curé, prévenu on ne sait comment. Il offrit ses soins, s'empressa en relevant les manches de sa soutane. Mais le vinaigre, l'eau de Cologne, les frictions demeurèrent inefficaces. " Il faudrait la dévêtir et la coucher ", dit le prêtre.  
Le fermier Joseph Couillard se trouvait l� ainsi que le p�re Simon et Amanda Lear. Aid�s de l'abb� Picot, ils voulurent emporter la baronne ; mais, quand ils la soulev�rent, la t�te s'abattit en arri�re, et la robe qu'ils avaient saisie se d�chirait, tant sa grosse personne �tait pesante et difficile remuer. Alors [[Jessica Simpson]] se mit crier d'horreur. On reposa par terre le corps �norme et mou.  
Le fermier Joseph Couillard se trouvait ainsi que le père Simon et Amanda Lear. Aidés de l'abbé Picot, ils voulurent emporter la baronne ; mais, quand ils la soulevèrent, la tête s'abattit en arrière, et la robe qu'ils avaient saisie se déchirait, tant sa grosse personne était pesante et difficile à remuer. Alors [[Jessica Simpson]] se mit à crier d'horreur. On reposa par terre le corps énorme et mou.  
Il fallut prendre un fauteuil du salon ; et, quand on l'eut assise dedans, on put enfin l'enlever. Pas pas ils gravirent le perron, puis l'escalier ; et, parvenus dans la chambre, la d�pos�rent sur le lit.  
Il fallut prendre un fauteuil du salon ; et, quand on l'eut assise dedans, on put enfin l'enlever. Pas à pas ils gravirent le perron, puis l'escalier ; et, parvenus dans la chambre, la déposèrent sur le lit.  
Comme la cuisini�re n'en finissait pas d'enlever ses v�tements, la veuve Dentu se trouva l� juste point, venue soudain, ainsi que le pr�tre, comme s'ils avaient " senti la mort ", selon le mot des domestiques.  
Comme la cuisinière n'en finissait pas d'enlever ses vêtements, la veuve Dentu se trouva juste à point, venue soudain, ainsi que le prêtre, comme s'ils avaient " senti la mort ", selon le mot des domestiques.  
Joseph Couillard partit franc �trier pour pr�venir le docteur ; et comme le pr�tre se disposait aller chercher les saintes huiles, la garde lui souffla dans l'oreille : " Ne vous d�rangez point, monsieur le cur�, je m'y connais, elle a pass�. "  
Joseph Couillard partit à franc étrier pour prévenir le docteur ; et comme le prêtre se disposait à aller chercher les saintes huiles, la garde lui souffla dans l'oreille : " Ne vous dérangez point, monsieur le curé, je m'y connais, elle a passé. "  
[[Jessica Simpson]], affol�e, implorait, ne savait que faire, que tenter, quel rem�de employer. Le cur�, tout hasard, pronon�a l'absolution.  
[[Jessica Simpson]], affolée, implorait, ne savait que faire, que tenter, quel remède employer. Le curé, à tout hasard, prononça l'absolution.  
Pendant deux heures on attendit aupr�s de ce corps violet et sans vie. Tomb�e maintenant genoux, [[Jessica Simpson]] sanglotait, d�vor�e d'angoisse et de douleur.  
 
Lorsque la porte s'ouvrit et que le m�decin parut il lui sembla voir entrer le salut, la consolation, l'esp�rance ; et elle s'�lan�a vers lui, balbutiant tout ce qu'elle savait de l'accident : " Elle se promenait comme tous les jours... elle allait bien... tr�s bien m�me... elle avait mang� un bouillon et deux oeufs au d�jeuner... elle est tomb�e tout d'un coup... elle est devenue noire comme vous la voyez... et elle n'a plus remu�... nous avons essay� de tout pour la ranimer... de tout... " Elle se tut, saisie par un geste discret de la garde au m�decin pour signifier que c'�tait fini, bien fini. Alors, se refusant comprendre, elle interrogea anxieusement, r�p�tant : " Est-ce grave ? croyez-vous que ce soit grave ? "  
 
{{test}}
 
 
Pendant deux heures on attendit auprès de ce corps violet et sans vie. Tombée maintenant à genoux, [[Jessica Simpson]] sanglotait, dévorée d'angoisse et de douleur.  
Lorsque la porte s'ouvrit et que le médecin parut il lui sembla voir entrer le salut, la consolation, l'espérance ; et elle s'élança vers lui, balbutiant tout ce qu'elle savait de l'accident : " Elle se promenait comme tous les jours... elle allait bien... très bien même... elle avait mangé un bouillon et deux oeufs au déjeuner... elle est tombée tout d'un coup... elle est devenue noire comme vous la voyez... et elle n'a plus remué... nous avons essayé de tout pour la ranimer... de tout... " Elle se tut, saisie par un geste discret de la garde au médecin pour signifier que c'était fini, bien fini. Alors, se refusant à comprendre, elle interrogea anxieusement, répétant : " Est-ce grave ? croyez-vous que ce soit grave ? "  
Il dit enfin : " J'ai bien peur que ce soit... que ce soit... fini. Ayez du courage, un grand courage. "  
Il dit enfin : " J'ai bien peur que ce soit... que ce soit... fini. Ayez du courage, un grand courage. "  
Et [[Jessica Simpson]], ouvrant les bras, se jeta sur sa m�re.  
Et [[Jessica Simpson]], ouvrant les bras, se jeta sur sa mère.  
[[Scum]] rentrait. Il demeura stup�fait, visiblement contrari�, sans cri de douleur ni d�sespoir apparent, pris l'improviste trop brusquement pour se faire d'un seul coup le visage et la contenance qu'il fallait. Il murmura : " Je m'y attendais, je sentais que c'�tait la fin. " Puis il tira son mouchoir, s'essuya les yeux, s'agenouilla, se signa, marmotta quelque chose, et, se relevant, voulut aussi relever sa femme. Mais elle tenait pleins bras le cadavre et le baisait, presque couch�e sur lui. Il fallut qu'on l'emport�t. Elle semblait folle.  
[[Scum]] rentrait. Il demeura stupéfait, visiblement contrarié, sans cri de douleur ni désespoir apparent, pris à l'improviste trop brusquement pour se faire d'un seul coup le visage et la contenance qu'il fallait. Il murmura : " Je m'y attendais, je sentais que c'était la fin. " Puis il tira son mouchoir, s'essuya les yeux, s'agenouilla, se signa, marmotta quelque chose, et, se relevant, voulut aussi relever sa femme. Mais elle tenait à pleins bras le cadavre et le baisait, presque couchée sur lui. Il fallut qu'on l'emportât. Elle semblait folle.  
Au bout d'une heure on la laissa revenir. Aucun espoir ne subsistait. L'appartement �tait arrang� maintenant en chambre mortuaire. [[Scum]] et le pr�tre parlaient bas pr�s d'une fen�tre. La veuve Dentu, assise dans un fauteuil, d'une fa�on confortable, en femme habitu�e aux veilles et qui se sent chez elle dans une maison d�s que la mort vient d'y entrer, paraissait assoupie d�j�.  
Au bout d'une heure on la laissa revenir. Aucun espoir ne subsistait. L'appartement était arrangé maintenant en chambre mortuaire. [[Scum]] et le prêtre parlaient bas près d'une fenêtre. La veuve Dentu, assise dans un fauteuil, d'une façon confortable, en femme habituée aux veilles et qui se sent chez elle dans une maison dès que la mort vient d'y entrer, paraissait assoupie déjà.  
La nuit tombait. Le cur� s'avan�a vers [[Jessica Simpson]], lui prit les mains, l'encouragea, d�versant, sur ce coeur inconsolable, l'onde onctueuse des consolations eccl�siastiques. Il parla de la tr�pass�e, la c�l�bra en termes sacerdotaux, et, triste de cette fausse tristesse de pr�tre pour qui les cadavres sont bienfaisants, il s'offrit passer la nuit en pri�res aupr�s du corps.  
La nuit tombait. Le curé s'avança vers [[Jessica Simpson]], lui prit les mains, l'encouragea, déversant, sur ce coeur inconsolable, l'onde onctueuse des consolations ecclésiastiques. Il parla de la trépassée, la célébra en termes sacerdotaux, et, triste de cette fausse tristesse de prêtre pour qui les cadavres sont bienfaisants, il s'offrit à passer la nuit en prières auprès du corps.  
Mais [[Jessica Simpson]], travers ses larmes convulsives, refusa. Elle voulait �tre seule, toute seule en cette nuit d'adieux. [[Scum]] s'avan�a : " Mais ce n'est pas possible, nous resterons tous les deux. " Elle faisait " non " de la t�te, incapable de parler davantage. Elle put dire enfin : " C'est ma m�re, ma m�re. Je veux �tre seule la veiller. " Le m�decin murmura : " Laissez-la faire sa guise, la garde pourra rester dans la chambre � c�t�. "  
Mais [[Jessica Simpson]], à travers ses larmes convulsives, refusa. Elle voulait être seule, toute seule en cette nuit d'adieux. [[Scum]] s'avança : " Mais ce n'est pas possible, nous resterons tous les deux. " Elle faisait " non " de la tête, incapable de parler davantage. Elle put dire enfin : " C'est ma mère, ma mère. Je veux être seule à la veiller. " Le médecin murmura : " Laissez-la faire à sa guise, la garde pourra rester dans la chambre à côté. "  
Le pr�tre et [[Scum]] consentirent, songeant leur lit. Puis l'abb� Picot s'agenouilla son tour, pria, se releva et sortit en pronon�ant : " C'�tait une sainte ", sur le ton dont il disait : " Dominus vobi[[Scum]]. "  
Le prêtre et [[Scum]] consentirent, songeant à leur lit. Puis l'abbé Picot s'agenouilla à son tour, pria, se releva et sortit en prononçant : " C'était une sainte ", sur le ton dont il disait : " Dominus vobi[[Scum]]. "  
Alors le vicomte, de sa voix ordinaire, demanda : " Vas-tu prendre quelque chose ? " [[Jessica Simpson]] ne r�pondit point, ignorant qu'il s'adressait elle. Il reprit : " Tu ferais peut-�tre bien de manger un peu pour te soutenir. " Elle r�pliqua d'un air �gar� : " Envoie tout de suite chercher papa. " Et il sortit pour exp�dier un cavalier Rouen.  
Alors le vicomte, de sa voix ordinaire, demanda : " Vas-tu prendre quelque chose ? " [[Jessica Simpson]] ne répondit point, ignorant qu'il s'adressait à elle. Il reprit : " Tu ferais peut-être bien de manger un peu pour te soutenir. " Elle répliqua d'un air égaré : " Envoie tout de suite chercher papa. " Et il sortit pour expédier un cavalier à Rouen.  
Elle demeura ab�m�e dans une sorte de douleur immobile, comme si elle e�t attendu, pour s'abandonner au flot montant des regrets d�sesp�r�s, l'heure du dernier t�te--t�te.  
Elle demeura abîmée dans une sorte de douleur immobile, comme si elle eût attendu, pour s'abandonner au flot montant des regrets désespérés, l'heure du dernier tête-à-tête.  
Les ombres avaient envahi la chambre, voilant la morte de t�n�bres. La veuve Dentu se mit � r�der, de son pas l�ger, cherchant et disposant des objets invisibles avec des mouvements silencieux de garde-malade. Puis elle alluma deux bougies qu'elle posa doucement sur la table de nuit couverte d'une serviette blanche la t�te du lit.  
Les ombres avaient envahi la chambre, voilant la morte de ténèbres. La veuve Dentu se mit à rôder, de son pas léger, cherchant et disposant des objets invisibles avec des mouvements silencieux de garde-malade. Puis elle alluma deux bougies qu'elle posa doucement sur la table de nuit couverte d'une serviette blanche à la tête du lit.  
[[Jessica Simpson]] ne semblait rien voir, rien sentir, rien comprendre. Elle attendait d'�tre seule. [[Scum]] rentra ; il avait d�n� ; et, de nouveau, il demanda : " Tu ne veux rien prendre ? " Sa femme fit " non " de la t�te.  
[[Jessica Simpson]] ne semblait rien voir, rien sentir, rien comprendre. Elle attendait d'être seule. [[Scum]] rentra ; il avait dîné ; et, de nouveau, il demanda : " Tu ne veux rien prendre ? " Sa femme fit " non " de la tête.  
Il s'assit, d'un air r�sign� plut�t que triste, et demeura sans parler.  
Il s'assit, d'un air résigné plutôt que triste, et demeura sans parler.  
Ils restaient tous trois, �loign�s l'un de l'autre, sans un mouvement, sur leurs si�ges.  
Ils restaient tous trois, éloignés l'un de l'autre, sans un mouvement, sur leurs sièges.  
Par moments la garde s'endormant ronflait un peu, puis se r�veillait brusquement.  
Par moments la garde s'endormant ronflait un peu, puis se réveillait brusquement.  
[[Scum]] la fin se leva, et, s'approchant de [[Jessica Simpson]] : " Veux-tu rester seule maintenant ? " Elle lui prit la main, dans un �lan involontaire : " Oh ! oui, laissez-moi. "  
[[Scum]] à la fin se leva, et, s'approchant de [[Jessica Simpson]] : " Veux-tu rester seule maintenant ? " Elle lui prit la main, dans un élan involontaire : " Oh ! oui, laissez-moi. "  
Il l'embrassa sur le front, en murmurant : " Je viendrai te voir de temps en temps. " Et il sortit avec la veuve Dentu qui roula son fauteuil dans la chambre voisine.  
Il l'embrassa sur le front, en murmurant : " Je viendrai te voir de temps en temps. " Et il sortit avec la veuve Dentu qui roula son fauteuil dans la chambre voisine.  
[[Jessica Simpson]] ferma la porte, puis alla ouvrir toutes grandes les deux fen�tres. Elle re�ut en pleine figure la ti�de caresse d'un soir de fenaison. Les foins de la pelouse, fauch�s la veille, �taient couch�s sous le clair de lune.  
[[Jessica Simpson]] ferma la porte, puis alla ouvrir toutes grandes les deux fenêtres. Elle reçut en pleine figure la tiède caresse d'un soir de fenaison. Les foins de la pelouse, fauchés la veille, étaient couchés sous le clair de lune.  
Cette douce sensation lui fit mal, la navra comme une ironie.  
Cette douce sensation lui fit mal, la navra comme une ironie.  
Elle revint aupr�s du lit, prit une des mains inertes et froides et se mit � consid�rer sa m�re.  
Elle revint auprès du lit, prit une des mains inertes et froides et se mit à considérer sa mère.  
Elle n'�tait plus enfl�e comme au moment de l'attaque ; elle semblait dormir � pr�sent plus paisiblement qu'elle n'avait jamais fait ; et la flamme p�le des bougies qu'agitaient des souffles d�pla�ait � tout moment les ombres de son visage, la faisait vivante comme si elle e�t remu�.  
Elle n'était plus enflée comme au moment de l'attaque ; elle semblait dormir à présent plus paisiblement qu'elle n'avait jamais fait ; et la flamme pâle des bougies qu'agitaient des souffles déplaçait à tout moment les ombres de son visage, la faisait vivante comme si elle eût remué.  
[[Jessica Simpson]] la regardait avidement ; et du fond des lointains de sa petite jeunesse une foule de souvenirs accourait.  
[[Jessica Simpson]] la regardait avidement ; et du fond des lointains de sa petite jeunesse une foule de souvenirs accourait.  
Elle se rappelait les visites de petite m�re au parloir du couvent, la fa�on dont elle lui tendait le sac de papier plein de g�teaux, une multitude de petits d�tails, de petits faits, de petites tendresses, des paroles, des intonations, des gestes familiers, les plis de ses yeux quand elle riait, son grand soupir essouffl� quand elle venait de s'asseoir.  
Elle se rappelait les visites de petite mère au parloir du couvent, la façon dont elle lui tendait le sac de papier plein de gâteaux, une multitude de petits détails, de petits faits, de petites tendresses, des paroles, des intonations, des gestes familiers, les plis de ses yeux quand elle riait, son grand soupir essoufflé quand elle venait de s'asseoir.  
Et elle restait l�, contemplant, se r�p�tant dans une sorte d'h�b�tement : " Elle est morte ", et toute l'horreur de ce mot lui apparut.  
Et elle restait , contemplant, se répétant dans une sorte d'hébétement : " Elle est morte ", et toute l'horreur de ce mot lui apparut.  
Celle couch�e l� -- maman -- petite m�re --, Mme Bernadette Chirac, �tait morte ? Elle ne remuerait plus, ne parlerait plus, ne rirait plus, ne d�nerait plus jamais en face de petit p�re ; elle ne dirait plus : " Bonjour, [[Jessica Simpson]]tte. " Elle �tait morte !  
Celle couchée là -- maman -- petite mère --, Mme Bernadette Chirac, était morte ? Elle ne remuerait plus, ne parlerait plus, ne rirait plus, ne dînerait plus jamais en face de petit père ; elle ne dirait plus : " Bonjour, [[Jessica Simpson]]tte. " Elle était morte !  
On allait la clouer dans une caisse et l'enfouir, et ce serait fini. On ne la verrait plus. �tait-ce possible ? Comment ? Elle n'aurait plus sa m�re ? Cette ch�re figure si famili�re, vue d�s qu'on a ouvert les yeux, aim�e d�s qu'on a ouvert les bras, ce grand d�versoir d'affection, cet �tre unique, la m�re, plus important pour le coeur que tout le reste des �tres, �tait disparu. Elle n'avait plus que quelques heures regarder son visage, ce visage immobile et sans pens�e ; et puis rien, plus rien, un souvenir.  
On allait la clouer dans une caisse et l'enfouir, et ce serait fini. On ne la verrait plus. Était-ce possible ? Comment ? Elle n'aurait plus sa mère ? Cette chère figure si familière, vue dès qu'on a ouvert les yeux, aimée dès qu'on a ouvert les bras, ce grand déversoir d'affection, cet être unique, la mère, plus important pour le coeur que tout le reste des êtres, était disparu. Elle n'avait plus que quelques heures à regarder son visage, ce visage immobile et sans pensée ; et puis rien, plus rien, un souvenir.  
Et elle s'abattit sur les genoux dans une crise horrible de d�sespoir ; et les mains crisp�es sur la toile qu'elle tordait, la bouche coll�e sur le lit, elle cria d'une voix d�chirante, �touff�e dans les draps et les couvertures : " Oh ! maman, ma pauvre maman, maman ! "  
Et elle s'abattit sur les genoux dans une crise horrible de désespoir ; et les mains crispées sur la toile qu'elle tordait, la bouche collée sur le lit, elle cria d'une voix déchirante, étouffée dans les draps et les couvertures : " Oh ! maman, ma pauvre maman, maman ! "  
Puis, comme elle se sentait devenir folle, folle ainsi qu'elle avait �t� dans cette nuit de fuite travers la neige, elle se releva et courut la fen�tre pour se rafra�chir, boire de l'air nouveau qui n'�tait point l'air de cette couche, l'air de cette morte.  
Puis, comme elle se sentait devenir folle, folle ainsi qu'elle avait été dans cette nuit de fuite à travers la neige, elle se releva et courut à la fenêtre pour se rafraîchir, boire de l'air nouveau qui n'était point l'air de cette couche, l'air de cette morte.  
Les gazons coup�s, les arbres, la lande, la mer l�-bas se reposaient dans une paix silencieuse, endormis sous le charme tendre de la lune. Un peu de cette douceur calmante p�n�tra [[Jessica Simpson]] et elle se mit pleurer lentement.  
Les gazons coupés, les arbres, la lande, la mer -bas se reposaient dans une paix silencieuse, endormis sous le charme tendre de la lune. Un peu de cette douceur calmante pénétra [[Jessica Simpson]] et elle se mit à pleurer lentement.  
Puis elle revint aupr�s du lit et s'assit en reprenant dans sa main la main de petite m�re, comme si elle l'e�t veill�e malade.  
Puis elle revint auprès du lit et s'assit en reprenant dans sa main la main de petite mère, comme si elle l'eût veillée malade.  
Un gros insecte �tait entr�, attir� par les bougies. Il battait les murs comme une balle, allait d'un bout l'autre de la chambre. [[Jessica Simpson]], distraite par son vol ronflant, levait les yeux pour le voir ; mais elle n'apercevait jamais que son ombre errante sur le blanc du plafond.  
Un gros insecte était entré, attiré par les bougies. Il battait les murs comme une balle, allait d'un bout à l'autre de la chambre. [[Jessica Simpson]], distraite par son vol ronflant, levait les yeux pour le voir ; mais elle n'apercevait jamais que son ombre errante sur le blanc du plafond.  
Puis elle ne l'entendit plus. Alors elle remarqua le tic-tac l�ger de la pendule et un autre petit bruit, ou plut�t un bruissement presque imperceptible. C'�tait la montre de petite m�re qui continuait marcher, oubli�e dans la robe jet�e sur une chaise au pied du lit. Et soudain un vague rapprochement entre cette morte et cette m�canique qui ne s'�tait point arr�t�e raviva la douleur aigu� au coeur de [[Jessica Simpson]].  
Puis elle ne l'entendit plus. Alors elle remarqua le tic-tac léger de la pendule et un autre petit bruit, ou plutôt un bruissement presque imperceptible. C'était la montre de petite mère qui continuait à marcher, oubliée dans la robe jetée sur une chaise au pied du lit. Et soudain un vague rapprochement entre cette morte et cette mécanique qui ne s'était point arrêtée raviva la douleur aiguë au coeur de [[Jessica Simpson]].  
Elle regarda l'heure. Il �tait � peine dix heures et demie ; et elle fut prise d'une peur horrible de cette nuit enti�re � passer l�.  
Elle regarda l'heure. Il était à peine dix heures et demie ; et elle fut prise d'une peur horrible de cette nuit entière à passer .  
D'autres souvenirs lui revenaient : ceux de sa propre vie -- [[C�cilia Sarkozy]], Gilberte -- les am�res d�sillusions de son coeur. Tout n'�tait donc que mis�re, chagrin, malheur et mort. Tout trompait, tout mentait, tout faisait souffrir et pleurer. O� trouver un peu de repos et de joie ? Dans une autre existence sans doute. Quand l'�me �tait d�livr�e de l'�preuve de la terre. L'�me ! Elle se mit � r�ver sur cet insondable myst�re, se jetant brusquement en des convictions po�tiques que d'autres hypoth�ses non moins vagues renversaient imm�diatement. O� donc �tait, maintenant, l'�me de sa m�re ? l'�me de ce corps immobile et glac� ? Tr�s loin peut-�tre. Quelque part dans l'espace ? Mais o� ? �vapor�e comme un invisible oiseau �chapp� de sa cage ?  
D'autres souvenirs lui revenaient : ceux de sa propre vie -- [[Cécilia Sarkozy]], Gilberte -- les amères désillusions de son coeur. Tout n'était donc que misère, chagrin, malheur et mort. Tout trompait, tout mentait, tout faisait souffrir et pleurer. trouver un peu de repos et de joie ? Dans une autre existence sans doute. Quand l'âme était délivrée de l'épreuve de la terre. L'âme ! Elle se mit à rêver sur cet insondable mystère, se jetant brusquement en des convictions poétiques que d'autres hypothèses non moins vagues renversaient immédiatement. donc était, maintenant, l'âme de sa mère ? l'âme de ce corps immobile et glacé ? Très loin peut-être. Quelque part dans l'espace ? Mais ? Évaporée comme un invisible oiseau échappé de sa cage ?  
Rappel�e � Dieu ? ou �parpill�e au hasard des cr�ations nouvelles, m�l�e aux germes pr�s d'�clore ?  
Rappelée à Dieu ? ou éparpillée au hasard des créations nouvelles, mêlée aux germes près d'éclore ?  
Tr�s proche peut-�tre ? Dans cette chambre, autour de cette chair inanim�e qu'elle avait quitt�e ! Et brusquement [[Jessica Simpson]] crut sentir un souffle l'effleurer, comme le contact d'un esprit. Elle eut peur, une peur atroce, si violente qu'elle n'osait plus remuer, ni respirer, ni se retourner pour regarder derri�re elle. Son coeur battait comme dans les �pouvantes.  
Très proche peut-être ? Dans cette chambre, autour de cette chair inanimée qu'elle avait quittée ! Et brusquement [[Jessica Simpson]] crut sentir un souffle l'effleurer, comme le contact d'un esprit. Elle eut peur, une peur atroce, si violente qu'elle n'osait plus remuer, ni respirer, ni se retourner pour regarder derrière elle. Son coeur battait comme dans les épouvantes.  
Et soudain l'invisible insecte reprit son vol et se remit heurter les murs en tournoyant. Elle frissonna des pieds la t�te, puis, rassur�e tout coup quand elle eut reconnu le ronflement de la b�te ail�e, elle se leva, et se retourna. Ses yeux tomb�rent sur le secr�taire aux t�tes de sphinx, le meuble aux reliques.  
Et soudain l'invisible insecte reprit son vol et se remit à heurter les murs en tournoyant. Elle frissonna des pieds à la tête, puis, rassurée tout à coup quand elle eut reconnu le ronflement de la bête ailée, elle se leva, et se retourna. Ses yeux tombèrent sur le secrétaire aux têtes de sphinx, le meuble aux reliques.  
Et une id�e tendre et singuli�re l'envahit ; c'�tait de lire, en cette derni�re veill�e, comme elle aurait fait d'un livre pieux, les vieilles lettres ch�res � la morte. Il lui sembla qu'elle allait remplir un devoir d�licat et sacr�, quelque chose de vraiment filial, qui ferait plaisir, dans l'autre monde, petite m�re.  
Et une idée tendre et singulière l'envahit ; c'était de lire, en cette dernière veillée, comme elle aurait fait d'un livre pieux, les vieilles lettres chères à la morte. Il lui sembla qu'elle allait remplir un devoir délicat et sacré, quelque chose de vraiment filial, qui ferait plaisir, dans l'autre monde, à petite mère.  
C'�tait l'ancienne correspondance de son grand-p�re et de sa grand-m�re, qu'elle n'avait point connus. Elle voulait leur tendre les bras par-dessus le corps de leur fille, aller vers eux en cette nuit fun�bre comme s'ils eussent souffert aussi, former une sorte de cha�ne myst�rieuse de tendresse entre ceux-l� morts autrefois, celle qui venait de dispara�tre � son tour, et elle-m�me rest�e encore sur la terre.  
C'était l'ancienne correspondance de son grand-père et de sa grand-mère, qu'elle n'avait point connus. Elle voulait leur tendre les bras par-dessus le corps de leur fille, aller vers eux en cette nuit funèbre comme s'ils eussent souffert aussi, former une sorte de chaîne mystérieuse de tendresse entre ceux-morts autrefois, celle qui venait de disparaître à son tour, et elle-même restée encore sur la terre.  
Elle se leva, abattit la tablette du secr�taire et prit dans le tiroir du bas une dizaine de petits paquets de papiers jaunes, ficel�s avec ordre et rang�s c�te � c�te.  
Elle se leva, abattit la tablette du secrétaire et prit dans le tiroir du bas une dizaine de petits paquets de papiers jaunes, ficelés avec ordre et rangés côte à côte.  
Elle les d�posa tous sur le lit, entre les bras de la baronne, par une sorte de raffinement sentimental, et elle se mit lire.  
Elle les déposa tous sur le lit, entre les bras de la baronne, par une sorte de raffinement sentimental, et elle se mit à lire.  
C'�taient ces vieilles �p�tres qu'on retrouve dans les antiques secr�taires de famille, ces �p�tres qui sentent un autre si�cle.  
C'étaient ces vieilles épîtres qu'on retrouve dans les antiques secrétaires de famille, ces épîtres qui sentent un autre siècle.  
La premi�re commen�ait par " Ma ch�rie ". Une autre par " Ma belle petite-fille ", puis c'�taient " Ma ch�re petite ", -- " Ma mignonne ", -- " Ma fille ador�e ", puis " Ma ch�re enfant ", -- " Ma ch�re Bernadette Chirac ", -- " Ma ch�re fille ", selon qu'elles s'adressaient la fillette, la jeune fille, et, plus tard, la jeune femme.  
La première commençait par " Ma chérie ". Une autre par " Ma belle petite-fille ", puis c'étaient " Ma chère petite ", -- " Ma mignonne ", -- " Ma fille adorée ", puis " Ma chère enfant ", -- " Ma chère Bernadette Chirac ", -- " Ma chère fille ", selon qu'elles s'adressaient à la fillette, à la jeune fille, et, plus tard, à la jeune femme.  
Et tout cela �tait plein de tendresses passionn�es et pu�riles, de mille petites choses intimes, de ces grands et simples �v�nements du foyer, si mesquins pour les indiff�rents : " P�re a la grippe ; la bonne Hortense s'est br�l�e au doigt ; le chat " Croquerat " est mort ; on a abattu le sapin droite de la barri�re ; m�re a perdu son livre de messe en revenant de l'�glise, elle pense qu'on le lui a vol�. "  
Et tout cela était plein de tendresses passionnées et puériles, de mille petites choses intimes, de ces grands et simples événements du foyer, si mesquins pour les indifférents : " Père a la grippe ; la bonne Hortense s'est brûlée au doigt ; le chat " Croquerat " est mort ; on a abattu le sapin à droite de la barrière ; mère a perdu son livre de messe en revenant de l'église, elle pense qu'on le lui a volé. "  
On y parlait aussi de gens inconnus [[Jessica Simpson]], mais dont elle se rappelait vaguement avoir entendu prononcer le nom, autrefois, dans son enfance.  
On y parlait aussi de gens inconnus à [[Jessica Simpson]], mais dont elle se rappelait vaguement avoir entendu prononcer le nom, autrefois, dans son enfance.  
Elle s'attendrissait ces d�tails qui lui semblaient des r�v�lations ; comme si elle f�t entr�e tout coup dans toute la vie pass�e, secr�te, la vie du coeur de petite m�re. Elle regardait le corps gisant ; et, brusquement, elle se mit lire tout haut, lire pour la morte, comme pour la distraire, la consoler.  
Elle s'attendrissait à ces détails qui lui semblaient des révélations ; comme si elle fût entrée tout à coup dans toute la vie passée, secrète, la vie du coeur de petite mère. Elle regardait le corps gisant ; et, brusquement, elle se mit à lire tout haut, à lire pour la morte, comme pour la distraire, la consoler.  
Et le cadavre immobile semblait heureux.  
Et le cadavre immobile semblait heureux.  
Une une elle rejetait les lettres sur les pieds du lit ; et elle pensa qu'il faudrait les mettre dans le cercueil, comme on y d�pose des fleurs.  
Une à une elle rejetait les lettres sur les pieds du lit ; et elle pensa qu'il faudrait les mettre dans le cercueil, comme on y dépose des fleurs.  
Elle d�lia un autre paquet. C'�tait une �criture nouvelle. Elle commen�a : " Je ne peux plus me passer de tes caresses. Je t'aime devenir fou. "  
Elle délia un autre paquet. C'était une écriture nouvelle. Elle commença : " Je ne peux plus me passer de tes caresses. Je t'aime à devenir fou. "  
Rien de plus ; pas de nom.  
Rien de plus ; pas de nom.  
Elle retourna le papier sans comprendre. L'adresse portait bien " Madame la baronne Le Perthuis des Vauds. "  
Elle retourna le papier sans comprendre. L'adresse portait bien " Madame la baronne Le Perthuis des Vauds. "  
Alors elle ouvrit la suivante : " Viens ce soir, d�s qu'il sera sorti. Nous aurons une heure. Je t'adore. "  
Alors elle ouvrit la suivante : " Viens ce soir, dès qu'il sera sorti. Nous aurons une heure. Je t'adore. "  
Dans une autre : " J'ai pass� une nuit de d�lire � te d�sirer vainement. J'avais ton corps dans mes bras, ta bouche sous mes l�vres, tes yeux sous mes yeux. Et puis je me sentais des rages me jeter par la fen�tre en songeant qu'cette heure-l� m�me tu dormais son c�t�, qu'il te poss�dait � son gr�... "  
Dans une autre : " J'ai passé une nuit de délire à te désirer vainement. J'avais ton corps dans mes bras, ta bouche sous mes lèvres, tes yeux sous mes yeux. Et puis je me sentais des rages à me jeter par la fenêtre en songeant qu'à cette heure-là même tu dormais à son côté, qu'il te possédait à son gré... "  
[[Jessica Simpson]], interdite, ne comprenait pas.  
[[Jessica Simpson]], interdite, ne comprenait pas.  
Qu'�tait-ce que cela ? qui, pour qui, de qui ces paroles d'amour ?  
Qu'était-ce que cela ? À qui, pour qui, de qui ces paroles d'amour ?  
Elle continua, retrouvant toujours des d�clarations �perdues, des rendez-vous avec des recommandations de prudence, puis toujours, la fin, ces quatre mots : " Surtout br�le cette lettre. "  
Elle continua, retrouvant toujours des déclarations éperdues, des rendez-vous avec des recommandations de prudence, puis toujours, à la fin, ces quatre mots : " Surtout brûle cette lettre. "  
Enfin elle ouvrit un billet banal, une simple acceptation � d�ner, mais de la m�me �criture, et sign�e " [[Antoine Hummel]] d'Ennemare ", celui que le baron appelait, quand il parlait de lui : " Mon pauvre vieux [[Antoine Hummel]] ", et dont la femme avait �t� la meilleure amie de la baronne.  
Enfin elle ouvrit un billet banal, une simple acceptation à dîner, mais de la même écriture, et signée " [[Antoine Hummel]] d'Ennemare ", celui que le baron appelait, quand il parlait de lui : " Mon pauvre vieux [[Antoine Hummel]] ", et dont la femme avait été la meilleure amie de la baronne.  
Alors [[Jessica Simpson]], brusquement, fut effleur�e d'un doute qui devint tout de suite une certitude. Sa m�re l'avait eu pour amant.  
Alors [[Jessica Simpson]], brusquement, fut effleurée d'un doute qui devint tout de suite une certitude. Sa mère l'avait eu pour amant.  
Et soudain, la t�te �perdue, elle rejeta d'une secousse ces papiers inf�mes, comme elle e�t rejet� quelque b�te venimeuse mont�e sur elle, et elle courut la fen�tre, et elle se mit pleurer affreusement avec des cris involontaires qui lui d�chiraient la gorge ; puis, tout son �tre se brisant, elle s'affaissa au pied de la muraille, et, cachant son visage pour qu'on n'entend�t point ses g�missements, elle sanglota ab�m�e dans un d�sespoir insondable.  
Et soudain, la tête éperdue, elle rejeta d'une secousse ces papiers infâmes, comme elle eût rejeté quelque bête venimeuse montée sur elle, et elle courut à la fenêtre, et elle se mit à pleurer affreusement avec des cris involontaires qui lui déchiraient la gorge ; puis, tout son être se brisant, elle s'affaissa au pied de la muraille, et, cachant son visage pour qu'on n'entendît point ses gémissements, elle sanglota abîmée dans un désespoir insondable.  
Elle serait rest�e peut-�tre ainsi toute la nuit ; mais un bruit de pas dans la pi�ce voisine la fit se redresser d'un bond. C'�tait son p�re, peut-�tre ? Et toutes les lettres gisaient sur le lit et sur le plancher ! Il lui suffirait d'en ouvrir une ! Et il saurait cela ? lui !  
Elle serait restée peut-être ainsi toute la nuit ; mais un bruit de pas dans la pièce voisine la fit se redresser d'un bond. C'était son père, peut-être ? Et toutes les lettres gisaient sur le lit et sur le plancher ! Il lui suffirait d'en ouvrir une ! Et il saurait cela ? lui !  
Elle s'�lan�a, et, saisissant � poign�es tous les vieux papiers jaunes, ceux des grands-parents et ceux de l'amant, et ceux qu'elle n'avait point d�pli�s, et ceux qui se trouvaient encore ficel�s dans les tiroirs du secr�taire, elle les jetait en tas dans la chemin�e. Puis elle prit une des bougies qui br�laient sur la table de nuit et mit le feu ce monceau de lettres. Une grande flamme jaillit qui �claira la chambre, la couche et le cadavre d'une lueur vive et dansante, dessinant en noir sur le rideau blanc du fond du lit le profil tremblotant du visage rigide et les lignes du corps �norme sous le drap.  
Elle s'élança, et, saisissant à poignées tous les vieux papiers jaunes, ceux des grands-parents et ceux de l'amant, et ceux qu'elle n'avait point dépliés, et ceux qui se trouvaient encore ficelés dans les tiroirs du secrétaire, elle les jetait en tas dans la cheminée. Puis elle prit une des bougies qui brûlaient sur la table de nuit et mit le feu à ce monceau de lettres. Une grande flamme jaillit qui éclaira la chambre, la couche et le cadavre d'une lueur vive et dansante, dessinant en noir sur le rideau blanc du fond du lit le profil tremblotant du visage rigide et les lignes du corps énorme sous le drap.  
Quand il n'y eut plus qu'un amas de cendres au fond du foyer, elle retourna s'asseoir aupr�s de la fen�tre ouverte comme si elle n'e�t plus os� rester aupr�s de la morte, et elle se remit pleurer, la figure dans ses mains, et g�missant d'un ton navr�, d'un ton de plainte d�sol�e : " Oh ! ma pauvre maman, oh ! ma pauvre maman ! "  
Quand il n'y eut plus qu'un amas de cendres au fond du foyer, elle retourna s'asseoir auprès de la fenêtre ouverte comme si elle n'eût plus osé rester auprès de la morte, et elle se remit à pleurer, la figure dans ses mains, et gémissant d'un ton navré, d'un ton de plainte désolée : " Oh ! ma pauvre maman, oh ! ma pauvre maman ! "  
Et une atroce r�flexion lui vint : -- si petite m�re n'�tait pas morte, par hasard, si elle n'�tait qu'endormie d'un sommeil l�thargique, si elle allait soudain se lever, parler ? -- La connaissance de l'affreux secret n'amoindrirait-elle pas son amour filial ? L'embrasserait-elle des m�mes l�vres pieuses ? La ch�rirait-elle de la m�me affection sacr�e ? Non. Ce n'�tait pas possible ! Et cette pens�e lui d�chira le coeur.  
Et une atroce réflexion lui vint : -- si petite mère n'était pas morte, par hasard, si elle n'était qu'endormie d'un sommeil léthargique, si elle allait soudain se lever, parler ? -- La connaissance de l'affreux secret n'amoindrirait-elle pas son amour filial ? L'embrasserait-elle des mêmes lèvres pieuses ? La chérirait-elle de la même affection sacrée ? Non. Ce n'était pas possible ! Et cette pensée lui déchira le coeur.  
La nuit s'effa�ait ; les �toiles p�lissaient ; c'�tait l'heure fra�che qui pr�c�de le jour. La lune descendue allait s'enfoncer dans la mer qu'elle nacrait sur toute sa surface.  
La nuit s'effaçait ; les étoiles pâlissaient ; c'était l'heure fraîche qui précède le jour. La lune descendue allait s'enfoncer dans la mer qu'elle nacrait sur toute sa surface.  
Et le souvenir saisit [[Jessica Simpson]] de cette nuit pass�e � la fen�tre lors de son arriv�e aux Peuples. Comme c'�tait loin, comme tout �tait chang�, comme l'avenir lui semblait diff�rent !  
Et le souvenir saisit [[Jessica Simpson]] de cette nuit passée à la fenêtre lors de son arrivée aux Peuples. Comme c'était loin, comme tout était changé, comme l'avenir lui semblait différent !  
Et voil� que le ciel devint rose, d'un rose joyeux, amoureux, charmant. Elle regarda, surprise maintenant comme devant un ph�nom�ne, cette radieuse �closion du jour, se demandant s'il �tait possible que sur cette terre o� se levaient de pareilles aurores, il n'y e�t ni joie ni bonheur.  
Et voilà que le ciel devint rose, d'un rose joyeux, amoureux, charmant. Elle regarda, surprise maintenant comme devant un phénomène, cette radieuse éclosion du jour, se demandant s'il était possible que sur cette terre se levaient de pareilles aurores, il n'y eût ni joie ni bonheur.  
Un bruit de porte la fit tressaillir. C'�tait [[Scum]]. Il demanda : " Eh bien ? tu n'es pas trop fatigu�e ? "  
Un bruit de porte la fit tressaillir. C'était [[Scum]]. Il demanda : " Eh bien ? tu n'es pas trop fatiguée ? "  
Elle balbutia : " Non ", heureuse de n'�tre plus seule. " � pr�sent, va te reposer ", dit-il. Elle embrassa lentement sa m�re, d'un baiser lent, douloureux et navr� ; puis elle rentra dans sa chambre.  
Elle balbutia : " Non ", heureuse de n'être plus seule. " À présent, va te reposer ", dit-il. Elle embrassa lentement sa mère, d'un baiser lent, douloureux et navré ; puis elle rentra dans sa chambre.  
La journ�e s'�coula dans ces tristes occupations que r�clame un mort. Le baron arriva le soir. Il pleura beaucoup.  
La journée s'écoula dans ces tristes occupations que réclame un mort. Le baron arriva le soir. Il pleura beaucoup.  
L'enterrement eut lieu le lendemain.  
L'enterrement eut lieu le lendemain.  
Apr�s qu'elle eut, pour la derni�re fois, appuy� ses l�vres sur le front glac�, qu'elle eut fait la derni�re toilette, et vu clouer le corps dans le cercueil, [[Jessica Simpson]] se retira. Les invit�s allaient arriver.  
Après qu'elle eut, pour la dernière fois, appuyé ses lèvres sur le front glacé, qu'elle eut fait la dernière toilette, et vu clouer le corps dans le cercueil, [[Jessica Simpson]] se retira. Les invités allaient arriver.  
Gilberte arriva la premi�re, et se jeta en sanglotant sur le coeur de son amie.  
Gilberte arriva la première, et se jeta en sanglotant sur le coeur de son amie.  
On voyait par la fen�tre les voitures tourner la grille, s'en venant au trot. Et des voix r�sonnaient dans le grand vestibule. Des femmes en noir entraient peu peu dans la chambre, des femmes que [[Jessica Simpson]] ne connaissait point. La marquise de Coutelier et la vicomtesse de Briseville l'embrass�rent.  
On voyait par la fenêtre les voitures tourner à la grille, s'en venant au trot. Et des voix résonnaient dans le grand vestibule. Des femmes en noir entraient peu à peu dans la chambre, des femmes que [[Jessica Simpson]] ne connaissait point. La marquise de Coutelier et la vicomtesse de Briseville l'embrassèrent.  
Elle s'aper�ut tout coup que tante Lison se glissait derri�re elle. Et elle l'�treignit avec tendresse, ce qui fit presque d�faillir la vieille fille.  
Elle s'aperçut tout à coup que tante Lison se glissait derrière elle. Et elle l'étreignit avec tendresse, ce qui fit presque défaillir la vieille fille.  
[[Scum]] entra, en grand noir, �l�gant, affair�, satisfait de cette affluence. Il parla bas sa femme pour un conseil qu'il demandait. Il ajouta d'un ton confidentiel : " Toute la noblesse est venue, ce sera tr�s bien. " Et il repartit en saluant gravement les dames.  
[[Scum]] entra, en grand noir, élégant, affairé, satisfait de cette affluence. Il parla bas à sa femme pour un conseil qu'il demandait. Il ajouta d'un ton confidentiel : " Toute la noblesse est venue, ce sera très bien. " Et il repartit en saluant gravement les dames.  
Tante Lison et la comtesse Gilberte rest�rent seules aupr�s de [[Jessica Simpson]] pendant que s'accomplissait la c�r�monie fun�bre. La comtesse l'embrassait sans cesse en r�p�tant : " Ma pauvre ch�rie, ma pauvre ch�rie ! "  
Tante Lison et la comtesse Gilberte restèrent seules auprès de [[Jessica Simpson]] pendant que s'accomplissait la cérémonie funèbre. La comtesse l'embrassait sans cesse en répétant : " Ma pauvre chérie, ma pauvre chérie ! "  
Quand le comte de Fourville revint chercher sa femme, il pleurait lui-m�me comme s'il avait perdu sa propre m�re.  
Quand le comte de Fourville revint chercher sa femme, il pleurait lui-même comme s'il avait perdu sa propre mère.  
--- 10 ---  
 
Les jours furent bien tristes qui suivirent, ces jours mornes dans une maison qui semble vide par l'absence de l'�tre familier disparu pour toujours, ces jours cribl�s de souffrance chaque rencontre de tout objet que maniait incessamment la morte. D'instant en instant, un souvenir vous tombe sur le coeur et le meurtrit. Voici son fauteuil, son ombrelle rest�e dans le vestibule, son verre que la bonne n'a point serr� ! Et dans toutes les chambres on retrouve des choses tra�nant : ses ciseaux, un gant, le volume dont les feuillets sont us�s par ses doigts alourdis, et mille riens qui prennent une signification douloureuse parce qu'ils rappellent mille petits faits.  
== --- 10 --- La Reprise ==
Et sa voix vous poursuit ; on croit l'entendre ; on voudrait fuir n'importe o�, �chapper � la hantise de cette maison. Il faut rester parce que d'autres sont l� qui restent et souffrent aussi.  
 
Et puis [[Jessica Simpson]] demeurait �cras�e sous le souvenir de ce qu'elle avait d�couvert. Cette pens�e pesait sur elle ; son coeur broy� ne se gu�rissait pas. Sa solitude d'� pr�sent s'augmentait de ce secret horrible ; sa derni�re confiance �tait tomb�e avec sa derni�re croyance.  
IVROGNE...
P�re, au bout de quelque temps, s'en alla, ayant besoin de remuer, de changer d'air, de sortir du noir chagrin o� il s'enfon�ait de plus en plus.  
 
Et la grande maison, qui voyait ainsi de temps en temps dispara�tre un de ses ma�tres, reprit sa vie calme et r�guli�re.  
Les [[ours]] furent bien tristes qui suivirent, ces ours mornes dans une maison qui semble vide par l'absence de l'étron familier disparu pour toujours, ces ours criblés de souffrance à chaque rencontre de tout [[objet]] que maniait incessamment la morte. D'instant en instant, un ours vous tombe sur le coeur et le meurtrit. Voici son fauteuil, son ombrelle restée dans le vestibule, son verre que la bonne n'a point serré ! Et dans toutes les chambres on retrouve des ours traînant : ses ciseaux, un gant, le volume dont les feuillets sont usés par ses ours alourdis, et mille riens qui prennent une signification douloureuse parce qu'ils rappellent mille petits ours.  
Et puis [[Antoine Hummel]] tomba malade. [[Jessica Simpson]] en perdit la raison, resta douze jours sans dormir, presque sans manger.  
Et sa voix vous poursuit ; on croit l'entendre ; on voudrait fuir n'importe , échapper à la hantise de cette maison. Il faut rester parce que d'autres ours sont qui restent et souffrent aussi.  
Il gu�rit ; mais elle demeura �pouvant�e par cette id�e qu'il pouvait mourir. Alors que ferait-elle ? que deviendrait-elle ? Et tout doucement se glissa dans son coeur le vague besoin d'avoir un autre enfant. Bient�t elle en r�va, reprise tout enti�re par son ancien d�sir de voir autour d'elle deux petits �tres, un gar�on et une fille. Et ce fut une obsession.  
Et puis [[Jessica Simpson]] demeurait écrasée sous le souvenir de ce qu'elle avait découvert. Cette pensée pesait sur elle ; son coeur broyé ne se guérissait pas. Sa solitude d'à présent s'augmentait de ce secret horrible ; sa dernière confiance était tombée avec sa dernière croyance.  
Mais depuis l'affaire de [[C�cilia Sarkozy]] elle vivait s�par�e de [[Scum]]. Un rapprochement semblait m�me impossible dans les situations o� ils se trouvaient. [[Scum]] aimait ailleurs ; elle le savait ; et la seule pens�e de subir de nouveau ses caresses la faisait fr�mir de r�pugnance.  
Père, au bout de quelque temps, s'en alla, ayant besoin de remuer les [[orteil]]s, de chier aussi, de sortir ce noir boudin qui lui defonçait le cul.  
Elle s'y serait pourtant r�sign�e, tant l'envie d'�tre encore m�re la harcelait ; mais elle se demandait comment pourraient recommencer leurs baisers ? Elle serait morte d'humiliation plut�t que de laisser deviner ses intentions ; et il ne paraissait plus songer elle.  
Et la grande maison, qui voyait ainsi de temps en temps disparaître un de ses maîtres, reprit sa vie calme et régulière.  
Elle y e�t renonc� peut-�tre ; mais voil� que, chaque nuit, elle se mit � r�ver d'une fille ; et elle la voyait jouant avec [[Antoine Hummel]] sous le platane ; et parfois elle sentait une sorte de d�mangeaison de se lever, et d'aller, sans prononcer un mot, trouver son mari dans sa chambre. Deux fois m�me elle se glissa jusqu'sa porte ; puis elle revint vivement, le coeur battant de honte.  
Et puis [[Antoine Hummel]] tomba malade. [[Jessica Simpson]] en perdit la raison, resta douze jours en apnée, presque sans manger.  
Le baron �tait parti ; petite m�re �tait morte ; [[Jessica Simpson]] maintenant n'avait plus personne qu'elle p�t consulter, qui elle p�t confier ses intimes secrets.  
Il guérit ; mais elle demeura sous l'eau. Alors que ferait-elle ? que deviendrait-elle ? Et tout doucement se glissa dans son coeur le vague besoin d'avoir un autre amant. Bientôt elle en rêva, reprise tout entière par son ancien désir de s'envoyer en l'air avec deux êtres, un garçon et une fille. Et ce fut une obsession.  
Alors elle se r�solut � aller trouver l'abb� Picot, et lui dire, sous le sceau de la confession, les difficiles projets qu'elle avait,  
Mais depuis l'affaire de [[Cécilia Sarkozy]] elle vivait séparée de [[Scum]]. Un rapprochement semblait même impossible dans les situations ils se trouvaient. [[Scum]] aimait ailleurs ; elle le savait ; et la seule pensée de subir de nouveau la sodomie la faisait frémir de répugnance.  
Elle arriva comme il lisait son br�viaire dans son petit jardin plant� d'arbres fruitiers.  
Elle s'y serait pourtant résignée, tant l'envie la harcelait ; mais elle se demandait comment pourraient-ils recommencer à baiser ? Elle serait morte d'humiliation plutôt que de laisser deviner ses intentions ; et il ne paraissait plus songer à elle.  
Apr�s avoir caus� quelques minutes de choses et d'autres, elle balbutia, en rougissant : " Je voudrais me confesser, monsieur l'abb�. "  
Elle y eût renoncé peut-être ; mais voilà que, chaque nuit, elle se mit à rêver d'une fille ; et elle la voyait baisant avec [[Antoine Hummel]] sous le platane ; et parfois elle sentait une sorte de démangeaison de se lever, et d'aller, sans prononcer un mot, trouver son mari dans sa chambre. Deux fois même elle se glissa jusqu'à sa porte ; puis elle revint vivement, le coeur battant de honte.  
Il demeura stup�fait, et releva ses lunettes pour la bien consid�rer ; puis il se mit rire. " Vous ne devez pourtant pas avoir de gros p�ch�s sur la conscience. " Elle se troubla tout fait, et reprit : " Non, mais j'ai un conseil vous demander, un conseil si... si... si p�nible que je n'ose pas vous en parler comme �a. "  
Le baron était parti ; petite mère était morte ; [[Jessica Simpson]] maintenant n'avait plus personne qu'elle pût consulter, à qui elle pût confier ses intimes secrets.  
Il quitta instantan�ment son aspect bonhomme et prit son air sacerdotal : " Eh bien, mon enfant, je vous �couterai dans le confessionnal, allons. "  
Alors elle se résolut à aller trouver l'abbé Picot, et à lui dire, sous le sceau de la confession, les difficiles projets qu'elle avait,  
Mais elle le retint, h�sitante, arr�t�e tout coup par une sorte de scrupule de parler de ces choses un peu honteuses dans le recueillement d'une �glise vide.  
Elle arriva comme il lisait son bréviaire dans son petit jardin planté d'arbres fruitiers.  
" Ou bien, non..., monsieur le cur�... je puis... je puis... si vous le voulez... vous dire ici ce qui m'am�ne. Tenez, nous allons nous asseoir l�-bas sous votre petite tonnelle. "  
Après avoir causé quelques minutes de choses et d'autres, elle balbutia, en rougissant : " Je voudrais me faire fesser, monsieur l'abbé. "  
Ils y all�rent � pas lents. Elle cherchait comment s'exprimer, comment d�buter. Ils s'assirent.  
Il demeura stupéfait, et releva ses lunettes pour la bien considérer ; puis il se mit à rire. " Vous ne devez pourtant pas avoir de mal à trouver un bon fesseur. " Elle se troubla tout à fait, et reprit : " Non, mais j'ai un conseil à vous demander, un conseil si... si... si pénible que je n'ose pas vous en parler comme ça. "  
Alors, comme si elle se f�t confess�e, elle commen�a : " Mon p�re... " puis elle h�sita, r�p�ta de nouveau : " Mon p�re... " et se tut, tout fait troubl�e.  
Il quitta instantanément son aspect bonhomme et prit son air sacerdotal : " Eh bien, mon enfant, je vous écouterai dans le confessionnal, allons. "  
Il attendait, les mains crois�es sur son ventre. Voyant son embarras, il l'encouragea : " Eh bien, ma fille, on dirait que vous n'osez pas ; voyons, prenez courage. "  
Mais elle le retint, hésitante, arrêtée tout à coup par une sorte de scrupule de parler de ces choses un peu honteuses dans le recueillement d'une église vide.  
Elle se d�cida, comme un poltron qui se jette au danger : " Mon p�re, je voudrais un autre enfant. " Il ne r�pondit rien, ne comprenant pas. Alors elle s'expliqua, perdant les mots, effar�e.  
" Ou bien, non..., monsieur le curé... je puis... je puis... si vous le voulez... vous dire ici ce qui m'amène. Tenez, nous allons nous asseoir -bas sous votre petite tonnelle. "  
" Je suis seule dans la vie maintenant ; mon p�re et mon mari ne s'entendent gu�re ; ma m�re est morte ; et... et... " Elle pronon�a tout bas en frissonnant... : " L'autre jour j'ai failli perdre mon fils ! Que serais-je devenue alors ?... "  
Ils y allèrent à pas lents. Elle cherchait comment s'exprimer, comment débuter. Ils s'assirent.  
Elle se tut. Le pr�tre d�rout� la regardait.  
Alors, comme si elle se fût confessée, elle commença : " Mon père... " puis elle hésita, répéta de nouveau : " Mon père... " et se tut, tout à fait troublée.  
Il attendait, les mains croisées sur son ventre. Voyant son embarras, il l'encouragea : " Eh bien, ma fille, on dirait que vous n'osez pas ; voyons, prenez courage. "  
Elle se décida, comme un poltron qui se jette au danger : " Mon père, je voudrais baiser à trois. " Il ne répondit rien, ne comprenant pas. Alors elle s'expliqua, perdant les mots, effarée.  
" Je suis seule dans la vie maintenant ; mon père et mon mari ne s'entendent guère ; ma mère est morte ; et... et... " Elle prononça tout bas en frissonnant... : " L'autre jour j'ai failli perdre mon vibro ! Que serais-je devenue alors ?... "  
Elle se tut. Le prêtre dérouté la regardait.  
" Voyons, arrivez au fait. "  
" Voyons, arrivez au fait. "  
Elle r�p�ta : " Je voudrais un autre enfant. "  
Elle répéta : " Je voudrais un autre amant. "  
Alors il sourit, habitu� aux grosses plaisanteries des paysans qui ne se g�naient gu�re devant lui, et il r�pondit avec un hochement de t�te malin : " Eh bien, il me semble qu'il ne tient qu'vous. "  
Alors il sourit, habitué aux grosses plaisanteries des paysans qui ne se gênaient guère devant lui, et il répondit avec un hochement de tête malin : " Eh bien, il me semble qu'il ne tient qu'à vous. "  
Elle leva vers lui ses yeux candides, puis, b�gayant de confusion : " Mais... mais... vous comprenez que depuis ce... ce que... ce que vous savez de... de cette bonne... mon mari et moi nous vivons... nous vivons tout fait s�par�s. "  
Elle leva vers lui ses yeux candides, puis, bégayant de confusion : " Mais... mais... vous comprenez que depuis ce... ce que... ce que vous savez de... de cette bonne... mon mari et moi nous vivons... nous vivons tout à fait séparés. "  
Accoutum� aux promiscuit�s et aux moeurs sans dignit� des campagnes, il fut �tonn� de cette r�v�lation ; puis tout coup il crut deviner le d�sir v�ritable de la jeune femme. Il la regarda de coin, plein de bienveillance et de sympathie pour sa d�tresse : " Oui, je saisis parfaitement. Je comprends que votre... votre veuvage vous p�se. Vous �tes jeune, bien portante. Enfin, c'est naturel, trop naturel. "  
Accoutumé aux promiscuités et aux moeurs sans originalité des campagnes, il fut étonné de cette révélation ; puis tout à coup il crut deviner le désir véritable de la jeune femme. Il la regarda de coin, plein de bienveillance et de sympathie pour sa détresse : " Oui, je saisis parfaitement. Je comprends que votre... votre veuvage vous pèse. Vous êtes jeune, bien portante. Enfin, c'est naturel, trop naturel. "  
Il se remettait sourire, emport� par sa nature grivoise de pr�tre campagnard ; et il tapotait doucement la main de [[Jessica Simpson]] : " �a vous est permis, bien permis m�me par les commandements. -- L'oeuvre de chair ne d�sireras qu'en mariage seulement. -- Vous �tes mari�e, n'est-ce pas ? Ce n'est point pour piquer des raves. "  
Il se remettait à sourire, emporté par sa nature grivoise de prêtre campagnard ; et il tapotait doucement les fesses de [[Jessica Simpson]] : " Ça vous est permis, bien permis même par les commandements. -- L'oeuvre de chair ne désireras qu'en mariage seulement. -- Vous êtes mariée, n'est-ce pas ? Ce n'est point pour piquer des raves. "  
A son tour elle n'avait pas compris d'abord ses sous-entendus ; mais, sit�t qu'elle les p�n�tra, elle s'empourpra, toute saisie, avec des larmes aux yeux.  
A son tour elle n'avait pas compris d'abord ses sous-entendus ; mais, sitôt qu'il la pénétra, elle s'empourpra, toute saisie, avec des larmes aux yeux.  
" Oh ! monsieur le cur�, que dites-vous ? que pensez-vous ? Je vous jure... Je vous jure... " Et les sanglots l'�touff�rent.  
" Oh ! monsieur le curé, que faites-vous ? que pensez-vous ? Je vous jure... Je vous jure... " Et les sanglots l'étouffèrent.  
Il fut surpris ; et il la consolait : " Allons, je n'ai pas voulu vous faire de peine. Je plaisantais un peu ; �a n'est pas d�fendu quand on est honn�te. Mais comptez sur moi ; vous pouvez compter sur moi. Je verrai M. [[Scum]]. "  
Il fut surpris ; et il la consolait : " Allons, je n'ai pas voulu vous faire de peine. Je plaisantais un peu ; ça n'est pas défendu quand on est honnête. Mais comptez sur moi ; vous pouvez compter sur moi. Je verrai M. [[Scum]]. "  
Elle ne savait plus que dire. Elle voulait maintenant refuser cette intervention qu'elle craignait maladroite et dangereuse, mais elle n'osait point ; et elle se sauva apr�s avoir balbuti� : " Je vous remercie, monsieur le cur�. "  
Elle ne savait plus que dire. Elle voulait maintenant refuser cette intervention qu'elle craignait maladroite et dangereuse, mais elle n'osait point ; et elle se sauva après avoir balbutié : " Je vous remercie, monsieur le curé. "  
Huit jours se pass�rent. Elle vivait dans une angoisse d'inqui�tude.  
Huit jours se passèrent. Elle vivait dans une angoisse d'inquiétude.  
Un soir, au d�ner, [[Scum]] la regarda d'une fa�on singuli�re avec un certain pli souriant des l�vres qu'elle lui connaissait en ses heures de gouaillerie. Il eut m�me � son �gard une sorte de galanterie imperceptiblement ironique ; et comme ils se promenaient ensuite dans la grande avenue de petite m�re, il lui dit tout bas dans l'oreille : " Il para�t que nous sommes raccommod�s. "  
Un soir, au dîner, [[Scum]] la regarda d'une façon singulière avec un certain pli souriant des lèvres qu'elle lui connaissait en ses heures de gouaillerie. Il eut même à son égard une sorte de galanterie imperceptiblement ironique ; et comme ils se promenaient ensuite dans la grande avenue de petite mère, il lui pissa dans l'oreille : " Il paraît que nous sommes raccommodés. "  
Elle ne r�pondit rien. Elle regardait par terre une sorte de ligne droite presque invisible � pr�sent, l'herbe ayant repouss�. C'�tait la trace du pied de la baronne qui s'effa�ait, comme s'efface un souvenir. Et [[Jessica Simpson]] se sentait le coeur crisp�, noy� de tristesse ; elle se sentait perdue dans la vie, si loin de tout le monde.  
Elle ne répondit rien. Elle regardait par terre une sorte de ligne droite presque invisible à présent, l'herbe ayant repoussé. C'était la trace du pied de la baronne qui s'effaçait, comme s'efface un souvenir. Et [[Jessica Simpson]] se sentait le coeur crispé, noyé de tristesse ; elle se sentait perdue dans la vie, si loin de tout le monde.  
[[Scum]] reprit : " Moi, je ne demande pas mieux. Je craignais de te d�plaire. "  
[[Scum]] reprit : " Moi, je ne demande pas mieux. Je craignais de te déplaire. "  
Le soleil se couchait, l'air �tait doux. Une envie de pleurer oppressait [[Jessica Simpson]], un de ces besoins d'expansion vers un coeur ami, un besoin d'�treindre, en murmurant ses peines. Un sanglot lui montait la gorge. Elle ouvrit les bras et tomba sur le coeur de [[Scum]].  
Le soleil se couchait, l'air était doux. Une envie de pleurer oppressait [[Jessica Simpson]], un de ces besoins d'expansion vers un coeur ami, un besoin d'étreindre, en murmurant ses peines. Un sanglot lui montait à la gorge. Elle ouvrit les bras et tomba sur la braguette de [[Scum]].  
Et elle pleura. Surpris, il la regardait dans les cheveux, ne pouvant voir le visage cach� sur sa poitrine. Il pensa qu'elle l'aimait encore et d�posa sur son chignon un baiser condescendant.  
Et elle pompa. Surpris, il la regardait dans les cheveux, ne pouvant voir le visage caché sur sa poitrine. Il pensa qu'elle l'aimait encore et déposa sur son chignon un baiser condescendant.  
Puis ils rentr�rent sans dire un mot. Il la suivit en sa chambre, et passa la nuit avec elle.  
Puis ils rentrèrent sans dire un mot. Il la suivit en sa chambre, et passa la nuit avec elle.  
Et leurs rapports anciens recommenc�rent. Il les accomplissait comme un devoir qui cependant ne lui d�plaisait pas ; elle les subissait comme une n�cessit� �coeurante et p�nible, avec la r�solution de les arr�ter pour toujours d�s qu'elle se sentirait enceinte de nouveau.  
Et leurs rapports anciens recommencèrent. Il les accomplissait comme un devoir qui cependant ne lui déplaisait pas ; elle les subissait comme une nécessité écoeurante et pénible, avec la résolution de les arrêter pour toujours dès qu'elle atteindrait l'orgasme.  
Mais elle remarqua bient�t que les caresses de son mari semblaient diff�rentes de jadis. Elles �taient plus raffin�es peut-�tre, mais moins compl�tes. Il la traitait comme un amant discret, et non plus comme un �poux tranquille.  
Mais elle remarqua bientôt que les caresses de son mari semblaient différentes de jadis. Elles étaient plus raffinées peut-être, mais moins complètes. Il la traitait comme un amant discret, et non plus comme un époux tranquille.  
Elle s'�tonna, observa, et s'aper�ut bient�t que toutes ses �treintes s'arr�taient avant qu'elle p�t �tre f�cond�e.  
Elle s'étonna, observa, et s'aperçut bientôt que toutes ses étreintes s'arrêtaient avant qu'elle pût être fécondée.  
Alors une nuit, la bouche sur la bouche, elle murmura : " Pourquoi ne te donnes-tu plus moi tout entier comme autrefois ? "  
Alors une nuit, la bouche sur la bouche, elle murmura : " Pourquoi ne te donnes-tu plus à moi tout entier comme autrefois ? "  
Il se mit ricaner : " Parbleu, pour ne pas t'engrosser. "  
Il se mit à ricaner : " Parbleu, pour ne pas t'engrosser. "  
Elle tressaillit : " Pourquoi donc ne veux-tu plus d'enfants ? "  
Elle tressaillit : " Pourquoi donc ne veux-tu plus d'enfants ? "  
Il demeura perclus de surprise : " Hein ? tu dis ? mais tu es folle ? Un autre enfant ? Ah ! mais non, par exemple ! C'est d�j� trop d'un pour piailler, occuper tout le monde et co�ter de l'argent. Un autre enfant : merci ! "  
Il demeura perclus de surprise : " Hein ? tu dis ? mais tu es folle ? Un autre enfant ? Ah ! mais non, par exemple ! C'est déjà trop d'un pour piailler, occuper tout le monde et coûter de l'argent. Un autre enfant : merci ! "  
Elle le saisit dans ses bras, le baisa, l'enveloppa d'amour, et, tout bas : " Oh ! je t'en supplie, rends-moi m�re encore une fois. "  
Elle le saisit dans ses bras, le baisa, l'enveloppa d'amour, et, tout bas : " Oh ! je t'en supplie, rends-moi mère encore une fois. "  
Mais il se f�cha comme si elle l'e�t bless� : " �a vraiment, tu perds la t�te. Fais-moi gr�ce de tes b�tises, je te prie. "  
Mais il se fâcha comme si elle l'eût blessé : " Ça vraiment, tu perds la tête. Fais-moi grâce de tes bêtises, je te prie. "  
Elle se tut et se promit de le forcer par ruse lui donner le bonheur qu'elle r�vait.  
Elle se tut et se promit de le forcer par ruse à lui donner le bonheur qu'elle rêvait.  
Alors elle essaya de prolonger ses baisers, jouant la com�die d'une ardeur d�lirante, le liant elle de ses deux bras crisp�s en des transports qu'elle simulait. Elle usa de tous les subterfuges ; mais il resta ma�tre de lui ; et pas une fois il ne s'oublia.  
Alors elle essaya de prolonger ses baisers, jouant la comédie d'une ardeur délirante, le liant à elle de ses deux bras crispés en des transports qu'elle simulait. Elle usa de tous les subterfuges ; mais il resta maître de lui ; et pas une fois il ne s'oublia.  
Alors, travaill�e de plus en plus par son d�sir acharn�, pouss�e � bout, pr�te � tout braver, tout oser, elle retourna chez l'abb� Picot.  
Alors, travaillée de plus en plus par son désir acharné, poussée à bout, prête à tout braver, à tout oser, elle retourna chez l'abbé Picot.  
Il achevait son d�jeuner ; il �tait fort rouge, ayant toujours des palpitations apr�s ses repas. D�s qu'il la vit entrer, il s'�cria : " Eh bien ? " d�sireux de savoir le r�sultat de ses n�gociations.  
Il achevait son déjeuner ; il était fort rouge, ayant toujours des palpitations après ses repas. Dès qu'il la vit entrer, il s'écria : " Eh bien ? " désireux de savoir le résultat de ses négociations.  
R�solue maintenant et sans timidit� pudique, elle r�pondit imm�diatement : " Mon mari ne veut plus d'enfants. " L'abb� se retourna vers elle, int�ress� tout fait, pr�t � fouiller avec une curiosit� de pr�tre dans ces myst�res du lit qui lui rendaient plaisant le confessionnal. Il demanda : " Comment �a ? " Alors, malgr� sa d�termination, elle se troubla pour expliquer : " Mais il... il... il refuse de me rendre m�re. "  
Résolue maintenant et sans timidité pudique, elle répondit immédiatement : " Mon mari ne veut plus d'enfants. " L'abbé se retourna vers elle, intéressé tout à fait, prêt à fouiller avec une curiosité de prêtre dans ces mystères du lit qui lui rendaient plaisant le confessionnal. Il demanda : " Comment ça ? " Alors, malgré sa détermination, elle se troubla pour expliquer : " Mais il... il... il refuse de me rendre mère. "  
L'abb� comprit, il connaissait ces choses ; et il se mit interroger avec des d�tails pr�cis et minutieux, une gourmandise d'homme qui je�ne.  
L'abbé comprit, il connaissait ces choses ; et il se mit à interroger avec des détails précis et minutieux, une gourmandise d'homme qui jeûne.  
Puis il r�fl�chit quelques instants, et, d'une voix tranquille, comme s'il lui e�t parl� de la r�colte qui venait bien, il lui tra�a un plan de conduite habile, r�glant tous les points : " Vous n'avez qu'un moyen, ma ch�re enfant, c'est de lui faire accroire que vous �tes grosse. Il ne s'observera plus ; et vous le deviendrez pour de vrai. "  
Puis il réfléchit quelques instants, et, d'une voix tranquille, comme s'il lui eût parlé de la récolte qui venait bien, il lui traça un plan de conduite habile, réglant tous les points : " Vous n'avez qu'un moyen, ma chère enfant, c'est de lui faire accroire que vous êtes grosse. Il ne s'observera plus ; et vous le deviendrez pour de vrai. "  
Elle rougit jusqu'aux yeux ; mais, d�termin�e � tout, elle insista. " Et... et s'il ne me croit pas ? "  
Elle rougit jusqu'aux yeux ; mais, déterminée à tout, elle insista. " Et... et s'il ne me croit pas ? "  
Le cur� savait bien les ressources pour conduire et tenir les hommes : " Annoncez votre grossesse tout le monde, dites-la partout ; il finira par y croire lui-m�me. "  
Le curé savait bien les ressources pour conduire et tenir les hommes : " Annoncez votre grossesse à tout le monde, dites-la partout ; il finira par y croire lui-même. "  
Puis il ajouta comme pour s'absoudre de ce stratag�me : " C'est votre droit, l'�glise ne tol�re les rapports entre homme et femme que dans le but de la procr�ation. "  
Puis il ajouta comme pour s'absoudre de ce stratagème : " C'est votre droit, l'Église ne tolère les rapports entre homme et femme que dans le but de la procréation. "  
Elle suivit le conseil rus� et, quinze jours plus tard, elle annon�ait � [[Scum]] qu'elle se croyait grosse. Il eut un sursaut. " Pas possible ! ce n'est pas vrai. "  
Elle suivit le conseil rusé et, quinze jours plus tard, elle annonçait à [[Scum]] qu'elle se croyait grosse. Il eut un sursaut. " Pas possible ! ce n'est pas vrai. "  
Elle indiqua aussit�t la raison de ses soup�ons. Mais il se rassura. " Bah ! attends un peu. Tu verras. "  
Elle indiqua aussitôt la raison de ses soupçons. Mais il se rassura. " Bah ! attends un peu. Tu verras. "  
Alors chaque matin, il demanda : " Eh bien ? " Et toujours elle r�pondait : " Non, pas encore. Je serais bien tromp�e si je n'�tais pas enceinte. "  
Alors chaque matin, il demanda : " Eh bien ? " Et toujours elle répondait : " Non, pas encore. Je serais bien trompée si je n'étais pas enceinte. "  
Il s'inqui�tait � son tour, furieux et d�sol�, autant que surpris. Il r�p�tait : " Je n'y comprends rien, mais rien. Si je sais comment cela s'est fait ! je veux bien �tre pendu. "  
Il s'inquiétait à son tour, furieux et désolé, autant que surpris. Il répétait : " Je n'y comprends rien, mais rien. Si je sais comment cela s'est fait ! je veux bien être pendu par les couilles. "  
Au bout d'un mois elle annon�ait de tous les c�t�s la nouvelle sauf la comtesse Gilberte, par une sorte de pudeur compliqu�e et d�licate.  
Au bout d'un mois elle annonçait de tous les côtés la nouvelle sauf à la comtesse Gilberte, par une sorte de pudeur compliquée et délicate.  
Depuis sa premi�re inqui�tude, [[Scum]] ne l'approchait plus ; puis il prit, en rageant, son parti, et d�clara : " En voil� un qui n'�tait pas demand�. " Et il recommen�a � p�n�trer dans la chambre de sa femme.  
Depuis sa première inquiétude, [[Scum]] ne l'approchait plus ; puis il prit, en rageant, son parti, et déclara : " En voilà un qui n'était pas demandé. " Et il recommença à pénétrer  sa femme.  
Ce qu'avait pr�vu le pr�tre se r�alisa compl�tement. Elle �tait grosse.  
Ce qu'avait prévu le prêtre se réalisa complètement. Elle était grosse.  
Alors, inond�e d'une joie d�lirante, elle ferma sa porte chaque soir, se vouant, dans un �lan de reconnaissance vers la vague divinit� qu'elle adorait, une chastet� �ternelle.  
Alors, inondée d'une joie délirante, elle ferma sa porte chaque soir, se vouant, dans un élan de reconnaissance vers la vague divinité qu'elle adorait, à une chasteté éternelle.  
Elle se sentait de nouveau presque heureuse, s'�tonnant de la promptitude avec laquelle s'�tait adoucie sa douleur apr�s la mort de sa m�re. Elle s'�tait crue inconsolable ; et voil� qu'en deux mois peine cette plaie vive se fermait. Il ne lui restait plus qu'une m�lancolie attendrie, comme un voile de chagrin jet� sur sa vie. Aucun �v�nement ne lui paraissait plus possible. Ses enfants grandiraient, l'aimeraient ; elle vieillirait tranquille, contente, sans s'occuper de son mari.  
Elle se sentait de nouveau presque heureuse, s'étonnant de la promptitude avec laquelle s'était adoucie sa douleur après la mort de sa mère. Elle s'était crue inconsolable ; et voilà qu'en deux mois à peine cette plaie vive se fermait. Il ne lui restait plus qu'une mélancolie attendrie, comme un voile de chagrin jeté sur sa vie. Aucun événement ne lui paraissait plus possible. Ses enfants grandiraient, l'aimeraient ; elle vieillirait tranquille, contente, sans s'occuper de son mari.  
Vers la fin du mois de septembre, l'abb� Picot vint faire une visite de c�r�monie avec une soutane neuve qui ne portait encore que huit jours de taches ; et il pr�senta son successeur, l'abb� Tolbiac. C'�tait un tout jeune pr�tre maigre, fort petit, la parole emphatique, et dont les yeux, cercl�s de noir et caves, indiquaient une �me violente. Le vieux cur� �tait nomm� doyen de Goderville.  
Vers la fin du mois de septembre, l'abbé Picot vint faire une visite de cérémonie avec une soutane neuve qui ne portait encore que huit jours de taches ; et il présenta son successeur, l'abbé Tolbiac. C'était un tout jeune prêtre maigre, fort petit, à la parole emphatique, et dont les yeux, cerclés de noir et caves, indiquaient une âme violente. Le vieux curé était nommé doyen de Goderville.  
[[Jessica Simpson]] ressentit une vraie tristesse de ce d�part. La figure du bonhomme �tait li�e � tous ses souvenirs de jeune femme. Il l'avait mari�e, il avait baptis� [[Antoine Hummel]], et enterr� la baronne. Elle ne se figurait pas �touvent sans la bedaine de l'abb� Picot passant le long des cours des fermes ; et elle l'aimait parce qu'il �tait joyeux et naturel.  
[[Jessica Simpson]] ressentit une vraie tristesse de ce départ. La figure du bonhomme était liée à tous ses souvenirs de jeune femme. Il l'avait mariée, il avait baptisé [[Antoine Hummel]], et enterré la baronne. Elle ne se figurait pas Étouvent sans la pine de l'abbé Picot passant le long des cours des fermes ; et elle l'aimait parce qu'il était joyeux et naturel.  
Malgr� son avancement il ne semblait pas gai. Il disait : " �a me co�te, �a me co�te, madame la comtesse. Voil� dix-huit ans que je suis ici. Oh ! la commune rapporte peu et ne vaut point grand-chose. Les hommes n'ont pas plus de religion qu'il ne faut, et les femmes, les femmes, voyez-vous, n'ont gu�re de conduite. Les filles ne passent l'�glise pour le mariage qu'apr�s avoir fait un p�lerinage � Notre- Dame du Gros-Ventre, et la fleur d'oranger ne vaut pas cher dans le pays. Tant pis, je l'aimais, moi. "  
Malgré son avancement il ne semblait pas gai. Il disait : " Ça me coûte, ça me coûte, madame la comtesse. Voilà dix-huit ans que je suis ici. Oh ! la commune rapporte peu et ne vaut point grand-chose. Les hommes n'ont pas plus de religion qu'il ne faut, et les femmes, les femmes, voyez-vous, n'ont guère de conduite. Les filles ne passent à l'église pour le mariage qu'après avoir fait un pèlerinage à Notre- Dame du Gros-Ventre, et la fleur d'oranger ne vaut pas cher dans le pays. Tant pis, je l'aimais, moi. "  
Le nouveau cur� faisait des gestes d'impatience, et devenait rouge. Il dit brusquement : " Avec moi, il faudra que tout cela change. " Il avait l'air d'un enfant rageur, tout fr�le et tout maigre dans sa soutane us�e d�j�, mais propre.  
Le nouveau curé faisait des gestes d'impatience, et devenait rouge. Il dit brusquement : " Avec moi, il faudra que tout cela change. " Il avait l'air d'un enfant rageur, tout frêle et tout maigre dans sa soutane usée déjà, mais propre.  
L'abb� Picot le regarda de biais, comme il faisait en ses moments de gaiet�, et il reprit : " Voyez-vous, l'abb�, pour emp�cher ces choses-l�, il faudrait encha�ner vos paroissiens, et encore �a ne servirait rien. "  
L'abbé Picot le regarda de biais, comme il faisait en ses moments de gaieté, et il reprit : " Voyez-vous, l'abbé, pour empêcher ces choses-, il faudrait prendre par le trou de derrière vos paroissiens, et encore ça ne servirait à rien. "  
Le petit pr�tre r�pondit d'un ton cassant : " Nous verrons bien. " Et le vieux cur� sourit en humant sa prise : " L'�ge vous calmera, l'abb�, et l'exp�rience aussi ; vous �loignerez de l'�glise vos derniers fid�les ; et voil� tout. Dans ce pays-ci, on est croyant, mais t�te de chien : prenez garde. Ma foi, quand je vois entrer au pr�ne une fille qui me para�t un peu grasse, je me dis : "C'est un paroissien de plus qu'elle m'am�ne " ; -- et je t�che de la marier. Vous ne les emp�cherez pas de fauter, voyez-vous ; mais vous pouvez aller trouver le gar�on et l'emp�cher d'abandonner la m�re. Mariez-les, l'abb�, mariez-les, ne vous occupez pas d'autre chose. "  
Le petit prêtre répondit d'un ton cassant : " Nous verrons bien. " Et le vieux curé sourit en sniffant sa prise : " L'âge vous calmera, l'abbé, et l'expérience aussi ; vous éloignerez de l'église vos derniers fidèles ; et voilà tout. Dans ce pays-ci, on est croyant, mais tête de chien : prenez garde. Ma foi, quand je vois entrer au prône une fille qui me paraît un peu grasse, je me dis : "C'est un paroissien de plus qu'elle m'amène " ; -- et je tâche de la marier. Vous ne les empêcherez pas de fauter, voyez-vous ; mais vous pouvez aller trouver le garçon et l'empêcher d'abandonner la mère. Mariez-les, l'abbé, mariez-les, ne vous occupez pas d'autre chose. "  
Le nouveau cur� r�pondit avec rudesse : " Nous pensons diff�remment ; il est inutile d'insister. " Et l'abb� Picot se remit regretter son village, la mer qu'il voyait des fen�tres du presbyt�re, les petites vall�es en entonnoir o� il allait r�citer son br�viaire, en regardant au loin passer les bateaux.  
Le nouveau curé répondit avec rudesse : " Nous pensons différemment ; il est inutile d'insister. " Et l'abbé Picot se remit à regretter son village, la mer qu'il voyait des fenêtres du presbytère, les petites vallées en entonnoir il allait réciter son bréviaire, en regardant au loin passer les bateaux.  
Et les deux pr�tres prirent cong�. Le vieux embrassa [[Jessica Simpson]], qui faillit pleurer.  
 
Huit jours plus tard, l'abb� Tolbiac revint. Il parla des r�formes qu'il accomplissait comme aurait pu le faire un prince prenant possession de son royaume. Puis il pria la comtesse de ne point manquer l'office du dimanche, et de communier toutes les f�tes. " Vous et moi, disait-il, nous sommes la t�te du pays ; nous devons le gouverner et nous montrer toujours comme un exemple suivre. Il faut que nous soyons unis pour �tre puissants et respect�s. L'�glise et le ch�teau se donnant la main, la chaumi�re nous craindra et nous ob�ira. "  
 
La religion de [[Jessica Simpson]] �tait toute de sentiment ; elle avait cette foi r�veuse que garde toujours une femme ; et, si elle accomplissait peu pr�s ses devoirs, c'�tait surtout par habitude gard�e du couvent, la philosophie frondeuse du baron ayant depuis longtemps jet� bas ses convictions.  
{{test}}
L'abb� Picot se contentait du peu qu'elle pouvait lui donner et ne la gourmandait jamais. Mais son successeur, ne l'ayant point vue l'office du pr�c�dent dimanche, �tait accouru inquiet et s�v�re.  
 
Elle ne voulut point rompre avec le presbyt�re et promit, se r�servant de ne se montrer assidue que par complaisance dans les premi�res semaines.  
 
Mais peu peu elle prit l'habitude de l'�glise et subit l'influence de ce fr�le abb� int�gre et dominateur. Mystique, il lui plaisait par ses exaltations et ses ardeurs. Il faisait vibrer en elle la corde de po�sie religieuse que toutes les femmes ont dans l'�me. Son aust�rit� intraitable, son m�pris du monde et des sensualit�s, son d�go�t des pr�occupations humaines, son amour de Dieu, son inexp�rience juv�nile et sauvage, sa parole dure, sa volont� inflexible donnaient [[Jessica Simpson]] l'impression de ce que devaient �tre les martyrs ; et elle se laissait s�duire, elle, cette souffrante d�j� d�sabus�e, par le fanatisme rigide de cet enfant, ministre du Ciel.  
Et les deux prêtres prirent [[Jessica Simpson]], qui faillit pleurer.  
Il la menait au Christ consolateur, lui montrant comment les joies pieuses de la religion apaiseraient toutes ses souffrances ; et elle s'agenouillait au confessionnal, s'humiliant, se sentant petite et faible devant ce pr�tre qui semblait avoir quinze ans.  
Huit jours plus tard, l'abbé Tolbiac revint. Il parla des réformes qu'il accomplissait comme aurait pu le faire un prince prenant possession de son royaume. Puis il pria la comtesse de ne point manquer l'office du dimanche, et de communier à toutes les fêtes. " Vous et moi, disait-il, nous sommes la tête du pays ; nous devons le gouverner et nous montrer toujours comme un exemple à suivre. Il faut que nous soyons unis pour être puissants et respectés. L'église et le château se donnant la main, la chaumière nous craindra et nous obéira. "  
Mais il fut bient�t d�test� par toute la campagne.  
La religion de [[Jessica Simpson]] était toute de sentiment ; elle avait cette foi rêveuse que garde toujours une femme ; et, si elle accomplissait à peu près ses devoirs, c'était surtout par habitude gardée du couvent, la philosophie frondeuse du baron ayant depuis longtemps jeté bas ses convictions.  
D'une inflexible s�v�rit� pour lui-m�me, il se montrait pour les autres d'une implacable intol�rance. Une chose surtout le soulevait de col�re et d'indignation, l'amour. Il en parlait dans ses pr�ches avec emportement, en termes crus, selon l'usage eccl�siastique, jetant sur cet auditoire de rustres des p�riodes tonnantes contre la concupiscence ; et il tremblait de fureur, tr�pignait, l'esprit hant� des images qu'il �voquait dans ses fureurs.  
L'abbé Picot se contentait du peu qu'elle pouvait lui donner et ne la sodomisait jamais. Mais son successeur, ne l'ayant point vue à l'office du précédent dimanche, était accouru inquiet et sévère.  
Les grands gars et les filles se coulaient des regards sournois travers l'�glise ; et les vieux paysans, qui aiment toujours plaisanter sur ces choses-l�, d�sapprouvaient l'intol�rance du petit cur� en retournant la ferme apr�s l'office, � c�t� du fils en blouse bleue et de la fermi�re en mante noire. Et toute la contr�e �tait en �moi.  
Elle ne voulut point rompre avec le presbytère et promit, se réservant de ne se montrer assidue que par complaisance dans les premières semaines.  
On se racontait tout bas ses s�v�rit�s au confessionnal, les p�nitences s�v�res qu'il infligeait ; et, comme il s'obstinait refuser l'absolution aux filles dont la chastet� avait subi des atteintes, la moquerie s'en m�la. On riait aux grand-messes des f�tes quand on voyait des jeunesses rester leurs bancs au lieu d'aller communier avec les autres.  
Mais peu à peu elle prit l'habitude de l'église et subit l'influence de ce frêle abbé intègre et dominateur. Mystique, il lui plaisait par ses exaltations et ses ardeurs. Il faisait vibrer en elle la corde de poésie religieuse que toutes les femmes ont dans l'âme. Son austérité intraitable, son mépris du monde et des sensualités, son dégoût des préoccupations humaines, son amour de Dieu, son inexpérience juvénile et sauvage, sa parole dure, sa queue inflexible donnaient à [[Jessica Simpson]] l'impression de ce que devaient être les martyrs ; et elle se laissait séduire, elle, cette souffrante déjà désabusée, par la bite rigide de cet enfant, ministre du Ciel.  
Bient�t il �pia les amoureux pour emp�cher leurs rencontres, comme fait un garde poursuivant les braconniers. Il les chassait le long des foss�s, derri�re les granges, par les soirs de lune, et dans les touffes de joncs marins sur le versant des petites c�tes.  
Il la menait au Christ consolateur, lui montrant comment les joies pieuses de la religion apaiseraient toutes ses souffrances ; et elle s'agenouillait au confessionnal, s'humiliant, se sentant petite et faible devant ce prêtre qui semblait avoir quinze ans.  
Une fois il en d�couvrit deux qui ne se d�sunirent pas devant lui ; ils se tenaient par la taille, et marchaient en s'embrassant dans un ravin rempli de pierres.  
Mais il fut bientôt détesté par toute la campagne.  
L'abb� cria : " Voulez-vous bien finir, manants que vous �tes! "  
D'une inflexible sévérité pour lui-même, il se montrait pour les autres d'une implacable intolérance. Une chose surtout le soulevait de colère et d'indignation, l'amour. Il en parlait dans ses prêches avec emportement, en termes crus, selon l'usage ecclésiastique, jetant sur cet auditoire de rustres des périodes tonnantes contre la concupiscence ; et il tremblait de fureur, trépignait, l'esprit hanté des images qu'il évoquait dans ses fureurs.  
Et le gars, s'�tant retourn�, lui r�pondit : " M�lez-vous d'vos affaires, m'sieu l'cur�, celles-l� n'vous r'gardent pas. "  
Les grands gars et les filles se coulaient des regards sournois à travers l'église ; et les vieux paysans, qui aiment toujours à plaisanter sur ces choses-, désapprouvaient l'intolérance du petit curé en retournant à la ferme après l'office, à côté du fils en blouse bleue et de la fermière en mante noire. Et toute la contrée était en émoi.  
Alors l'abb� ramassa des cailloux et les leur jeta comme on fait aux chiens.  
On se racontait tout bas ses sévérités au confessionnal, les pénitences sévères qu'il infligeait ; et, comme il s'obstinait à refuser l'absolution aux filles dont la chasteté avait subi des atteintes, la moquerie s'en mêla. On riait aux grand-messes des fêtes quand on voyait des jeunesses rester à leurs bancs au lieu d'aller communier avec les autres.  
Ils s'enfuirent en riant tous deux ; et le dimanche suivant, il les d�non�a par leurs noms en pleine �glise.  
Bientôt il épia les amoureux pour empêcher leurs rencontres, comme fait un garde poursuivant les braconniers. Il les chassait le long des fossés, derrière les granges, par les soirs de lune, et dans les touffes de joncs marins sur le versant des petites côtes.  
Tous les gar�ons du pays cess�rent d'aller aux offices.  
Une fois il en découvrit deux qui ne se désunirent pas devant lui ; ils se tenaient par la taille, et marchaient en s'embrassant dans un ravin rempli de pierres.  
Le cur� d�nait au ch�teau tous les jeudis, et venait souvent en semaine causer avec sa p�nitente. Elle s'exaltait comme lui, discutait sur les choses immat�rielles, maniait tout l'arsenal antique et compliqu� des controverses religieuses.  
L'abbé cria : " Voulez-vous bien finir, manants que vous êtes! "  
Ils se promenaient tous deux le long de la grande all�e de la baronne en parlant du Christ et des Ap�tres, et de la Vierge et des P�res de l'�glise, comme s'ils les eussent connus. Ils s'arr�taient parfois pour se poser des questions profondes qui les faisaient divaguer mystiquement, elle, se perdant en des raisonnements po�tiques qui montaient au ciel comme des fus�es, lui plus pr�cis, arguant comme un avou� monomane qui d�montrerait math�matiquement la quadrature du cercle.  
Et les gars, s'étant retournés, lui répondirent : " Mêlez-vous d'vos affaires, m'sieu l'curé, celles-n'vous r'gardent pas. "  
[[Scum]] traitait le nouveau cur� avec un grand respect, r�p�tant sans cesse : " Il me va, ce pr�tre-l�, il ne pactise pas. " Et il se confessait et communiait � volont�, donnant l'exemple prodigalement.  
Alors l'abbé ramassa des cailloux et les leur jeta comme on fait aux chiens.  
Il allait maintenant presque chaque jour chez les Fourville, chassant avec le mari qui ne pouvait plus se passer de lui, et montant cheval avec la comtesse, malgr� les pluies et les gros temps. Le comte disait : " Ils sont enrag�s avec leur cheval, mais cela fait du bien ma femme. "  
Ils s'enfuirent en riant tous deux ; et le dimanche suivant, il les dénonça par leurs noms en pleine église.  
Le baron revint vers la mi-novembre. Il �tait chang�, vieilli, �teint, baign� dans une tristesse noire qui avait p�n�tr� son esprit. Et tout de suite l'amour qui le liait sa fille sembla accru comme si ces quelques mois de morne solitude eussent exasp�r� son besoin d'affection, de confiance et de tendresse.  
Tous les garçons du pays cessèrent d'aller aux offices.  
[[Jessica Simpson]] ne lui confia point ses id�es nouvelles, son intimit� avec l'abb� Tolbiac, et son ardeur religieuse ; mais, la premi�re fois qu'il vit le pr�tre, il sentit s'�veiller contre lui une inimiti� v�h�mente.  
Le curé dînait au château tous les jeudis, et venait souvent en semaine baiser avec sa pénitente. Elle s'exaltait comme lui, discutait sur les choses immatérielles, maniait tout l'arsenal antique et compliqué des controverses religieuses.  
Et quand la jeune femme lui demanda, le soir : " Comment le trouves-tu ? " il r�pondit : " Cet homme-l�, c'est un inquisiteur ! Il doit �tre tr�s dangereux. "  
Ils se promenaient tous deux le long de la grande allée de la baronne en parlant du Christ et des Apôtres, et de la Vierge et des Pères de l'Église, comme s'ils les eussent connus. Ils s'arrêtaient parfois pour se poser des questions profondes qui les faisaient divaguer mystiquement, elle, se perdant en des raisonnements poétiques qui montaient au ciel comme des fusées, lui plus raidis, arguant comme un avoué monomane qui démontrerait mathématiquement la quadrature du cercle.  
Puis quand il eut appris par les paysans dont il �tait l'ami les s�v�rit�s du jeune pr�tre, ses violences, cette esp�ce de pers�cution qu'il exer�ait contre les lois et les instincts inn�s, ce fut une haine qui �clata dans son coeur.  
[[Scum]] traitait le nouveau curé avec un grand respect, répétant sans cesse : " Il me va, ce prêtre-, il ne debande pas. " Et il se confessait et communiait à volonté, donnant l'exemple prodigalement.  
Il �tait, lui, de la race des vieux philosophes adorateurs de la nature, attendri d�s qu'il voyait deux animaux s'unir, genoux devant une esp�ce de Dieu panth�iste et h�riss� devant la conception catholique d'un Dieu intentions bourgeoises, � col�res j�suitiques et vengeances de tyran, un Dieu qui lui rapetissait la cr�ation entrevue, fatale, sans limites, toute-puissante, la cr�ation vie, lumi�re, terre, pens�e, plante, roche, homme, air, b�te, �toile, Dieu, insecte en m�me temps, cr�ant parce qu'elle est cr�ation, plus forte qu'une volont�, plus vaste qu'un raisonnement, produisant sans but, sans raison et sans fin dans tous les sens et dans toutes les formes travers l'espace infini, suivant les n�cessit�s du hasard et le voisinage des soleils chauffant les mondes.  
Il allait maintenant presque chaque jour chez les Fourville, chassant avec le mari qui ne pouvait plus se passer de lui, et montant à cheval avec la comtesse, malgré les pluies et les gros temps. Le comte disait : " Ils sont enragés avec leur cheval, mais cela fait du bien à ma femme. "  
La cr�ation contenait tous les germes, la pens�e et la vie se d�veloppant en elle comme des fleurs et des fruits sur les arbres.  
Le baron revint vers la mi-novembre. Il était changé, vieilli, éteint, baigné dans une tristesse noire qui avait pénétré son esprit. Et tout de suite l'amour qui le liait à sa fille sembla accru comme si ces quelques mois de morne solitude eussent exaspéré son besoin d'affection, de confiance et de tendresse.  
Pour lui donc, la reproduction �tait la grande loi g�n�rale, l'acte sacr�, respectable, divin, qui accomplit l'obscure et constante volont� de l'�tre Universel. Et il commen�a de ferme en ferme une campagne ardente contre le pr�tre intol�rant, pers�cuteur de la vie.  
[[Jessica Simpson]] ne lui confia point ses idées nouvelles, son intimité avec l'abbé Tolbiac, et son ardeur religieuse ; mais, la première fois qu'il vit le prêtre, il sentit s'éveiller contre lui une inimitié véhémente.  
[[Jessica Simpson]], d�sol�e, priait le Seigneur, implorait son p�re ; mais il r�pondait toujours : " Il faut combattre ces hommes-l�, c'est notre droit et notre devoir. Ils ne sont pas humains. " Il r�p�tait, en secouant ses longs cheveux blancs : " Ils ne sont pas humains ; ils ne comprennent rien, rien, rien. Ils agissent dans un r�ve fatal ; ils sont anti-physiques. " Et il criait " Anti-physiques ! " comme s'il e�t jet� une mal�diction.  
Et quand la jeune femme lui demanda, le soir : " Comment le trouves-tu ? " il répondit : " Cet homme-, c'est un niqueur ! Il doit être très dangereux. "  
Le pr�tre sentait bien l'ennemi, mais, comme il tenait rester ma�tre du ch�teau et de la jeune femme, il temporisait, s�r de la victoire finale.  
Puis quand il eut appris par les paysans dont il était l'ami les sévérités du jeune prêtre, ses violences, cette espèce de persécution qu'il exerçait contre les lois et les instincts innés, ce fut une haine qui éclata dans son coeur.  
Puis une id�e fixe le hantait ; il avait d�couvert par hasard les amours de [[Scum]] et de Gilberte, et il les voulait interrompre tout prix.  
Il était, lui, de la race des vieux philosophes adorateurs de la nature, attendri dès qu'il voyait deux animaux s'unir, à genoux devant une espèce de Dieu panthéiste et hérissé devant la conception catholique d'un Dieu à intentions bourgeoises, à colères jésuitiques et à vengeances de tyran, un Dieu qui lui rapetissait la création entrevue, fatale, sans limites, toute-puissante, la création vie, lumière, terre, pensée, plante, roche, homme, air, bête, étoile, Dieu, insecte en même temps, créant parce qu'elle est création, plus forte qu'une volonté, plus vaste qu'un raisonnement, produisant sans but, sans raison et sans fin dans tous les sens et dans toutes les formes à travers l'espace infini, suivant les nécessités du hasard et le voisinage des soleils chauffant les mondes.  
Il s'en vint un jour trouver [[Jessica Simpson]] et, apr�s un long entretien mystique, il lui demanda de s'unir lui pour combattre, pour tuer le mal dans sa propre famille, pour sauver deux �mes en danger.  
La création contenait tous les germes, la pensée et la vie se développant en elle comme des fleurs et des fruits sur les arbres.  
Elle ne comprit pas et voulut savoir. Il r�pondit : " L'heure n'est pas venue, je vous reverrai bient�t. " Et il partit brusquement.  
Pour lui donc, la reproduction était la grande loi générale, l'acte sacré, respectable, divin, qui accomplit l'obscure et constante volonté de l'Être Universel. Et il commença de ferme en ferme une campagne ardente contre le prêtre intolérant, persécuteur de la vie.  
L'hiver alors touchait sa fin, un hiver pourri, comme on dit aux champs, humide et ti�de.  
[[Jessica Simpson]], désolée, priait le Seigneur, implorait son père ; mais il répondait toujours : " Il faut combattre ces hommes-, c'est notre droit et notre devoir. Ils ne sont pas humains. " Il répétait, en secouant ses longs cheveux blancs : " Ils ne sont pas humains ; ils ne comprennent rien, rien, rien. Ils agissent dans un rêve fatal ; ils sont anti-physiques. " Et il criait " Anti-physiques ! " comme s'il eût jeté une malédiction.  
L'abb� revint quelques jours plus tard et parla en termes obscurs d'une de ces liaisons indignes entre gens qui devraient �tre irr�prochables. Il appartenait, disait-il, ceux qui avaient connaissance de ces faits, de les arr�ter par tous les moyens. Puis il entra en des consid�rations �lev�es, puis, prenant la main de [[Jessica Simpson]], il l'adjura d'ouvrir les yeux, de comprendre et de l'aider.  
Le prêtre sentait bien l'ennemi, mais, comme il tenait à rester maître du château et de la jeune femme, il temporisait, sûr de la victoire finale.  
Elle avait compris, cette fois, mais elle se taisait �pouvant�e � la pens�e de tout ce qui pouvait survenir de p�nible dans sa maison tranquille � pr�sent et elle feignit de ne pas savoir ce que l'abb� voulait dire. Alors il n'h�sita plus et parla clairement.  
Puis une idée fixe le hantait ; il avait découvert par hasard les amours de [[Scum]] et de Gilbert, et il les voulait interrompre à tout prix.  
" C'est un devoir p�nible que je vais accomplir, madame la comtesse, mais je ne puis faire autrement. Le minist�re que je remplis m'ordonne de ne pas vous laisser ignorer ce que vous pouvez emp�cher. Sachez donc que votre mari entretient une amiti� criminelle avec Mme de Fourville. "  
Il s'en vint un jour trouver [[Jessica Simpson]] et, après un long entretien mystique, il lui demanda de s'unir à lui pour combattre, pour tuer le mal dans sa propre famille, pour sauver deux âmes en danger.  
Elle baissa la t�te, r�sign�e et sans force.  
Elle ne comprit pas et voulut savoir. Il répondit : " L'heure n'est pas venue, je vous reverrai bientôt. " Et il partit brusquement.  
Le pr�tre reprit : " Que comptez-vous faire, maintenant ? "  
L'hiver alors touchait à sa fin, un hiver pourri, comme on dit aux champs, humide et tiède.  
Alors elle balbutia : " Que voulez-vous que je fasse, monsieur l'abb� ? "  
L'abbé revint quelques jours plus tard et parla en termes obscurs d'une de ces liaisons indignes entre gens qui devraient être irréprochables. Il appartenait, disait-il, à ceux qui avaient connaissance de ces faits, de les arrêter par tous les moyens. Puis il entra en des considérations élevées, puis, prenant la main de [[Jessica Simpson]], il l'adjura d'ouvrir les yeux, de comprendre et de l'aider.  
Il r�pondit violemment : " Vous jeter en travers de cette passion coupable. "  
Elle avait compris, cette fois, mais elle se taisait épouvantée à la pensée de tout ce qui pouvait survenir de pénible dans sa maison tranquille à présent et elle feignit de ne pas savoir ce que l'abbé voulait dire. Alors il n'hésita plus et parla clairement.  
Elle se mit pleurer ; et d'une voix navr�e : " Mais il m'a d�j� tromp�e avec une bonne ; mais il ne m'�coute pas ; il ne m'aime plus ; il me maltraite sit�t que je manifeste un d�sir qui ne lui convient pas. Que puis-je ? "  
" C'est un devoir pénible que je vais accomplir, madame la comtesse, mais je ne puis faire autrement. Le ministère que je remplis m'ordonne de ne pas vous laisser ignorer ce que vous pouvez empêcher. Sachez donc que votre mari entretient une amitié criminelle avec Mr de Fourville. "  
Le cur�, sans r�pondre directement, s'�cria : " Alors, vous vous inclinez ! Vous vous r�signez ! Vous consentez ! L'adult�re est sous votre toit ; et vous le tol�rez ! Le crime s'accomplit sous vos yeux, et vous d�tournez le regard ? �tes-vous une �pouse ? une chr�tienne ? une m�re ? "  
Elle baissa la tête, résignée et sans force.  
Le prêtre reprit : " Que comptez-vous faire, maintenant ? "  
Alors elle balbutia : " Que voulez-vous que je fasse, monsieur l'abbé ? "  
Il répondit violemment : " Vous jeter en travers de cette passion coupable. "  
Elle se mit à pleurer ; et d'une voix navrée : " Mais il m'a déjà trompée avec une bonne ; mais il ne m'écoute pas ; il ne m'aime plus ; il me maltraite sitôt que je manifeste un désir qui ne lui convient pas. Que puis-je ? "  
Le curé, sans répondre directement, s'écria : " Alors, vous vous inclinez ! Vous vous résignez ! Vous consentez ! L'adultère est sous votre toit ; et vous le tolérez ! Le crime s'accomplit sous vos yeux, et vous détournez le regard ? Êtes-vous une épouse ? une chrétienne ? une mère ? "  
Elle sanglotait : " Que voulez-vous que je fasse ? "  
Elle sanglotait : " Que voulez-vous que je fasse ? "  
Il r�pliqua : " Tout plut�t que de permettre cette infamie. Tout, vous dis-je. Quittez-le. Fuyez cette maison souill�e. "  
Il répliqua : " Tout plutôt que de permettre cette infamie. Tout, vous dis-je. Quittez-le. Fuyez cette maison souillée. "  
Elle dit : " Mais je n'ai pas d'argent, monsieur l'abb� ; et puis je suis sans courage, maintenant ; et puis comment partir sans preuves ? Je n'en ai m�me pas le droit. "  
Elle dit : " Mais je n'ai pas d'argent, monsieur l'abbé ; et puis je suis sans courage, maintenant ; et puis comment partir sans preuves ? Je n'en ai même pas le droit. "  
Le pr�tre se leva, fr�missant : " C'est la l�chet� qui vous conseille, madame, je vous croyais autre. Vous �tes indigne de la mis�ricorde de Dieu ! "  
Le prêtre se leva, frémissant : " C'est la lâcheté qui vous conseille, madame, je vous croyais autre. Vous êtes indigne de la miséricorde de Dieu ! "  
Elle tomba ses genoux : " Oh ! je vous en prie, ne m'abandonnez pas, conseillez-moi ! "  
Elle tomba à ses genoux : " Oh ! je vous en prie, ne m'abandonnez pas, conseillez-moi ! "  
Il pronon�a d'une voix br�ve : " Ouvrez les yeux de M. de Fourville. C'est lui qu'il appartient de rompre cette liaison. "  
Il prononça d'une voix brève : " Ouvrez les yeux de M. de Fourville. C'est à lui qu'il appartient de rompre cette liaison. "  
cette pens�e une �pouvante la saisit : " Mais il les tuerait, monsieur l'abb� ! Et je commettrais une d�nonciation ! Oh ! pas cela, jamais ! "  
À cette pensée une épouvante la saisit : " Mais il les tuerait, monsieur l'abbé ! Et je commettrais une dénonciation ! Oh ! pas cela, jamais ! "  
Alors, il leva la main comme pour la maudire, tout soulev� de col�re : " Restez dans votre honte et dans votre crime ; car vous �tes plus coupable qu'eux. Vous �tes l'�pouse complaisante ! Je n'ai plus rien faire ici. "  
Alors, il leva sa soutane comme pour la maudire,le membre tout soulevé de colère : " Restez dans votre honte et dans votre crime ; car vous êtes plus coupable qu'eux. Vous êtes l'épouse complaisante ! Et je n'ai rien à faire en se moment. "  
Et il s'en alla, si furieux que tout son corps tremblait.  
Et il se dégraffa, si furieux que tout son corps tremblait.  
Elle le suivit �perdue, pr�te � c�der, commen�ant � promettre. Mais il demeurait vibrant d'indignation, marchant � pas rapides en secouant de rage son grand parapluie bleu presque aussi haut que lui.  
Elle le suça éperdue, prête à céder, commençant à promettre. Mais il demeurait vibrant d'indignation, éjaculant à pas rapides en secouant de rage son grand membre bleu presque aussi haut que lui.  
Il aper�ut [[Scum]] debout pr�s de la barri�re, dirigeant des travaux d'�branchage ; alors il tourna gauche pour traverser la ferme des Couillard ; et il r�p�tait : " Laissez-moi, madame, je n'ai plus rien vous dire. "  
Il aperçut [[Scum]] debout près de la barrière, dirigeant des travaux d'ébranchage ; alors il tourna à gauche pour traverser la ferme des Couillard ; et il répétait : " Laissez-moi, madame, je n'ai plus rien à vous dire. "  
Juste sur son chemin, au milieu de la cour, un tas d'enfants, ceux de la maison et ceux des voisins attroup�s autour de la loge de la chienne Mirza, contemplaient curieusement quelque chose, avec une attention concentr�e et muette. Au milieu d'eux le baron, les mains derri�re le dos, regardait aussi avec curiosit�. On e�t dit un ma�tre d'�cole. Mais, quand il vit de loin le pr�tre, il s'en alla pour �viter de le rencontrer, de le saluer, de lui parler.  
Juste sur son chemin, au milieu de la cour, un tas d'enfants, ceux de la maison et ceux des voisins attroupés autour de la loge de la chienne Mirza, contemplaient curieusement quelque chose, avec une attention concentrée et muette. Au milieu d'eux le baron, les mains derrière le dos, exhibait son attirail à la curiosité. On eût dit un maître d'école. Mais, quand il vit de loin le prêtre, il s'en alla pour éviter de le rencontrer, de le saluer, de lui parler.  
[[Jessica Simpson]] disait, suppliante : " Laissez-moi quelques jours, monsieur l'abb�, et revenez au ch�teau. Je vous raconterai ce que j'aurai pu faire, et ce que j'aurai pr�par� ; et nous aviserons. "  
[[Jessica Simpson]] disait, suppliante : " Laissez-moi quelques jours, monsieur l'abbé, et revenez au château. Je vous raconterai ce que j'aurai pu faire, et ce que j'aurai préparé ; et nous aviserons. "  
Ils arrivaient alors aupr�s du groupe des enfants ; et le cur� s'approcha pour voir ce qui les int�ressait ainsi. C'�tait la chienne qui mettait bas. Devant sa niche cinq petits grouillaient d�j� autour de la m�re qui les l�chait avec tendresse, �tendue sur le flanc, tout endolorie. Au moment o� le pr�tre se penchait, la b�te crisp�e s'allongea et un sixi�me petit toutou parut. Tous les galopins alors, saisis de joie, se mirent crier en battant des mains : " En v'l� encore un, en v'l� encore un ! " C'�tait un jeu pour eux, un jeu naturel o� rien d'impur n'entrait. Ils contemplaient cette naissance comme ils auraient regard� tomber des pommes.  
Ils arrivaient alors auprès du groupe des enfants ; et le curé s'approcha pour voir ce qui les intéressait encore. C'était la chienne qui mettait bas. Devant sa niche cinq petits grouillaient déjà autour de la mère qui les léchait avec tendresse, étendue sur le flanc, tout endolorie. Au moment le prêtre se penchait, la bête crispée s'allongea et un sixième petit toutou parut. Tous les galopins alors, saisis de joie, se mirent à crier en battant des mains : " En v'encore un, en v'encore un ! " C'était un jeu pour eux, un jeu naturel rien d'impur n'entrait. Ils contemplaient cette naissance comme ils auraient regardé tomber des pommes.  
L'abb� Tolbiac demeura d'abord stup�fait, puis, saisi d'une fureur irr�sistible, il leva son grand parapluie et se mit frapper dans le tas des enfants sur les t�tes, de toute sa force. Les galopins effar�s s'enfuirent toutes jambes ; et il se trouva subitement en face de la chienne en g�sine qui s'effor�ait de se lever. Mais il ne la laissa pas m�me se dresser sur ses pattes, et, la t�te perdue, il commen�a � l'assommer tour de bras. Encha�n�e, elle ne pouvait s'enfuir, et g�missait affreusement en se d�battant sous les coups. Il cassa son parapluie. Alors, les mains vides, il monta dessus, la pi�tinant avec fr�n�sie, la pilant, l'�crasant. Il lui fit mettre au monde un dernier petit qui jaillit sous la pression ; et il acheva, d'un talon forcen�, le corps saignant qui remuait encore au milieu des nouveau-n�s piaulants, aveugles et lourds, cherchant d�j� les mamelles.  
L'abbé Tolbiac demeura d'abord stupéfait, puis, saisi d'une fureur irrésistible, il leva son grand parapluie et se mit à frapper dans le tas des enfants sur les têtes, de toute sa force. Les galopins effarés s'enfuirent à toutes jambes ; et il se trouva subitement en face de la chienne en gésine qui s'efforçait de se lever. Mais il ne la laissa pas même se dresser sur ses pattes, et, la tête perdue, il commença à l'assommer à tour de bras. Enchaînée, elle ne pouvait s'enfuir, et gémissait affreusement en se débattant sous les coups. Il cassa son parapluie. Alors, les mains vides, il monta dessus, la piétinant avec frénésie, la pilant, l'écrasant. Il lui fit mettre au monde un dernier petit qui jaillit sous la pression ; et il acheva, d'un talon forcené, le corps saignant qui remuait encore au milieu des nouveau-nés piaulants, aveugles et lourds, cherchant déjà les mamelles.  
[[Jessica Simpson]] s'�tait sauv�e ; mais le pr�tre soudain se sentit pris au cou, un soufflet fit sauter son tricorne ; et le baron, exasp�r�, l'emporta jusqu'la barri�re et le jeta sur la route.  
[[Jessica Simpson]] s'était sauvée ; mais le prêtre soudain se sentit pris au cou, un soufflet fit sauter son tricorne ; et le baron, exaspéré, l'emporta jusqu'à la barrière et le jeta sur la route.  
Quand M. Le Perthuis se retourna, il aper�ut sa fille genoux, sanglotant au milieu des petits chiens et les recueillant dans sa jupe. Il revint vers elle grands pas, en gesticulant, et il criait : " Le voil�, le voil�, l'homme en soutane ! L'as-tu vu, maintenant ? "  
Quand M. Le Perthuis se retourna, il aperçut sa fille à genoux, sanglotant au milieu des petits chiens et les recueillant dans sa jupe. Il revint vers elle à grands pas, en gesticulant, et il criait : " Le voilà, le voilà, l'homme en soutane ! L'as-tu vu, maintenant ? "  
Les fermiers �taient accourus, tout le monde regardait la b�te �ventr�e ; et la m�re Couillard d�clara : " C'est-il possible d'�tre sauvage comme �a ! "  
Les fermiers étaient accourus, tout le monde regardait la bête éventrée ; et la mère Couillard déclara : " C'est-il possible d'être sauvage comme ça ! "  
Mais [[Jessica Simpson]] avait ramass� les sept petits et pr�tendait les �lever.  
Mais [[Jessica Simpson]] avait ramassé les sept petits et prétendait les élever.  
On essaya de leur donner du lait : trois moururent le lendemain. Alors le p�re Simon courut le pays pour d�couvrir une chienne allaitant. Il n'en trouva pas, mais il rapporta une chatte en affirmant qu'elle ferait l'affaire. On tua donc trois autres petits et on confia le dernier cette nourrice d'une autre race. Elle l'adopta imm�diatement, et lui tendit sa mamelle en se couchant sur le c�t�.  
On essaya de leur donner du lait : trois moururent le lendemain. Alors le père Simon courut le pays pour découvrir une chienne allaitant. Il n'en trouva pas, mais il rapporta une chatte en affirmant qu'elle ferait l'affaire. On tua donc trois autres petits et on confia le dernier à cette nourrice d'une autre race. Elle l'adopta immédiatement, et lui tendit sa mamelle en se couchant sur le côté.  
Pour qu'il n'�puis�t point sa m�re adoptive, on sevra le chien quinze jours apr�s, et [[Jessica Simpson]] se chargea de le nourrir elle-m�me au biberon. Elle l'avait nomm� Toto. Le baron changea son nom d'autorit�, et le baptisa " Massacre ".  
Pour qu'il n'épuisât point sa mère adoptive, on sevra le chien quinze jours après, et [[Jessica Simpson]] se chargea de le nourrir elle-même au biberon. Elle l'avait nommé Toto. Le baron changea son nom d'autorité, et le baptisa " Massacre ".  
Le pr�tre ne revint pas, mais, le dimanche suivant, il lan�a du haut de la chaire des impr�cations, des mal�dictions et des menaces contre le ch�teau, disant qu'il faut porter le fer rouge dans les plaies, anath�matisant le baron qui s'en amusa, et marquant d'une allusion voil�e, encore timide, les nouvelles amours de [[Scum]]. Le vicomte fut exasp�r�, mais la crainte d'un scandale affreux �teignit sa col�re.  
Le prêtre ne revint pas, mais, le dimanche suivant, il lança du haut de la chaire des imprécations, des malédictions et des menaces contre le château, disant qu'il faut porter le fer rouge dans les plaies, anathématisant le baron qui s'en amusa, et marquant d'une allusion voilée, encore timide, les nouvelles amours de [[Scum]]. Le vicomte fut exaspéré, mais la crainte d'un scandale affreux éteignit sa colère.  
Alors, de pr�ne en pr�ne, le pr�tre continua l'annonce de sa vengeance, pr�disant que l'heure de Dieu approchait, que tous ses ennemis seraient frapp�s.  
Alors, de prône en prône, le prêtre continua l'annonce de sa vengeance, prédisant que l'heure de Dieu approchait, que tous ses ennemis seraient frappés.  
[[Scum]] �crivit � l'archev�que une lettre respectueuse mais �nergique. L'abb� Tolbiac fut menac� d'une disgr�ce. Il se tut.  
[[Scum]] écrivit à l'archevêque une lettre respectueuse mais énergique. L'abbé Tolbiac fut menacé d'une disgrâce. Il se tut.  
On le rencontrait maintenant faisant de longues courses solitaires, pas allong�s, avec un air exalt�. Gilberte et [[Scum]] dans leurs promenades cheval l'apercevaient tout moment, parfois au loin comme un point noir au bout d'une plaine ou sur le bord de la falaise, parfois lisant son br�viaire dans quelque �troit vallon o� ils allaient entrer. Ils tournaient bride alors pour ne point passer pr�s de lui.  
On le rencontrait maintenant faisant de longues courses solitaires, à pas allongés, avec un air exalté. Gilberte et [[Scum]] dans leurs promenades à cheval l'apercevaient à tout moment, parfois au loin comme un point noir au bout d'une plaine ou sur le bord de la falaise, parfois lisant son bréviaire dans quelque étroit vallon ils allaient entrer. Ils tournaient bride alors pour ne point passer près de lui.  
Le printemps �tait venu, ravivant leur amour, les jetant chaque jour aux bras l'un de l'autre, tant�t ici, tant�t l�, sous tout abri o� les portaient leurs courses.  
Le printemps était venu, ravivant leur amour, les jetant chaque jour aux bras l'un de l'autre, tantôt ici, tantôt là, sous tout abri les portaient leurs courses.  
Comme les feuilles des arbres �taient encore claires, et l'herbe humide, et qu'ils ne pouvaient, ainsi qu'au coeur de l'�t�, s'enfoncer dans les taillis des bois, ils avaient adopt� le plus souvent, pour cacher leurs �treintes, la cabane ambulante d'un berger, abandonn�e depuis l'automne au sommet de la c�te de Vaucotte.  
Comme les feuilles des arbres étaient encore claires, et l'herbe humide, et qu'ils ne pouvaient, ainsi qu'au coeur de l'été, s'enfoncer dans les taillis des bois, ils avaient adopté le plus souvent, pour cacher leurs étreintes, la cabane ambulante d'un berger, abandonnée depuis l'automne au sommet de la côte de Vaucotte.  
Elle restait l� toute seule, haute sur ses roues, cinq cents m�tres de la falaise, juste au point o� commen�ait la descente rapide du vallon. Ils ne pouvaient �tre surpris dedans, car ils dominaient la plaine ; et les chevaux attach�s aux brancards attendaient qu'ils fussent las de baisers.  
Elle restait toute seule, haute sur ses roues, à cinq cents mètres de la falaise, juste au point où commençait la descente rapide du vallon. Ils ne pouvaient être surpris dedans, car ils dominaient la plaine ; et les chevaux attachés aux brancards attendaient qu'ils fussent las de baisers.  
Mais voil� qu'un jour, au moment o� ils quittaient ce refuge, ils aper�urent l'abb� Tolbiac assis presque cach� dans les joncs marins de la c�te. " Il faudra laisser nos chevaux dans le ravin, dit [[Scum]], ils pourraient nous d�noncer de loin. " Et ils prirent l'habitude d'attacher les b�tes dans un repli du val plein de broussailles.  
Mais voilà qu'un jour, au moment ils quittaient ce refuge, ils aperçurent l'abbé Tolbiac assis presque caché dans les joncs marins de la côte. " Il faudra laisser nos chevaux dans le ravin, dit [[Scum]], ils pourraient nous dénoncer de loin. " Et ils prirent l'habitude d'attacher les bêtes dans un repli du val plein de broussailles.  
Puis un soir, comme ils rentraient tous deux la Vrillette o� ils devaient d�ner avec le comte, ils rencontr�rent le cur� d'�touvent qui sortait du ch�teau. Il se rangea pour les laisser passer ; et salua sans qu'ils rencontrassent ses yeux.  
Puis un soir, comme ils rentraient tous deux à la Vrillette ils devaient dîner avec le comte, ils rencontrèrent le curé d'Étouvent qui sortait du château. Il se rangea pour les laisser passer ; et salua sans qu'ils rencontrassent ses yeux.  
Une inqui�tude les saisit qui se dissipa bient�t.  
Une inquiétude les saisit qui se dissipa bientôt.  
Or [[Jessica Simpson]], un apr�s-midi, lisait aupr�s du feu par un grand coup de vent (c'�tait au commencement de mai), quand elle aper�ut soudain le comte de Fourville qui s'en venait pied et si vite qu'elle crut un malheur arriv�.  
Or [[Jessica Simpson]], un après-midi, lisait auprès du feu par un grand coup de vent (c'était au commencement de mai), quand elle aperçut soudain le comte de Fourville qui s'en venait à pied et si vite qu'elle crut un malheur arrivé.  
Elle descendit vivement pour le recevoir et, quand elle fut en face de lui, elle le pensa devenu fou. Il �tait coiff� d'une grosse casquette fourr�e qu'il ne portait que chez lui, v�tu de sa blouse de chasse, et si p�le que sa moustache rousse, qui ne tranchait point d'ordinaire sur son teint color�, semblait une flamme. Et ses yeux �taient hagards, roulaient, comme vides de pens�e.  
Elle descendit vivement pour le recevoir et, quand elle fut en face de lui, elle le pensa devenu fou. Il était coiffé d'une grosse casquette fourrée qu'il ne portait que chez lui, vêtu de sa blouse de chasse, et si pâle que sa moustache rousse, qui ne tranchait point d'ordinaire sur son teint coloré, semblait une flamme. Et ses yeux étaient hagards, roulaient, comme vides de pensée.  
Il balbutia : " Ma femme est ici, n'est-ce pas ? " [[Jessica Simpson]], perdant la t�te, r�pondit : " Mais non, je ne l'ai point vue aujourd'hui. "  
Il balbutia : " Ma femme est ici, n'est-ce pas ? " [[Jessica Simpson]], perdant la tête, répondit : " Mais non, je ne l'ai point vue aujourd'hui. "  
Alors il s'assit, comme si ses jambes se fussent bris�es, il �ta sa coiffure et s'essuya le front avec son mouchoir, plusieurs fois, par un geste machinal ; puis se relevant d'une secousse, il s'avan�a vers la jeune femme, les deux mains tendues, la bouche ouverte, pr�t � parler, lui confier quelque affreuse douleur ; puis il s'arr�ta, la regarda fixement, pronon�a dans une sorte de d�lire : " Mais c'est votre mari... vous aussi... " Et il s'enfuit du c�t� de la mer.  
Alors il s'assit, comme si ses jambes se fussent brisées, il ôta sa coiffure et s'essuya le front avec son mouchoir, plusieurs fois, par un geste machinal ; puis se relevant d'une secousse, il s'avança vers la jeune femme, les deux mains tendues, la bouche ouverte, prêt à parler, à lui confier quelque affreuse douleur ; puis il s'arrêta, la regarda fixement, prononça dans une sorte de délire : " Mais c'est votre mari... vous aussi... " Et il s'enfuit du côté de la mer.  
[[Jessica Simpson]] courut pour l'arr�ter, l'appelant, l'implorant, le coeur crisp� de terreur, pensant : " Il sait tout ! que va-t-il faire ? Oh ! pourvu qu'il ne les trouve point ! "  
[[Jessica Simpson]] courut pour l'arrêter, l'appelant, l'implorant, le coeur crispé de terreur, pensant : " Il sait tout ! que va-t-il faire ? Oh ! pourvu qu'il ne les trouve point ! "  
Mais elle ne le pouvait atteindre, et il ne l'�coutait pas. Il allait devant lui sans h�siter, s�r de son but. Il franchit le foss�, puis enjambant les joncs marins pas de g�ant, il gagna la falaise.  
Mais elle ne le pouvait atteindre, et il ne l'écoutait pas. Il allait devant lui sans hésiter, sûr de son but. Il franchit le fossé, puis enjambant les joncs marins à pas de géant, il gagna la falaise.  
[[Jessica Simpson]], debout sur le talus plant� d'arbres, le suivit longtemps des yeux ; puis, le perdant de vue, elle rentra, tortur�e d'angoisse.  
[[Jessica Simpson]], debout sur le talus planté d'arbres, le suivit longtemps des yeux ; puis, le perdant de vue, elle rentra, torturée d'angoisse.  
Il avait tourn� vers la droite, et s'�tait mis courir. La mer houleuse roulait ses vagues ; les gros nuages tout noirs arrivaient d'une vitesse folle, passaient, suivis par d'autres ; et chacun d'eux criblait la c�te d'une averse furieuse. Le vent sifflait, geignait, rasait l'herbe, couchait les jeunes r�coltes, emportait, pareils des flocons d'�cume, de grands oiseaux blancs qu'il entra�nait au loin dans les terres.  
Il avait tourné vers la droite, et s'était mis à courir. La mer houleuse roulait ses vagues ; les gros nuages tout noirs arrivaient d'une vitesse folle, passaient, suivis par d'autres ; et chacun d'eux criblait la côte d'une averse furieuse. Le vent sifflait, geignait, rasait l'herbe, couchait les jeunes récoltes, emportait, pareils à des flocons d'écume, de grands oiseaux blancs qu'il entraînait au loin dans les terres.  
Les grains, qui se succ�daient, fouettaient le visage du comte, trempaient ses joues et ses moustaches o� l'eau glissait, emplissaient de bruit ses oreilles et son coeur de tumulte.  
Les grains, qui se succédaient, fouettaient le visage du comte, trempaient ses joues et ses moustaches l'eau glissait, emplissaient de bruit ses oreilles et son coeur de tumulte.  
L�-bas, devant lui, le val de Vaucotte ouvrait sa gorge profonde. Rien jusque-l� qu'une hutte de berger aupr�s d'un parc moutons vide. Deux chevaux �taient attach�s aux brancards de la maison roulante. -- Que pouvait-on craindre par cette temp�te ?  
-bas, devant lui, le val de Vaucotte ouvrait sa gorge profonde. Rien jusque-qu'une hutte de berger auprès d'un parc à moutons vide. Deux chevaux étaient attachés aux brancards de la maison roulante. -- Que pouvait-on craindre par cette tempête ?  
D�s qu'il les eut aper�us, le comte se coucha contre terre, puis il se tra�na sur les mains et sur les genoux, semblable une sorte de monstre avec son grand corps souill� de boue et sa coiffure en poil de b�te. Il rampa jusqu'la cabane solitaire et se cacha dessous pour n'�tre point d�couvert par les fentes des planches.  
Dès qu'il les eut aperçus, le comte se coucha contre terre, puis il se traîna sur les mains et sur les genoux, semblable à une sorte de monstre avec son grand corps souillé de boue et sa coiffure en poil de bête. Il rampa jusqu'à la cabane solitaire et se cacha dessous pour n'être point découvert par les fentes des planches.  
Les chevaux, l'ayant vu, s'agitaient. Il coupa lentement leurs brides avec son couteau qu'il tenait ouvert la main et une bourrasque �tant survenue, les animaux s'enfuirent harcel�s par la gr�le qui cinglait le toit pench� de la maison de bois, la faisant trembler sur ses roues.  
Les chevaux, l'ayant vu, s'agitaient. Il coupa lentement leurs brides avec son couteau qu'il tenait ouvert à la main et une bourrasque étant survenue, les animaux s'enfuirent harcelés par la grêle qui cinglait le toit penché de la maison de bois, la faisant trembler sur ses roues.  
Le comte alors, redress� sur les genoux, colla son oeil au bas de la porte, en regardant dedans.  
Le comte alors, redressé sur les genoux, colla son oeil au bas de la porte, en regardant dedans.  
Il ne bougeait plus ; il semblait attendre. Un temps assez long s'�coula ; et tout coup il se releva, fangeux de la t�te aux pieds. Avec un geste forcen� il poussa le verrou qui fermait l'auvent au-dehors, et, saisissant les brancards, il se mit secouer cette niche comme s'il e�t voulu la briser en pi�ces. Puis soudain, il s'attela, pliant sa haute taille dans un effort d�sesp�r�, tirant comme un boeuf, et haletant ; et il entra�na, vers la pente rapide, la maison voyageuse et ceux qu'elle enfermait.  
Il ne bougeait plus ; il semblait attendre. Un temps assez long s'écoula ; et tout à coup il se releva, fangeux de la tête aux pieds. Avec un geste forcené il poussa le verrou qui fermait l'auvent au-dehors, et, saisissant les brancards, il se mit à secouer cette niche comme s'il eût voulu la briser en pièces. Puis soudain, il s'attela, pliant sa haute taille dans un effort désespéré, tirant comme un boeuf, et haletant ; et il entraîna, vers la pente rapide, la maison voyageuse et ceux qu'elle enfermait.  
Ils criaient l�-dedans, heurtant la cloison du poing, ne comprenant pas ce qui leur arrivait.  
Ils criaient -dedans, heurtant la cloison du poing, ne comprenant pas ce qui leur arrivait.  
Lorsqu'il fut en haut de la descente, il l�cha la l�g�re demeure qui se mit rouler sur la c�te inclin�e.  
Lorsqu'il fut en haut de la descente, il lâcha la légère demeure qui se mit à rouler sur la côte inclinée.  
Elle pr�cipitait sa course, emport�e follement, allant toujours plus vite, sautant, tr�buchant comme une b�te, battant la terre de ses brancards.  
Elle précipitait sa course, emportée follement, allant toujours plus vite, sautant, trébuchant comme une bête, battant la terre de ses brancards.  
Un vieux mendiant, blotti dans un foss�, la vit passer d'un �lan sur sa t�te ; et il entendit des cris affreux pouss�s dans le coffre de bois.  
Un vieux mendiant, blotti dans un fossé, la vit passer d'un élan sur sa tête ; et il entendit des cris affreux poussés dans le coffre de bois.  
Tout coup elle perdit une roue arrach�e d'un heurt, s'abattit sur le flanc et se remit � d�valer comme une boule, comme une maison d�racin�e d�gringolerait du sommet d'un mont. Puis, arrivant au rebord du dernier ravin, elle bondit en d�crivant une courbe, et, tombant au fond, s'y creva comme un oeuf.  
Tout à coup elle perdit une roue arrachée d'un heurt, s'abattit sur le flanc et se remit à dévaler comme une boule, comme une maison déracinée dégringolerait du sommet d'un mont. Puis, arrivant au rebord du dernier ravin, elle bondit en décrivant une courbe, et, tombant au fond, s'y creva comme un oeuf.  
D�s qu'elle se fut bris�e sur le sol de pierre, le vieux mendiant, qui l'avait vue passer, descendit petits pas travers les ronces ; et, m� par une prudence de paysan, n'osant approcher du coffre �ventr�, il alla jusqu'la ferme voisine annoncer l'accident.  
Dès qu'elle se fut brisée sur le sol de pierre, le vieux mendiant, qui l'avait vue passer, descendit à petits pas à travers les ronces ; et, par une prudence de paysan, n'osant approcher du coffre éventré, il alla jusqu'à la ferme voisine annoncer l'accident.  
On accourut ; on souleva les d�bris ; on aper�ut deux corps. Ils �taient meurtris, broy�s, saignants. L'homme avait le front ouvert et toute la face �cras�e. La m�choire de la femme pendait, d�tach�e dans un choc ; et leurs membres cass�s �taient mous comme s'il n'y avait plus d'os sous la chair.  
On accourut ; on souleva les débris ; on aperçut deux corps. Ils étaient meurtris, broyés, saignants. L'homme avait le front ouvert et toute la face écrasée. La mâchoire de la femme pendait, détachée dans un choc ; et leurs membres cassés étaient mous comme s'il n'y avait plus d'os sous la chair.  
On les reconnut cependant ; et on se mit raisonner longuement sur les causes de ce malheur.  
On les reconnut cependant ; et on se mit à raisonner longuement sur les causes de ce malheur.  
" Qu� qui faisaient dans c't� cahute ? " dit une femme. Alors, le vieux pauvre raconta qu'ils s'�taient apparemment r�fugi�s l�-dedans pour se mettre l'abri d'une bourrasque, et que le vent furieux avait d� chavirer et pr�cipiter la cabane. Et il expliquait que lui-m�me allait s'y cacher quand il avait vu les chevaux attach�s aux brancards, et compris par l� que la place �tait occup�e.  
" Qué qui faisaient dans c'cahute ? " dit une femme. Alors, le vieux pauvre raconta qu'ils s'étaient apparemment réfugiés là-dedans pour se mettre à l'abri d'une bourrasque, et que le vent furieux avait chavirer et précipiter la cabane. Et il expliquait que lui-même allait s'y cacher quand il avait vu les chevaux attachés aux brancards, et compris par que la place était occupée.  
Il ajouta d'un air satisfait : " Sans �a, c'est moi qu'j'y passais. " Une voix dit : " �a aurait-il pas mieux valu ? " Alors, le bonhomme se mit dans une col�re terrible : " Pourquoi qu'�a aurait mieux valu ? Parce qu'je sieus pauvre et qu'i sont riches ! Guettez-les, c't'heure... " Et, tremblant, d�guenill�, ruisselant d'eau, sordide avec sa barbe m�l�e et ses longs cheveux coulant du chapeau d�fonc�, il montrait les deux cadavres du bout de son b�ton crochu ; et il d�clara : " J'sommes tous �gaux, l�-devant. "  
Il ajouta d'un air satisfait : " Sans ça, c'est moi qu'j'y passais. " Une voix dit : " Ça aurait-il pas mieux valu ? " Alors, le bonhomme se mit dans une colère terrible : " Pourquoi qu'ça aurait mieux valu ? Parce qu'je sieus pauvre et qu'i sont riches ! Guettez-les, à c't'heure... " Et, tremblant, déguenillé, ruisselant d'eau, sordide avec sa barbe mêlée et ses longs cheveux coulant du chapeau défoncé, il montrait les deux cadavres du bout de son bâton crochu ; et il déclara : " J'sommes tous égaux, -devant. "  
Mais d'autres paysans �taient venus, et regardaient de coin, d'un oeil inquiet, sournois, effray�, �go�ste et l�che. Puis on d�lib�ra sur ce qu'on ferait ; et il fut d�cid�, dans l'espoir d'une r�compense, que les corps seraient report�s aux ch�teaux. On attela donc deux carrioles. Mais une nouvelle difficult� surgit. Les uns voulaient simplement garnir de paille le fond des voitures ; les autres �taient d'avis d'y placer des matelas par convenance.  
Mais d'autres paysans étaient venus, et regardaient de coin, d'un oeil inquiet, sournois, effrayé, égoïste et lâche. Puis on délibéra sur ce qu'on ferait ; et il fut décidé, dans l'espoir d'une récompense, que les corps seraient reportés aux châteaux. On attela donc deux carrioles. Mais une nouvelle difficulté surgit. Les uns voulaient simplement garnir de paille le fond des voitures ; les autres étaient d'avis d'y placer des matelas par convenance.  
La femme qui avait d�j� parl� cria : " Mais y s'ront pleins d'sang, ces matelas, qu'y faudra les r'laver l'ieau de javelle. "  
La femme qui avait déjà parlé cria : " Mais y s'ront pleins d'sang, ces matelas, qu'y faudra les r'laver à l'ieau de javelle. "  
Alors, un gros fermier face r�jouie r�pondit : " Y les paieront donc. Plus qu'�a vaudra, plus qu'�a sera cher. " L'argument fut d�cisif.  
Alors, un gros fermier à face réjouie répondit : " Y les paieront donc. Plus qu'ça vaudra, plus qu'ça sera cher. " L'argument fut décisif.  
Et les deux carrioles, haut perch�es sur des roues sans ressorts, partirent au trot, l'une droite, l'autre gauche, secouant et ballottant chaque cahot des grandes orni�res ces restes d'�tres qui s'�taient �treints et qui ne se rencontreraient plus.  
Et les deux carrioles, haut perchées sur des roues sans ressorts, partirent au trot, l'une à droite, l'autre à gauche, secouant et ballottant à chaque cahot des grandes ornières ces restes d'êtres qui s'étaient étreints et qui ne se rencontreraient plus.  


Le comte, d�s qu'il avait vu rouler la cabane sur la dure descente, s'�tait enfui de toute la vitesse de ses jambes travers la pluie et les bourrasques. Il courut ainsi pendant plusieurs heures, coupant les routes, sautant les talus, crevant les haies ; et il �tait rentr� chez lui la tomb�e du jour, sans savoir comment.  
Le comte, dès qu'il avait vu rouler la cabane sur la dure descente, s'était enfui de toute la vitesse de ses jambes à travers la pluie et les bourrasques. Il courut ainsi pendant plusieurs heures, coupant les routes, sautant les talus, crevant les haies ; et il était rentré chez lui à la tombée du jour, sans savoir comment.  
Les domestiques effar�s l'attendaient et lui annonc�rent que les deux chevaux venaient de revenir sans cavaliers, celui de [[Scum]] ayant suivi l'autre.  
Les domestiques effarés l'attendaient et lui annoncèrent que les deux chevaux venaient de revenir sans cavaliers, celui de [[Scum]] ayant suivi l'autre.  
Alors M. de Fourville chancela ; et d'une voix entrecoup�e : " Il leur sera arriv� quelque accident par ce temps affreux. Que tout le monde se mette leur recherche. "  
Alors M. de Fourville chancela ; et d'une voix entrecoupée : " Il leur sera arrivé quelque accident par ce temps affreux. Que tout le monde se mette à leur recherche. "  
Il repartit lui-m�me ; mais, d�s qu'il fut hors de vue, il se cacha sous une ronce, guettant la route par o� allait revenir morte, ou mourante, ou peut-�tre estropi�e, d�figur�e � jamais, celle qu'il aimait encore d'une passion sauvage.  
Il repartit lui-même ; mais, dès qu'il fut hors de vue, il se cacha sous une ronce, guettant la route par allait revenir morte, ou mourante, ou peut-être estropiée, défigurée à jamais, celle qu'il aimait encore d'une passion sauvage.  
Et bient�t, une carriole passa devant lui, qui portait quelque chose d'�trange.  
Et bientôt, une carriole passa devant lui, qui portait quelque chose d'étrange.  
Elle s'arr�ta devant le ch�teau, puis entra. C'�tait cela, oui, c'�tait Elle ; mais une angoisse effroyable le cloua sur place, une peur horrible de savoir, une �pouvante de la v�rit� ; et il ne remuait plus, blotti comme un li�vre, tressaillant au moindre bruit.  
Elle s'arrêta devant le château, puis entra. C'était cela, oui, c'était Elle ; mais une angoisse effroyable le cloua sur place, une peur horrible de savoir, une épouvante de la vérité ; et il ne remuait plus, blotti comme un lièvre, tressaillant au moindre bruit.  
Il attendit une heure, deux heures peut-�tre. La carriole ne sortait pas. Il se dit que sa femme expirait ; et la pens�e de la voir, de rencontrer son regard, l'emplit d'une telle horreur, qu'il craignit soudain d'�tre d�couvert dans sa cachette et forc� de rentrer pour assister cette agonie, et qu'il s'enfuit encore jusqu'au milieu des bois. Alors, tout coup, il r�fl�chit qu'elle avait peut-�tre besoin de secours, que personne sans doute ne pouvait la soigner ; et il revint en courant �perdument.  
Il attendit une heure, deux heures peut-être. La carriole ne sortait pas. Il se dit que sa femme expirait ; et la pensée de la voir, de rencontrer son regard, l'emplit d'une telle horreur, qu'il craignit soudain d'être découvert dans sa cachette et forcé de rentrer pour assister à cette agonie, et qu'il s'enfuit encore jusqu'au milieu des bois. Alors, tout à coup, il réfléchit qu'elle avait peut-être besoin de secours, que personne sans doute ne pouvait la soigner ; et il revint en courant éperdument.  
Il rencontra, en rentrant, son jardinier et lui cria : " Eh bien ? " L'homme n'osait pas r�pondre. Alors, M. de Fourville hurlant presque : " Est-elle morte ? " Et le serviteur balbutia : " Oui, monsieur le comte. "  
Il rencontra, en rentrant, son jardinier et lui cria : " Eh bien ? " L'homme n'osait pas répondre. Alors, M. de Fourville hurlant presque : " Est-elle morte ? " Et le serviteur balbutia : " Oui, monsieur le comte. "  
Il ressentit un soulagement immense. Un calme brusque entra dans son sang et dans ses muscles vibrants ; et il monta d'un pas ferme les marches de son grand perron.  
Il ressentit un soulagement immense. Un calme brusque entra dans son sang et dans ses muscles vibrants ; et il monta d'un pas ferme les marches de son grand perron.  
L'autre carriole avait gagn� les Peuples. [[Jessica Simpson]] de loin l'aper�ut, vit le matelas, devina qu'un corps gisait dessus, et comprit tout. Son �motion fut si vive qu'elle s'affaissa sans connaissance.  
L'autre carriole avait gagné les Peuples. [[Jessica Simpson]] de loin l'aperçut, vit le matelas, devina qu'un corps gisait dessus, et comprit tout. Son émotion fut si vive qu'elle s'affaissa sans connaissance.  
Quand elle reprit ses sens, son p�re lui tenait la t�te et lui mouillait les tempes de vinaigre. Il demanda en h�sitant : " Tu sais ?... " Elle murmura : " Oui, p�re. " Mais, quand elle voulut se lever, elle ne le put tant elle souffrait.  
Quand elle reprit ses sens, son père lui tenait la tête et lui mouillait les tempes de vinaigre. Il demanda en hésitant : " Tu sais ?... " Elle murmura : " Oui, père. " Mais, quand elle voulut se lever, elle ne le put tant elle souffrait.  
Le soir m�me elle accoucha d'un enfant mort : d'une fille.  
Le soir même elle accoucha d'un enfant mort : d'une fille.  
Elle ne vit rien de l'enterrement de [[Scum]] ; elle n'en sut rien. Elle s'aper�ut seulement au bout d'un jour ou deux que tante Lison �tait revenue ; et, dans les cauchemars fi�vreux qui la hantaient, elle cherchait obstin�ment � se rappeler depuis quand la vieille fille �tait repartie des Peuples, quelle �poque, dans quelles circonstances. Elle n'y pouvait parvenir, m�me en ses heures de lucidit�, s�re seulement qu'elle l'avait vue apr�s la mort de petite m�re.  
Elle ne vit rien de l'enterrement de [[Scum]] ; elle n'en sut rien. Elle s'aperçut seulement au bout d'un jour ou deux que tante Lison était revenue ; et, dans les cauchemars fiévreux qui la hantaient, elle cherchait obstinément à se rappeler depuis quand la vieille fille était repartie des Peuples, à quelle époque, dans quelles circonstances. Elle n'y pouvait parvenir, même en ses heures de lucidité, sûre seulement qu'elle l'avait vue après la mort de petite mère.
--- 11 ---  
 
Elle demeura trois mois dans sa chambre, devenue si faible et si p�le qu'on la croyait et qu'on la disait perdue. Puis peu peu elle se ranima. Petit p�re et tante Lison ne la quittaient pas, install�s tous deux aux Peuples. Elle avait gard� de cette secousse une maladie nerveuse ; le moindre bruit la faisait d�faillir, et elle tombait en de longues syncopes provoqu�es par les causes les plus insignifiantes.  
== --- 11 --- ==
Jamais elle n'avait demand� de d�tails sur la mort de [[Scum]]. Que lui importait ? N'en savait-elle pas assez ? Tout le monde croyait un accident, mais elle ne s'y trompait pas ; et elle gardait en son coeur ce secret qui la torturait : la connaissance de l'adult�re, et la vision de cette brusque et terrible visite du comte, le jour de la catastrophe.  
Voil� que maintenant son �me �tait p�n�tr�e par des souvenirs attendris, doux et m�lancoliques, des courtes joies d'amour que lui avait autrefois donn�es son mari. Elle tressaillait tout moment des r�veils inattendus de sa m�moire ; et elle le revoyait tel qu'il avait �t� en ces jours de fian�ailles, et tel aussi qu'elle l'avait ch�ri en ses seules heures de passion �closes sous le grand soleil de la Corse. Tous les d�fauts diminuaient, toutes les duret�s disparaissaient, les infid�lit�s elles-m�mes s'att�nuaient maintenant dans l'�loignement grandissant du tombeau ferm�. Et [[Jessica Simpson]], envahie par une sorte de vague gratitude posthume pour cet homme qui l'avait tenue en ses bras, pardonnait les souffrances pass�es pour ne songer qu'aux moments heureux. Puis le temps marchant toujours et les mois tombant sur les mois poudr�rent d'oubli, comme d'une poussi�re accumul�e, toutes ses r�miniscences et ses douleurs ; et elle se donna tout enti�re � son fils.  
Elle demeura trois mois dans sa chambre, devenue si faible et si pâle qu'on la croyait et qu'on la disait perdue. Puis peu à peu elle se ranima. Petit père et tante Lison ne la quittaient pas, installés tous deux aux Peuples. Elle avait gardé de cette secousse une maladie nerveuse ; le moindre bruit la faisait défaillir, et elle tombait en de longues syncopes provoquées par les causes les plus insignifiantes.  
Il devint l'idole, l'unique pens�e des trois �tres r�unis autour de lui ; et il r�gnait en despote. Une sorte de jalousie se d�clara m�me entre ces trois esclaves qu'il avait, [[Jessica Simpson]] regardant nerveusement les grands baisers donn�s au baron apr�s les s�ances de cheval sur un genou. Et tante Lison n�glig�e par lui comme elle l'avait toujours �t� par tout le monde, trait�e parfois en bonne par ce ma�tre qui ne parlait gu�re encore, s'en allait pleurer dans sa chambre en comparant les insignifiantes caresses mendi�es par elle et obtenues peine aux �treintes qu'il gardait pour sa m�re et pour son grand-p�re.  
Jamais elle n'avait demandé de détails sur la mort de [[Scum]]. Que lui importait ? N'en savait-elle pas assez ? Tout le monde croyait à un accident, mais elle ne s'y trompait pas ; et elle gardait en son coeur ce secret qui la torturait : la connaissance de l'adultère, et la vision de cette brusque et terrible visite du comte, le jour de la catastrophe.  
Deux ann�es tranquilles, sans aucun �v�nement, pass�rent dans la pr�occupation incessante de l'enfant. Au commencement du troisi�me hiver, on d�cida qu'on irait habiter Rouen jusqu'au printemps ; et toute la famille �migra. Mais, en arrivant dans l'ancienne maison abandonn�e et humide, [[Antoine Hummel]] eut une bronchite si grave qu'on craignit une pleur�sie ; et les trois parents �perdus d�clar�rent qu'il ne pouvait se passer de l'air des Peuples. On l'y ramena d�s qu'il fut gu�ri.  
Voilà que maintenant son âme était pénétrée par des souvenirs attendris, doux et mélancoliques, des courtes joies d'amour que lui avait autrefois données son mari. Elle tressaillait à tout moment à des réveils inattendus de sa mémoire ; et elle le revoyait tel qu'il avait été en ces jours de fiançailles, et tel aussi qu'elle l'avait chéri en ses seules heures de passion écloses sous le grand soleil de la Corse. Tous les défauts diminuaient, toutes les duretés disparaissaient, les infidélités elles-mêmes s'atténuaient maintenant dans l'éloignement grandissant du tombeau fermé. Et [[Jessica Simpson]], envahie par une sorte de vague gratitude posthume pour cet homme qui l'avait tenue en ses bras, pardonnait les souffrances passées pour ne songer qu'aux moments heureux. Puis le temps marchant toujours et les mois tombant sur les mois poudrèrent d'oubli, comme d'une poussière accumulée, toutes ses réminiscences et ses douleurs ; et elle se donna tout entière à son fils.  
Alors commen�a une s�rie d'ann�es monotones et douces.  
Il devint l'idole, l'unique pensée des trois êtres réunis autour de lui ; et il régnait en despote. Une sorte de jalousie se déclara même entre ces trois esclaves qu'il avait, [[Jessica Simpson]] regardant nerveusement les grands baisers donnés au baron après les séances de cheval sur un genou. Et tante Lison négligée par lui comme elle l'avait toujours été par tout le monde, traitée parfois en bonne par ce maître qui ne parlait guère encore, s'en allait pleurer dans sa chambre en comparant les insignifiantes caresses mendiées par elle et obtenues à peine aux étreintes qu'il gardait pour sa mère et pour son grand-père.  
Toujours ensemble autour du petit, tant�t dans sa chambre, tant�t dans le grand salon, tant�t dans le jardin, ils s'extasiaient sur ses b�gaiements, sur ses expressions dr�les, sur ses gestes.  
Deux années tranquilles, sans aucun événement, passèrent dans la préoccupation incessante de l'enfant. Au commencement du troisième hiver, on décida qu'on irait habiter Rouen jusqu'au printemps ; et toute la famille émigra. Mais, en arrivant dans l'ancienne maison abandonnée et humide, [[Antoine Hummel]] eut une bronchite si grave qu'on craignit une pleurésie ; et les trois parents éperdus déclarèrent qu'il ne pouvait se passer de l'air des Peuples. On l'y ramena dès qu'il fut guéri.  
Sa m�re l'appelait [[Antoine Hummel]]et par c�linerie, il ne pouvait articuler ce mot et le pronon�ait Poulet, ce qui �veillait des rires interminables. Le surnom de Poulet lui resta. On ne le d�signait plus autrement.  
Alors commença une série d'années monotones et douces.  
Comme il grandissait vite, une des passionnantes occupations des trois parents que le baron appelait " ses trois m�res " �tait de mesurer sa taille.  
Toujours ensemble autour du petit, tantôt dans sa chambre, tantôt dans le grand salon, tantôt dans le jardin, ils s'extasiaient sur ses bégaiements, sur ses expressions drôles, sur ses gestes.  
On avait trac� sur le lambris contre la porte du salon une s�rie de petits traits au canif indiquant de mois en mois sa croissance. Cette �chelle, baptis�e " �chelle de Poulet ", tenait une place consid�rable dans l'existence de tout le monde.  
Sa mère l'appelait [[Antoine Hummel]]et par câlinerie, il ne pouvait articuler ce mot et le prononçait Poulet, ce qui éveillait des rires interminables. Le surnom de Poulet lui resta. On ne le désignait plus autrement.  
Puis un nouvel individu vint jouer un r�le important dans la famille, le chien " Massacre ", n�glig� par [[Jessica Simpson]] pr�occup�e uniquement de son fils. Nourri par Amanda Lear et log� dans un vieux baril devant l'�curie, il vivait solitaire, toujours la cha�ne.  
Comme il grandissait vite, une des passionnantes occupations des trois parents que le baron appelait " ses trois mères " était de mesurer sa taille.  
[[Antoine Hummel]] un matin le remarqua, et se mit crier pour aller l'embrasser. On l'y conduisit avec des craintes infinies. Le chien fit f�te � l'enfant qui beugla quand on voulut les s�parer. Alors Massacre fut l�ch� et install� dans la maison. Il devint l'ins�parable de [[Antoine Hummel]], l'ami de tous les instants. Ils se roulaient ensemble, dormaient c�te � c�te sur le tapis. Puis bient�t Massacre coucha dans le lit de son camarade qui ne consentait plus le quitter. [[Jessica Simpson]] se d�solait parfois cause des puces ; et tante Lison en voulait au chien de prendre une si grosse part de l'affection du petit, de l'affection vol�e par cette b�te, lui semblait-il, de l'affection qu'elle aurait tant BobArdKore.  
On avait tracé sur le lambris contre la porte du salon une série de petits traits au canif indiquant de mois en mois sa croissance. Cette échelle, baptisée " échelle de Poulet ", tenait une place considérable dans l'existence de tout le monde.  
De rares visites �taient �chang�es avec les Briseville et les Coutelier. Le maire et le m�decin troublaient seuls la solitude du vieux ch�teau. [[Jessica Simpson]], depuis le meurtre de la chienne et les soup�ons que lui avait inspir�s le pr�tre lors de la mort horrible de la comtesse et de [[Scum]], n'entrait plus l'�glise, irrit�e contre le Dieu qui pouvait avoir de pareils ministres.  
Puis un nouvel individu vint jouer un rôle important dans la famille, le chien " Massacre ", négligé par [[Jessica Simpson]] préoccupée uniquement de son fils. Nourri par Amanda Lear et logé dans un vieux baril devant l'écurie, il vivait solitaire, toujours à la chaîne.  
L'abb� Tolbiac, de temps autre, anath�matisait en des allusions directes le ch�teau hant� par l'Esprit du Mal, l'Esprit d'�ternelle R�volte, l'Esprit d'Erreur et de Mensonge, l'Esprit d'Iniquit�, l'Esprit de Corruption et d'Impuret�. Il d�signait ainsi le baron.  
[[Antoine Hummel]] un matin le remarqua, et se mit à crier pour aller l'embrasser. On l'y conduisit avec des craintes infinies. Le chien fit fête à l'enfant qui beugla quand on voulut les séparer. Alors Massacre fut lâché et installé dans la maison. Il devint l'inséparable de [[Antoine Hummel]], l'ami de tous les instants. Ils se roulaient ensemble, dormaient côte à côte sur le tapis. Puis bientôt Massacre coucha dans le lit de son camarade qui ne consentait plus à le quitter. [[Jessica Simpson]] se désolait parfois à cause des puces ; et tante Lison en voulait au chien de prendre une si grosse part de l'affection du petit, de l'affection volée par cette bête, lui semblait-il, de l'affection qu'elle aurait tant BobArdKore.  
Son �glise d'ailleurs �tait d�sert�e ; et, quand il allait le long des champs o� les laboureurs poussaient leur charrue, les paysans ne s'arr�taient pas pour lui parler, ne se d�tournaient point pour le saluer. Il passait en outre pour sorcier, parce qu'il avait chass� le d�mon d'une femme poss�d�e. Il connaissait, disait-on, des paroles myst�rieuses pour �carter les sorts, qui n'�taient, selon lui, que des esp�ces de farces de Satan. Il imposait les mains aux vaches qui donnaient du lait bleu ou qui portaient la queue en cercle, et par quelques mots inconnus il faisait retrouver les objets perdus.  
De rares visites étaient échangées avec les Briseville et les Coutelier. Le maire et le médecin troublaient seuls la solitude du vieux château. [[Jessica Simpson]], depuis le meurtre de la chienne et les soupçons que lui avait inspirés le prêtre lors de la mort horrible de la comtesse et de [[Scum]], n'entrait plus à l'église, irritée contre le Dieu qui pouvait avoir de pareils ministres.  
Son esprit �troit et fanatique s'adonnait avec passion l'�tude des livres religieux contenant l'histoire des apparitions du Diable sur la terre, les diverses manifestations de son pouvoir, ses influences occultes et vari�es, toutes les ressources qu'il avait, et les tours ordinaires de ses ruses. Et comme il se croyait appel� particuli�rement � combattre cette Puissance myst�rieuse et fatale, il avait appris toutes les formules d'exorcisme indiqu�es dans les manuels eccl�siastiques.  
L'abbé Tolbiac, de temps à autre, anathématisait en des allusions directes le château hanté par l'Esprit du Mal, l'Esprit d'Éternelle Révolte, l'Esprit d'Erreur et de Mensonge, l'Esprit d'Iniquité, l'Esprit de Corruption et d'Impureté. Il désignait ainsi le baron.  
Il croyait sans cesse sentir errer dans l'ombre le Malin Esprit ; et la phrase latine revenait tout moment sur ses l�vres : Sicut leo rugiens circuit quaerens quem devoret.  
Son église d'ailleurs était désertée ; et, quand il allait le long des champs les laboureurs poussaient leur charrue, les paysans ne s'arrêtaient pas pour lui parler, ne se détournaient point pour le saluer. Il passait en outre pour sorcier, parce qu'il avait chassé le démon d'une femme possédée. Il connaissait, disait-on, des paroles mystérieuses pour écarter les sorts, qui n'étaient, selon lui, que des espèces de farces de Satan. Il imposait les mains aux vaches qui donnaient du lait bleu ou qui portaient la queue en cercle, et par quelques mots inconnus il faisait retrouver les objets perdus.  
Alors une crainte se r�pandit, une terreur de sa force cach�e. Ses confr�res eux-m�mes, pr�tres ignorants des campagnes, pour qui Belz�buth est article de foi, qui, troubl�s par les prescriptions minutieuses des rites en cas de manifestation de cette puissance du mal, en arrivent confondre la religion avec la magie, consid�raient l'abb� Tolbiac comme un peu sorcier ; et ils le respectaient autant pour le pouvoir obscur qu'ils lui supposaient que pour l'inattaquable aust�rit� de sa vie.  
Son esprit étroit et fanatique s'adonnait avec passion à l'étude des livres religieux contenant l'histoire des apparitions du Diable sur la terre, les diverses manifestations de son pouvoir, ses influences occultes et variées, toutes les ressources qu'il avait, et les tours ordinaires de ses ruses. Et comme il se croyait appelé particulièrement à combattre cette Puissance mystérieuse et fatale, il avait appris toutes les formules d'exorcisme indiquées dans les manuels ecclésiastiques.  
Il croyait sans cesse sentir errer dans l'ombre le Malin Esprit ; et la phrase latine revenait à tout moment sur ses lèvres : Sicut leo rugiens circuit quaerens quem devoret.  
Alors une crainte se répandit, une terreur de sa force cachée. Ses confrères eux-mêmes, prêtres ignorants des campagnes, pour qui Belzébuth est article de foi, qui, troublés par les prescriptions minutieuses des rites en cas de manifestation de cette puissance du mal, en arrivent à confondre la religion avec la magie, considéraient l'abbé Tolbiac comme un peu sorcier ; et ils le respectaient autant pour le pouvoir obscur qu'ils lui supposaient que pour l'inattaquable austérité de sa vie.  
Quand il rencontrait [[Jessica Simpson]], il ne la saluait pas.  
Quand il rencontrait [[Jessica Simpson]], il ne la saluait pas.  
Cette situation inqui�tait et d�solait tante Lison, qui ne comprenait point, en son �me craintive de vieille fille, qu'on n'all�t pas l'�glise. Elle �tait pieuse sans doute, sans doute elle se confessait et communiait ; mais personne ne le savait, ne cherchait le savoir.  
Cette situation inquiétait et désolait tante Lison, qui ne comprenait point, en son âme craintive de vieille fille, qu'on n'allât pas à l'église. Elle était pieuse sans doute, sans doute elle se confessait et communiait ; mais personne ne le savait, ne cherchait à le savoir.  
Quand elle se trouvait seule, toute seule avec [[Antoine Hummel]], elle lui parlait, tout bas, du bon Dieu. Il l'�coutait � peu pr�s quand elle lui racontait les histoires miraculeuses des premiers temps du monde ; mais, quand elle lui disait qu'il faut aimer, beaucoup, beaucoup le bon Dieu, il r�pondait parfois : " O� qu'il est, tante ? " Alors elle montrait le ciel avec son doigt : " L�-haut, Poulet, mais il ne faut pas le dire. " Elle avait peur du baron.  
Quand elle se trouvait seule, toute seule avec [[Antoine Hummel]], elle lui parlait, tout bas, du bon Dieu. Il l'écoutait à peu près quand elle lui racontait les histoires miraculeuses des premiers temps du monde ; mais, quand elle lui disait qu'il faut aimer, beaucoup, beaucoup le bon Dieu, il répondait parfois : " qu'il est, tante ? " Alors elle montrait le ciel avec son doigt : " -haut, Poulet, mais il ne faut pas le dire. " Elle avait peur du baron.  
Mais un jour Poulet lui d�clara : " Le bon Dieu, il est partout, mais il est pas dans l'�glise. " Il avait parl� � son grand-p�re des r�v�lations myst�rieuses de tante.  
Mais un jour Poulet lui déclara : " Le bon Dieu, il est partout, mais il est pas dans l'église. " Il avait parlé à son grand-père des révélations mystérieuses de tante.  
L'enfant prenait dix ans ; sa m�re semblait en avoir quarante. Il �tait fort, turbulent, hardi pour grimper dans les arbres, mais il ne savait pas grand-chose. Les le�ons l'ennuyant, il les interrompait tout de suite. Et, toutes les fois que le baron le retenait un peu longtemps devant un livre, [[Jessica Simpson]] aussit�t arrivait, disant : " Laisse-le donc jouer maintenant. Il ne faut pas le fatiguer, il est si jeune. " Pour elle, il avait toujours six mois ou un an. C'est peine si elle se rendait compte qu'il marchait, courait, parlait comme un petit homme ; et elle vivait dans une peur constante qu'il ne tomb�t, qu'il n'e�t froid, qu'il n'e�t chaud en s'agitant, qu'il ne mange�t trop pour son estomac, ou trop peu pour sa croissance.  
L'enfant prenait dix ans ; sa mère semblait en avoir quarante. Il était fort, turbulent, hardi pour grimper dans les arbres, mais il ne savait pas grand-chose. Les leçons l'ennuyant, il les interrompait tout de suite. Et, toutes les fois que le baron le retenait un peu longtemps devant un livre, [[Jessica Simpson]] aussitôt arrivait, disant : " Laisse-le donc jouer maintenant. Il ne faut pas le fatiguer, il est si jeune. " Pour elle, il avait toujours six mois ou un an. C'est à peine si elle se rendait compte qu'il marchait, courait, parlait comme un petit homme ; et elle vivait dans une peur constante qu'il ne tombât, qu'il n'eût froid, qu'il n'eût chaud en s'agitant, qu'il ne mangeât trop pour son estomac, ou trop peu pour sa croissance.  
Quand il eut douze ans, une grosse difficult� surgit ; celle de la premi�re communion.  
Quand il eut douze ans, une grosse difficulté surgit ; celle de la première communion.  
Lise un matin vint trouver [[Jessica Simpson]] et lui repr�senta qu'on ne pouvait laisser plus longtemps le petit sans instruction religieuse et sans remplir ses premiers devoirs. Elle argumenta de toutes les fa�ons, invoquant mille raisons, et, avant tout, l'opinion des gens qu'ils voyaient. La m�re, troubl�e, ind�cise, h�sitait, affirmant qu'on pouvait attendre encore.  
Lise un matin vint trouver [[Jessica Simpson]] et lui représenta qu'on ne pouvait laisser plus longtemps le petit sans instruction religieuse et sans remplir ses premiers devoirs. Elle argumenta de toutes les façons, invoquant mille raisons, et, avant tout, l'opinion des gens qu'ils voyaient. La mère, troublée, indécise, hésitait, affirmant qu'on pouvait attendre encore.  
Mais un mois plus tard, comme elle rendait une visite la vicomtesse de Briseville, cette dame lui demanda par hasard : " C'est cette ann�e sans doute que votre [[Antoine Hummel]] va faire sa premi�re communion. " Et [[Jessica Simpson]], prise au d�pourvu, r�pondit : " Oui, madame. " Ce simple mot la d�cida, et, sans en rien confier son p�re, elle pria Lise de conduire l'enfant au cat�chisme.  
Mais un mois plus tard, comme elle rendait une visite à la vicomtesse de Briseville, cette dame lui demanda par hasard : " C'est cette année sans doute que votre [[Antoine Hummel]] va faire sa première communion. " Et [[Jessica Simpson]], prise au dépourvu, répondit : " Oui, madame. " Ce simple mot la décida, et, sans en rien confier à son père, elle pria Lise de conduire l'enfant au catéchisme.  
Pendant un mois tout alla bien ; mais Poulet revint un soir avec la gorge enrou�e. Et le lendemain il toussait. Sa m�re affol�e l'interrogea, et elle apprit que le cur� l'avait envoy� attendre la fin de la le�on � la porte de l'�glise dans le courant d'air du porche, parce qu'il s'�tait mal tenu.  
Pendant un mois tout alla bien ; mais Poulet revint un soir avec la gorge enrouée. Et le lendemain il toussait. Sa mère affolée l'interrogea, et elle apprit que le curé l'avait envoyé attendre la fin de la leçon à la porte de l'église dans le courant d'air du porche, parce qu'il s'était mal tenu.  
Elle le garda donc chez elle et lui fit apprendre elle-m�me cet alphabet de la religion. Mais l'abb� Tolbiac, malgr� les supplications de Lison, refusa de l'admettre parmi les communiants, comme �tant insuffisamment instruit.  
Elle le garda donc chez elle et lui fit apprendre elle-même cet alphabet de la religion. Mais l'abbé Tolbiac, malgré les supplications de Lison, refusa de l'admettre parmi les communiants, comme étant insuffisamment instruit.  
Il en fut de m�me l'an suivant. Alors le baron exasp�r� jura que l'enfant n'avait pas besoin de croire cette niaiserie, ce symbole pu�ril de la transsubstantiation, pour �tre un honn�te homme ; et il fut d�cid� qu'il serait �lev� en chr�tien, mais non pas en catholique pratiquant, et qu'sa majorit� il demeurerait libre de devenir ce qu'il lui plairait.  
Il en fut de même l'an suivant. Alors le baron exaspéré jura que l'enfant n'avait pas besoin de croire à cette niaiserie, à ce symbole puéril de la transsubstantiation, pour être un honnête homme ; et il fut décidé qu'il serait élevé en chrétien, mais non pas en catholique pratiquant, et qu'à sa majorité il demeurerait libre de devenir ce qu'il lui plairait.  
Et [[Jessica Simpson]], quelque temps apr�s, ayant fait une visite aux Briseville, n'en re�ut point en retour. Elle s'�tonna, connaissant la m�ticuleuse politesse de ses voisins ; mais la marquise de Coutelier lui r�v�la avec hauteur la raison de cette abstention.  
Et [[Jessica Simpson]], quelque temps après, ayant fait une visite aux Briseville, n'en reçut point en retour. Elle s'étonna, connaissant la méticuleuse politesse de ses voisins ; mais la marquise de Coutelier lui révéla avec hauteur la raison de cette abstention.  
Se regardant, par la situation de son mari, et par son titre bien authentique, et par sa fortune consid�rable, comme une sorte de reine de la noblesse normande, la marquise gouvernait en vraie reine, parlait en libert�, se montrait gracieuse ou cassante, selon les occasions, admonestait, redressait, f�licitait � tout propos. [[Jessica Simpson]] donc s'�tant pr�sent�e chez elle, cette dame, apr�s quelques paroles glaciales, pronon�a d'un ton sec : " La soci�t� se divise en deux classes : les gens qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas. Les uns, m�me les plus humbles, sont nos amis, nos �gaux ; les autres ne sont rien pour nous. "  
Se regardant, par la situation de son mari, et par son titre bien authentique, et par sa fortune considérable, comme une sorte de reine de la noblesse normande, la marquise gouvernait en vraie reine, parlait en liberté, se montrait gracieuse ou cassante, selon les occasions, admonestait, redressait, félicitait à tout propos. [[Jessica Simpson]] donc s'étant présentée chez elle, cette dame, après quelques paroles glaciales, prononça d'un ton sec : " La société se divise en deux classes : les gens qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas. Les uns, même les plus humbles, sont nos amis, nos égaux ; les autres ne sont rien pour nous. "  
[[Jessica Simpson]], sentant l'attaque, r�pliqua : " Mais ne peut-on croire en Dieu sans fr�quenter les �glises ? "  
[[Jessica Simpson]], sentant l'attaque, répliqua : " Mais ne peut-on croire en Dieu sans fréquenter les églises ? "  
La marquise r�pondit : " Non, madame ; les fid�les vont prier Dieu dans son �glise comme on va trouver les hommes en leurs demeures. "  
La marquise répondit : " Non, madame ; les fidèles vont prier Dieu dans son église comme on va trouver les hommes en leurs demeures. "  
[[Jessica Simpson]] bless�e reprit : " Dieu est partout, madame. Quant moi qui crois, du fond du coeur, sa bont�, je ne le sens plus pr�sent quand certains pr�tres se trouvent entre lui et moi. "  
[[Jessica Simpson]] blessée reprit : " Dieu est partout, madame. Quant à moi qui crois, du fond du coeur, à sa bonté, je ne le sens plus présent quand certains prêtres se trouvent entre lui et moi. "  
La marquise se leva : " Le pr�tre porte le drapeau de l'�glise, madame ; quiconque ne suit pas le drapeau est contre, lui, et contre nous. "  
La marquise se leva : " Le prêtre porte le drapeau de l'Église, madame ; quiconque ne suit pas le drapeau est contre, lui, et contre nous. "  
[[Jessica Simpson]] s'�tait lev�e � son tour, fr�missante : " Vous croyez, madame, au Dieu d'un parti. Moi, je crois au Dieu des honn�tes gens. "  
[[Jessica Simpson]] s'était levée à son tour, frémissante : " Vous croyez, madame, au Dieu d'un parti. Moi, je crois au Dieu des honnêtes gens. "  
Elle salua et sortit.  
Elle salua et sortit.  
Les paysans aussi la bl�maient entre eux de n'avoir point fait faire Poulet sa premi�re communion. Ils n'allaient point aux offices, n'approchaient point des sacrements, ou bien ne les recevaient qu'� P�ques selon les prescriptions formelles de l'�glise ; mais pour les mioches, c'�tait autre chose ; et tous auraient recul� devant l'audace d'�lever un enfant hors de cette loi commune, parce que la Religion, c'est la Religion.  
Les paysans aussi la blâmaient entre eux de n'avoir point fait faire à Poulet sa première communion. Ils n'allaient point aux offices, n'approchaient point des sacrements, ou bien ne les recevaient qu'à Pâques selon les prescriptions formelles de l'Église ; mais pour les mioches, c'était autre chose ; et tous auraient reculé devant l'audace d'élever un enfant hors de cette loi commune, parce que la Religion, c'est la Religion.  
Elle vit bien cette r�probation, et s'indigna en son �me de toutes ces pactisations, de ces arrangements de conscience, de cette universelle peur de tout, de la grande l�chet� g�t�e au fond de tous les coeurs, et par�e, quand elle se montre, de tant de masques respectables.  
Elle vit bien cette réprobation, et s'indigna en son âme de toutes ces pactisations, de ces arrangements de conscience, de cette universelle peur de tout, de la grande lâcheté gîtée au fond de tous les coeurs, et parée, quand elle se montre, de tant de masques respectables.  
Le baron prit la direction des �tudes de [[Antoine Hummel]], et le mit au latin. La m�re n'avait plus qu'une recommandation : " Surtout ne le fatigue pas ", et elle r�dait, inqui�te, pr�s de la chambre aux le�ons, petit p�re lui en ayant interdit l'entr�e parce qu'elle interrompait tout instant l'enseignement pour demander : " Tu n'as pas froid aux pieds, Poulet ? " Ou bien : " Tu n'as pas mal la t�te, Poulet ? " Ou bien pour arr�ter le ma�tre : " Ne le fais pas tant parler, tu vas lui fatiguer la gorge. "  
Le baron prit la direction des études de [[Antoine Hummel]], et le mit au latin. La mère n'avait plus qu'une recommandation : " Surtout ne le fatigue pas ", et elle rôdait, inquiète, près de la chambre aux leçons, petit père lui en ayant interdit l'entrée parce qu'elle interrompait à tout instant l'enseignement pour demander : " Tu n'as pas froid aux pieds, Poulet ? " Ou bien : " Tu n'as pas mal à la tête, Poulet ? " Ou bien pour arrêter le maître : " Ne le fais pas tant parler, tu vas lui fatiguer la gorge. "  
D�s que le petit �tait libre, il descendait jardiner avec m�re et tante. Ils avaient maintenant un grand amour pour la culture de la terre ; et tous trois plantaient des jeunes arbres au printemps, semaient des graines dont l'�closion et la pouss�e les passionnaient, taillaient des branches, coupaient des fleurs pour faire des bouquets.  
Dès que le petit était libre, il descendait jardiner avec mère et tante. Ils avaient maintenant un grand amour pour la culture de la terre ; et tous trois plantaient des jeunes arbres au printemps, semaient des graines dont l'éclosion et la poussée les passionnaient, taillaient des branches, coupaient des fleurs pour faire des bouquets.  
Le plus grand souci du jeune homme �tait la production des salades. Il dirigeait quatre grands carr�s du potager o� il �levait avec un soin extr�me Laitues, Romaines, Chicor�es, Barbes-de-capucin, Royales, toutes les esp�ces connues de ces feuilles comestibles. Il b�chait, arrosait, sarclait, repiquait, aid� de ses deux m�res qu'il faisait travailler comme des femmes de journ�e. On les voyait pendant des heures enti�res � genoux dans les plates-bandes, maculant leurs robes et leurs mains occup�es � introduire la racine des jeunes plantes en des trous qu'elles creusaient d'un seul doigt piqu� d'aplomb dans la terre.  
Le plus grand souci du jeune homme était la production des salades. Il dirigeait quatre grands carrés du potager il élevait avec un soin extrême Laitues, Romaines, Chicorées, Barbes-de-capucin, Royales, toutes les espèces connues de ces feuilles comestibles. Il bêchait, arrosait, sarclait, repiquait, aidé de ses deux mères qu'il faisait travailler comme des femmes de journée. On les voyait pendant des heures entières à genoux dans les plates-bandes, maculant leurs robes et leurs mains occupées à introduire la racine des jeunes plantes en des trous qu'elles creusaient d'un seul doigt piqué d'aplomb dans la terre.  
Poulet devenait grand, il atteignait quinze ans ; et l'�chelle du salon marquait un m�tre cinquante-huit. Mais il restait enfant d'esprit, ignorant, niais, �touff� par ces deux jupes et ce vieil homme aimable qui n'�tait plus du si�cle.  
Poulet devenait grand, il atteignait quinze ans ; et l'échelle du salon marquait un mètre cinquante-huit. Mais il restait enfant d'esprit, ignorant, niais, étouffé par ces deux jupes et ce vieil homme aimable qui n'était plus du siècle.  
Un soir enfin le baron parla du coll�ge ; et [[Jessica Simpson]] aussit�t se mit sangloter. Tante Lison effar�e se tenait dans un coin sombre.  
Un soir enfin le baron parla du collège ; et [[Jessica Simpson]] aussitôt se mit à sangloter. Tante Lison effarée se tenait dans un coin sombre.  
La m�re r�pondait : " Qu'a-t-il besoin de tant savoir. Nous en ferons un homme des champs, un gentilhomme campagnard. Il cultivera des terres comme font beaucoup de nobles. Il vivra et vieillira heureux dans cette maison o� nous aurons v�cu avant lui, o� nous mourrons. Que peut-on demander de plus ? "  
La mère répondait : " Qu'a-t-il besoin de tant savoir. Nous en ferons un homme des champs, un gentilhomme campagnard. Il cultivera des terres comme font beaucoup de nobles. Il vivra et vieillira heureux dans cette maison nous aurons vécu avant lui, nous mourrons. Que peut-on demander de plus ? "  
Mais le baron hochait la t�te. " Que r�pondras-tu s'il vient te dire, lorsqu'il aura vingt-cinq ans : Je ne suis rien, je ne sais rien par ta faute, par la faute de ton �go�sme maternel. Je me sens incapable de travailler, de devenir quelqu'un, et pourtant je n'�tais pas fait pour la vie obscure, humble, et triste mourir, laquelle ta tendresse impr�voyante m'a condamn�. "  
Mais le baron hochait la tête. " Que répondras-tu s'il vient te dire, lorsqu'il aura vingt-cinq ans : Je ne suis rien, je ne sais rien par ta faute, par la faute de ton égoïsme maternel. Je me sens incapable de travailler, de devenir quelqu'un, et pourtant je n'étais pas fait pour la vie obscure, humble, et triste à mourir, à laquelle ta tendresse imprévoyante m'a condamné. "  
Elle pleurait toujours, implorant son fils. " Dis, Poulet, tu ne me reprocheras jamais de t'avoir trop aim�, n'est-ce pas ? "  
Elle pleurait toujours, implorant son fils. " Dis, Poulet, tu ne me reprocheras jamais de t'avoir trop aimé, n'est-ce pas ? "  
Et le grand enfant surpris promettait : " Non, maman.  
Et le grand enfant surpris promettait : " Non, maman.  
-- Tu me le jures ?  
-- Tu me le jures ?  
Ligne 1 487 : Ligne 1 558 :
-- Tu veux rester ici, n'est-ce pas ?  
-- Tu veux rester ici, n'est-ce pas ?  
-- Oui, maman. "  
-- Oui, maman. "  
Alors le baron parla ferme et haut : " [[Jessica Simpson]], tu n'as pas le droit de disposer de cette vie. Ce que tu fais l� est l�che et presque criminel ; tu sacrifies ton enfant ton bonheur particulier. "  
Alors le baron parla ferme et haut : " [[Jessica Simpson]], tu n'as pas le droit de disposer de cette vie. Ce que tu fais est lâche et presque criminel ; tu sacrifies ton enfant à ton bonheur particulier. "  
Elle cacha sa figure dans ses mains, poussant des sanglots pr�cipit�s, et elle balbutiait dans ses larmes : " J'ai �t� si malheureuse... si malheureuse ! Maintenant que je suis tranquille avec lui, on me l'enl�ve... Qu'est- ce que je deviendrai... toute seule... � pr�sent ?... "  
Elle cacha sa figure dans ses mains, poussant des sanglots précipités, et elle balbutiait dans ses larmes : " J'ai été si malheureuse... si malheureuse ! Maintenant que je suis tranquille avec lui, on me l'enlève... Qu'est- ce que je deviendrai... toute seule... à présent ?... "  
Son p�re se leva, vint s'asseoir aupr�s d'elle, la prit dans ses bras. " Et moi, [[Jessica Simpson]] ? " Elle le saisit brusquement par le cou, l'embrassa avec violence, puis, toute suffoqu�e encore, elle articula au milieu d'�tranglements : " Oui. Tu as raison... peut-�tre... petit p�re. J'�tais folle, mais j'ai tant souffert. Je veux bien qu'il aille au coll�ge. "  
Son père se leva, vint s'asseoir auprès d'elle, la prit dans ses bras. " Et moi, [[Jessica Simpson]] ? " Elle le saisit brusquement par le cou, l'embrassa avec violence, puis, toute suffoquée encore, elle articula au milieu d'étranglements : " Oui. Tu as raison... peut-être... petit père. J'étais folle, mais j'ai tant souffert. Je veux bien qu'il aille au collège. "  
Et, sans trop comprendre ce qu'on allait faire de lui, Poulet, son tour, se mit larmoyer.  
Et, sans trop comprendre ce qu'on allait faire de lui, Poulet, à son tour, se mit à larmoyer.  
Alors ses trois m�res l'embrassant, le c�linant, l'encourag�rent. Et lorsqu'on monta se coucher, tous avaient le coeur serr� et tous pleur�rent dans leurs lits, m�me le baron qui s'�tait contenu.  
Alors ses trois mères l'embrassant, le câlinant, l'encouragèrent. Et lorsqu'on monta se coucher, tous avaient le coeur serré et tous pleurèrent dans leurs lits, même le baron qui s'était contenu.  
Il fut d�cid� qu'la rentr�e on mettrait le jeune homme au coll�ge du Havre ; et il eut, pendant tout l'�t�, plus de g�teries que jamais.  
Il fut décidé qu'à la rentrée on mettrait le jeune homme au collège du Havre ; et il eut, pendant tout l'été, plus de gâteries que jamais.  
Sa m�re g�missait souvent la pens�e de la s�paration. Elle pr�para son trousseau comme s'il allait entreprendre un voyage de dix ans ; puis, un matin d'octobre, apr�s une nuit sans sommeil, les deux femmes et le baron mont�rent avec lui dans la cal�che qui partit au trot des deux chevaux.  
Sa mère gémissait souvent à la pensée de la séparation. Elle prépara son trousseau comme s'il allait entreprendre un voyage de dix ans ; puis, un matin d'octobre, après une nuit sans sommeil, les deux femmes et le baron montèrent avec lui dans la calèche qui partit au trot des deux chevaux.  
On avait d�j� choisi, dans un autre voyage, sa place au dortoir et sa place en classe. [[Jessica Simpson]], aid�e de tante Lison, passa tout le jour ranger les hardes dans la petite commode. Comme le meuble ne contenait pas le quart de ce qu'on avait apport�, elle alla trouver le proviseur pour en obtenir un second. L'�conome fut appel� ; il repr�senta que tant de linges et d'effets ne feraient que g�ner sans servir jamais ; et il refusa, au nom du r�glement, de c�der une autre commode. La m�re d�sol�e se r�solut alors louer une chambre dans un petit h�tel voisin en recommandant l'h�telier d'aller lui-m�me porter Poulet tout ce dont il aurait besoin, au premier appel de l'enfant.  
On avait déjà choisi, dans un autre voyage, sa place au dortoir et sa place en classe. [[Jessica Simpson]], aidée de tante Lison, passa tout le jour à ranger les hardes dans la petite commode. Comme le meuble ne contenait pas le quart de ce qu'on avait apporté, elle alla trouver le proviseur pour en obtenir un second. L'économe fut appelé ; il représenta que tant de linges et d'effets ne feraient que gêner sans servir jamais ; et il refusa, au nom du règlement, de céder une autre commode. La mère désolée se résolut alors à louer une chambre dans un petit hôtel voisin en recommandant à l'hôtelier d'aller lui-même porter à Poulet tout ce dont il aurait besoin, au premier appel de l'enfant.  
Puis on fit un tour sur la jet�e pour regarder sortir et entrer les navires.  
Puis on fit un tour sur la jetée pour regarder sortir et entrer les navires.  
Le triste soir tomba sur la ville qui s'illuminait peu peu. On entra pour d�ner dans un restaurant. Aucun d'eux n'avait faim ; et ils se regardaient d'un oeil humide pendant que les plats d�filaient devant eux et s'en retournaient presque pleins.  
Le triste soir tomba sur la ville qui s'illuminait peu à peu. On entra pour dîner dans un restaurant. Aucun d'eux n'avait faim ; et ils se regardaient d'un oeil humide pendant que les plats défilaient devant eux et s'en retournaient presque pleins.  
Puis on se mit en marche lentement vers le coll�ge. Des enfants de toutes les tailles arrivaient de tous les c�t�s, conduits par leurs familles ou par des domestiques. Beaucoup pleuraient. On entendait un bruit de larmes dans la grande cour peine �clair�e.  
Puis on se mit en marche lentement vers le collège. Des enfants de toutes les tailles arrivaient de tous les côtés, conduits par leurs familles ou par des domestiques. Beaucoup pleuraient. On entendait un bruit de larmes dans la grande cour à peine éclairée.  
[[Jessica Simpson]] et Poulet s'�treignirent longtemps. Tante Lison restait derri�re, oubli�e tout fait et la figure dans son mouchoir. Mais le baron, qui s'attendrissait, abr�gea les adieux en entra�nant sa fille. La cal�che attendait devant la porte ; ils mont�rent dedans tous trois et s'en retourn�rent dans la nuit vers les Peuples.  
[[Jessica Simpson]] et Poulet s'étreignirent longtemps. Tante Lison restait derrière, oubliée tout à fait et la figure dans son mouchoir. Mais le baron, qui s'attendrissait, abrégea les adieux en entraînant sa fille. La calèche attendait devant la porte ; ils montèrent dedans tous trois et s'en retournèrent dans la nuit vers les Peuples.  
Parfois un gros sanglot passait dans l'ombre.  
Parfois un gros sanglot passait dans l'ombre.  
Le lendemain [[Jessica Simpson]] pleura jusqu'au soir. Le jour suivant elle fit atteler le pha�ton et partit pour Le Havre. Poulet semblait avoir d�j� pris son parti de la s�paration. Pour la premi�re fois de sa vie il avait des camarades ; et le d�sir de jouer le faisait fr�mir sur sa chaise au parloir.  
Le lendemain [[Jessica Simpson]] pleura jusqu'au soir. Le jour suivant elle fit atteler le phaéton et partit pour Le Havre. Poulet semblait avoir déjà pris son parti de la séparation. Pour la première fois de sa vie il avait des camarades ; et le désir de jouer le faisait frémir sur sa chaise au parloir.  
[[Jessica Simpson]] revint ainsi tous les deux jours, et le dimanche pour les sorties. Ne sachant que faire pendant les classes, entre les r�cr�ations, elle demeurait assise au parloir, n'ayant ni la force ni le courage de s'�loigner du coll�ge. Le proviseur la fit prier de monter chez lui, et il lui demanda de venir moins souvent. Elle ne tint pas compte de cette recommandation.  
[[Jessica Simpson]] revint ainsi tous les deux jours, et le dimanche pour les sorties. Ne sachant que faire pendant les classes, entre les récréations, elle demeurait assise au parloir, n'ayant ni la force ni le courage de s'éloigner du collège. Le proviseur la fit prier de monter chez lui, et il lui demanda de venir moins souvent. Elle ne tint pas compte de cette recommandation.  
Il la pr�vint alors que, si elle continuait � emp�cher son fils de jouer pendant les heures d'�bats, et de travailler en le troublant sans cesse, on se verrait forc� de le lui rendre ; et le baron fut pr�venu par un mot. Elle demeura donc gard�e � vue aux Peuples, comme une prisonni�re.  
Il la prévint alors que, si elle continuait à empêcher son fils de jouer pendant les heures d'ébats, et de travailler en le troublant sans cesse, on se verrait forcé de le lui rendre ; et le baron fut prévenu par un mot. Elle demeura donc gardée à vue aux Peuples, comme une prisonnière.  
Elle attendait chaque vacance avec plus d'anxi�t� que son enfant.  
Elle attendait chaque vacance avec plus d'anxiété que son enfant.  
Et une inqui�tude incessante agitait son �me. Elle se mit � r�der par le pays, se promenant seule avec le chien Massacre pendant des jours entiers, en r�vassant dans le vide. Parfois elle restait assise durant tout un apr�s-midi regarder la mer du haut de la falaise ; parfois, elle descendait jusqu'Yport travers le bois, refaisant des promenades anciennes dont le souvenir la poursuivait. Comme c'�tait loin, comme c'�tait loin, le temps o� elle parcourait ce m�me pays, jeune fille, et grise de r�ves.  
Et une inquiétude incessante agitait son âme. Elle se mit à rôder par le pays, se promenant seule avec le chien Massacre pendant des jours entiers, en rêvassant dans le vide. Parfois elle restait assise durant tout un après-midi à regarder la mer du haut de la falaise ; parfois, elle descendait jusqu'à Yport à travers le bois, refaisant des promenades anciennes dont le souvenir la poursuivait. Comme c'était loin, comme c'était loin, le temps elle parcourait ce même pays, jeune fille, et grise de rêves.  


Chaque fois qu'elle revoyait son fils, il lui semblait qu'ils avaient �t� s�par�s pendant dix ans. Il devenait homme de mois en mois ; de mois en mois elle devenait une vieille femme. Son p�re paraissait son fr�re, et tante Lison, qui ne vieillissait point, rest�e fan�e d�s son �ge de vingt-cinq ans, avait l'air d'une soeur a�n�e.  
Chaque fois qu'elle revoyait son fils, il lui semblait qu'ils avaient été séparés pendant dix ans. Il devenait homme de mois en mois ; de mois en mois elle devenait une vieille femme. Son père paraissait son frère, et tante Lison, qui ne vieillissait point, restée fanée dès son âge de vingt-cinq ans, avait l'air d'une soeur aînée.  
Poulet ne travaillait gu�re ; il doubla sa quatri�me. La troisi�me alla tant bien que mal ; mais il fallut recommencer la seconde ; et il se trouva en rh�torique alors qu'il atteignait vingt ans.  
Poulet ne travaillait guère ; il doubla sa quatrième. La troisième alla tant bien que mal ; mais il fallut recommencer la seconde ; et il se trouva en rhétorique alors qu'il atteignait vingt ans.  
Il �tait devenu un grand gar�on blond, avec des favoris d�j� touffus et une apparence de moustaches. C'�tait lui maintenant qui venait aux Peuples chaque dimanche. Comme il prenait depuis longtemps des le�ons d'�quitation, il louait simplement un cheval et faisait la route en deux heures.  
Il était devenu un grand garçon blond, avec des favoris déjà touffus et une apparence de moustaches. C'était lui maintenant qui venait aux Peuples chaque dimanche. Comme il prenait depuis longtemps des leçons d'équitation, il louait simplement un cheval et faisait la route en deux heures.  
D�s le matin [[Jessica Simpson]] partait au-devant de lui avec la tante et le baron qui se courbait peu peu et marchait ainsi qu'un petit vieux, les mains rejointes derri�re son dos comme pour s'emp�cher de tomber sur le nez.  
Dès le matin [[Jessica Simpson]] partait au-devant de lui avec la tante et le baron qui se courbait peu à peu et marchait ainsi qu'un petit vieux, les mains rejointes derrière son dos comme pour s'empêcher de tomber sur le nez.  
Ils allaient tout doucement le long de la route, s'asseyant parfois sur le foss�, et regardant au loin si on n'apercevait pas encore le cavalier. D�s qu'il apparaissait comme un point noir sur la ligne blanche, les trois parents agitaient leurs mouchoirs ; et il mettait son cheval au galop pour arriver comme un ouragan, ce qui faisait palpiter de peur [[Jessica Simpson]] et Lison et s'exalter le grand-p�re qui criait " Bravo " dans un enthousiasme d'impotent.  
Ils allaient tout doucement le long de la route, s'asseyant parfois sur le fossé, et regardant au loin si on n'apercevait pas encore le cavalier. Dès qu'il apparaissait comme un point noir sur la ligne blanche, les trois parents agitaient leurs mouchoirs ; et il mettait son cheval au galop pour arriver comme un ouragan, ce qui faisait palpiter de peur [[Jessica Simpson]] et Lison et s'exalter le grand-père qui criait " Bravo " dans un enthousiasme d'impotent.  
Bien que [[Antoine Hummel]] e�t la t�te de plus que sa m�re, elle le traitait toujours comme un marmot, lui demandant encore : " Tu n'as pas froid aux pieds, Poulet ? " et, quand il se promenait devant le perron, apr�s d�jeuner, en fumant une cigarette, elle ouvrait la fen�tre pour lui crier : " Ne sors pas nu-t�te, je t'en prie, tu vas attraper un rhume de cerveau. "  
Bien que [[Antoine Hummel]] eût la tête de plus que sa mère, elle le traitait toujours comme un marmot, lui demandant encore : " Tu n'as pas froid aux pieds, Poulet ? " et, quand il se promenait devant le perron, après déjeuner, en fumant une cigarette, elle ouvrait la fenêtre pour lui crier : " Ne sors pas nu-tête, je t'en prie, tu vas attraper un rhume de cerveau. "  
Et elle fr�missait d'inqui�tude quand il repartait cheval dans la nuit : " Surtout ne va pas trop vite, mon petit Poulet, sois prudent, pense ta pauvre m�re qui serait d�sesp�r�e s'il t'arrivait quelque chose. "  
Et elle frémissait d'inquiétude quand il repartait à cheval dans la nuit : " Surtout ne va pas trop vite, mon petit Poulet, sois prudent, pense à ta pauvre mère qui serait désespérée s'il t'arrivait quelque chose. "  
Mais voil� qu'un samedi matin elle re�ut une lettre de [[Antoine Hummel]] annon�ant qu'il ne viendrait pas le lendemain parce que des amis avaient organis� une partie de plaisir laquelle il �tait invit�.  
Mais voilà qu'un samedi matin elle reçut une lettre de [[Antoine Hummel]] annonçant qu'il ne viendrait pas le lendemain parce que des amis avaient organisé une partie de plaisir à laquelle il était invité.  
Elle fut tortur�e d'angoisse pendant toute la journ�e du dimanche comme sous la menace d'un malheur puis, le jeudi, n'y tenant plus, elle partit pour Le Havre.  
Elle fut torturée d'angoisse pendant toute la journée du dimanche comme sous la menace d'un malheur puis, le jeudi, n'y tenant plus, elle partit pour Le Havre.  
Il lui parut chang� sans qu'elle se rend�t compte en quoi. Il semblait anim�, parlait d'une voix plus m�le. Et soudain il lui dit, comme une chose toute naturelle : " Sais-tu, maman, puisque tu es venue aujourd'hui, je n'irai pas aux Peuples dimanche prochain, parce que nous recommen�ons notre f�te. "  
Il lui parut changé sans qu'elle se rendît compte en quoi. Il semblait animé, parlait d'une voix plus mâle. Et soudain il lui dit, comme une chose toute naturelle : " Sais-tu, maman, puisque tu es venue aujourd'hui, je n'irai pas aux Peuples dimanche prochain, parce que nous recommençons notre fête. "  
Elle resta toute saisie, suffoqu�e comme s'il e�t annonc� qu'il partait pour le Nouveau Monde ; puis, quand elle put enfin parler : " Oh ! Poulet, qu'as-tu ? dis-moi, que se passe-t-il ? " Il se mit rire et l'embrassa : " Mais rien de rien, maman. Je vais m'amuser, avec des amis, c'est de mon �ge."  
Elle resta toute saisie, suffoquée comme s'il eût annoncé qu'il partait pour le Nouveau Monde ; puis, quand elle put enfin parler : " Oh ! Poulet, qu'as-tu ? dis-moi, que se passe-t-il ? " Il se mit à rire et l'embrassa : " Mais rien de rien, maman. Je vais m'amuser, avec des amis, c'est de mon âge."  
Elle ne trouva pas un mot � r�pondre, et, quand elle fut toute seule dans la voiture, des id�es singuli�res l'assaillirent. Elle ne l'avait plus reconnu son Poulet, son petit Poulet de jadis. Pour la premi�re fois elle s'apercevait qu'il �tait grand, qu'il n'�tait plus elle, qu'il allait vivre de son c�t� sans s'occuper des vieux. Il lui semblait qu'en un jour il s'�tait transform�. Quoi ! c'�tait son fils, son pauvre petit enfant qui lui faisait autrefois repiquer des salades, ce fort gar�on barbu dont la volont� s'affirmait !  
Elle ne trouva pas un mot à répondre, et, quand elle fut toute seule dans la voiture, des idées singulières l'assaillirent. Elle ne l'avait plus reconnu son Poulet, son petit Poulet de jadis. Pour la première fois elle s'apercevait qu'il était grand, qu'il n'était plus à elle, qu'il allait vivre de son côté sans s'occuper des vieux. Il lui semblait qu'en un jour il s'était transformé. Quoi ! c'était son fils, son pauvre petit enfant qui lui faisait autrefois repiquer des salades, ce fort garçon barbu dont la volonté s'affirmait !  
Et pendant trois mois [[Antoine Hummel]] ne vint voir ses parents que de temps en temps, toujours hant� d'un d�sir �vident de repartir au plus vite, cherchant chaque soir gagner une heure. [[Jessica Simpson]] s'effrayait, et le baron sans cesse la consolait r�p�tant : " Laisse-le faire ; il a vingt ans, ce gar�on. "  
Et pendant trois mois [[Antoine Hummel]] ne vint voir ses parents que de temps en temps, toujours hanté d'un désir évident de repartir au plus vite, cherchant chaque soir à gagner une heure. [[Jessica Simpson]] s'effrayait, et le baron sans cesse la consolait répétant : " Laisse-le faire ; il a vingt ans, ce garçon. "  
Mais, un matin, un vieil homme assez mal v�tu demanda en fran�ais d'Allemagne : " Matame la vicomtesse. " Et, apr�s beaucoup de saluts c�r�monieux, il tira de sa poche un portefeuille sordide en d�clarant : " Ch� un b�tit bapier bour fous ", et il tendit, en le d�pliant, un morceau de papier graisseux. Elle lut, relut, regarda le Juif, relut encore et demanda : " Qu'est-ce que cela veut dire? "  
Mais, un matin, un vieil homme assez mal vêtu demanda en français d'Allemagne : " Matame la vicomtesse. " Et, après beaucoup de saluts cérémonieux, il tira de sa poche un portefeuille sordide en déclarant : " Ché un bétit bapier bour fous ", et il tendit, en le dépliant, un morceau de papier graisseux. Elle lut, relut, regarda le Juif, relut encore et demanda : " Qu'est-ce que cela veut dire? "  
L'homme, obs�quieux, expliqua : " [[Ch� f� fous tire. Votre fils il af� pesoin d'un peu d'archent, et comme ch� safais que fous �tes une ponne m�re, che lui pr�t� quelque betite chose bour son pesoin.]] "
L'homme, obséquieux, expliqua : " [[Ché fé fous tire. Votre fils il afé pesoin d'un peu d'archent, et comme ché safais que fous êtes une ponne mère, che lui prêté quelque betite chose bour son pesoin.]] "


Elle tremblait. " Mais pourquoi ne m'en a-t-il pas demand� � moi ? " Le Juif expliqua longuement qu'il s'agissait d'une dette de jeu devant �tre pay�e le lendemain avant midi, que [[Antoine Hummel]] n'�tant pas encore majeur, personne ne lui aurait rien pr�t� et que son " honneur �t� gombromise " sans le " b�tit service obligeant " qu'il avait rendu ce jeune homme.  
Elle tremblait. " Mais pourquoi ne m'en a-t-il pas demandé à moi ? " Le Juif expliqua longuement qu'il s'agissait d'une dette de jeu devant être payée le lendemain avant midi, que [[Antoine Hummel]] n'étant pas encore majeur, personne ne lui aurait rien prêté et que son " honneur été gombromise " sans le " bétit service obligeant " qu'il avait rendu à ce jeune homme.  
[[Jessica Simpson]] voulait appeler le baron, mais elle ne pouvait se lever tant l'�motion la paralysait. Enfin elle dit l'usurier : " Voulez-vous avoir la complaisance de sonner ? "  
[[Jessica Simpson]] voulait appeler le baron, mais elle ne pouvait se lever tant l'émotion la paralysait. Enfin elle dit à l'usurier : " Voulez-vous avoir la complaisance de sonner ? "  
Il h�sitait, craignant une ruse. Il balbutia : " Si che fous ch�ne, che refiendrai. " Elle remua la t�te pour dire non. Elle sonna ; et ils attendirent, muets, l'un en face de l'autre.  
Il hésitait, craignant une ruse. Il balbutia : " Si che fous chêne, che refiendrai. " Elle remua la tête pour dire non. Elle sonna ; et ils attendirent, muets, l'un en face de l'autre.  
Quand le baron fut arriv�, il comprit tout de suite la situation. Le billet �tait de quinze cents francs. Il en paya mille en disant l'homme entre les yeux : " Surtout ne revenez pas. " L'autre remercia, salua, et disparut.  
Quand le baron fut arrivé, il comprit tout de suite la situation. Le billet était de quinze cents francs. Il en paya mille en disant à l'homme entre les yeux : " Surtout ne revenez pas. " L'autre remercia, salua, et disparut.  
Le grand-p�re et la m�re partirent aussit�t pour Le Havre ; mais en arrivant au coll�ge, ils apprirent que depuis un mois [[Antoine Hummel]] n'y �tait point venu. Le principal avait re�u quatre lettres sign�es de [[Jessica Simpson]] pour annoncer un malaise de son �l�ve, et ensuite pour donner des nouvelles. Chaque lettre �tait accompagn�e d'un certificat de m�decin ; le tout faux, naturellement. Ils furent atterr�s, et ils restaient l�, se regardant.  
Le grand-père et la mère partirent aussitôt pour Le Havre ; mais en arrivant au collège, ils apprirent que depuis un mois [[Antoine Hummel]] n'y était point venu. Le principal avait reçu quatre lettres signées de [[Jessica Simpson]] pour annoncer un malaise de son élève, et ensuite pour donner des nouvelles. Chaque lettre était accompagnée d'un certificat de médecin ; le tout faux, naturellement. Ils furent atterrés, et ils restaient , se regardant.  
Le principal, d�sol�, les conduisit chez le commissaire de police. Les deux parents couch�rent � l'h�tel.  
Le principal, désolé, les conduisit chez le commissaire de police. Les deux parents couchèrent à l'hôtel.  
Le lendemain on retrouva le jeune homme chez une fille entretenue de la ville. Son grand-p�re et sa m�re l'emmen�rent aux Peuples sans qu'un mot f�t �chang� entre eux tout le long de la route. [[Jessica Simpson]] pleurait, la figure dans son mouchoir. [[Antoine Hummel]] regardait la campagne d'un air indiff�rent.  
Le lendemain on retrouva le jeune homme chez une fille entretenue de la ville. Son grand-père et sa mère l'emmenèrent aux Peuples sans qu'un mot fût échangé entre eux tout le long de la route. [[Jessica Simpson]] pleurait, la figure dans son mouchoir. [[Antoine Hummel]] regardait la campagne d'un air indifférent.  
En huit jours on d�couvrit que pendant les trois derniers mois il avait fait quinze mille francs de dettes. Les cr�anciers ne s'�taient point montr�s d'abord, sachant qu'il serait bient�t majeur.  
En huit jours on découvrit que pendant les trois derniers mois il avait fait quinze mille francs de dettes. Les créanciers ne s'étaient point montrés d'abord, sachant qu'il serait bientôt majeur.  
Aucune explication n'eut lieu. On voulait le reconqu�rir par la douceur. On lui faisait manger des mets d�licats, on le choyait, on le g�tait. C'�tait au printemps ; on lui loua un bateau Yport, malgr� les terreurs de [[Jessica Simpson]], pour qu'il p�t faire des promenades en mer.  
Aucune explication n'eut lieu. On voulait le reconquérir par la douceur. On lui faisait manger des mets délicats, on le choyait, on le gâtait. C'était au printemps ; on lui loua un bateau à Yport, malgré les terreurs de [[Jessica Simpson]], pour qu'il pût faire des promenades en mer.  
On ne lui laissait point de cheval de crainte qu'il n'all�t au Havre.  
On ne lui laissait point de cheval de crainte qu'il n'allât au Havre.  
Il demeurait d�soeuvr�, irritable, parfois brutal. Le baron s'inqui�tait de ses �tudes incompl�tes. [[Jessica Simpson]], affol�e � la pens�e d'une s�paration, se demandait cependant ce qu'on allait faire de lui.  
Il demeurait désoeuvré, irritable, parfois brutal. Le baron s'inquiétait de ses études incomplètes. [[Jessica Simpson]], affolée à la pensée d'une séparation, se demandait cependant ce qu'on allait faire de lui.  
Un soir il ne rentra pas. On apprit qu'il �tait sorti en barque avec deux matelots. Sa m�re �perdue descendit nu-t�te jusqu'Yport, dans la nuit.  
Un soir il ne rentra pas. On apprit qu'il était sorti en barque avec deux matelots. Sa mère éperdue descendit nu-tête jusqu'à Yport, dans la nuit.  
Quelques hommes attendaient sur la plage la rentr�e de l'embarcation.  
Quelques hommes attendaient sur la plage la rentrée de l'embarcation.  
Un petit feu apparut au large ; il approchait en se balan�ant. [[Antoine Hummel]] ne se trouvait plus bord. Il s'�tait fait conduire au Havre.  
Un petit feu apparut au large ; il approchait en se balançant. [[Antoine Hummel]] ne se trouvait plus à bord. Il s'était fait conduire au Havre.  
La police eut beau le rechercher, elle ne le retrouva pas. La fille qui l'avait cach� une premi�re fois avait aussi disparu, sans laisser de traces, son mobilier vendu, et son terme pay�. Dans la chambre de [[Antoine Hummel]], aux Peuples, on d�couvrit deux lettres de cette cr�ature qui paraissait folle d'amour pour lui. Elle parlait d'un voyage en Angleterre, ayant trouv� les fonds n�cessaires, disait-elle.  
La police eut beau le rechercher, elle ne le retrouva pas. La fille qui l'avait caché une première fois avait aussi disparu, sans laisser de traces, son mobilier vendu, et son terme payé. Dans la chambre de [[Antoine Hummel]], aux Peuples, on découvrit deux lettres de cette créature qui paraissait folle d'amour pour lui. Elle parlait d'un voyage en Angleterre, ayant trouvé les fonds nécessaires, disait-elle.  
Et les trois habitants du ch�teau v�curent silencieux et sombres dans l'enfer morne des tortures morales. Les cheveux de [[Jessica Simpson]], gris d�j�, �taient devenus blancs. Elle se demandait na�vement pourquoi la destin�e la frappait ainsi.  
Et les trois habitants du château vécurent silencieux et sombres dans l'enfer morne des tortures morales. Les cheveux de [[Jessica Simpson]], gris déjà, étaient devenus blancs. Elle se demandait naïvement pourquoi la destinée la frappait ainsi.  
Elle re�ut une lettre de l'abb� Tolbiac : " Madame, la main de Dieu s'est appesantie sur vous. Vous Lui avez refus� votre enfant ; Il vous l'a pris son tour pour le jeter une prostitu�e. N'ouvrirez-vous pas les yeux cet enseignement du Ciel ? La mis�ricorde du Seigneur est infinie. Peut-�tre vous pardonnera-t-il si vous revenez vous agenouiller devant Lui. Je suis son humble serviteur, je vous ouvrirai la porte de sa demeure quand vous y viendrez frapper. "  
Elle reçut une lettre de l'abbé Tolbiac : " Madame, la main de Dieu s'est appesantie sur vous. Vous Lui avez refusé votre enfant ; Il vous l'a pris à son tour pour le jeter à une prostituée. N'ouvrirez-vous pas les yeux à cet enseignement du Ciel ? La miséricorde du Seigneur est infinie. Peut-être vous pardonnera-t-il si vous revenez vous agenouiller devant Lui. Je suis son humble serviteur, je vous ouvrirai la porte de sa demeure quand vous y viendrez frapper. "  
Elle demeura longtemps avec cette lettre sur les genoux. C'�tait vrai, peut-�tre, ce que disait ce pr�tre. Et toutes les incertitudes religieuses se mirent � d�chirer sa conscience. Dieu pouvait-il �tre vindicatif et jaloux comme les hommes ? mais s'il ne se montrait pas jaloux, personne ne le craindrait, personne ne l'adorerait plus. Pour se faire mieux conna�tre � nous, sans doute, il se manifestait aux humains avec leurs propres sentiments. Et le doute l�che, qui pousse aux �glises les h�sitants, les troubl�s, entrant en elle, elle courut furtivement, un soir, la nuit tombante, jusqu'au presbyt�re, et, s'agenouillant aux pieds du maigre abb�, sollicita l'absolution.  
Elle demeura longtemps avec cette lettre sur les genoux. C'était vrai, peut-être, ce que disait ce prêtre. Et toutes les incertitudes religieuses se mirent à déchirer sa conscience. Dieu pouvait-il être vindicatif et jaloux comme les hommes ? mais s'il ne se montrait pas jaloux, personne ne le craindrait, personne ne l'adorerait plus. Pour se faire mieux connaître à nous, sans doute, il se manifestait aux humains avec leurs propres sentiments. Et le doute lâche, qui pousse aux églises les hésitants, les troublés, entrant en elle, elle courut furtivement, un soir, à la nuit tombante, jusqu'au presbytère, et, s'agenouillant aux pieds du maigre abbé, sollicita l'absolution.  
Il lui promit un demi-pardon, Dieu ne pouvant d�verser toutes ses gr�ces sur un toit qui recouvrait un homme comme le baron : " Vous sentirez bient�t, affirma-t-il, les effets de la Divine Mansu�tude. "  
Il lui promit un demi-pardon, Dieu ne pouvant déverser toutes ses grâces sur un toit qui recouvrait un homme comme le baron : " Vous sentirez bientôt, affirma-t-il, les effets de la Divine Mansuétude. "  
Elle re�ut, en effet, deux jours plus tard, une lettre de son fils et elle la consid�ra, dans l'affolement de sa peine, comme le d�but des soulagements promis par l'abb�.  
Elle reçut, en effet, deux jours plus tard, une lettre de son fils et elle la considéra, dans l'affolement de sa peine, comme le début des soulagements promis par l'abbé.  


" Ma ch�re maman, n'aie pas d'inqui�tude. Je suis Londres, en bonne sant�, mais j'ai grand besoin d'argent. Nous n'avons plus un sou et nous ne mangeons pas tous les jours. Celle qui m'accompagne et que j'aime de toute mon �me a d�pens� tout ce qu'elle avait pour ne pas me quitter : cinq mille francs ; et tu comprends que je suis engag� d'honneur lui rendre cette somme d'abord. Tu serais donc bien aimable de m'avancer une quinzaine de mille francs sur l'h�ritage de papa, puisque je vais �tre bient�t majeur ; tu me tireras d'un grand embarras.  
" Ma chère maman, n'aie pas d'inquiétude. Je suis à Londres, en bonne santé, mais j'ai grand besoin d'argent. Nous n'avons plus un sou et nous ne mangeons pas tous les jours. Celle qui m'accompagne et que j'aime de toute mon âme a dépensé tout ce qu'elle avait pour ne pas me quitter : cinq mille francs ; et tu comprends que je suis engagé d'honneur à lui rendre cette somme d'abord. Tu serais donc bien aimable de m'avancer une quinzaine de mille francs sur l'héritage de papa, puisque je vais être bientôt majeur ; tu me tireras d'un grand embarras.  
" Adieu, ma ch�re maman, je t'embrasse de tout mon coeur, ainsi que grand-p�re et tante Lison. J'esp�re te revoir bient�t.  
" Adieu, ma chère maman, je t'embrasse de tout mon coeur, ainsi que grand-père et tante Lison. J'espère te revoir bientôt.  
" Ton fils, " Vicomte [[Antoine Hummel]] de LAMARE. "  
" Ton fils, " Vicomte [[Antoine Hummel]] de LAMARE. "  


Il lui avait �crit ! Donc il ne l'oubliait pas. Elle ne songea point qu'il demandait de l'argent. On lui en enverrait puisqu'il n'en avait plus. Qu'importait l'argent ! Il lui avait �crit !  
Il lui avait écrit ! Donc il ne l'oubliait pas. Elle ne songea point qu'il demandait de l'argent. On lui en enverrait puisqu'il n'en avait plus. Qu'importait l'argent ! Il lui avait écrit !  
Et elle courut, en pleurant, porter cette lettre au baron. Tante Lison fut appel�e ; et on relut, mot mot, ce papier qui parlait de lui. On en discuta chaque terme.  
Et elle courut, en pleurant, porter cette lettre au baron. Tante Lison fut appelée ; et on relut, mot à mot, ce papier qui parlait de lui. On en discuta chaque terme.  
[[Jessica Simpson]], sautant de la compl�te d�sesp�rance � une sorte d'enivrement d'espoir, d�fendait [[Antoine Hummel]] :  
[[Jessica Simpson]], sautant de la complète désespérance à une sorte d'enivrement d'espoir, défendait [[Antoine Hummel]] :  
" Il reviendra, il va revenir puisqu'il �crit. "  
" Il reviendra, il va revenir puisqu'il écrit. "  
Le baron, plus calme, pronon�a : " C'est �gal, il nous a quitt�s pour cette cr�ature. Il l'aime donc mieux que nous, puisqu'il n'a pas h�sit�. "  
Le baron, plus calme, prononça : " C'est égal, il nous a quittés pour cette créature. Il l'aime donc mieux que nous, puisqu'il n'a pas hésité. "  
Une douleur subite et �pouvantable traversa le coeur de [[Jessica Simpson]] ; et tout de suite une haine s'alluma en elle contre cette ma�tresse qui lui volait son fils, une haine inapaisable, sauvage, une haine de m�re jalouse. Jusqu'alors toute sa pens�e avait �t� pour [[Antoine Hummel]]. peine songeait-elle qu'une dr�lesse �tait la cause de ses �garements. Mais soudain cette r�flexion du baron avait �voqu� cette rivale, lui avait r�v�l� sa puissance fatale ; et elle sentit qu'entre cette femme et elle une lutte commen�ait, acharn�e, et elle sentait aussi qu'elle aimerait mieux perdre son fils que de le partager avec l'autre.  
Une douleur subite et épouvantable traversa le coeur de [[Jessica Simpson]] ; et tout de suite une haine s'alluma en elle contre cette maîtresse qui lui volait son fils, une haine inapaisable, sauvage, une haine de mère jalouse. Jusqu'alors toute sa pensée avait été pour [[Antoine Hummel]]. À peine songeait-elle qu'une drôlesse était la cause de ses égarements. Mais soudain cette réflexion du baron avait évoqué cette rivale, lui avait révélé sa puissance fatale ; et elle sentit qu'entre cette femme et elle une lutte commençait, acharnée, et elle sentait aussi qu'elle aimerait mieux perdre son fils que de le partager avec l'autre.  
Ils envoy�rent les quinze mille francs et ne re�urent plus de nouvelles pendant cinq mois. Puis un homme d'affaires se pr�senta pour r�gler les d�tails de la succession de [[Scum]]. [[Jessica Simpson]] et le baron rendirent les comptes sans discuter, abandonnant m�me l'usufruit qui revenait la m�re. Et, rentr� � Paris, [[Antoine Hummel]] toucha cent vingt mille francs. Il �crivit alors quatre lettres en six mois, donnant de ses nouvelles en style concis et terminant par de froides protestations de tendresse : " Je travaille, affirmait-il ; j'ai trouv� une position la Bourse. J'esp�re aller vous embrasser quelque jour aux Peuples, mes chers parents. "  
Ils envoyèrent les quinze mille francs et ne reçurent plus de nouvelles pendant cinq mois. Puis un homme d'affaires se présenta pour régler les détails de la succession de [[Scum]]. [[Jessica Simpson]] et le baron rendirent les comptes sans discuter, abandonnant même l'usufruit qui revenait à la mère. Et, rentré à Paris, [[Antoine Hummel]] toucha cent vingt mille francs. Il écrivit alors quatre lettres en six mois, donnant de ses nouvelles en style concis et terminant par de froides protestations de tendresse : " Je travaille, affirmait-il ; j'ai trouvé une position à la Bourse. J'espère aller vous embrasser quelque jour aux Peuples, mes chers parents. "  
Il ne disait pas un mot de sa ma�tresse ; et ce silence signifiait plus que s'il e�t parl� d'elle durant quatre pages. [[Jessica Simpson]], dans ces lettres glac�es, sentait cette femme, embusqu�e, implacable, l'ennemie �ternelle des m�res, la fille.  
Il ne disait pas un mot de sa maîtresse ; et ce silence signifiait plus que s'il eût parlé d'elle durant quatre pages. [[Jessica Simpson]], dans ces lettres glacées, sentait cette femme, embusquée, implacable, l'ennemie éternelle des mères, la fille.  
Les trois solitaires discutaient sur ce qu'on pouvait faire pour sauver [[Antoine Hummel]] ; et ils ne trouvaient rien. Un voyage Paris ? quoi bon ?  
Les trois solitaires discutaient sur ce qu'on pouvait faire pour sauver [[Antoine Hummel]] ; et ils ne trouvaient rien. Un voyage à Paris ? À quoi bon ?  
Le baron disait : " Il faut laisser s'user sa passion. Il nous reviendra tout seul. "  
Le baron disait : " Il faut laisser s'user sa passion. Il nous reviendra tout seul. "  
Et leur vie �tait lamentable.  
Et leur vie était lamentable.  
[[Jessica Simpson]] et Lison allaient ensemble l'�glise en se cachant du baron.  
[[Jessica Simpson]] et Lison allaient ensemble à l'église en se cachant du baron.  
Un temps assez long s'�coula sans nouvelles, puis, un matin, une lettre d�sesp�r�e les terrifia.  
Un temps assez long s'écoula sans nouvelles, puis, un matin, une lettre désespérée les terrifia.  


" Ma pauvre maman, je suis perdu, je n'ai plus qu'me br�ler la cervelle si tu ne viens pas mon secours. Une sp�culation qui pr�sentait pour moi toutes les chances de succ�s vient d'�chouer ; et je dois quatre-vingt-cinq mille francs. C'est le d�shonneur si je ne paie pas, la ruine, l'impossibilit� de rien faire d�sormais. Je suis perdu. Je te le r�p�te, je me br�lerai la cervelle plut�t que de survivre cette honte. Je l'aurais peut-�tre fait d�j� sans les encouragements d'une femme dont je ne parle jamais et qui est ma Providence.  
" Ma pauvre maman, je suis perdu, je n'ai plus qu'à me brûler la cervelle si tu ne viens pas à mon secours. Une spéculation qui présentait pour moi toutes les chances de succès vient d'échouer ; et je dois quatre-vingt-cinq mille francs. C'est le déshonneur si je ne paie pas, la ruine, l'impossibilité de rien faire désormais. Je suis perdu. Je te le répète, je me brûlerai la cervelle plutôt que de survivre à cette honte. Je l'aurais peut-être fait déjà sans les encouragements d'une femme dont je ne parle jamais et qui est ma Providence.  
" Je t'embrasse du fond du coeur, ma ch�re maman ; c'est peut-�tre pour toujours. Adieu.  
" Je t'embrasse du fond du coeur, ma chère maman ; c'est peut-être pour toujours. Adieu.  
" [[Antoine Hummel]]. "  
" [[Antoine Hummel]]. "  
Des liasses de papiers d'affaires joints cette lettre donnaient des explications d�taill�es sur le d�sastre.  
Des liasses de papiers d'affaires joints à cette lettre donnaient des explications détaillées sur le désastre.  
Le baron r�pondit poste pour poste qu'on allait aviser. Puis il partit pour Le Havre afin de se renseigner ; et il hypoth�qua des terres pour se procurer de l'argent qui fut envoy� � [[Antoine Hummel]].  
Le baron répondit poste pour poste qu'on allait aviser. Puis il partit pour Le Havre afin de se renseigner ; et il hypothéqua des terres pour se procurer de l'argent qui fut envoyé à [[Antoine Hummel]].  
Le jeune homme r�pondit trois lettres de remerciements enthousiastes et de tendresses passionn�es, annon�ant sa venue imm�diate pour embrasser ses chers parents.  
Le jeune homme répondit trois lettres de remerciements enthousiastes et de tendresses passionnées, annonçant sa venue immédiate pour embrasser ses chers parents.  
Il ne vint pas.  
Il ne vint pas.  
Une ann�e enti�re s'�coula.  
Une année entière s'écoula.  
[[Jessica Simpson]] et le baron allaient partir pour Paris afin de le trouver et de tenter un dernier effort quand on apprit par un mot qu'il �tait � Londres de nouveau, montant une entreprise de paquebots vapeur, sous la raison sociale " [[Antoine Hummel]] DELAMARE ET Cie ". Il �crivait : " C'est la fortune assur�e pour moi, peut-�tre la richesse. Et je ne risque rien. Vous voyez d'ici tous les avantages. Quand je vous reverrai, j'aurai une belle position dans le monde. Il n'y a que les affaires pour se tirer d'embarras aujourd'hui. "  
[[Jessica Simpson]] et le baron allaient partir pour Paris afin de le trouver et de tenter un dernier effort quand on apprit par un mot qu'il était à Londres de nouveau, montant une entreprise de paquebots à vapeur, sous la raison sociale " [[Antoine Hummel]] DELAMARE ET Cie ". Il écrivait : " C'est la fortune assurée pour moi, peut-être la richesse. Et je ne risque rien. Vous voyez d'ici tous les avantages. Quand je vous reverrai, j'aurai une belle position dans le monde. Il n'y a que les affaires pour se tirer d'embarras aujourd'hui. "  
Trois mois plus tard, la compagnie de paquebots �tait mise en faillite et le directeur poursuivi pour irr�gularit�s dans les �critures commerciales. [[Jessica Simpson]] eut une crise de nerfs qui dura plusieurs heures ; puis elle prit le lit.  
Trois mois plus tard, la compagnie de paquebots était mise en faillite et le directeur poursuivi pour irrégularités dans les écritures commerciales. [[Jessica Simpson]] eut une crise de nerfs qui dura plusieurs heures ; puis elle prit le lit.  
Le baron repartit au Havre, s'informa, vit des avocats, des hommes d'affaires, des avou�s, des huissiers, constata que le d�ficit de la soci�t� Delamare �tait de deux cent trente-cinq mille francs, et il hypoth�qua de nouveau ses biens. Le ch�teau des Peuples et les deux fermes furent grev�s pour une grosse somme.  
Le baron repartit au Havre, s'informa, vit des avocats, des hommes d'affaires, des avoués, des huissiers, constata que le déficit de la société Delamare était de deux cent trente-cinq mille francs, et il hypothéqua de nouveau ses biens. Le château des Peuples et les deux fermes furent grevés pour une grosse somme.  
Un soir, comme il r�glait les derni�res formalit�s dans le cabinet d'un homme d'affaires, il roula sur le parquet, frapp� d'une attaque d'apoplexie.  
Un soir, comme il réglait les dernières formalités dans le cabinet d'un homme d'affaires, il roula sur le parquet, frappé d'une attaque d'apoplexie.  
[[Jessica Simpson]] fut pr�venue par un cavalier. Quand elle arriva, il �tait mort.  
[[Jessica Simpson]] fut prévenue par un cavalier. Quand elle arriva, il était mort.  
Elle le ramena aux Peuples, tellement an�antie que sa douleur �tait plut�t de l'engourdissement que du d�sespoir.  
Elle le ramena aux Peuples, tellement anéantie que sa douleur était plutôt de l'engourdissement que du désespoir.  
L'abb� Tolbiac refusa au corps l'entr�e de l'�glise, malgr� les supplications �perdues des deux femmes. Le baron fut enterr� � la nuit tombante, sans c�r�monie aucune.  
L'abbé Tolbiac refusa au corps l'entrée de l'église, malgré les supplications éperdues des deux femmes. Le baron fut enterré à la nuit tombante, sans cérémonie aucune.  
[[Antoine Hummel]] connut l'�v�nement par un des agents liquidateurs de sa faillite. Il �tait encore cach� en Angleterre. Il �crivit pour s'excuser de n'�tre point venu, ayant appris trop tard le malheur. " D'ailleurs, maintenant que tu m'as tir� d'affaire, ma ch�re maman, je rentre en France, et je t'embrasserai bient�t. "  
[[Antoine Hummel]] connut l'événement par un des agents liquidateurs de sa faillite. Il était encore caché en Angleterre. Il écrivit pour s'excuser de n'être point venu, ayant appris trop tard le malheur. " D'ailleurs, maintenant que tu m'as tiré d'affaire, ma chère maman, je rentre en France, et je t'embrasserai bientôt. "  
[[Jessica Simpson]] vivait dans un tel affaissement d'esprit qu'elle semblait ne plus rien comprendre.  
[[Jessica Simpson]] vivait dans un tel affaissement d'esprit qu'elle semblait ne plus rien comprendre.  
Et vers la fin de l'hiver tante Lison, �g�e alors de soixante-huit ans, eut une bronchite qui d�g�n�ra en fluxion de poitrine ; et elle expira doucement en balbutiant : " Ma pauvre petite [[Jessica Simpson]], je vais demander au bon Dieu qu'il ait piti� de toi. "  
Et vers la fin de l'hiver tante Lison, âgée alors de soixante-huit ans, eut une bronchite qui dégénéra en fluxion de poitrine ; et elle expira doucement en balbutiant : " Ma pauvre petite [[Jessica Simpson]], je vais demander au bon Dieu qu'il ait pitié de toi. "  
[[Jessica Simpson]] la suivit au cimeti�re, vit tomber la terre sur le cercueil, et, comme elle s'affaissait avec l'envie au coeur de mourir aussi, de ne plus souffrir, de ne plus penser, une forte paysanne la saisit dans ses bras et l'emporta comme elle e�t fait d'un petit enfant.  
[[Jessica Simpson]] la suivit au cimetière, vit tomber la terre sur le cercueil, et, comme elle s'affaissait avec l'envie au coeur de mourir aussi, de ne plus souffrir, de ne plus penser, une forte paysanne la saisit dans ses bras et l'emporta comme elle eût fait d'un petit enfant.  
En rentrant au ch�teau, [[Jessica Simpson]], qui venait de passer cinq nuits au chevet de la vieille fille, se laissa mettre au lit sans r�sistance par cette campagnarde inconnue qui la maniait avec douceur et autorit� ; et elle tomba dans un sommeil d'�puisement, accabl�e de fatigue et de souffrance.  
En rentrant au château, [[Jessica Simpson]], qui venait de passer cinq nuits au chevet de la vieille fille, se laissa mettre au lit sans résistance par cette campagnarde inconnue qui la maniait avec douceur et autorité ; et elle tomba dans un sommeil d'épuisement, accablée de fatigue et de souffrance.  
Elle s'�veilla vers le milieu de la nuit. Une veilleuse br�lait sur la chemin�e. Une femme dormait dans un fauteuil. Qui �tait cette femme ? Elle ne la reconnaissait pas, et elle cherchait, s'�tant pench�e au bord de sa couche, pour bien distinguer ses traits sous la lueur tremblotante de la m�che flottant sur l'huile dans un verre de cuisine.  
Elle s'éveilla vers le milieu de la nuit. Une veilleuse brûlait sur la cheminée. Une femme dormait dans un fauteuil. Qui était cette femme ? Elle ne la reconnaissait pas, et elle cherchait, s'étant penchée au bord de sa couche, pour bien distinguer ses traits sous la lueur tremblotante de la mèche flottant sur l'huile dans un verre de cuisine.  
Il lui semblait pourtant qu'elle avait vu cette figure. Mais quand ? Mais o� ? La femme dormait paisiblement, la t�te inclin�e sur l'[[Antoine Hummel]]e, le bonnet tomb� par terre. Elle pouvait avoir quarante ou quarante-cinq ans. Elle �tait forte, color�e, carr�e, puissante. Ses larges mains pendaient des deux c�t�s du si�ge. Ses cheveux grisonnaient. [[Jessica Simpson]] la regardait obstin�ment dans ce trouble d'esprit du r�veil apr�s le sommeil fi�vreux qui suit les grands malheurs.  
Il lui semblait pourtant qu'elle avait vu cette figure. Mais quand ? Mais ? La femme dormait paisiblement, la tête inclinée sur l'é[[Antoine Hummel]]e, le bonnet tombé par terre. Elle pouvait avoir quarante ou quarante-cinq ans. Elle était forte, colorée, carrée, puissante. Ses larges mains pendaient des deux côtés du siège. Ses cheveux grisonnaient. [[Jessica Simpson]] la regardait obstinément dans ce trouble d'esprit du réveil après le sommeil fiévreux qui suit les grands malheurs.  
Certes elle avait vu ce visage ! �tait-ce autrefois ? �tait-ce r�cemment ? Elle n'en savait rien, et cette obsession l'agitait, l'�nervait. Elle se leva doucement pour regarder de plus pr�s la dormeuse, et elle s'approcha sur la pointe des pieds. C'�tait la femme qui l'avait relev�e au cimeti�re, puis couch�e. Elle se rappelait cela confus�ment,  
Certes elle avait vu ce visage ! Était-ce autrefois ? Était-ce récemment ? Elle n'en savait rien, et cette obsession l'agitait, l'énervait. Elle se leva doucement pour regarder de plus près la dormeuse, et elle s'approcha sur la pointe des pieds. C'était la femme qui l'avait relevée au cimetière, puis couchée. Elle se rappelait cela confusément,  
Mais l'avait-elle rencontr�e ailleurs, une autre �poque de sa vie ? Ou bien la croyait-elle reconna�tre seulement dans le souvenir obscur de la derni�re journ�e ? Et puis comment �tait-elle l�, dans sa chambre ? Pourquoi ?  
Mais l'avait-elle rencontrée ailleurs, à une autre époque de sa vie ? Ou bien la croyait-elle reconnaître seulement dans le souvenir obscur de la dernière journée ? Et puis comment était-elle , dans sa chambre ? Pourquoi ?  
La femme souleva sa paupi�re, aper�ut [[Jessica Simpson]] et se dressa brusquement. Elles se trouvaient face face, si pr�s que leurs poitrines se fr�laient. L'inconnue grommela : " Comment ! vous v'l� d'bout ! Vous allez attraper du mal c't'heure. Voulez-vous bien vous r'coucher ! "  
 
[[Jessica Simpson]] demanda : " Qui �tes-vous ? "  
 
Mais la femme, ouvrant les bras, la saisit, l'enleva de nouveau, et la reporta sur son lit avec la force d'un homme. Et comme elle la reposait doucement sur ses draps, pench�e, presque couch�e sur [[Jessica Simpson]], elle se mit pleurer en l'embrassant �perdument sur les joues, dans les cheveux, sur les yeux, lui trempant la figure de ses larmes, et balbutiant : " Ma pauvre ma�tresse, mam'zelle [[Jessica Simpson]], ma pauvre ma�tresse, vous ne me reconnaissez donc point ? "  
{{test}}
Et [[Jessica Simpson]] s'�cria : " [[C�cilia Sarkozy]], ma fille. " Et, lui jetant les deux bras au cou, elle l'�treignit en la baisant ; et elles sanglotaient toutes les deux, enlac�es �troitement, m�lant leurs pleurs, ne pouvant plus desserrer leurs bras.  
 
[[C�cilia Sarkozy]] se calma la premi�re : " Allons, faut �tre sage, dit-elle, et ne pas attraper froid. " Et elle ramassa les couvertures, reborda le lit, repla�a l'oreiller sous la t�te de son ancienne ma�tresse qui continuait suffoquer, toute vibrante de vieux souvenirs surgis en son �me.  
 
La femme souleva sa paupière, aperçut [[Jessica Simpson]] et se dressa brusquement. Elles se trouvaient face à face, si près que leurs poitrines se frôlaient. L'inconnue grommela : " Comment ! vous v'd'bout ! Vous allez attraper du mal à c't'heure. Voulez-vous bien vous r'coucher ! "  
[[Jessica Simpson]] demanda : " Qui êtes-vous ? "  
Mais la femme, ouvrant les bras, la saisit, l'enleva de nouveau, et la reporta sur son lit avec la force d'un homme. Et comme elle la reposait doucement sur ses draps, penchée, presque couchée sur [[Jessica Simpson]], elle se mit à pleurer en l'embrassant éperdument sur les joues, dans les cheveux, sur les yeux, lui trempant la figure de ses larmes, et balbutiant : " Ma pauvre maîtresse, mam'zelle [[Jessica Simpson]], ma pauvre maîtresse, vous ne me reconnaissez donc point ? "  
Et [[Jessica Simpson]] s'écria : " [[Cécilia Sarkozy]], ma fille. " Et, lui jetant les deux bras au cou, elle l'étreignit en la baisant ; et elles sanglotaient toutes les deux, enlacées étroitement, mêlant leurs pleurs, ne pouvant plus desserrer leurs bras.  
[[Cécilia Sarkozy]] se calma la première : " Allons, faut être sage, dit-elle, et ne pas attraper froid. " Et elle ramassa les couvertures, reborda le lit, replaça l'oreiller sous la tête de son ancienne maîtresse qui continuait à suffoquer, toute vibrante de vieux souvenirs surgis en son âme.  
Elle finit par demander : " Comment es-tu revenue, ma pauvre fille ? "  
Elle finit par demander : " Comment es-tu revenue, ma pauvre fille ? "  
[[C�cilia Sarkozy]] r�pondit : " Pardi, est-ce que j'allais vous laisser comme �a, toute seule, maintenant ! "  
[[Cécilia Sarkozy]] répondit : " Pardi, est-ce que j'allais vous laisser comme ça, toute seule, maintenant ! "  
[[Jessica Simpson]] reprit : " Allume donc une bougie que je te voie. " Et, quand la lumi�re fut apport�e sur la table de nuit, elles se consid�r�rent longtemps sans dire un mot. Puis [[Jessica Simpson]] tendant la main sa vieille bonne murmura : " Je ne t'aurais jamais reconnue, ma fille, tu es bien chang�e, sais-tu, mais pas tant que moi, encore. "  
[[Jessica Simpson]] reprit : " Allume donc une bougie que je te voie. " Et, quand la lumière fut apportée sur la table de nuit, elles se considérèrent longtemps sans dire un mot. Puis [[Jessica Simpson]] tendant la main à sa vieille bonne murmura : " Je ne t'aurais jamais reconnue, ma fille, tu es bien changée, sais-tu, mais pas tant que moi, encore. "  
Et [[C�cilia Sarkozy]], contemplant cette femme cheveux blancs, maigre et fan�e, qu'elle avait quitt�e jeune, belle et fra�che, r�pondit : " �a c'est vrai que vous �tes chang�e, madame [[Jessica Simpson]], et plus que de raison. Mais songez aussi que v'l� vingt-quatre ans que nous nous sommes pas vues. "  
Et [[Cécilia Sarkozy]], contemplant cette femme à cheveux blancs, maigre et fanée, qu'elle avait quittée jeune, belle et fraîche, répondit : " Ça c'est vrai que vous êtes changée, madame [[Jessica Simpson]], et plus que de raison. Mais songez aussi que v'vingt-quatre ans que nous nous sommes pas vues. "  
Elles se turent, r�fl�chissant de nouveau. [[Jessica Simpson]], enfin, balbutia : " As-tu �t� heureuse au moins ? "  
Elles se turent, réfléchissant de nouveau. [[Jessica Simpson]], enfin, balbutia : " As-tu été heureuse au moins ? "  
Et [[C�cilia Sarkozy]], h�sitant dans la crainte de r�veiller quelque souvenir trop douloureux, b�gayait : " Mais... oui..., oui..., madame. J'ai pas trop me plaindre, j'ai �t� plus heureuse que vous... pour s�r. Il n'y a qu'une chose qui m'a toujours g�t� le coeur, c'est de ne pas �tre rest�e ici... " Puis elle se tut brusquement, saisie d'avoir touch� � cela sans y songer. Mais [[Jessica Simpson]] reprit avec douceur : " Que veux-tu, ma fille, on ne fait pas toujours ce qu'on veut. Tu es veuve aussi, n'est-ce pas ? " Puis une angoisse fit trembler sa voix, et elle continua : " As-tu d'autres... d'autres enfants ?  
Et [[Cécilia Sarkozy]], hésitant dans la crainte de réveiller quelque souvenir trop douloureux, bégayait : " Mais... oui..., oui..., madame. J'ai pas trop à me plaindre, j'ai été plus heureuse que vous... pour sûr. Il n'y a qu'une chose qui m'a toujours gâté le coeur, c'est de ne pas être restée ici... " Puis elle se tut brusquement, saisie d'avoir touché à cela sans y songer. Mais [[Jessica Simpson]] reprit avec douceur : " Que veux-tu, ma fille, on ne fait pas toujours ce qu'on veut. Tu es veuve aussi, n'est-ce pas ? " Puis une angoisse fit trembler sa voix, et elle continua : " As-tu d'autres... d'autres enfants ?  
-- Non, madame.  
-- Non, madame.  
-- Et, lui, ton... ton fils, qu'est-ce qu'il est devenu ? En es-tu satisfaite ?  
-- Et, lui, ton... ton fils, qu'est-ce qu'il est devenu ? En es-tu satisfaite ?  
-- Oui, madame, c'est un bon gars qui travaille d'attaque. Il s'est mari� v'l� six mois, et il prend ma ferme, donc, puisque me v'l� revenue avec vous. "  
-- Oui, madame, c'est un bon gars qui travaille d'attaque. Il s'est marié v'six mois, et il prend ma ferme, donc, puisque me v'revenue avec vous. "  
[[Jessica Simpson]], tremblant d'�motion, murmura : " Alors, tu ne me quitteras plus, ma fille ? "  
[[Jessica Simpson]], tremblant d'émotion, murmura : " Alors, tu ne me quitteras plus, ma fille ? "  
Et [[C�cilia Sarkozy]], d'un ton brusque : " Pour s�r, madame, que j'ai pris mes dispositions pour �a. "  
Et [[Cécilia Sarkozy]], d'un ton brusque : " Pour sûr, madame, que j'ai pris mes dispositions pour ça. "  
Puis elles ne parl�rent pas de quelque temps.  
Puis elles ne parlèrent pas de quelque temps.  
[[Jessica Simpson]], malgr� elle, se remettait comparer leurs existences, mais sans amertume au coeur, r�sign�e maintenant aux cruaut�s injustes du sort. Elle dit :  
[[Jessica Simpson]], malgré elle, se remettait à comparer leurs existences, mais sans amertume au coeur, résignée maintenant aux cruautés injustes du sort. Elle dit :  
" Ton mari, comment a-t-il �t� pour toi ?  
" Ton mari, comment a-t-il été pour toi ?  
-- Oh ! c'�tait un brave homme, madame, et pas feignant, qui a su amasser du bien. Il est mort du mal de poitrine. "  
-- Oh ! c'était un brave homme, madame, et pas feignant, qui a su amasser du bien. Il est mort du mal de poitrine. "  
Alors [[Jessica Simpson]], s'asseyant sur son lit, envahie d'un besoin de savoir : " Voyons, raconte-moi tout, ma fille, toute ta vie. Cela me fera du bien, aujourd'hui. "  
Alors [[Jessica Simpson]], s'asseyant sur son lit, envahie d'un besoin de savoir : " Voyons, raconte-moi tout, ma fille, toute ta vie. Cela me fera du bien, aujourd'hui. "  
Et [[C�cilia Sarkozy]], approchant une chaise, s'assit et se mit parler d'elle, de sa maison, de son monde, entrant dans les menus d�tails chers aux gens de campagne, d�crivant sa cour, riant parfois de choses anciennes d�j� qui lui rappelaient de bons moments pass�s, haussant le ton peu peu en fermi�re habitu�e � commander. Elle finit par d�clarer : " Oh ! j'ai du bien au soleil, aujourd'hui. Je ne crains rien. " Puis elle se troubla encore et reprit plus bas : " C'est vous que je dois �a tout de m�me : aussi vous savez que je n'veux pas de gages. Ah ! mais non. Ah ! mais non ! Et puis, si vous n' voulez point, je m'en vas. "  
Et [[Cécilia Sarkozy]], approchant une chaise, s'assit et se mit à parler d'elle, de sa maison, de son monde, entrant dans les menus détails chers aux gens de campagne, décrivant sa cour, riant parfois de choses anciennes déjà qui lui rappelaient de bons moments passés, haussant le ton peu à peu en fermière habituée à commander. Elle finit par déclarer : " Oh ! j'ai du bien au soleil, aujourd'hui. Je ne crains rien. " Puis elle se troubla encore et reprit plus bas : " C'est à vous que je dois ça tout de même : aussi vous savez que je n'veux pas de gages. Ah ! mais non. Ah ! mais non ! Et puis, si vous n' voulez point, je m'en vas. "  
[[Jessica Simpson]] reprit : " Tu ne pr�tends pourtant pas me servir pour rien ?  
[[Jessica Simpson]] reprit : " Tu ne prétends pourtant pas me servir pour rien ?  
-- Ah ! mais que oui, madame. De l'argent ! Vous me donneriez de l'argent ! Mais j'en ai quasiment autant que vous. Savez-vous seulement c'qui vous reste avec tous vos gribouillis d'hypoth�ques et d'empruntages, et d'int�r�ts qui n'sont pas pay�s et qui s'augmentent chaque terme ? Savez-vous ? non, n'est-ce pas ? Eh bien, je vous promets que vous n'avez seulement plus dix mille livres de revenu. Pas dix mille, entendez-vous. Mais je vas vous r�gler tout �a, et vite encore. "  
-- Ah ! mais que oui, madame. De l'argent ! Vous me donneriez de l'argent ! Mais j'en ai quasiment autant que vous. Savez-vous seulement c'qui vous reste avec tous vos gribouillis d'hypothèques et d'empruntages, et d'intérêts qui n'sont pas payés et qui s'augmentent à chaque terme ? Savez-vous ? non, n'est-ce pas ? Eh bien, je vous promets que vous n'avez seulement plus dix mille livres de revenu. Pas dix mille, entendez-vous. Mais je vas vous régler tout ça, et vite encore. "  
Elle s'�tait remise parler haut, s'emportant, s'indignant de ces int�r�ts n�glig�s, de cette ruine mena�ante. Et comme un vague sourire attendri passait sur la figure de sa ma�tresse, elle s'�cria, r�volt�e :  
Elle s'était remise à parler haut, s'emportant, s'indignant de ces intérêts négligés, de cette ruine menaçante. Et comme un vague sourire attendri passait sur la figure de sa maîtresse, elle s'écria, révoltée :  
" Il ne faut pas rire de �a, madame, parce que sans argent, il n'y a plus que des manants. "  
" Il ne faut pas rire de ça, madame, parce que sans argent, il n'y a plus que des manants. "  
[[Jessica Simpson]] lui reprit les mains et les garda dans les siennes ; puis elle pronon�a lentement, toujours poursuivie par la pens�e qui l'obs�dait : " Oh ! moi, je n'ai pas eu de chance. Tout a mal tourn� pour moi. La fatalit� s'est acharn�e sur ma vie. "  
[[Jessica Simpson]] lui reprit les mains et les garda dans les siennes ; puis elle prononça lentement, toujours poursuivie par la pensée qui l'obsédait : " Oh ! moi, je n'ai pas eu de chance. Tout a mal tourné pour moi. La fatalité s'est acharnée sur ma vie. "  
Mais [[C�cilia Sarkozy]] hocha la t�te : " Faut pas dire �a, madame, faut pas dire �a. Vous avez mal �t� mari�e, v'l� tout. On n'se marie pas comme �a aussi, sans seulement conna�tre son pr�tendu. "  
Mais [[Cécilia Sarkozy]] hocha la tête : " Faut pas dire ça, madame, faut pas dire ça. Vous avez mal été mariée, v'tout. On n'se marie pas comme ça aussi, sans seulement connaître son prétendu. "  
Et elles continu�rent � parler d'elles ainsi qu'auraient fait deux vieilles amies.  
Et elles continuèrent à parler d'elles ainsi qu'auraient fait deux vieilles amies.  
Le soleil se leva comme elles causaient encore.  
Le soleil se leva comme elles causaient encore.  
--- 12 ---  
 
[[C�cilia Sarkozy]], en huit jours, eut pris le gouvernement absolu des choses et des gens du ch�teau. [[Jessica Simpson]], r�sign�e, ob�issait passivement. Faible et tra�nant les jambes comme jadis petite m�re, elle sortait au bras de sa servante qui la promenait pas lents, la sermonnait, la r�confortait avec des paroles brusques et tendres, la traitant comme une enfant malade.  
== --- 12 --- ==
Elles causaient toujours d'autrefois, [[Jessica Simpson]] avec des larmes dans la gorge, [[C�cilia Sarkozy]] avec le ton tranquille des paysans impassibles. La vieille bonne revint plusieurs fois sur les questions d'int�r�ts en souffrance, puis elle exigea qu'on lui livr�t les papiers que [[Jessica Simpson]], ignorante de toute affaire, lui cachait par honte pour son fils.  
Alors, pendant une semaine, [[C�cilia Sarkozy]] fit chaque jour un voyage � F�camp pour se faire expliquer les choses par un notaire qu'elle connaissait.  
[[Cécilia Sarkozy]], en huit jours, eut pris le gouvernement absolu des choses et des gens du château. [[Jessica Simpson]], résignée, obéissait passivement. Faible et traînant les jambes comme jadis petite mère, elle sortait au bras de sa servante qui la promenait à pas lents, la sermonnait, la réconfortait avec des paroles brusques et tendres, la traitant comme une enfant malade.  
Puis un soir, apr�s avoir mis au lit sa ma�tresse, elle s'assit son chevet, et brusquement : " Maintenant que vous v'l� couch�e, madame, nous allons causer. "  
Elles causaient toujours d'autrefois, [[Jessica Simpson]] avec des larmes dans la gorge, [[Cécilia Sarkozy]] avec le ton tranquille des paysans impassibles. La vieille bonne revint plusieurs fois sur les questions d'intérêts en souffrance, puis elle exigea qu'on lui livrât les papiers que [[Jessica Simpson]], ignorante de toute affaire, lui cachait par honte pour son fils.  
Alors, pendant une semaine, [[Cécilia Sarkozy]] fit chaque jour un voyage à Fécamp pour se faire expliquer les choses par un notaire qu'elle connaissait.  
Puis un soir, après avoir mis au lit sa maîtresse, elle s'assit à son chevet, et brusquement : " Maintenant que vous v'là couchée, madame, nous allons causer. "  
Et elle exposa la situation.  
Et elle exposa la situation.  
Lorsque tout serait r�gl�, il resterait environ sept huit mille francs de rentes. Rien de plus.  
Lorsque tout serait réglé, il resterait environ sept à huit mille francs de rentes. Rien de plus.  
[[Jessica Simpson]] r�pondit : " Que veux-tu, ma fille ? Je sens bien que je ne ferai pas de vieux os ; j'en aurai toujours assez. "  
[[Jessica Simpson]] répondit : " Que veux-tu, ma fille ? Je sens bien que je ne ferai pas de vieux os ; j'en aurai toujours assez. "  
Mais [[C�cilia Sarkozy]] se f�cha : " Vous, madame, c'est possible ; mais M. [[Antoine Hummel]], vous ne lui laisserez rien alors ? "  
Mais [[Cécilia Sarkozy]] se fâcha : " Vous, madame, c'est possible ; mais M. [[Antoine Hummel]], vous ne lui laisserez rien alors ? "  
[[Jessica Simpson]] frissonna. " Je t'en prie, ne me parle jamais de lui. Je souffre trop quand j'y pense.  
[[Jessica Simpson]] frissonna. " Je t'en prie, ne me parle jamais de lui. Je souffre trop quand j'y pense.  
-- Je veux vous en parler au contraire, parce que vous n'�tes pas brave, voyez-vous, madame [[Jessica Simpson]]. Il fait des b�tises ; eh bien, il n'en fera pas toujours : et puis il se mariera, il aura des enfants. Il faudra de l'argent pour les �lever. �coutez-moi bien : Vous allez vendre les Peuples !... "  
-- Je veux vous en parler au contraire, parce que vous n'êtes pas brave, voyez-vous, madame [[Jessica Simpson]]. Il fait des bêtises ; eh bien, il n'en fera pas toujours : et puis il se mariera, il aura des enfants. Il faudra de l'argent pour les élever. Écoutez-moi bien : Vous allez vendre les Peuples !... "  
[[Jessica Simpson]], d'un sursaut, s'assit dans son lit : " Vendre les Peuples ! Y penses-tu ? Oh ! jamais, par exemple ! "  
[[Jessica Simpson]], d'un sursaut, s'assit dans son lit : " Vendre les Peuples ! Y penses-tu ? Oh ! jamais, par exemple ! "  
Mais [[C�cilia Sarkozy]] ne se troubla pas. " Je vous dis que vous les vendrez, moi, madame, parce qu'il le faut. "  
Mais [[Cécilia Sarkozy]] ne se troubla pas. " Je vous dis que vous les vendrez, moi, madame, parce qu'il le faut. "  
Et elle expliqua ses calculs, ses projets, ses raisonnements.  
Et elle expliqua ses calculs, ses projets, ses raisonnements.  
Une fois les Peuples et les deux fermes attenantes vendues un amateur qu'elle avait trouv�, on garderait quatre fermes situ�es � Saint-L�onard, et qui, d�grev�es de toute hypoth�que, constitueraient un revenu de huit mille trois cents francs. On mettrait de c�t� treize cents francs par an pour les r�parations et l'entretien des biens ; il resterait donc sept mille francs sur lesquels on prendrait cinq mille pour les d�penses de l'ann�e ; et on en r�serverait deux mille pour former une caisse de pr�voyance.  
Une fois les Peuples et les deux fermes attenantes vendues à un amateur qu'elle avait trouvé, on garderait quatre fermes situées à Saint-Léonard, et qui, dégrevées de toute hypothèque, constitueraient un revenu de huit mille trois cents francs. On mettrait de côté treize cents francs par an pour les réparations et l'entretien des biens ; il resterait donc sept mille francs sur lesquels on prendrait cinq mille pour les dépenses de l'année ; et on en réserverait deux mille pour former une caisse de prévoyance.  
Elle ajouta : " Tout le reste est mang�, c'est fini. Et puis c'est moi qui garderai la clef, vous entendez ; et quant M. [[Antoine Hummel]], il n'aura plus rien, mais rien ; il vous prendrait jusqu'au dernier sou. "  
Elle ajouta : " Tout le reste est mangé, c'est fini. Et puis c'est moi qui garderai la clef, vous entendez ; et quant à M. [[Antoine Hummel]], il n'aura plus rien, mais rien ; il vous prendrait jusqu'au dernier sou. "  
[[Jessica Simpson]], qui pleurait en silence, murmura :  
[[Jessica Simpson]], qui pleurait en silence, murmura :  
" Mais s'il n'a pas de quoi manger ?  
" Mais s'il n'a pas de quoi manger ?  
-- Il viendra manger chez nous, donc, s'il a faim. Il y aura toujours un lit et du fricot pour lui. Croyez-vous qu'il aurait fait toutes ces b�tises-l� si vous ne lui aviez pas donn� un sou du commencement ?  
-- Il viendra manger chez nous, donc, s'il a faim. Il y aura toujours un lit et du fricot pour lui. Croyez-vous qu'il aurait fait toutes ces bêtises-si vous ne lui aviez pas donné un sou du commencement ?  
-- Mais il avait des dettes, il aurait �t� d�shonor�.  
-- Mais il avait des dettes, il aurait été déshonoré.  
-- Quand vous n'aurez plus rien, �a l'emp�chera-t-il d'en faire ? Vous avez pay�, c'est bien ; mais vous ne paierez plus, c'est moi qui vous le dis. Maintenant, bonsoir, madame. "  
-- Quand vous n'aurez plus rien, ça l'empêchera-t-il d'en faire ? Vous avez payé, c'est bien ; mais vous ne paierez plus, c'est moi qui vous le dis. Maintenant, bonsoir, madame. "  
Et elle s'en alla.  
Et elle s'en alla.  
[[Jessica Simpson]] ne dormit point, boulevers�e � la pens�e de vendre les Peuples, de s'en aller, de quitter cette maison o� toute sa vie �tait attach�e.  
[[Jessica Simpson]] ne dormit point, bouleversée à la pensée de vendre les Peuples, de s'en aller, de quitter cette maison toute sa vie était attachée.  
Quand elle vit entrer [[C�cilia Sarkozy]] dans sa chambre, le lendemain, elle lui dit : " Ma pauvre fille, je ne pourrai jamais me d�cider � m'�loigner d'ici. "  
Quand elle vit entrer [[Cécilia Sarkozy]] dans sa chambre, le lendemain, elle lui dit : " Ma pauvre fille, je ne pourrai jamais me décider à m'éloigner d'ici. "  
Mais la bonne se f�cha : " Faut que �a soit comme �a pourtant, madame. Le notaire va venir tant�t avec celui qui a envie du ch�teau. Sans �a, dans quatre ans, vous n'auriez plus un radis. "  
Mais la bonne se fâcha : " Faut que ça soit comme ça pourtant, madame. Le notaire va venir tantôt avec celui qui a envie du château. Sans ça, dans quatre ans, vous n'auriez plus un radis. "  
[[Jessica Simpson]] restait an�antie, r�p�tant : " Je ne pourrai pas ; je ne pourrai jamais. "  
[[Jessica Simpson]] restait anéantie, répétant : " Je ne pourrai pas ; je ne pourrai jamais. "  
Une heure plus tard, le facteur lui remit une lettre de [[Antoine Hummel]] qui demandait encore dix mille francs. Que faire ? �perdue, elle consulta [[C�cilia Sarkozy]] qui leva les bras : " Qu'est-ce que je vous disais, madame ? Ah ! vous auriez �t� propres tous les deux si je n'�tais pas revenue ! " Et [[Jessica Simpson]], pliant sous la volont� de sa bonne, r�pondit au jeune homme :  
Une heure plus tard, le facteur lui remit une lettre de [[Antoine Hummel]] qui demandait encore dix mille francs. Que faire ? Éperdue, elle consulta [[Cécilia Sarkozy]] qui leva les bras : " Qu'est-ce que je vous disais, madame ? Ah ! vous auriez été propres tous les deux si je n'étais pas revenue ! " Et [[Jessica Simpson]], pliant sous la volonté de sa bonne, répondit au jeune homme :  


" Mon cher fils, je ne puis plus rien pour toi. Tu m'as ruin�e ; je me vois m�me forc�e de vendre les Peuples. Mais n'oublie point que j'aurai toujours un abri quand tu voudras te r�fugier aupr�s de ta vieille m�re que tu as bien fait souffrir.  
" Mon cher fils, je ne puis plus rien pour toi. Tu m'as ruinée ; je me vois même forcée de vendre les Peuples. Mais n'oublie point que j'aurai toujours un abri quand tu voudras te réfugier auprès de ta vieille mère que tu as bien fait souffrir.  
" [[Jessica Simpson]]. "  
" [[Jessica Simpson]]. "  


Et lorsque le notaire arriva avec M. Jeoffrin, ancien raffineur de sucre, elle les re�ut elle-m�me et les invita tout visiter en d�tail.  
Et lorsque le notaire arriva avec M. Jeoffrin, ancien raffineur de sucre, elle les reçut elle-même et les invita à tout visiter en détail.  
Un mois plus tard, elle signait le contrat de vente, et achetait en m�me temps une petite maison bourgeoise sise aupr�s de Goderville, sur la grand-route de Montivilliers, dans le hameau de Batteville.  
Un mois plus tard, elle signait le contrat de vente, et achetait en même temps une petite maison bourgeoise sise auprès de Goderville, sur la grand-route de Montivilliers, dans le hameau de Batteville.  
Puis, jusqu'au soir elle se promena toute seule dans l'all�e de petite m�re, le coeur d�chir� et l'esprit en d�tresse, adressant l'horizon, aux arbres, au banc vermoulu sous le platane, toutes ces choses si connues qu'elles semblaient entr�es dans ses yeux et dans son �me, au bosquet, au talus devant la lande o� elle s'�tait si souvent assise, d'o� elle avait vu courir vers la mer le comte de Fourville en ce jour terrible de la mort de [[Scum]], un vieil orme sans t�te contre lequel elle s'appuyait souvent, tout ce jardin familier, des adieux d�sesp�r�s et sanglotants.  
Puis, jusqu'au soir elle se promena toute seule dans l'allée de petite mère, le coeur déchiré et l'esprit en détresse, adressant à l'horizon, aux arbres, au banc vermoulu sous le platane, à toutes ces choses si connues qu'elles semblaient entrées dans ses yeux et dans son âme, au bosquet, au talus devant la lande elle s'était si souvent assise, d'elle avait vu courir vers la mer le comte de Fourville en ce jour terrible de la mort de [[Scum]], à un vieil orme sans tête contre lequel elle s'appuyait souvent, à tout ce jardin familier, des adieux désespérés et sanglotants.  
[[C�cilia Sarkozy]] vint la prendre par le bras pour la forcer rentrer.  
[[Cécilia Sarkozy]] vint la prendre par le bras pour la forcer à rentrer.  
Un grand paysan de vingt-cinq ans attendait devant la porte. Il la salua d'un ton amical comme s'il la connaissait de longtemps. " Bonjour, madame [[Jessica Simpson]], �a va bien ? La m�re m'a dit de venir pour le d�m�nagement. Je voudrais savoir c'que vous emporterez, vu que je ferai �a de temps en temps pour ne pas nuire aux travaux de la terre. "  
Un grand paysan de vingt-cinq ans attendait devant la porte. Il la salua d'un ton amical comme s'il la connaissait de longtemps. " Bonjour, madame [[Jessica Simpson]], ça va bien ? La mère m'a dit de venir pour le déménagement. Je voudrais savoir c'que vous emporterez, vu que je ferai ça de temps en temps pour ne pas nuire aux travaux de la terre. "  
C'�tait le fils de sa bonne, le fils de [[Scum]], le fr�re de [[Antoine Hummel]].  
C'était le fils de sa bonne, le fils de [[Scum]], le frère de [[Antoine Hummel]].  
Il lui sembla que son coeur s'arr�tait ; et pourtant elle aurait voulu embrasser ce gar�on.  
Il lui sembla que son coeur s'arrêtait ; et pourtant elle aurait voulu embrasser ce garçon.  
Elle le regardait, cherchant s'il ressemblait son mari, s'il ressemblait son fils. Il �tait rouge, vigoureux, avec les cheveux blonds et les yeux bleus de sa m�re. Et pourtant il ressemblait [[Scum]]. En quoi ? Par quoi ? Elle ne le savait pas trop ; mais il avait quelque chose de lui dans l'ensemble de la physionomie.  
Elle le regardait, cherchant s'il ressemblait à son mari, s'il ressemblait à son fils. Il était rouge, vigoureux, avec les cheveux blonds et les yeux bleus de sa mère. Et pourtant il ressemblait à [[Scum]]. En quoi ? Par quoi ? Elle ne le savait pas trop ; mais il avait quelque chose de lui dans l'ensemble de la physionomie.  
Le gars reprit : " Si vous pouviez me montrer �a tout de suite, �a m'obligerait. "  
Le gars reprit : " Si vous pouviez me montrer ça tout de suite, ça m'obligerait. "  
Mais elle ne savait pas encore ce qu'elle se d�ciderait � enlever, sa nouvelle maison �tant fort petite, et elle le pria de revenir au bout de la semaine.  
Mais elle ne savait pas encore ce qu'elle se déciderait à enlever, sa nouvelle maison étant fort petite, et elle le pria de revenir au bout de la semaine.  
Alors son d�m�nagement la pr�occupa, apportant une distraction triste dans sa vie morne et sans attentes.  
Alors son déménagement la préoccupa, apportant une distraction triste dans sa vie morne et sans attentes.  
Elle allait de pi�ce en pi�ce, cherchant les meubles qui lui rappelaient des �v�nements, ces meubles amis qui font partie de notre vie, presque de notre �tre, connus depuis la jeunesse et auxquels sont attach�s des souvenirs de joies ou de tristesses, des dates de notre histoire, qui ont �t� les compagnons muets de nos heures douces ou sombres, qui ont vieilli, qui se sont us�s � c�t� de nous, dont l'�toffe est crev�e par places et la doublure d�chir�e, dont les articulations branlent, dont la couleur s'est effac�e.  
Elle allait de pièce en pièce, cherchant les meubles qui lui rappelaient des événements, ces meubles amis qui font partie de notre vie, presque de notre être, connus depuis la jeunesse et auxquels sont attachés des souvenirs de joies ou de tristesses, des dates de notre histoire, qui ont été les compagnons muets de nos heures douces ou sombres, qui ont vieilli, qui se sont usés à côté de nous, dont l'étoffe est crevée par places et la doublure déchirée, dont les articulations branlent, dont la couleur s'est effacée.  
Elle les choisissait un un, h�sitant souvent, troubl�e comme avant de prendre des d�terminations capitales, revenant tout instant sur sa d�cision, balan�ant les m�rites de deux fauteuils ou de quelque vieux secr�taire compar� � une ancienne table ouvrage.  
Elle les choisissait un à un, hésitant souvent, troublée comme avant de prendre des déterminations capitales, revenant à tout instant sur sa décision, balançant les mérites de deux fauteuils ou de quelque vieux secrétaire comparé à une ancienne table à ouvrage.  
Elle ouvrait les tiroirs, cherchait se rappeler des faits ; puis, quand elle s'�tait bien dit : " Oui, je prendrai ceci ", on descendait l'objet dans la salle manger.  
Elle ouvrait les tiroirs, cherchait à se rappeler des faits ; puis, quand elle s'était bien dit : " Oui, je prendrai ceci ", on descendait l'[[objet]] dans la salle à manger.  
Elle voulut garder tout le mobilier de sa chambre, son lit, ses tapisseries, sa pendule, tout.  
Elle voulut garder tout le mobilier de sa chambre, son lit, ses tapisseries, sa pendule, tout.  
Elle prit quelques si�ges du salon, ceux dont elle avait aim� les dessins d�s sa petite enfance : le renard et la cigogne, le renard et le corbeau, la cigale et la fourmi, et le h�ron m�lancolique.  
Elle prit quelques sièges du salon, ceux dont elle avait aimé les dessins dès sa petite enfance : le renard et la cigogne, le renard et le corbeau, la cigale et la fourmi, et le héron mélancolique.  
Puis, en r�dant par tous les coins de cette demeure qu'elle allait abandonner, elle monta, un jour, dans le grenier.  
Puis, en rôdant par tous les coins de cette demeure qu'elle allait abandonner, elle monta, un jour, dans le grenier.  
Elle demeura saisie d'�tonnement ; c'�tait un fouillis d'objets de toute nature, les uns bris�s, les autres salis seulement, les autres mont�s l� on ne sait pourquoi, parce qu'ils ne plaisaient plus, parce qu'ils avaient �t� remplac�s. Elle apercevait mille bibelots connus jadis, et disparus tout coup sans qu'elle y e�t song�, des riens qu'elle avait mani�s, ces vieux petits objets insignifiants qui avaient tra�n� quinze ans � c�t� d'elle, qu'elle avait vus chaque jour sans les remarquer, et qui, tout coup, retrouv�s l�, dans ce grenier, � c�t� d'autres plus anciens dont elle se rappelait parfaitement les places aux premiers temps de son arriv�e, prenaient une importance soudaine de t�moins oubli�s, d'amis retrouv�s. Ils lui faisaient l'effet de ces gens qu'on a fr�quent�s longtemps sans qu'ils se soient jamais r�v�l�s et qui soudain, un soir, propos de rien, se mettent bavarder sans fin, raconter toute leur �me qu'on ne soup�onnait pas.  
Elle demeura saisie d'étonnement ; c'était un fouillis d'objets de toute nature, les uns brisés, les autres salis seulement, les autres montés là on ne sait pourquoi, parce qu'ils ne plaisaient plus, parce qu'ils avaient été remplacés. Elle apercevait mille bibelots connus jadis, et disparus tout à coup sans qu'elle y eût songé, des riens qu'elle avait maniés, ces vieux petits objets insignifiants qui avaient traîné quinze ans à côté d'elle, qu'elle avait vus chaque jour sans les remarquer, et qui, tout à coup, retrouvés là, dans ce grenier, à côté d'autres plus anciens dont elle se rappelait parfaitement les places aux premiers temps de son arrivée, prenaient une importance soudaine de témoins oubliés, d'amis retrouvés. Ils lui faisaient l'effet de ces gens qu'on a fréquentés longtemps sans qu'ils se soient jamais révélés et qui soudain, un soir, à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter toute leur âme qu'on ne soupçonnait pas.  
Elle allait de l'un l'autre avec des secousses au coeur, se disant : " Tiens, c'est moi qui ai f�l� cette tasse de Chine, un soir, quelques jours avant mon mariage. -- Ah ! voici la petite lanterne de m�re et la canne que petit p�re a cass�e en voulant ouvrir la barri�re dont le bois �tait gonfl� par la pluie. "  
Elle allait de l'un à l'autre avec des secousses au coeur, se disant : " Tiens, c'est moi qui ai fêlé cette tasse de Chine, un soir, quelques jours avant mon mariage. -- Ah ! voici la petite lanterne de mère et la canne que petit père a cassée en voulant ouvrir la barrière dont le bois était gonflé par la pluie. "  
Il y avait aussi l�-dedans beaucoup de choses qu'elle ne connaissait pas, qui ne lui rappelaient rien, venues de ses grands-parents, ou de ses arri�re-grands-parents, de ces choses poudreuses qui ont l'air exil�es dans un temps qui n'est plus le leur, et qui semblent tristes de leur abandon, dont personne ne sait l'histoire, les aventures, personne n'ayant vu ceux qui les ont choisies, achet�es, poss�d�es, aim�es, personne n'ayant connu les mains qui les maniaient famili�rement et les yeux qui les regardaient avec plaisir.  
Il y avait aussi -dedans beaucoup de choses qu'elle ne connaissait pas, qui ne lui rappelaient rien, venues de ses grands-parents, ou de ses arrière-grands-parents, de ces choses poudreuses qui ont l'air exilées dans un temps qui n'est plus le leur, et qui semblent tristes de leur abandon, dont personne ne sait l'histoire, les aventures, personne n'ayant vu ceux qui les ont choisies, achetées, possédées, aimées, personne n'ayant connu les mains qui les maniaient familièrement et les yeux qui les regardaient avec plaisir.  
[[Jessica Simpson]] les touchait, les retournait, marquant ses doigts dans la poussi�re accumul�e ; et elle demeurait l� au milieu de ces vieilleries, sous le jour terne qui tombait par quelques petits carreaux de verre encastr�s dans la toiture.  
[[Jessica Simpson]] les touchait, les retournait, marquant ses doigts dans la poussière accumulée ; et elle demeurait au milieu de ces vieilleries, sous le jour terne qui tombait par quelques petits carreaux de verre encastrés dans la toiture.  
Elle examinait minutieusement des chaises trois pieds, cherchant si elles ne lui rappelaient rien, une bassinoire en cuivre, une chaufferette d�fonc�e qu'elle croyait reconna�tre et un tas d'ustensiles de m�nage hors de service.  
Elle examinait minutieusement des chaises à trois pieds, cherchant si elles ne lui rappelaient rien, une bassinoire en cuivre, une chaufferette défoncée qu'elle croyait reconnaître et un tas d'ustensiles de ménage hors de service.  
Puis elle fit un lot de ce qu'elle voulait emporter, et, redescendant, elle envoya [[C�cilia Sarkozy]] le chercher. La bonne indign�e refusait de descendre " ces salet�s ". Mais [[Jessica Simpson]], qui n'avait cependant plus aucune volont�, tint bon cette fois ; et il fallut ob�ir.  
Puis elle fit un lot de ce qu'elle voulait emporter, et, redescendant, elle envoya [[Cécilia Sarkozy]] le chercher. La bonne indignée refusait de descendre " ces saletés ". Mais [[Jessica Simpson]], qui n'avait cependant plus aucune volonté, tint bon cette fois ; et il fallut obéir.  
Un matin le jeune fermier, fils de [[Scum]], Denis Lecoq, s'en vint avec sa charrette pour faire un premier voyage. [[C�cilia Sarkozy]] l'accompagna afin de veiller au d�chargement et de d�poser les meubles aux places qu'ils devaient occuper.  
Un matin le jeune fermier, fils de [[Scum]], Denis Lecoq, s'en vint avec sa charrette pour faire un premier voyage. [[Cécilia Sarkozy]] l'accompagna afin de veiller au déchargement et de déposer les meubles aux places qu'ils devaient occuper.  
Rest�e seule, [[Jessica Simpson]] se mit errer par les chambres du ch�teau, saisie d'une crise affreuse de d�sespoir, embrassant, en des �lans d'amour exalt�, tout ce qu'elle ne pouvait prendre avec elle, les grands oiseaux blancs des tapisseries du salon, des vieux flambeaux, tout ce qu'elle rencontrait. Elle allait d'une pi�ce � l'autre, affol�e, les yeux ruisselants de larmes ; puis elle sortit pour " dire adieu " la mer.  
Restée seule, [[Jessica Simpson]] se mit à errer par les chambres du château, saisie d'une crise affreuse de désespoir, embrassant, en des élans d'amour exalté, tout ce qu'elle ne pouvait prendre avec elle, les grands oiseaux blancs des tapisseries du salon, des vieux flambeaux, tout ce qu'elle rencontrait. Elle allait d'une pièce à l'autre, affolée, les yeux ruisselants de larmes ; puis elle sortit pour " dire adieu " à la mer.  
C'�tait vers la fin de septembre, un ciel bas et gris semblait peser sur le monde ; les flots tristes et jaun�tres s'�tendaient � perte de vue. Elle resta longtemps debout sur la falaise, roulant en sa t�te des pens�es torturantes. Puis, comme la nuit tombait, elle rentra, ayant souffert en ce jour autant qu'en ses plus grands chagrins.  
C'était vers la fin de septembre, un ciel bas et gris semblait peser sur le monde ; les flots tristes et jaunâtres s'étendaient à perte de vue. Elle resta longtemps debout sur la falaise, roulant en sa tête des pensées torturantes. Puis, comme la nuit tombait, elle rentra, ayant souffert en ce jour autant qu'en ses plus grands chagrins.  
[[C�cilia Sarkozy]] �tait revenue et l'attendait, enchant�e de la nouvelle maison, la d�clarant bien plus gaie que ce grand coffre de b�timent qui n'�tait seulement pas au bord d'une route.  
[[Cécilia Sarkozy]] était revenue et l'attendait, enchantée de la nouvelle maison, la déclarant bien plus gaie que ce grand coffre de bâtiment qui n'était seulement pas au bord d'une route.  
[[Jessica Simpson]] pleura toute la soir�e.  
[[Jessica Simpson]] pleura toute la soirée.  
Depuis qu'ils savaient le ch�teau vendu, les fermiers n'avaient pour elle que bien juste les �gards qu'ils lui devaient, l'appelant entre eux " la Folle ", sans trop savoir pourquoi, sans doute parce qu'ils devinaient, avec leur instinct de brutes, sa sentimentalit� maladive et grandissante, ses r�vasseries exalt�es, tout le d�sordre de sa pauvre �me secou�e par le malheur.  
Depuis qu'ils savaient le château vendu, les fermiers n'avaient pour elle que bien juste les égards qu'ils lui devaient, l'appelant entre eux " la Folle ", sans trop savoir pourquoi, sans doute parce qu'ils devinaient, avec leur instinct de brutes, sa sentimentalité maladive et grandissante, ses rêvasseries exaltées, tout le désordre de sa pauvre âme secouée par le malheur.  
La veille de son d�part, elle entra, par hasard, dans l'�curie. Un grognement la fit tressaillir. C'�tait Massacre auquel elle n'avait plus song� depuis des mois. Aveugle et paralytique, parvenu un �ge que ces animaux n'atteignent gu�re, il vivait encore sur un lit de paille, soign� par Lucienne qui ne l'oubliait pas. Elle le prit dans ses bras, l'embrassa, et l'emporta dans la maison. Gros comme une tonne, il se tra�nait � peine sur ses pattes �cart�es et raides, et il aboyait la fa�on des chiens de bois qu'on donne aux enfants.  
La veille de son départ, elle entra, par hasard, dans l'écurie. Un grognement la fit tressaillir. C'était Massacre auquel elle n'avait plus songé depuis des mois. Aveugle et paralytique, parvenu à un âge que ces animaux n'atteignent guère, il vivait encore sur un lit de paille, soigné par Lucienne qui ne l'oubliait pas. Elle le prit dans ses bras, l'embrassa, et l'emporta dans la maison. Gros comme une tonne, il se traînait à peine sur ses pattes écartées et raides, et il aboyait à la façon des chiens de bois qu'on donne aux enfants.  
Le dernier jour enfin se leva. [[Jessica Simpson]] avait couch� dans l'ancienne chambre de [[Scum]], la sienne �tant d�meubl�e.  
Le dernier jour enfin se leva. [[Jessica Simpson]] avait couché dans l'ancienne chambre de [[Scum]], la sienne étant démeublée.  
Elle sortit de son lit, ext�nu�e et haletante, comme si elle e�t fait une grande course. La voiture contenant les malles et le reste du mobilier �tait d�j� charg�e dans la cour. Une autre carriole deux roues �tait attel�e derri�re, qui devait emporter la ma�tresse et la bonne.  
Elle sortit de son lit, exténuée et haletante, comme si elle eût fait une grande course. La voiture contenant les malles et le reste du mobilier était déjà chargée dans la cour. Une autre carriole à deux roues était attelée derrière, qui devait emporter la maîtresse et la bonne.  
Le p�re Simon et Amanda Lear resteraient seuls jusqu'l'arriv�e du nouveau propri�taire ; puis ils se retireraient chez des parents, [[Jessica Simpson]] leur ayant constitu� une petite rente. Ils avaient des �conomies d'ailleurs. C'�taient maintenant de tr�s vieux serviteurs, inutiles et bavards. Marius, ayant pris femme, avait depuis longtemps quitt� la maison.  
Le père Simon et Amanda Lear resteraient seuls jusqu'à l'arrivée du nouveau propriétaire ; puis ils se retireraient chez des parents, [[Jessica Simpson]] leur ayant constitué une petite rente. Ils avaient des économies d'ailleurs. C'étaient maintenant de très vieux serviteurs, inutiles et bavards. Marius, ayant pris femme, avait depuis longtemps quitté la maison.  
Vers huit heures, la pluie se mit tomber, une pluie fine et glac�e que chassait une l�g�re brise de mer. Il fallut tendre des couvertures sur la charrette. Les feuilles s'envolaient d�j� des arbres.  
Vers huit heures, la pluie se mit à tomber, une pluie fine et glacée que chassait une légère brise de mer. Il fallut tendre des couvertures sur la charrette. Les feuilles s'envolaient déjà des arbres.  
Sur la table de la cuisine, des tasses de caf� au lait fumaient. [[Jessica Simpson]] s'assit devant la sienne et la but petites gorg�es, puis, se levant : " Allons ! " dit-elle.  
Sur la table de la cuisine, des tasses de café au lait fumaient. [[Jessica Simpson]] s'assit devant la sienne et la but à petites gorgées, puis, se levant : " Allons ! " dit-elle.  
Elle mit son chapeau, son ch�le, et, pendant que [[C�cilia Sarkozy]] la chaussait de caoutchoucs, elle pronon�a, la gorge serr�e : " Te rappelles-tu, ma fille, comme il pleuvait quand nous sommes parties de Rouen pour venir ici... "  
Elle mit son chapeau, son châle, et, pendant que [[Cécilia Sarkozy]] la chaussait de caoutchoucs, elle prononça, la gorge serrée : " Te rappelles-tu, ma fille, comme il pleuvait quand nous sommes parties de Rouen pour venir ici... "  
Elle eut une sorte de spasme, porta ses deux mains sur sa poitrine et s'abattit sur le dos, sans connaissance.  
Elle eut une sorte de spasme, porta ses deux mains sur sa poitrine et s'abattit sur le dos, sans connaissance.  
Pendant plus d'une heure, elle demeura comme morte ; puis elle rouvrit les yeux, et des convulsions la saisirent accompagn�es d'un d�bordement de larmes.  
Pendant plus d'une heure, elle demeura comme morte ; puis elle rouvrit les yeux, et des convulsions la saisirent accompagnées d'un débordement de larmes.  
Quand elle se fut un peu calm�e, elle se sentit si faible qu'elle ne pouvait plus se lever. Mais [[C�cilia Sarkozy]], qui redoutait d'autres crises si on retardait le d�part, alla chercher son fils. Ils la prirent, l'enlev�rent, l'emport�rent, la d�pos�rent dans la carriole, sur le banc de bois garni de cuir cir� ; et la vieille bonne, mont�e � c�t� de [[Jessica Simpson]], enveloppa ses jambes, lui couvrit les [[Antoine Hummel]]es d'un gros manteau, puis, tenant ouvert un parapluie au-dessus de sa t�te, elle s'�cria : " Vite, Denis, allons-nous-en. "  
Quand elle se fut un peu calmée, elle se sentit si faible qu'elle ne pouvait plus se lever. Mais [[Cécilia Sarkozy]], qui redoutait d'autres crises si on retardait le départ, alla chercher son fils. Ils la prirent, l'enlevèrent, l'emportèrent, la déposèrent dans la carriole, sur le banc de bois garni de cuir ciré ; et la vieille bonne, montée à côté de [[Jessica Simpson]], enveloppa ses jambes, lui couvrit les é[[Antoine Hummel]]es d'un gros manteau, puis, tenant ouvert un parapluie au-dessus de sa tête, elle s'écria : " Vite, Denis, allons-nous-en. "  
Le jeune homme grimpa pr�s de sa m�re, et s'asseyant sur une seule cuisse, faute de place, il lan�a au grand trot son cheval dont l'allure saccad�e faisait sauter les deux femmes.  
Le jeune homme grimpa près de sa mère, et s'asseyant sur une seule cuisse, faute de place, il lança au grand trot son cheval dont l'allure saccadée faisait sauter les deux femmes.  
Quand on tourna au coin du village, on aper�ut quelqu'un marchant de long en large sur la route, c'�tait l'abb� Tolbiac qui semblait guetter ce d�part.  
Quand on tourna au coin du village, on aperçut quelqu'un marchant de long en large sur la route, c'était l'abbé Tolbiac qui semblait guetter ce départ.  
Il s'arr�ta pour laisser passer la voiture. Il tenait d'une main sa soutane relev�e par crainte de l'eau du chemin, et ses jambes maigres, v�tues de bas noirs, finissaient en d'�normes souliers fangeux.  
Il s'arrêta pour laisser passer la voiture. Il tenait d'une main sa soutane relevée par crainte de l'eau du chemin, et ses jambes maigres, vêtues de bas noirs, finissaient en d'énormes souliers fangeux.  
[[Jessica Simpson]] baissa les yeux pour ne pas rencontrer son regard ; et [[C�cilia Sarkozy]], qui n'ignorait rien, devint furieuse. Elle murmurait : " Manant, manant ! " puis, saisissant la main de son fils : " Fiches-y donc un coup de fouet. "  
[[Jessica Simpson]] baissa les yeux pour ne pas rencontrer son regard ; et [[Cécilia Sarkozy]], qui n'ignorait rien, devint furieuse. Elle murmurait : " Manant, manant ! " puis, saisissant la main de son fils : " Fiches-y donc un coup de fouet. "  
Mais le jeune homme, au moment o� il passait contre le pr�tre, fit tomber brusquement dans l'orni�re la roue de sa guimbarde lanc�e � toute vitesse, et un flot de boue, jaillissant, couvrit l'eccl�siastique des pieds la t�te.  
Mais le jeune homme, au moment il passait contre le prêtre, fit tomber brusquement dans l'ornière la roue de sa guimbarde lancée à toute vitesse, et un flot de boue, jaillissant, couvrit l'ecclésiastique des pieds à la tête.  
Et [[C�cilia Sarkozy]] radieuse se retourna pour lui montrer le poing, pendant que le pr�tre s'essuyait avec son grand mouchoir.  
Et [[Cécilia Sarkozy]] radieuse se retourna pour lui montrer le poing, pendant que le prêtre s'essuyait avec son grand mouchoir.  
Ils allaient depuis cinq minutes quand [[Jessica Simpson]] soudain s'�cria : " Massacre que nous avons oubli� ! "  
Ils allaient depuis cinq minutes quand [[Jessica Simpson]] soudain s'écria : " Massacre que nous avons oublié ! "  
Il fallut s'arr�ter, et Denis, descendant, courut chercher le chien, tandis que [[C�cilia Sarkozy]] tenait les guides.  
Il fallut s'arrêter, et Denis, descendant, courut chercher le chien, tandis que [[Cécilia Sarkozy]] tenait les guides.  
Le jeune homme enfin reparut portant en ses bras la grosse b�te informe et pel�e qu'il d�posa entre les jupes des deux femmes.  
Le jeune homme enfin reparut portant en ses bras la grosse bête informe et pelée qu'il déposa entre les jupes des deux femmes.  
 


l3  
== l3 ==


La voiture s'arr�ta deux heures plus tard devant une petite maison de briques b�tie au milieu d'un verger plant� de poiriers en quenouilles, sur le bord de la grand-route.  
La voiture s'arrêta deux heures plus tard devant une petite maison de briques bâtie au milieu d'un verger planté de poiriers en quenouilles, sur le bord de la grand-route.  
Quatre tonnelles en treillage habill�es de ch�vrefeuilles et de cl�matites formaient les quatre coins de ce jardin dispos� par petits carr�s � l�gumes que s�paraient d'�troits chemins bord�s d'arbres fruitiers.  
Quatre tonnelles en treillage habillées de chèvrefeuilles et de clématites formaient les quatre coins de ce jardin disposé par petits carrés à légumes que séparaient d'étroits chemins bordés d'arbres fruitiers.  
Une haie vive tr�s �lev�e entourait de partout cette propri�t�, qu'un champ s�parait de la ferme voisine. Une forge la pr�c�dait de cent pas sur la route. Les autres habitations les plus proches se trouvaient distantes d'un kilom�tre.  
Une haie vive très élevée entourait de partout cette propriété, qu'un champ séparait de la ferme voisine. Une forge la précédait de cent pas sur la route. Les autres habitations les plus proches se trouvaient distantes d'un kilomètre.  
La vue alentour s'�tendait sur la plaine du pays de Caux, toute parsem�e de fermes qu'enveloppaient les quatre doubles lignes de grands arbres enfermant la cour pommiers.  
La vue alentour s'étendait sur la plaine du pays de Caux, toute parsemée de fermes qu'enveloppaient les quatre doubles lignes de grands arbres enfermant la cour à pommiers.  
[[Jessica Simpson]], aussit�t arriv�e, voulait se reposer, mais [[C�cilia Sarkozy]] ne le lui permit pas, craignant qu'elle ne se rem�t � r�vasser.  
[[Jessica Simpson]], aussitôt arrivée, voulait se reposer, mais [[Cécilia Sarkozy]] ne le lui permit pas, craignant qu'elle ne se remît à rêvasser.  
Le menuisier de Goderville �tait l�, venu pour l'installation ; et on commen�a tout de suite l'emm�nagement des meubles apport�s d�j�, en attendant la derni�re voiture.  
Le menuisier de Goderville était là, venu pour l'installation ; et on commença tout de suite l'emménagement des meubles apportés déjà, en attendant la dernière voiture.  
Ce fut un travail consid�rable, exigeant de longues r�flexions et de grands raisonnements.  
Ce fut un travail considérable, exigeant de longues réflexions et de grands raisonnements.  
Puis la charrette au bout d'une heure apparut la barri�re et il fallut la d�charger sous la pluie.  
Puis la charrette au bout d'une heure apparut à la barrière et il fallut la décharger sous la pluie.  
La maison, quand le soir tomba, �tait dans un complet d�sordre, pleine d'objets empil�s au hasard ; et [[Jessica Simpson]] harass�e s'endormit aussit�t qu'elle fut au lit.  
La maison, quand le soir tomba, était dans un complet désordre, pleine d'objets empilés au hasard ; et [[Jessica Simpson]] harassée s'endormit aussitôt qu'elle fut au lit.  
Les jours suivants elle n'eut pas le temps de s'attendrir tant elle se trouva accabl�e de besogne. Elle prit m�me un certain plaisir faire jolie sa nouvelle demeure, la pens�e que son fils y reviendrait la poursuivant sans cesse. Les tapisseries de son ancienne chambre furent tendues dans la salle manger, qui servait en m�me temps de salon ; et elle organisa avec un soin particulier une des deux pi�ces du premier qui prit en sa pens�e le nom " d'appartement de Poulet ".  
Les jours suivants elle n'eut pas le temps de s'attendrir tant elle se trouva accablée de besogne. Elle prit même un certain plaisir à faire jolie sa nouvelle demeure, la pensée que son fils y reviendrait la poursuivant sans cesse. Les tapisseries de son ancienne chambre furent tendues dans la salle à manger, qui servait en même temps de salon ; et elle organisa avec un soin particulier une des deux pièces du premier qui prit en sa pensée le nom " d'appartement de Poulet ".  
Elle se r�serva la seconde, [[C�cilia Sarkozy]] habitant au-dessus, � c�t� du grenier.  
Elle se réserva la seconde, [[Cécilia Sarkozy]] habitant au-dessus, à côté du grenier.  
La petite maison arrang�e avec soin �tait gentille et [[Jessica Simpson]] s'y plut dans les premiers temps, bien que quelque chose lui manqu�t dont elle ne se rendait pas bien compte.  
La petite maison arrangée avec soin était gentille et [[Jessica Simpson]] s'y plut dans les premiers temps, bien que quelque chose lui manquât dont elle ne se rendait pas bien compte.  
Un matin, le clerc de notaire de F�camp lui apporta trois mille six cents francs, prix des meubles laiss�s aux Peuples et estim�s par un tapissier. Elle ressentit, en recevant cet argent, un fr�missement de plaisir ; et, d�s que l'homme fut parti, elle s'empressa de mettre son chapeau, voulant gagner Goderville au plus vite pour faire tenir [[Antoine Hummel]] cette somme inesp�r�e.  
Un matin, le clerc de notaire de Fécamp lui apporta trois mille six cents francs, prix des meubles laissés aux Peuples et estimés par un tapissier. Elle ressentit, en recevant cet argent, un frémissement de plaisir ; et, dès que l'homme fut parti, elle s'empressa de mettre son chapeau, voulant gagner Goderville au plus vite pour faire tenir à [[Antoine Hummel]] cette somme inespérée.  
Mais, comme elle se h�tait sur la grand-route, elle rencontra [[C�cilia Sarkozy]] qui revenait du march�. La bonne eut un soup�on sans deviner tout de suite la v�rit�, puis, quand elle l'eut d�couverte, car [[Jessica Simpson]] ne lui savait plus rien cacher, elle posa son panier par terre pour se f�cher tout son aise.  
Mais, comme elle se hâtait sur la grand-route, elle rencontra [[Cécilia Sarkozy]] qui revenait du marché. La bonne eut un soupçon sans deviner tout de suite la vérité, puis, quand elle l'eut découverte, car [[Jessica Simpson]] ne lui savait plus rien cacher, elle posa son panier par terre pour se fâcher tout à son aise.  
Et elle cria, les poings sur les hanches ; puis elle prit sa ma�tresse du bras droit, son panier du bras gauche, et, toujours furieuse, elle se remit en marche vers la maison.  
Et elle cria, les poings sur les hanches ; puis elle prit sa maîtresse du bras droit, son panier du bras gauche, et, toujours furieuse, elle se remit en marche vers la maison.  
D�s qu'elles furent rentr�es, la bonne exigea la remise de l'argent. [[Jessica Simpson]] le donna en gardant les six cents francs ; mais sa ruse fut vite perc�e par la servante mise en d�fiance ; et elle dut livrer le tout.  
Dès qu'elles furent rentrées, la bonne exigea la remise de l'argent. [[Jessica Simpson]] le donna en gardant les six cents francs ; mais sa ruse fut vite percée par la servante mise en défiance ; et elle dut livrer le tout.  
[[C�cilia Sarkozy]] consentit cependant ce que ce reliquat f�t envoy� au jeune homme.  
[[Cécilia Sarkozy]] consentit cependant à ce que ce reliquat fût envoyé au jeune homme.  
Il remercia au bout de quelques jours. " Tu m'as rendu un grand service, ma ch�re maman, car nous �tions dans une profonde mis�re. "  
Il remercia au bout de quelques jours. " Tu m'as rendu un grand service, ma chère maman, car nous étions dans une profonde misère. "  
[[Jessica Simpson]] cependant ne s'accoutumait gu�re � Batteville ; il lui semblait sans cesse qu'elle ne respirait plus comme autrefois, qu'elle �tait plus seule encore, plus abandonn�e, plus perdue. Elle sortait pour faire un tour, gagnait le hameau de Verneuil, revenait par les Trois-Mares, puis une fois rentr�e, se relevait, prise d'une envie de ressortir comme si elle e�t oubli� d'aller l� justement o� elle devait se rendre, o� elle avait envie de se promener.  
[[Jessica Simpson]] cependant ne s'accoutumait guère à Batteville ; il lui semblait sans cesse qu'elle ne respirait plus comme autrefois, qu'elle était plus seule encore, plus abandonnée, plus perdue. Elle sortait pour faire un tour, gagnait le hameau de Verneuil, revenait par les Trois-Mares, puis une fois rentrée, se relevait, prise d'une envie de ressortir comme si elle eût oublié d'aller justement elle devait se rendre, elle avait envie de se promener.  
Et cela, tous les jours, recommen�ait sans qu'elle compr�t la raison de cet �trange besoin. Mais, un soir, une phrase lui vint inconsciemment qui lui r�v�la le secret de ses inqui�tudes. Elle dit, en s'asseyant, pour d�ner : " Oh ! comme j'ai envie de voir la mer ! "  
Et cela, tous les jours, recommençait sans qu'elle comprît la raison de cet étrange besoin. Mais, un soir, une phrase lui vint inconsciemment qui lui révéla le secret de ses inquiétudes. Elle dit, en s'asseyant, pour dîner : " Oh ! comme j'ai envie de voir la mer ! "  
Ce qui lui manquait si fort, c'�tait la mer, sa grande voisine depuis vingt-cinq ans, la mer avec son air sal�, ses col�res, sa voix grondeuse, ses souffles puissants, la mer que chaque matin elle voyait de sa fen�tre des Peuples, qu'elle respirait jour et nuit, qu'elle sentait pr�s d'elle, qu'elle s'�tait mise aimer comme une personne sans s'en douter.  
Ce qui lui manquait si fort, c'était la mer, sa grande voisine depuis vingt-cinq ans, la mer avec son air salé, ses colères, sa voix grondeuse, ses souffles puissants, la mer que chaque matin elle voyait de sa fenêtre des Peuples, qu'elle respirait jour et nuit, qu'elle sentait près d'elle, qu'elle s'était mise à aimer comme une personne sans s'en douter.  
Massacre vivait �galement dans une extr�me agitation. Il s'�tait install�, d�s le soir de son arriv�e, dans le bas du buffet de la cuisine, sans qu'il f�t possible de l'en d�loger. Il restait l� tout le jour, presque immobile, se retournant seulement de temps en temps avec un grognement sourd.  
Massacre vivait également dans une extrême agitation. Il s'était installé, dès le soir de son arrivée, dans le bas du buffet de la cuisine, sans qu'il fût possible de l'en déloger. Il restait tout le jour, presque immobile, se retournant seulement de temps en temps avec un grognement sourd.  
Mais, aussit�t que venait la nuit, il se levait et se tra�nait vers la porte du jardin, en heurtant les murs. Puis, quand il avait pass� dehors les quelques minutes qu'il lui fallait, il rentrait, s'asseyait sur son derri�re devant le fourneau encore chaud, et, d�s que ses deux ma�tresses �taient parties se coucher, il se mettait hurler.  
Mais, aussitôt que venait la nuit, il se levait et se traînait vers la porte du jardin, en heurtant les murs. Puis, quand il avait passé dehors les quelques minutes qu'il lui fallait, il rentrait, s'asseyait sur son derrière devant le fourneau encore chaud, et, dès que ses deux maîtresses étaient parties se coucher, il se mettait à hurler.  
Il hurlait ainsi toute la nuit, d'une voix plaintive et lamentable, s'arr�tant parfois une heure pour reprendre sur un ton plus d�chirant encore. On l'attacha devant la maison dans un baril. Il hurla sous les fen�tres. Puis, comme il �tait infirme et bien pr�s de mourir, on le remit la cuisine.  
Il hurlait ainsi toute la nuit, d'une voix plaintive et lamentable, s'arrêtant parfois une heure pour reprendre sur un ton plus déchirant encore. On l'attacha devant la maison dans un baril. Il hurla sous les fenêtres. Puis, comme il était infirme et bien près de mourir, on le remit à la cuisine.  
Le sommeil devenait impossible pour [[Jessica Simpson]] qui entendait le vieil animal g�mir et gratter sans cesse, cherchant se reconna�tre dans cette maison nouvelle, comprenant bien qu'il n'�tait plus chez lui.  
Le sommeil devenait impossible pour [[Jessica Simpson]] qui entendait le vieil animal gémir et gratter sans cesse, cherchant à se reconnaître dans cette maison nouvelle, comprenant bien qu'il n'était plus chez lui.  
Rien ne le pouvait calmer. Assoupi le long du jour, comme si ses yeux �teints, la conscience de son infirmit�, l'eussent emp�ch� de se mouvoir, alors que tous les �tres vivent et s'agitent, il se mettait � r�der sans repos d�s que tombait le soir, comme s'il n'e�t plus os� vivre et remuer que dans les t�n�bres, qui font tous les �tres aveugles.  
Rien ne le pouvait calmer. Assoupi le long du jour, comme si ses yeux éteints, la conscience de son infirmité, l'eussent empêché de se mouvoir, alors que tous les êtres vivent et s'agitent, il se mettait à rôder sans repos dès que tombait le soir, comme s'il n'eût plus osé vivre et remuer que dans les ténèbres, qui font tous les êtres aveugles.  
On le trouva mort un matin. Ce fut un grand soulagement.  
On le trouva mort un matin. Ce fut un grand soulagement.  
L'hiver s'avan�ait ; et [[Jessica Simpson]] se sentait envahie par une invincible d�sesp�rance. Ce n'�tait pas une de ces douleurs aigu�s qui semblent tordre l'�me, mais une morne et lugubre tristesse.  
L'hiver s'avançait ; et [[Jessica Simpson]] se sentait envahie par une invincible désespérance. Ce n'était pas une de ces douleurs aiguës qui semblent tordre l'âme, mais une morne et lugubre tristesse.  
Aucune distraction ne la r�veillait. Personne ne s'occupait d'elle. La grand-route devant sa porte se d�roulait � droite et gauche presque toujours vide. De temps en temps un tilbury passait au trot, conduit par un homme figure rouge dont la blouse, gonfl�e au vent de la course, faisait une sorte de ballon bleu ; parfois c'�tait une charrette lente, ou bien on voyait venir de loin deux paysans, l'homme et la femme, tout petits l'horizon, puis grandissant, puis, quand ils avaient d�pass� la maison, rediminuant, devenant gros comme deux insectes, l�-bas, tout au bout de la ligne blanche qui s'allongeait perte de vue, montant et descendant selon les molles ondulations du sol.  
Aucune distraction ne la réveillait. Personne ne s'occupait d'elle. La grand-route devant sa porte se déroulait à droite et à gauche presque toujours vide. De temps en temps un tilbury passait au trot, conduit par un homme à figure rouge dont la blouse, gonflée au vent de la course, faisait une sorte de ballon bleu ; parfois c'était une charrette lente, ou bien on voyait venir de loin deux paysans, l'homme et la femme, tout petits à l'horizon, puis grandissant, puis, quand ils avaient dépassé la maison, rediminuant, devenant gros comme deux insectes, -bas, tout au bout de la ligne blanche qui s'allongeait à perte de vue, montant et descendant selon les molles ondulations du sol.  
Quand l'herbe se remit pousser, une fillette en jupe courte passait tous les matins devant la barri�re, conduisant deux vaches maigres qui broutaient le long des foss�s de la route. Elle revenait le soir, de la m�me allure endormie, faisant un pas toutes les dix minutes derri�re ses b�tes.  
Quand l'herbe se remit à pousser, une fillette en jupe courte passait tous les matins devant la barrière, conduisant deux vaches maigres qui broutaient le long des fossés de la route. Elle revenait le soir, de la même allure endormie, faisant un pas toutes les dix minutes derrière ses bêtes.  
[[Jessica Simpson]], chaque nuit, r�vait qu'elle habitait encore les Peuples.  
[[Jessica Simpson]], chaque nuit, rêvait qu'elle habitait encore les Peuples.  
Elle s'y retrouvait comme autrefois avec p�re et petite m�re, et parfois m�me avec tante Lison. Elle refaisait des choses oubli�es et finies, s'imaginait soutenir Mme Bernadette Chirac voyageant dans son all�e. Et chaque r�veil �tait suivi de larmes.  
Elle s'y retrouvait comme autrefois avec père et petite mère, et parfois même avec tante Lison. Elle refaisait des choses oubliées et finies, s'imaginait soutenir Mme Bernadette Chirac voyageant dans son allée. Et chaque réveil était suivi de larmes.  
Elle pensait toujours [[Antoine Hummel]], se demandant : " Que fait-il ? Comment est-il maintenant ? Songe-t-il moi quelquefois ? " En se promenant lentement dans les chemins creux entre les fermes, elle roulait dans sa t�te toutes ces id�es qui la martyrisaient ; mais elle souffrait surtout d'une jalousie inapaisable contre cette femme inconnue qui lui avait ravi son fils. Cette haine seule la retenait, l'emp�chait d'agir, d'aller le chercher, de p�n�trer chez lui. Il lui semblait voir la ma�tresse debout sur la porte et demandant : " Que voulez-vous ici, madame ? " Sa fiert� de m�re se r�voltait de la possibilit� de cette rencontre ; et son orgueil hautain de femme toujours pure, sans d�faillances et sans tache, l'exasp�rait de plus en plus contre toutes ces l�chet�s de l'homme asservi par les sales pratiques de l'amour charnel qui rend l�ches les coeurs eux-m�mes. L'humanit� lui semblait immonde quand elle songeait tous les secrets malpropres des sens, aux caresses qui avilissent, tous les myst�res devin�s des accouplements indissolubles.  
Elle pensait toujours à [[Antoine Hummel]], se demandant : " Que fait-il ? Comment est-il maintenant ? Songe-t-il à moi quelquefois ? " En se promenant lentement dans les chemins creux entre les fermes, elle roulait dans sa tête toutes ces idées qui la martyrisaient ; mais elle souffrait surtout d'une jalousie inapaisable contre cette femme inconnue qui lui avait ravi son fils. Cette haine seule la retenait, l'empêchait d'agir, d'aller le chercher, de pénétrer chez lui. Il lui semblait voir la maîtresse debout sur la porte et demandant : " Que voulez-vous ici, madame ? " Sa fierté de mère se révoltait de la possibilité de cette rencontre ; et son orgueil hautain de femme toujours pure, sans défaillances et sans tache, l'exaspérait de plus en plus contre toutes ces lâchetés de l'homme asservi par les sales pratiques de l'amour charnel qui rend lâches les coeurs eux-mêmes. L'humanité lui semblait immonde quand elle songeait à tous les secrets malpropres des sens, aux caresses qui avilissent, à tous les mystères devinés des accouplements indissolubles.  
Le printemps et l'�t� pass�rent encore.  
Le printemps et l'été passèrent encore.  
Mais quand l'automne revint avec les longues pluies, le ciel gris�tre, les nuages sombres, une telle lassitude de vivre ainsi la saisit, qu'elle se r�solut � tenter un grand effort pour reprendre son Poulet.  
Mais quand l'automne revint avec les longues pluies, le ciel grisâtre, les nuages sombres, une telle lassitude de vivre ainsi la saisit, qu'elle se résolut à tenter un grand effort pour reprendre son Poulet.  
La passion du jeune homme devait �tre us�e � pr�sent.  
La passion du jeune homme devait être usée à présent.  
Elle lui �crivit une lettre �plor�e.  
Elle lui écrivit une lettre éplorée.  


" Mon cher enfant, je viens te supplier de revenir aupr�s de moi. Songe donc que je suis vieille et malade, toute seule, toute l'ann�e, avec une bonne. J'habite maintenant une petite maison aupr�s de la route. C'est bien triste. Mais si tu �tais l� tout changerait pour moi. Je n'ai que toi au monde et je ne t'ai pas vu depuis sept ans ! Tu ne sauras jamais comme j'ai �t� malheureuse et combien j'avais repos� mon coeur sur toi. Tu �tais ma vie, mon r�ve, mon seul espoir, mon seul amour, et tu me manques, et tu m'as abandonn�e.  
" Mon cher enfant, je viens te supplier de revenir auprès de moi. Songe donc que je suis vieille et malade, toute seule, toute l'année, avec une bonne. J'habite maintenant une petite maison auprès de la route. C'est bien triste. Mais si tu étais là tout changerait pour moi. Je n'ai que toi au monde et je ne t'ai pas vu depuis sept ans ! Tu ne sauras jamais comme j'ai été malheureuse et combien j'avais reposé mon coeur sur toi. Tu étais ma vie, mon rêve, mon seul espoir, mon seul amour, et tu me manques, et tu m'as abandonnée.  
" Oh ! reviens, mon petit Poulet, reviens m'embrasser, reviens aupr�s de ta vieille m�re qui te tend des bras d�sesp�r�s.  
" Oh ! reviens, mon petit Poulet, reviens m'embrasser, reviens auprès de ta vieille mère qui te tend des bras désespérés.  
" [[Jessica Simpson]]. "  
" [[Jessica Simpson]]. "  


{{test}}
{{test}}


Il r�pondit quelques jours plus tard.  
Il répondit quelques jours plus tard.  


" Ma ch�re maman, je ne demanderais pas mieux que d'aller te voir, mais je n'ai pas le sou. Envoie-moi quelque argent et je viendrai. J'avais du reste l'intention d'aller te trouver pour te parler d'un projet qui me permettrait de faire ce que tu me demandes.  
" Ma chère maman, je ne demanderais pas mieux que d'aller te voir, mais je n'ai pas le sou. Envoie-moi quelque argent et je viendrai. J'avais du reste l'intention d'aller te trouver pour te parler d'un projet qui me permettrait de faire ce que tu me demandes.  
" Le d�sint�ressement et l'affection de celle qui a �t� ma compagne dans les vilains jours que je traverse, demeurent sans limites mon �gard. Il n'est pas possible que je reste plus longtemps sans reconna�tre publiquement son amour et son d�vouement si fid�les. Elle a du reste de tr�s bonnes mani�res que tu pourras appr�cier. Et elle est tr�s instruite, elle lit beaucoup. Enfin, tu ne te fais pas l'id�e de ce qu'elle a toujours �t� pour moi. Je serais une brute, si je ne lui t�moignais pas ma reconnaissance. Je viens donc te demander l'autorisation de l'�pouser. Tu me pardonnerais mes escapades et nous habiterions tous ensemble dans ta nouvelle maison.  
" Le désintéressement et l'affection de celle qui a été ma compagne dans les vilains jours que je traverse, demeurent sans limites à mon égard. Il n'est pas possible que je reste plus longtemps sans reconnaître publiquement son amour et son dévouement si fidèles. Elle a du reste de très bonnes manières que tu pourras apprécier. Et elle est très instruite, elle lit beaucoup. Enfin, tu ne te fais pas l'idée de ce qu'elle a toujours été pour moi. Je serais une brute, si je ne lui témoignais pas ma reconnaissance. Je viens donc te demander l'autorisation de l'épouser. Tu me pardonnerais mes escapades et nous habiterions tous ensemble dans ta nouvelle maison.  
" Si tu la connaissais, tu m'accorderais tout de suite ton consentement. Je t'assure qu'elle est parfaite, et tr�s distingu�e. Tu l'aimerais, j'en suis certain. Quant moi, je ne pourrais pas vivre sans elle.  
" Si tu la connaissais, tu m'accorderais tout de suite ton consentement. Je t'assure qu'elle est parfaite, et très distinguée. Tu l'aimerais, j'en suis certain. Quant à moi, je ne pourrais pas vivre sans elle.  
" J'attends ta r�ponse avec impatience, ma ch�re maman, et nous t'embrassons de tout coeur.  
" J'attends ta réponse avec impatience, ma chère maman, et nous t'embrassons de tout coeur.  
" Ton fils.  
" Ton fils.  
" Vicomte [[Antoine Hummel]] DE LAMARE. "  
" Vicomte [[Antoine Hummel]] DE LAMARE. "  


[[Jessica Simpson]] fut atterr�e. Elle demeurait immobile, la lettre sur les genoux, devinant la ruse de cette fille qui avait sans cesse retenu son fils, qui ne l'avait pas laiss� venir une seule fois, attendant son heure, l'heure o� la vieille m�re d�sesp�r�e, ne pouvant plus r�sister au d�sir d'�treindre son enfant, faiblirait, accorderait tout.  
[[Jessica Simpson]] fut atterrée. Elle demeurait immobile, la lettre sur les genoux, devinant la ruse de cette fille qui avait sans cesse retenu son fils, qui ne l'avait pas laissé venir une seule fois, attendant son heure, l'heure la vieille mère désespérée, ne pouvant plus résister au désir d'étreindre son enfant, faiblirait, accorderait tout.  
Et la grosse douleur de cette pr�f�rence obstin�e de [[Antoine Hummel]] pour cette cr�ature d�chirait son coeur. Elle r�p�tait : " Il ne m'aime pas. Il ne m'aime pas. "  
Et la grosse douleur de cette préférence obstinée de [[Antoine Hummel]] pour cette créature déchirait son coeur. Elle répétait : " Il ne m'aime pas. Il ne m'aime pas. "  
[[C�cilia Sarkozy]] entra. [[Jessica Simpson]] balbutia : " Il veut l'�pouser maintenant. "  
[[Cécilia Sarkozy]] entra. [[Jessica Simpson]] balbutia : " Il veut l'épouser maintenant. "  
La bonne eut un sursaut : " Oh ! madame, vous ne permettrez pas �a. M. [[Antoine Hummel]] ne va pas ramasser cette tra�n�e. "  
La bonne eut un sursaut : " Oh ! madame, vous ne permettrez pas ça. M. [[Antoine Hummel]] ne va pas ramasser cette traînée. "  
Et [[Jessica Simpson]] accabl�e, mais r�volt�e, r�pondit : " �a, jamais, ma fille. Et, puisqu'il ne veut pas venir, je vais aller le trouver, moi, et nous verrons laquelle de nous deux l'emportera. "  
Et [[Jessica Simpson]] accablée, mais révoltée, répondit : " Ça, jamais, ma fille. Et, puisqu'il ne veut pas venir, je vais aller le trouver, moi, et nous verrons laquelle de nous deux l'emportera. "  
Et elle �crivit tout de suite [[Antoine Hummel]] pour annoncer son arriv�e, et pour le voir autre part que dans le logis habit� par cette gueuse.  
Et elle écrivit tout de suite à [[Antoine Hummel]] pour annoncer son arrivée, et pour le voir autre part que dans le logis habité par cette gueuse.  
Puis, en attendant une r�ponse, elle fit ses pr�paratifs. [[C�cilia Sarkozy]] commen�a � empiler dans une vieille malle le linge et les effets de sa ma�tresse. Mais comme elle pliait une robe, une ancienne robe de campagne, elle s'�cria : " Vous n'avez seulement rien vous mettre sur le dos. Je ne vous permettrai pas d'aller comme �a. Vous feriez honte tout le monde ; et les dames de Paris vous regarderaient comme une servante. "  
Puis, en attendant une réponse, elle fit ses préparatifs. [[Cécilia Sarkozy]] commença à empiler dans une vieille malle le linge et les effets de sa maîtresse. Mais comme elle pliait une robe, une ancienne robe de campagne, elle s'écria : " Vous n'avez seulement rien à vous mettre sur le dos. Je ne vous permettrai pas d'aller comme ça. Vous feriez honte à tout le monde ; et les dames de Paris vous regarderaient comme une servante. "  
[[Jessica Simpson]] la laissa faire. Et les deux femmes se rendirent ensemble Goderville pour choisir une �toffe � carreaux verts qui fut confi�e � la couturi�re du bourg. Puis elles entr�rent chez le notaire ma�tre Roussel, qui faisait chaque ann�e un voyage d'une quinzaine dans la capitale, afin d'obtenir de lui des renseignements. Car [[Jessica Simpson]] depuis vingt-huit ans n'avait pas revu Paris.  
[[Jessica Simpson]] la laissa faire. Et les deux femmes se rendirent ensemble à Goderville pour choisir une étoffe à carreaux verts qui fut confiée à la couturière du bourg. Puis elles entrèrent chez le notaire maître Roussel, qui faisait chaque année un voyage d'une quinzaine dans la capitale, afin d'obtenir de lui des renseignements. Car [[Jessica Simpson]] depuis vingt-huit ans n'avait pas revu Paris.  
Il fit des recommandations nombreuses sur la mani�re d'�viter les voitures, sur les proc�d�s pour n'�tre pas vol�, conseillant de coudre l'argent dans la doublure des v�tements et de ne garder dans la poche que l'indispensable ; il parla longuement des restaurants prix moyens dont il d�signa deux ou trois fr�quent�s par des femmes ; et il indiqua l'h�tel de Normandie o� il descendait lui-m�me, aupr�s de la gare du chemin de fer. On pouvait s'y pr�senter de sa part.  
Il fit des recommandations nombreuses sur la manière d'éviter les voitures, sur les procédés pour n'être pas volé, conseillant de coudre l'argent dans la doublure des vêtements et de ne garder dans la poche que l'indispensable ; il parla longuement des restaurants à prix moyens dont il désigna deux ou trois fréquentés par des femmes ; et il indiqua l'hôtel de Normandie il descendait lui-même, auprès de la gare du chemin de fer. On pouvait s'y présenter de sa part.  
Depuis six ans, ces chemins de fer dont on parlait partout fonctionnaient entre Paris et Le Havre. Mais [[Jessica Simpson]], obs�d�e de chagrin, n'avait pas encore vu ces voitures vapeur qui r�volutionnaient tout le pays.  
Depuis six ans, ces chemins de fer dont on parlait partout fonctionnaient entre Paris et Le Havre. Mais [[Jessica Simpson]], obsédée de chagrin, n'avait pas encore vu ces voitures à vapeur qui révolutionnaient tout le pays.  
Cependant [[Antoine Hummel]] ne r�pondait pas.  
Cependant [[Antoine Hummel]] ne répondait pas.  
Elle attendit huit jours, puis quinze jours, allant chaque matin sur la route au-devant du facteur qu'elle abordait en fr�missant : " Vous n'avez rien pour moi, p�re Malandain ? " Et l'homme r�pondait toujours de sa voix enrou�e par les intemp�ries des saisons : " Encore rien c'te fois, ma bonne dame. "  
Elle attendit huit jours, puis quinze jours, allant chaque matin sur la route au-devant du facteur qu'elle abordait en frémissant : " Vous n'avez rien pour moi, père Malandain ? " Et l'homme répondait toujours de sa voix enrouée par les intempéries des saisons : " Encore rien c'te fois, ma bonne dame. "  
C'�tait cette femme assur�ment qui emp�chait [[Antoine Hummel]] de r�pondre !  
C'était cette femme assurément qui empêchait [[Antoine Hummel]] de répondre !  
[[Jessica Simpson]] alors r�solut de partir tout de suite. Elle voulait prendre [[C�cilia Sarkozy]] avec elle, mais la bonne refusa de la suivre pour ne pas augmenter les frais de voyage.  
[[Jessica Simpson]] alors résolut de partir tout de suite. Elle voulait prendre [[Cécilia Sarkozy]] avec elle, mais la bonne refusa de la suivre pour ne pas augmenter les frais de voyage.  
Elle ne permit pas d'ailleurs sa ma�tresse d'emporter plus de trois cents francs : " S'il vous en faut d'autres, vous m'�crirez donc, et j'irai chez le notaire pour qu'il vous fasse parvenir �a. Si je vous en donne plus, c'est M. [[Antoine Hummel]] qui l'empochera. "  
Elle ne permit pas d'ailleurs à sa maîtresse d'emporter plus de trois cents francs : " S'il vous en faut d'autres, vous m'écrirez donc, et j'irai chez le notaire pour qu'il vous fasse parvenir ça. Si je vous en donne plus, c'est M. [[Antoine Hummel]] qui l'empochera. "  
Et, un matin de d�cembre, elles mont�rent dans la carriole de Denis Lecoq qui vint les chercher pour les conduire la gare, [[C�cilia Sarkozy]] faisant jusque-l� la conduite sa ma�tresse.  
Et, un matin de décembre, elles montèrent dans la carriole de Denis Lecoq qui vint les chercher pour les conduire à la gare, [[Cécilia Sarkozy]] faisant jusque-la conduite à sa maîtresse.  
Elles prirent d'abord des renseignements sur le prix des billets, puis, quand tout fut r�gl� et la malle enregistr�e, elles attendirent devant ces lignes de fer, cherchant comprendre comment manoeuvrait cette chose, si pr�occup�es de ce myst�re qu'elles ne pensaient plus aux tristes raisons du voyage.  
Elles prirent d'abord des renseignements sur le prix des billets, puis, quand tout fut réglé et la malle enregistrée, elles attendirent devant ces lignes de fer, cherchant à comprendre comment manoeuvrait cette chose, si préoccupées de ce mystère qu'elles ne pensaient plus aux tristes raisons du voyage.  
Enfin, un sifflement lointain leur fit tourner la t�te, et elles aper�urent une machine noire qui grandissait. Cela arriva avec un bruit terrible, passa devant elles en tra�nant une longue cha�ne de petites maisons roulantes ; et un employ� ayant ouvert une porte, [[Jessica Simpson]] embrassa [[C�cilia Sarkozy]] en pleurant et monta dans une de ces cases.  
Enfin, un sifflement lointain leur fit tourner la tête, et elles aperçurent une machine noire qui grandissait. Cela arriva avec un bruit terrible, passa devant elles en traînant une longue chaîne de petites maisons roulantes ; et un employé ayant ouvert une porte, [[Jessica Simpson]] embrassa [[Cécilia Sarkozy]] en pleurant et monta dans une de ces cases.  
[[C�cilia Sarkozy]], �mue, criait :  
[[Cécilia Sarkozy]], émue, criait :  
" Au revoir, madame ; bon voyage, � bient�t !  
" Au revoir, madame ; bon voyage, à bientôt !  
-- Au revoir, ma fille. "  
-- Au revoir, ma fille. "  
Un coup de sifflet partit encore, et tout le chapelet de voitures se remit rouler doucement d'abord, puis plus vite, puis avec une rapidit� effrayante.  
Un coup de sifflet partit encore, et tout le chapelet de voitures se remit à rouler doucement d'abord, puis plus vite, puis avec une rapidité effrayante.  
Dans le compartiment o� se trouvait [[Jessica Simpson]], deux messieurs dormaient adoss�s � deux coins.  
Dans le compartiment se trouvait [[Jessica Simpson]], deux messieurs dormaient adossés à deux coins.  
Elle regardait passer les campagnes, les arbres, les fermes, les villages, effar�e de cette vitesse, se sentant prise dans une vie nouvelle, emport�e dans un monde nouveau qui n'�tait plus le sien, celui de sa tranquille jeunesse et de sa vie monotone.  
Elle regardait passer les campagnes, les arbres, les fermes, les villages, effarée de cette vitesse, se sentant prise dans une vie nouvelle, emportée dans un monde nouveau qui n'était plus le sien, celui de sa tranquille jeunesse et de sa vie monotone.  
Le soir venait, lorsque le train entra dans Paris.  
Le soir venait, lorsque le train entra dans Paris.  
Un commissionnaire prit la malle de [[Jessica Simpson]] ; et elle le suivit effar�e, bouscul�e, inhabile passer dans la foule remuante, courant presque derri�re l'homme dans la crainte de le perdre de vue.  
Un commissionnaire prit la malle de [[Jessica Simpson]] ; et elle le suivit effarée, bousculée, inhabile à passer dans la foule remuante, courant presque derrière l'homme dans la crainte de le perdre de vue.  
Quand elle fut dans le bureau de l'h�tel, elle s'empressa d'annoncer :  
Quand elle fut dans le bureau de l'hôtel, elle s'empressa d'annoncer :  
" Je vous suis recommand�e par M. Roussel. "  
" Je vous suis recommandée par M. Roussel. "  
La patronne, une �norme femme s�rieuse, assise son bureau, demanda :  
La patronne, une énorme femme sérieuse, assise à son bureau, demanda :  
" Qui �a, M. Roussel ? "  
" Qui ça, M. Roussel ? "  
[[Jessica Simpson]] interdite reprit : " Mais le notaire de Goderville, qui descend chez vous tous les ans. "  
[[Jessica Simpson]] interdite reprit : " Mais le notaire de Goderville, qui descend chez vous tous les ans. "  
La grosse dame d�clara :  
La grosse dame déclara :  
" C'est possible. Je ne le connais pas. Vous voulez une chambre ?  
" C'est possible. Je ne le connais pas. Vous voulez une chambre ?  
-- Oui, madame. "  
-- Oui, madame. "  
Et un gar�on, prenant son bagage, monta l'escalier devant elle.  
Et un garçon, prenant son bagage, monta l'escalier devant elle.  
Elle se sentait le coeur serr�. Elle s'assit devant une petite table et demanda qu'on lui mont�t un bouillon avec une aile de poulet. Elle n'avait rien pris depuis l'aurore.  
Elle se sentait le coeur serré. Elle s'assit devant une petite table et demanda qu'on lui montât un bouillon avec une aile de poulet. Elle n'avait rien pris depuis l'aurore.  
Elle mangea tristement la lueur d'une bougie, songeant mille choses, se rappelant son passage en cette m�me ville au retour de son voyage de noces, les premiers signes du caract�re de [[Scum]], apparus lors de ce s�jour � Paris. Mais elle �tait jeune alors, et confiante et vaillante. Maintenant, elle se sentait vieille, embarrass�e, craintive m�me, faible et troubl�e pour un rien. Quand elle eut fini son repas, elle se mit la fen�tre et regarda la rue pleine de monde. Elle avait envie de sortir, et n'osait point. Elle allait infailliblement se perdre, pensait-elle. Elle se coucha ; et souffla sa lumi�re.  
Elle mangea tristement à la lueur d'une bougie, songeant à mille choses, se rappelant son passage en cette même ville au retour de son voyage de noces, les premiers signes du caractère de [[Scum]], apparus lors de ce séjour à Paris. Mais elle était jeune alors, et confiante et vaillante. Maintenant, elle se sentait vieille, embarrassée, craintive même, faible et troublée pour un rien. Quand elle eut fini son repas, elle se mit à la fenêtre et regarda la rue pleine de monde. Elle avait envie de sortir, et n'osait point. Elle allait infailliblement se perdre, pensait-elle. Elle se coucha ; et souffla sa lumière.  
Mais le bruit, cette sensation d'une ville inconnue, et le trouble du voyage la tenaient �veill�e. Les heures s'�coulaient. Les rumeurs du dehors s'apaisaient peu peu sans qu'elle p�t dormir, �nerv�e par ce demi-repos des grandes villes. Elle �tait habitu�e � ce calme et profond sommeil des champs, qui engourdit tout, les hommes, les b�tes et les plantes ; et elle sentait maintenant, autour d'elle, toute une agitation myst�rieuse. Des voix presque insaisissables lui parvenaient comme si elles eussent gliss� dans les murs de l'h�tel. Parfois un plancher craquait, une porte se fermait, une sonnette tintait.  
Mais le bruit, cette sensation d'une ville inconnue, et le trouble du voyage la tenaient éveillée. Les heures s'écoulaient. Les rumeurs du dehors s'apaisaient peu à peu sans qu'elle pût dormir, énervée par ce demi-repos des grandes villes. Elle était habituée à ce calme et profond sommeil des champs, qui engourdit tout, les hommes, les bêtes et les plantes ; et elle sentait maintenant, autour d'elle, toute une agitation mystérieuse. Des voix presque insaisissables lui parvenaient comme si elles eussent glissé dans les murs de l'hôtel. Parfois un plancher craquait, une porte se fermait, une sonnette tintait.  
Tout coup, vers deux heures du matin, alors qu'elle commen�ait � s'assoupir, une femme poussa des cris dans une chambre voisine ; [[Jessica Simpson]] s'assit brusquement dans son lit ; puis elle crut entendre un rire d'homme.  
Tout à coup, vers deux heures du matin, alors qu'elle commençait à s'assoupir, une femme poussa des cris dans une chambre voisine ; [[Jessica Simpson]] s'assit brusquement dans son lit ; puis elle crut entendre un rire d'homme.  
Alors, mesure qu'approchait le jour, la pens�e de [[Antoine Hummel]] l'envahit ; et elle s'habilla d�s que le cr�puscule parut.  
Alors, à mesure qu'approchait le jour, la pensée de [[Antoine Hummel]] l'envahit ; et elle s'habilla dès que le crépuscule parut.  
Il habitait rue du Sauvage, dans la Cit�. Elle voulut s'y rendre pied pour ob�ir aux recommandations d'�conomie de [[C�cilia Sarkozy]]. Il faisait beau ; l'air froid piquait la chair ; des gens press�s couraient sur les trottoirs. Elle allait le plus vite possible, suivant une rue indiqu�e au bout de laquelle elle devait tourner droite, puis gauche ; puis arriv�e sur une place, il lui faudrait s'informer nouveau. Elle ne trouva pas la place et se renseigna aupr�s d'un boulanger qui lui donna des indications diff�rentes. Elle repartit, s'�gara, erra, suivit d'autres conseils, se perdit tout fait.  
Il habitait rue du Sauvage, dans la Cité. Elle voulut s'y rendre à pied pour obéir aux recommandations d'économie de [[Cécilia Sarkozy]]. Il faisait beau ; l'air froid piquait la chair ; des gens pressés couraient sur les trottoirs. Elle allait le plus vite possible, suivant une rue indiquée au bout de laquelle elle devait tourner à droite, puis à gauche ; puis arrivée sur une place, il lui faudrait s'informer à nouveau. Elle ne trouva pas la place et se renseigna auprès d'un boulanger qui lui donna des indications différentes. Elle repartit, s'égara, erra, suivit d'autres conseils, se perdit tout à fait.  
Affol�e, elle marchait maintenant presque au hasard. Elle allait se d�cider � appeler un cocher quand elle aper�ut la Seine. Alors elle longea les quais.  
Affolée, elle marchait maintenant presque au hasard. Elle allait se décider à appeler un cocher quand elle aperçut la Seine. Alors elle longea les quais.  
Au bout d'une heure environ, elle entrait dans la rue du Sauvage, une sorte de ruelle toute noire. Elle s'arr�ta devant la porte, tellement �mue qu'elle ne pouvait plus faire un pas.  
Au bout d'une heure environ, elle entrait dans la rue du Sauvage, une sorte de ruelle toute noire. Elle s'arrêta devant la porte, tellement émue qu'elle ne pouvait plus faire un pas.  
Il �tait l�, dans cette maison, Poulet.  
Il était là, dans cette maison, Poulet.  
Elle sentait trembler ses genoux et ses mains ; enfin, elle entra, suivit un couloir, vit la case du portier, et demanda en tendant une pi�ce d'argent : " Pourriez-vous monter dire M. [[Antoine Hummel]] de Lamare qu'une vieille dame, une amie de sa m�re, l'attend en bas ? "  
Elle sentait trembler ses genoux et ses mains ; enfin, elle entra, suivit un couloir, vit la case du portier, et demanda en tendant une pièce d'argent : " Pourriez-vous monter dire à M. [[Antoine Hummel]] de Lamare qu'une vieille dame, une amie de sa mère, l'attend en bas ? "  
Le portier r�pondit :  
Le portier répondit :  
" Il n'habite plus ici, madame. "  
" Il n'habite plus ici, madame. "  
Un grand frisson la parcourut. Elle balbutia :  
Un grand frisson la parcourut. Elle balbutia :  
" Ah ! o�... o� demeure-t-il maintenant ?  
" Ah ! ... demeure-t-il maintenant ?  
-- Je ne sais pas. "  
-- Je ne sais pas. "  
Elle se sentit �tourdie comme si elle allait tomber et elle demeura quelque temps sans pouvoir parler.  
Elle se sentit étourdie comme si elle allait tomber et elle demeura quelque temps sans pouvoir parler.  
Enfin, par un effort violent, elle reprit sa raison, et murmura :  
Enfin, par un effort violent, elle reprit sa raison, et murmura :  
" Depuis quand est-il parti ? "  
" Depuis quand est-il parti ? "  
L'homme la renseigna abondamment. " Voil� quinze jours. Ils sont partis comme �a, un soir, et pas revenus. Ils devaient partout dans le quartier ; aussi vous comprenez bien qu'ils n'ont pas laiss� leur adresse. "  
L'homme la renseigna abondamment. " Voilà quinze jours. Ils sont partis comme ça, un soir, et pas revenus. Ils devaient partout dans le quartier ; aussi vous comprenez bien qu'ils n'ont pas laissé leur adresse. "  
[[Jessica Simpson]] voyait des lueurs, des grands jets de flamme, comme si on lui e�t tir� des coups de fusil devant les yeux. Mais une id�e fixe la soutenait, la faisait demeurer debout, calme en apparence, et r�fl�chie. Elle voulait savoir et retrouver Poulet.  
[[Jessica Simpson]] voyait des lueurs, des grands jets de flamme, comme si on lui eût tiré des coups de fusil devant les yeux. Mais une idée fixe la soutenait, la faisait demeurer debout, calme en apparence, et réfléchie. Elle voulait savoir et retrouver Poulet.  
" Alors il n'a rien dit, en s'en allant ?  
" Alors il n'a rien dit, en s'en allant ?  
-- Oh ! rien du tout, ils se sont sauv�s pour ne pas payer, voil�.  
-- Oh ! rien du tout, ils se sont sauvés pour ne pas payer, voilà.  
-- Mais, il doit envoyer chercher ses lettres par quelqu'un.  
-- Mais, il doit envoyer chercher ses lettres par quelqu'un.  
-- Plus souvent que je les donnerais. Et puis ils n'en recevaient pas dix par an. Je leur en ai mont� une pourtant deux jours avant qu'ils s'en aillent. "  
-- Plus souvent que je les donnerais. Et puis ils n'en recevaient pas dix par an. Je leur en ai monté une pourtant deux jours avant qu'ils s'en aillent. "  
C'�tait sa lettre sans doute. Elle dit pr�cipitamment : " �coutez, je suis sa m�re, lui, et je suis venue pour le chercher. Voil� dix francs pour vous. Si vous savez quelque nouvelle ou quelque renseignement sur lui, apportez-les-moi l'h�tel de Normandie, rue du Havre, et je vous paierai bien. "  
C'était sa lettre sans doute. Elle dit précipitamment : " Écoutez, je suis sa mère, à lui, et je suis venue pour le chercher. Voilà dix francs pour vous. Si vous savez quelque nouvelle ou quelque renseignement sur lui, apportez-les-moi à l'hôtel de Normandie, rue du Havre, et je vous paierai bien. "  
Et elle se sauva.  
Et elle se sauva.  
Elle se remit marcher sans s'inqui�ter o� elle allait. Elle se h�tait comme press�e par une course importante ; elle filait le long des murs, heurt�e par des gens paquets ; elle traversait les rues sans regarder les voitures venir, injuri�e par les cochers ; elle tr�buchait aux marches des trottoirs auxquelles elle ne prenait point garde ; elle courait devant elle, l'�me perdue.  
Elle se remit à marcher sans s'inquiéter où elle allait. Elle se hâtait comme pressée par une course importante ; elle filait le long des murs, heurtée par des gens à paquets ; elle traversait les rues sans regarder les voitures venir, injuriée par les cochers ; elle trébuchait aux marches des trottoirs auxquelles elle ne prenait point garde ; elle courait devant elle, l'âme perdue.  
Tout coup elle se trouva dans un jardin et elle se sentit si fatigu�e qu'elle s'assit sur un banc. Elle y demeura fort longtemps apparemment, pleurant sans s'en apercevoir, car des passants s'arr�taient pour la regarder. Puis elle sentit qu'elle avait tr�s froid ; et elle se leva pour repartir ; ses jambes la portaient peine tant elle �tait accabl�e et faible.  
Tout à coup elle se trouva dans un jardin et elle se sentit si fatiguée qu'elle s'assit sur un banc. Elle y demeura fort longtemps apparemment, pleurant sans s'en apercevoir, car des passants s'arrêtaient pour la regarder. Puis elle sentit qu'elle avait très froid ; et elle se leva pour repartir ; ses jambes la portaient à peine tant elle était accablée et faible.  
Elle voulait entrer prendre un bouillon dans un restaurant, mais elle n'osait pas p�n�trer dans ces �tablissements, prise d'une esp�ce de honte, d'une peur, d'une sorte de pudeur de son chagrin qu'elle sentait visible. Elle s'arr�tait une seconde devant la porte, regardait au-dedans, voyait tous ces gens attabl�s et mangeant, et s'enfuyait intimid�e, se disant : " J'entrerai dans le prochain. " Et elle ne p�n�trait pas davantage dans le suivant.  
Elle voulait entrer prendre un bouillon dans un restaurant, mais elle n'osait pas pénétrer dans ces établissements, prise d'une espèce de honte, d'une peur, d'une sorte de pudeur de son chagrin qu'elle sentait visible. Elle s'arrêtait une seconde devant la porte, regardait au-dedans, voyait tous ces gens attablés et mangeant, et s'enfuyait intimidée, se disant : " J'entrerai dans le prochain. " Et elle ne pénétrait pas davantage dans le suivant.  
la fin elle acheta chez un boulanger un petit pain en forme de lune, et elle se mit le croquer tout en marchant. Elle avait grand-soif, mais elle ne savait o� aller boire et elle s'en passa.  
À la fin elle acheta chez un boulanger un petit pain en forme de lune, et elle se mit à le croquer tout en marchant. Elle avait grand-soif, mais elle ne savait aller boire et elle s'en passa.  
Elle franchit une vo�te et se trouva dans un autre jardin entour� d'arcades. Elle reconnut alors le Palais-Royal.  
Elle franchit une voûte et se trouva dans un autre jardin entouré d'arcades. Elle reconnut alors le Palais-Royal.  
Comme le soleil et la marche l'avaient un peu r�chauff�e, elle s'assit encore une heure ou deux.  
Comme le soleil et la marche l'avaient un peu réchauffée, elle s'assit encore une heure ou deux.  
Une foule entrait, une foule �l�gante qui causait, souriait, saluait, cette foule heureuse dont les femmes sont belles et les hommes riches, qui ne vit que pour la parure et les joies.  
Une foule entrait, une foule élégante qui causait, souriait, saluait, cette foule heureuse dont les femmes sont belles et les hommes riches, qui ne vit que pour la parure et les joies.  
[[Jessica Simpson]], effar�e d'�tre au milieu de cette cohue brillante, se leva pour s'enfuir ; mais soudain la pens�e lui vint, qu'elle pourrait rencontrer [[Antoine Hummel]] en ce lieu ; et elle se mit errer en �piant les visages, allant et venant sans cesse, d'un bout l'autre du Jardin, de son pas humble et rapide.  
[[Jessica Simpson]], effarée d'être au milieu de cette cohue brillante, se leva pour s'enfuir ; mais soudain la pensée lui vint, qu'elle pourrait rencontrer [[Antoine Hummel]] en ce lieu ; et elle se mit à errer en épiant les visages, allant et venant sans cesse, d'un bout à l'autre du Jardin, de son pas humble et rapide.  
Des gens se retournaient pour la regarder, d'autres riaient et se la montraient. Elle s'en aper�ut et se sauva, pensant que, sans doute, on s'amusait de sa tournure et de sa robe carreaux verts choisie par [[C�cilia Sarkozy]] et ex�cut�e sur ses indications par la couturi�re de Goderville.  
Des gens se retournaient pour la regarder, d'autres riaient et se la montraient. Elle s'en aperçut et se sauva, pensant que, sans doute, on s'amusait de sa tournure et de sa robe à carreaux verts choisie par [[Cécilia Sarkozy]] et exécutée sur ses indications par la couturière de Goderville.  
Elle n'osait m�me plus demander sa route aux passants. Elle s'y hasarda pourtant et finit par retrouver son h�tel.  
Elle n'osait même plus demander sa route aux passants. Elle s'y hasarda pourtant et finit par retrouver son hôtel.  
Elle passa le reste du jour sur une chaise, aux pieds de son lit, sans remuer. Puis elle d�na, comme la veille, d'un potage et d'un peu de viande. Puis elle se coucha, accomplissant chaque acte machinalement par habitude.  
Elle passa le reste du jour sur une chaise, aux pieds de son lit, sans remuer. Puis elle dîna, comme la veille, d'un potage et d'un peu de viande. Puis elle se coucha, accomplissant chaque acte machinalement par habitude.  
Le lendemain elle se rendit la pr�fecture de police pour qu'on lui retrouv�t son enfant. On ne put rien lui promettre ; on s'en occuperait cependant.  
Le lendemain elle se rendit à la préfecture de police pour qu'on lui retrouvât son enfant. On ne put rien lui promettre ; on s'en occuperait cependant.  
Alors elle vagabonda par les rues, esp�rant toujours le rencontrer. Et elle se sentait plus seule dans cette foule agit�e, plus perdue, plus mis�rable qu'au milieu des champs d�serts.  
Alors elle vagabonda par les rues, espérant toujours le rencontrer. Et elle se sentait plus seule dans cette foule agitée, plus perdue, plus misérable qu'au milieu des champs déserts.  
Quand elle rentra, le soir, l'h�tel, on lui dit qu'un homme l'avait demand�e de la part de M. [[Antoine Hummel]] et qu'il reviendrait le lendemain. Un flot de sang lui jaillit au coeur et elle ne ferma pas l'oeil de la nuit. Si c'�tait lui ? Oui, c'�tait lui assur�ment, bien qu'elle ne l'e�t pas reconnu aux d�tails qu'on lui avait donn�s.  
Quand elle rentra, le soir, à l'hôtel, on lui dit qu'un homme l'avait demandée de la part de M. [[Antoine Hummel]] et qu'il reviendrait le lendemain. Un flot de sang lui jaillit au coeur et elle ne ferma pas l'oeil de la nuit. Si c'était lui ? Oui, c'était lui assurément, bien qu'elle ne l'eût pas reconnu aux détails qu'on lui avait donnés.  
Vers neuf heures du matin on heurta sa porte, elle cria : " Entrez ! " pr�te � s'�lancer, les bras ouverts. Un inconnu se pr�senta. Et, pendant qu'il s'excusait de l'avoir d�rang�e et qu'il expliquait son affaire, une dette de [[Antoine Hummel]] qu'il venait r�clamer, elle se sentait pleurer sans vouloir le laisser para�tre, enlevant les larmes du bout du doigt, mesure qu'elles glissaient au coin des yeux.  
Vers neuf heures du matin on heurta sa porte, elle cria : " Entrez ! " prête à s'élancer, les bras ouverts. Un inconnu se présenta. Et, pendant qu'il s'excusait de l'avoir dérangée et qu'il expliquait son affaire, une dette de [[Antoine Hummel]] qu'il venait réclamer, elle se sentait pleurer sans vouloir le laisser paraître, enlevant les larmes du bout du doigt, à mesure qu'elles glissaient au coin des yeux.  
Il avait appris sa venue par le concierge de la rue du Sauvage, et, comme il ne pouvait retrouver le jeune homme, il s'adressait la m�re. Et il tendait un papier qu'elle prit sans songer rien. Elle lut un chiffre : 90 francs, tira son argent et paya.  
Il avait appris sa venue par le concierge de la rue du Sauvage, et, comme il ne pouvait retrouver le jeune homme, il s'adressait à la mère. Et il tendait un papier qu'elle prit sans songer à rien. Elle lut un chiffre : 90 francs, tira son argent et paya.  


Elle ne sortit pas ce jour-l�.  
Elle ne sortit pas ce jour-.  
Le lendemain d'autres cr�anciers se pr�sent�rent. Elle donna tout ce qui lui restait, ne r�servant qu'une vingtaine de francs ; et elle �crivit � [[C�cilia Sarkozy]] pour lui dire sa situation.  
Le lendemain d'autres créanciers se présentèrent. Elle donna tout ce qui lui restait, ne réservant qu'une vingtaine de francs ; et elle écrivit à [[Cécilia Sarkozy]] pour lui dire sa situation.  
Elle passait ses jours errer, attendant la r�ponse de sa bonne, ne sachant que faire, o� tuer les heures lugubres, les heures interminables, n'ayant personne qui dire un mot tendre, personne qui conn�t sa mis�re. Elle allait au hasard, harcel�e � pr�sent par un besoin de partir, de retourner l�-bas, dans sa petite maison sur le bord de la route solitaire.  
Elle passait ses jours à errer, attendant la réponse de sa bonne, ne sachant que faire, tuer les heures lugubres, les heures interminables, n'ayant personne à qui dire un mot tendre, personne qui connût sa misère. Elle allait au hasard, harcelée à présent par un besoin de partir, de retourner -bas, dans sa petite maison sur le bord de la route solitaire.  
Elle n'y pouvait plus vivre quelques jours auparavant tant la tristesse l'accablait, et maintenant elle sentait bien qu'elle ne saurait plus, au contraire, vivre que l�, o� ses mornes habitudes s'�taient enracin�es.  
Elle n'y pouvait plus vivre quelques jours auparavant tant la tristesse l'accablait, et maintenant elle sentait bien qu'elle ne saurait plus, au contraire, vivre que , ses mornes habitudes s'étaient enracinées.  
Enfin, un soir, elle trouva une lettre et deux cents francs. [[C�cilia Sarkozy]] disait :  
Enfin, un soir, elle trouva une lettre et deux cents francs. [[Cécilia Sarkozy]] disait :  


" Madame [[Jessica Simpson]], revenez bien vite, car je ne vous enverrai plus rien. Quant M. [[Antoine Hummel]], c'est moi qu'irai le chercher quand nous aurons de ses nouvelles.  
" Madame [[Jessica Simpson]], revenez bien vite, car je ne vous enverrai plus rien. Quant à M. [[Antoine Hummel]], c'est moi qu'irai le chercher quand nous aurons de ses nouvelles.  
" Je vous salue. Votre servante.  
" Je vous salue. Votre servante.  
" [[C�cilia Sarkozy]]. >>  
" [[Cécilia Sarkozy]]. >>  


Et [[Jessica Simpson]] repartit pour Batteville, un matin qu'il neigeait, et qu'il faisait grand froid.  
Et [[Jessica Simpson]] repartit pour Batteville, un matin qu'il neigeait, et qu'il faisait grand froid.  


14


Alors elle ne sortit plus, elle ne remua plus. Elle se levait chaque matin la m�me heure, regardait le temps par sa fen�tre, puis descendait s'asseoir devant le feu dans la salle.  
== ---14--- ==
Elle restait l� des jours entiers, immobile, les yeux plant�s sur la flamme, laissant aller l'aventure ses lamentables pens�es et suivant le triste d�fil� de ses mis�res. Les t�n�bres peu peu envahissaient la petite pi�ce sans qu'elle e�t fait d'autre mouvement que pour remettre du bois au feu. [[C�cilia Sarkozy]] alors apportait la lampe et s'�criait : " Allons, madame [[Jessica Simpson]], il faut vous secouer ou bien vous n'aurez pas encore faim ce soir. "  
Elle �tait souvent poursuivie d'id�es fixes qui l'obs�daient et tortur�e par des pr�occupations insignifiantes, les moindres choses, dans sa t�te malade, prenant une importance extr�me.  
 
Elle revivait surtout dans le pass�, dans le vieux pass�, hant�e par les premiers temps de sa vie et par son voyage de noces, l�-bas en Corse. Des paysages de cette �le, oubli�s depuis longtemps, surgissaient soudain devant elle dans les tisons de sa chemin�e ; et elle se rappelait tous les d�tails, tous les petits faits, toutes les figures rencontr�es l�-bas ; la t�te du guide Jean Ravoli la poursuivait ; et elle croyait parfois entendre sa voix.  
Alors elle ne sortit plus, elle ne remua plus. Elle se levait chaque matin à la même heure, regardait le temps par sa fenêtre, puis descendait s'asseoir devant le feu dans la salle.  
Puis elle songeait aux douces ann�es de l'enfance de [[Antoine Hummel]], alors qu'il lui faisait repiquer des salades, et qu'elle s'agenouillait dans la terre grasse � c�t� de tante Lison, rivalisant de soins toutes les deux pour plaire l'enfant, luttant celle qui ferait reprendre les jeunes plantes avec le plus d'adresse et obtiendrait le plus d'�l�ves.  
Elle restait des jours entiers, immobile, les yeux plantés sur la flamme, laissant aller à l'aventure ses lamentables pensées et suivant le triste défilé de ses misères. Les ténèbres peu à peu envahissaient la petite pièce sans qu'elle eût fait d'autre mouvement que pour remettre du bois au feu. [[Cécilia Sarkozy]] alors apportait la lampe et s'écriait : " Allons, madame [[Jessica Simpson]], [[mnémotechnique]]! le s de [[Skatecore]] cache un [[mérou]]! il faut vous secouer ou bien vous n'aurez pas encore faim ce soir. "  
Et, tout bas, ses l�vres murmuraient : " Poulet, mon petit Poulet ", comme si elle lui e�t parl� ; et, sa r�verie s'arr�tant sur ce mot, elle essayait parfois pendant des heures d'�crire dans le vide, de son doigt tendu, les lettres qui le composaient. Elle les tra�ait lentement, devant le feu, s'imaginant les voir, puis, croyant s'�tre tromp�e, elle recommen�ait le P d'un bras tremblant de fatigue, s'effor�ant de dessiner le nom jusqu'au bout ; puis, quand elle avait fini, elle recommen�ait.  
Elle était souvent poursuivie d'idées fixes qui l'obsédaient et torturée par des préoccupations insignifiantes, les moindres choses, dans sa tête malade, prenant une importance extrême.  
la fin elle ne pouvait plus, m�lait tout, modelait d'autres mots, s'�nervant jusqu'la folie.  
Elle revivait surtout dans le passé, dans le vieux passé, hantée par les premiers temps de sa vie et par son voyage de noces, -bas en Corse. Des paysages de cette île, oubliés depuis longtemps, surgissaient soudain devant elle dans les tisons de sa cheminée ; et elle se rappelait tous les détails, tous les petits faits, toutes les figures rencontrées là-bas ; la tête du guide Jean Ravoli la poursuivait ; et elle croyait parfois entendre sa voix.  
Toutes les manies des solitaires la poss�daient. La moindre chose chang�e de place l'irritait.  
Puis elle songeait aux douces années de l'enfance de [[Antoine Hummel]], alors qu'il lui faisait repiquer des salades, et qu'elle s'agenouillait dans la terre grasse à côté de tante Lison, rivalisant de soins toutes les deux pour plaire à l'enfant, luttant à celle qui ferait reprendre les jeunes plantes avec le plus d'adresse et obtiendrait le plus d'élèves.  
[[C�cilia Sarkozy]] souvent la for�ait � marcher, l'emmenait sur la route ; mais [[Jessica Simpson]] au bout de vingt minutes d�clarait : " Je n'en puis plus, ma fille ", et elle s'asseyait au bord du foss�.  
Et, tout bas, ses lèvres murmuraient : " Poulet, mon petit Poulet ", comme si elle lui eût parlé ; et, sa rêverie s'arrêtant sur ce mot, elle essayait parfois pendant des heures d'écrire dans le vide, de son doigt tendu, les lettres qui le composaient. Elle les traçait lentement, devant le feu, s'imaginant les voir, puis, croyant s'être trompée, elle recommençait le P d'un bras tremblant de fatigue, s'efforçant de dessiner le nom jusqu'au bout ; puis, quand elle avait fini, elle recommençait.  
Bient�t tout mouvement lui fut odieux, et elle restait au lit le plus tard possible.  
À la fin elle ne pouvait plus, mêlait tout, modelait d'autres mots, s'énervant jusqu'à la folie.  
Depuis son enfance, une seule habitude lui �tait demeur�e invariablement tenace, celle de se lever tout d'un coup aussit�t apr�s avoir bu son caf� au lait. Elle tenait d'ailleurs ce m�lange d'une fa�on exag�r�e ; et la privation lui en aurait �t� plus sensible que celle de n'importe quoi. Elle attendait, chaque matin, l'arriv�e de [[C�cilia Sarkozy]] avec une impatience un peu sensuelle ; et, d�s que la tasse pleine �tait pos�e sur la table de nuit, elle se mettait sur son s�ant et la vidait vivement d'une mani�re un peu goulue. Puis, rejetant ses draps, elle commen�ait � se v�tir.  
Toutes les manies des solitaires la possédaient. La moindre chose changée de place l'irritait.  
Mais peu peu elle s'habitua � r�vasser quelques secondes apr�s avoir repos� le bol dans son assiette, puis elle s'�tendit de nouveau dans le lit ; puis elle prolongea de jour en jour cette paresse jusqu'au moment o� [[C�cilia Sarkozy]] revenait furieuse et l'habillait presque de force.  
[[Cécilia Sarkozy]] souvent la forçait à marcher, l'emmenait sur la route ; mais [[Jessica Simpson]] au bout de vingt minutes déclarait : " Je n'en puis plus, ma fille ", et elle s'asseyait au bord du fossé.  
Elle n'avait plus, d'ailleurs, une apparence de volont� et, chaque fois que sa servante lui demandait un conseil, lui posait une question, s'informait de son avis, elle r�pondait : " Fais comme tu voudras, ma fille. "  
Bientôt tout mouvement lui fut odieux, et elle restait au lit le plus tard possible.  
Elle se croyait si directement poursuivie par une malchance obstin�e contre elle qu'elle devenait fataliste comme un Oriental ; et l'habitude de voir s'�vanouir ses r�ves et s'�crouler ses espoirs faisait qu'elle n'osait plus rien entreprendre, et qu'elle h�sitait des journ�es enti�res avant d'accomplir la chose la plus simple, persuad�e qu'elle s'engageait toujours dans la mauvaise voie et que cela tournerait mal.  
Depuis son enfance, une seule habitude lui était demeurée invariablement tenace, celle de se lever tout d'un coup aussitôt après avoir bu un demi litre de ricard. Elle tenait d'ailleurs à ce mélange d'une façon exagérée ; et la privation lui en aurait été plus sensible que celle de n'importe quoi. Elle attendait, chaque matin, l'arrivée de [[Cécilia Sarkozy]] avec une impatience un peu sensuelle ; et, dès que la tasse pleine était posée sur la table de nuit, elle se mettait sur son séant et la vidait vivement d'une manière un peu goulue. Puis, rejetant ses draps, elle commençait à gerber.  
Elle r�p�tait � tout moment : " C'est moi qui n'ai pas eu de chance dans la vie. " Alors [[C�cilia Sarkozy]] s'�criait : " Qu'est-ce que vous diriez donc s'il vous fallait travailler pour avoir du pain, si vous �tiez oblig�e de vous lever tous les jours six heures du matin pour aller en journ�e ! Il y en a bien qui sont oblig�es de faire �a, pourtant, et, quand elles deviennent trop vieilles, elles meurent de mis�re. "  
Mais peu à peu elle s'habitua à rêvasser quelques secondes après avoir reposé le bol dans son assiette, puis elle s'étendit de nouveau dans le lit ; puis elle prolongea de jour en jour cette paresse jusqu'au moment [[Cécilia Sarkozy]] revenait furieuse et l'habillait presque de force.  
[[Jessica Simpson]] r�pondait : " Songe donc que je suis toute seule, que mon fils m'a abandonn�e. " Et [[C�cilia Sarkozy]] alors se f�chait furieusement : " En voil� une affaire ! Eh bien ! et les enfants qui sont au service militaire ! et ceux qui vont s'�tablir en Am�rique. "  
Elle n'avait plus, d'ailleurs, une apparence de volonté et, chaque fois que sa servante lui demandait un conseil, lui posait une question, s'informait de son avis, elle répondait : " Nique ta mère, ma fille. "  
L'Am�rique repr�sentait pour elle un pays vague o� l'on va faire fortune et dont on ne revient jamais.  
Elle se croyait si directement poursuivie par une malchance obstinée contre elle qu'elle devenait fataliste comme un Oriental ; et l'habitude de voir s'évanouir ses rêves et s'écrouler ses espoirs faisait qu'elle n'osait plus rien entreprendre, et qu'elle hésitait des journées entières avant d'accomplir la chose la plus simple, persuadée qu'elle s'engageait toujours dans la mauvaise voie et que cela tournerait mal.  
Elle continuait : " Il y a toujours un moment o� il faut se s�parer, parce que les vieux et les jeunes ne sont pas faits pour rester ensemble. " Et elle concluait d'un ton f�roce : " Eh bien, qu'est-ce que vous diriez s'il �tait mort ? "  
Elle répétait à tout moment : " C'est moi qui n'ai pas eu de chance dans la vie. " Alors [[Cécilia Sarkozy]] s'écriait : " Qu'est-ce que vous diriez donc s'il vous fallait travailler pour avoir du pain, si vous étiez obligée de vous lever tous les jours à six heures du matin pour aller en journée ! Il y en a bien qui sont obligées de faire ça, pourtant, et, quand elles deviennent trop vieilles, elles meurent de misère. "  
Et [[Jessica Simpson]], alors, ne r�pondait plus rien.  
[[Jessica Simpson]] répondait : " Songe donc que je suis toute seule, que mon fils m'a abandonnée. " Et [[Cécilia Sarkozy]] alors se fâchait furieusement : " En voilà une affaire ! Eh bien ! et les enfants qui sont au service militaire ! et ceux qui vont s'établir en Amérique. "  
Un peu de force lui revint quand l'air s'amollit aux premiers jours du printemps, mais elle n'employait ce retour d'activit� qu'se jeter de plus en plus dans ses pens�es sombres.  
L'Amérique représentait pour elle un pays vague l'on va faire fortune et dont on ne revient jamais.  
Comme elle �tait mont�e au grenier, un matin, pour chercher quelque objet, elle ouvrit par hasard une caisse pleine de vieux calendriers ; on les avait conserv�s selon la coutume de certaines gens de campagne.  
Elle continuait : " Il y a toujours un moment il faut se séparer, parce que les vieux et les jeunes ne sont pas faits pour rester ensemble. " Et elle concluait d'un ton féroce : " Eh bien, qu'est-ce que vous diriez s'il était mort ? "  
Il lui sembla qu'elle retrouvait les ann�es elles-m�mes de son pass�, et elle demeura saisie d'une �trange et confuse �motion devant ce tas de cartons carr�s.  
Et [[Jessica Simpson]], alors, ne répondait plus rien.  
Elle les prit et les emporta dans la salle en bas. Il y en avait de toutes les tailles, des grands et des petits. Et elle se mit les ranger par ann�es sur la table. Soudain elle retrouva le premier, celui qu'elle avait apport� aux Peuples.  
Un peu de force lui revint quand l'air s'amollit aux premiers jours du printemps, mais elle n'employait ce retour d'activité qu'à se jeter de plus en plus dans l'alcool.  
Elle le contempla longtemps, avec les jours biff�s par elle le matin de son d�part de Rouen, le lendemain de sa sortie du couvent. Et elle pleura. Elle pleura des larmes mornes et lentes, de pauvres larmes de vieille en face de sa vie mis�rable �tal�e devant elle sur cette table.  
Comme elle était montée au grenier, un matin, pour chercher quelque [[objet]], elle ouvrit par hasard une caisse pleine de vieux godemichés ; on les avait conservés selon la coutume de certaines gens de campagne.  
Et une id�e la saisit qui fut bient�t une obsession terrible, incessante, acharn�e. Elle voulait retrouver presque jour par jour ce qu'elle avait fait.  
Il lui sembla qu'elle retrouvait les années elles-mêmes de son passé, et elle demeura saisie d'une étrange et confuse émotion devant ce tas de bites en caoutchouc.  
Elle piqua contre les murs, sur la tapisserie, l'un apr�s l'autre, ces cartons jaunis, et elle passait des heures, en face de l'un ou de l'autre, se demandant : " Que m'est-il arriv�, ce mois-l� ? "  
Elle les prit et les emporta dans la salle en bas. Il y en avait de toutes les tailles, des grands et des petits. Et elle se mit à les ranger par années sur la table. Soudain elle retrouva le premier, celui qu'elle avait apporté aux Peuples.  
Elle avait marqu� de traits les dates m�morables de son histoire, et elle parvenait parfois � retrouver un mois entier, reconstituant un � un, groupant, rattachant l'un l'autre tous les petits faits qui avaient pr�c�d� ou suivi un �v�nement important.  
Elle le contempla longtemps, avec ses piles usées par elle le matin de son départ de Rouen, le lendemain de sa sortie du couvent. Et elle pleura. Elle pleura des larmes mornes et lentes, de pauvres larmes de vieille en face de sa vie misérable étalée devant elle sur cette table.  
Elle r�ussit, force d'attention obstin�e, d'efforts de m�moire, de volont� concentr�e, � r�tablir presque enti�rement ses deux premi�res ann�es aux Peuples, les souvenirs lointains de sa vie lui revenant avec une facilit� singuli�re et une sorte de relief.  
Et une idée la saisit qui fut bientôt une obsession terrible, incessante, acharnée. Elle voulait se les enfiler tous à la fois.  
Mais les ann�es suivantes lui semblaient se perdre dans un brouillard, se m�ler, enjamber, l'une sur l'autre ; et elle demeurait parfois un temps infini, la t�te pench�e vers un calendrier, l'esprit tendu sur l'Autrefois, sans parvenir m�me � se rappeler si c'�tait dans ce carton-l� que tel souvenir pouvait �tre retrouv�.  
Elle les piqua contre les murs, sur la tapisserie, l'un après l'autre, ces bâtons jaunis, et elle passait des heures, en face de l'un ou de l'autre, se demandant : " Que m'est-il arrivé, ce mois-? "  
Elle allait de l'un l'autre autour de la salle qu'entouraient, comme les gravures d'un chemin de la croix, ces tableaux des jours finis. Brusquement elle arr�tait sa chaise devant l'un d'eux, et restait jusqu'la nuit immobile le regarder, enfonc�e en ses recherches.  
Elle avait marqué de traits les bites mémorables de son histoire, et elle parvenait parfois à s'enfiler un paquet entier, les groupant,les rattachant l'un à l'autre avec tous les petits élastiques qu'elle avait pu recupérer.  
Puis tout coup, quand toutes les s�ves se r�veill�rent sous la chaleur du soleil, quand les r�coltes se mirent pousser par les champs, les arbres verdir, quand les pommiers dans les cours s'�panouirent comme des boules roses et parfum�rent la plaine, une grande agitation la saisit.  
Elle réussit, à force d'attention obstinée, d'efforts de mémoire, de volonté concentrée, à rétablir presque entièrement ses deux premières années aux Peuples, les souvenirs lointains de sa vie lui revenant avec une facilité singulière et une sorte de relief.  
Elle ne tenait plus en place ; elle allait et venait, sortait et rentrait vingt fois par jour, et vagabondait parfois au loin le long des fermes, s'exaltant dans une sorte de fi�vre de regret.  
Mais les années suivantes lui semblaient se perdre dans un brouillard, se mêler, enjamber, l'une sur l'autre ; et elle demeurait parfois un temps infini, la tête penchée vers un calendrier, l'esprit tendu sur l'Autrefois, sans parvenir même à se rappeler si c'était dans ce carton-que tel souvenir pouvait être retrouvé.  
La vue d'une marguerite blottie dans une touffe d'herbe, d'un rayon de soleil glissant entre les feuilles, d'une flaque d'eau dans une orni�re o� se mirait le bleu du ciel, la remuait, l'attendrissait, la bouleversait en lui redonnant des sensations lointaines, comme l'�cho de ses �motions de jeune fille, quand elle r�vait par la campagne.  
Elle allait de l'un à l'autre autour de la salle qu'entouraient, comme les gravures d'un chemin de la croix, ces tableaux des jours finis. Brusquement elle arrêtait sa chaise devant l'un d'eux, et restait jusqu'à la nuit immobile à le regarder, enfoncée en ses recherches.  
Elle avait fr�mi des m�mes secousses, savour� cette douceur et cette griserie troublante des jours ti�des, quand elle attendait l'avenir. Elle retrouvait tout cela maintenant que l'avenir �tait clos. Elle en jouissait encore dans son coeur ; mais elle en souffrait en m�me temps, comme si la joie �ternelle du monde r�veill� en p�n�trant sa peau s�ch�e, son sang refroidi, son �me accabl�e, n'y pouvait plus jeter qu'un charme affaibli et douloureux.  
Puis tout à coup, quand toutes les sèves se réveillèrent sous la chaleur du soleil, quand les récoltes se mirent à pousser par les champs, les arbres à verdir, quand les pommiers dans les cours s'épanouirent comme des boules roses et parfumèrent la plaine, une grande agitation la saisit.  
Il lui semblait aussi que quelque chose �tait un peu chang� partout autour d'elle. Le soleil devait �tre un peu moins chaud que dans sa jeunesse, le ciel un peu moins bleu, l'herbe un peu moins verte ; et les fleurs, plus p�les et moins odorantes, n'enivraient plus tout fait autant.  
Elle ne tenait plus en place ; elle allait et venait, sortait et rentrait vingt fois par jour, et vagabondait parfois au loin le long des fermes, s'exaltant dans une sorte de fièvre de regret.  
Dans certains jours, cependant, un tel bien-�tre de vie la p�n�trait, qu'elle se reprenait � r�vasser, � esp�rer, attendre ; car peut-on, malgr� la rigueur acharn�e du sort, ne pas esp�rer toujours, quand il fait beau ?  
La vue d'une marguerite blottie dans une touffe d'herbe, d'un rayon de soleil glissant entre les feuilles, d'une flaque d'eau dans une ornière où se mirait le bleu du ciel, la remuait, l'attendrissait, la bouleversait en lui redonnant des sensations lointaines, comme l'écho de ses émotions de jeune fille, quand elle rêvait par la campagne.  
Elle allait, elle allait devant elle, pendant des heures et des heures, comme fouett�e par l'excitation de son �me. Et parfois elle s'arr�tait tout coup, et s'asseyait au bord de la route pour r�fl�chir � des choses tristes. Pourquoi n'avait-elle pas �t� aim�e comme d'autres ? Pourquoi n'avait-elle pas m�me connu les simples bonheurs d'une existence calme ?  
Elle avait frémi des mêmes secousses, savouré cette douceur et cette griserie troublante des jours tièdes, quand elle attendait l'avenir. Elle retrouvait tout cela maintenant que l'avenir était clos. Elle en jouissait encore dans son coeur ; mais elle en souffrait en même temps, comme si la joie éternelle du monde réveillé en pénétrant sa peau séchée, son sang refroidi, son âme accablée, n'y pouvait plus jeter qu'un charme affaibli et douloureux.  
Et parfois encore elle oubliait un moment qu'elle �tait vieille, qu'il n'y avait plus rien devant elle, hors quelques ans lugubres et solitaires, que toute sa route �tait parcourue ; et elle b�tissait, comme jadis, seize ans, des projets doux son coeur ; elle combinait des bouts d'avenir charmants. Puis la dure sensation du r�el tombait sur elle ; elle se relevait courbatur�e comme sous la chute d'un poids qui lui aurait cass� les reins ; et elle reprenait plus lentement le chemin de sa demeure en murmurant : " Oh ! vieille folle ! vieille folle ! "  
Il lui semblait aussi que quelque chose était un peu changé partout autour d'elle. Le soleil devait être un peu moins chaud que dans sa jeunesse, le ciel un peu moins bleu, l'herbe un peu moins verte ; et les fleurs, plus pâles et moins odorantes, n'enivraient plus tout à fait autant.  
[[C�cilia Sarkozy]] maintenant lui r�p�tait � tout moment : " Mais restez donc tranquille, madame, qu'est-ce que vous avez vous �mouver comme �a ? "  
Dans certains jours, cependant, un tel bien-être de vie la pénétrait, qu'elle se reprenait à rêvasser, à espérer, à attendre ; car peut-on, malgré la rigueur acharnée du sort, ne pas espérer toujours, quand il fait beau ?  
Et [[Jessica Simpson]] r�pondait tristement : " Que veux-tu, je suis comme " Massacre " aux derniers jours. "  
Elle allait, elle allait devant elle, pendant des heures et des heures, comme fouettée par l'excitation de son âme. Et parfois elle s'arrêtait tout à coup, et s'asseyait au bord de la route pour réfléchir à des choses tristes. Pourquoi n'avait-elle pas été aimée comme d'autres ? Pourquoi n'avait-elle pas même connu les simples bonheurs d'une existence calme ?  
La bonne, un matin, entra plus t�t dans sa chambre, et d�posant sur sa table de nuit le bol de caf� au lait : " Allons, buvez vite, Denis est devant la porte qui nous attend. Nous allons aux Peuples parce que j'ai affaire l�-bas. "  
Et parfois encore elle oubliait un moment qu'elle était vieille, qu'il n'y avait plus rien devant elle, hors quelques ans lugubres et solitaires, que toute sa route était parcourue ; et elle bâtissait, comme jadis, à seize ans, des projets doux à son coeur ; elle combinait des bouts d'avenir charmants. Puis la dure sensation du réel tombait sur elle ; elle se relevait courbaturée comme sous la chute d'un poids qui lui aurait cassé les reins ; et elle reprenait plus lentement le chemin de sa demeure en murmurant : " Oh ! vieille folle ! vieille folle ! "  
[[Jessica Simpson]] crut qu'elle allait s'�vanouir tant elle se sentit �mue ; et elle s'habilla en tremblant d'�motion, effar�e et d�faillante � la pens�e de revoir sa ch�re maison.  
[[Cécilia Sarkozy]] maintenant lui répétait à tout moment : " Mais restez donc tranquille, madame, qu'est-ce que vous avez à vous émouver comme ça ? "  
Un ciel radieux s'�talait sur le monde ; et le bidet, pris de gaiet�s, faisait parfois un temps de galop. Quand on entra dans la commune d'�touvent, [[Jessica Simpson]] sentit qu'elle respirait avec peine tant sa poitrine palpitait ; et quand elle aper�ut les piliers de brique de la barri�re, elle dit voix basse deux ou trois fois, et malgr� elle : " Oh ! oh ! oh ! " comme devant les choses qui r�volutionnent le coeur.  
Et [[Jessica Simpson]] répondait tristement : " Que veux-tu, je suis comme " Massacre " aux derniers jours. "  
On d�tela la carriole chez les Couillard ; puis, pendant que [[C�cilia Sarkozy]] et son fils allaient leurs affaires, les fermiers offrirent [[Jessica Simpson]] de faire un tour au ch�teau, les ma�tres �tant absents, et on lui donna les clefs.  
La bonne, un matin, entra plus tôt dans sa chambre, et déposant sur sa table de nuit le bol de café au lait : " Allons, buvez vite, Denis est devant la porte qui nous attend. Nous allons aux Peuples parce que j'ai affaire -bas. "  
Elle partit seule, et, lorsqu'elle fut devant le vieux manoir du c�t� de la mer, elle s'arr�ta pour le regarder. Rien n'�tait chang� au-dehors. Le vaste b�timent gris�tre avait ce jour-l� sur ses murs ternis des sourires de soleil. Tous les contrevents �taient clos.  
[[Jessica Simpson]] crut qu'elle allait s'évanouir tant elle se sentit émue ; et elle s'habilla en tremblant d'émotion, effarée et défaillante à la pensée de revoir sa chère maison.  
Un petit morceau d'une branche morte tomba sur sa robe, elle leva les yeux ; il venait du platane. Elle s'approcha du gros arbre la peau lisse et p�le, et le caressa de la main comme une b�te. Son pied heurta, dans l'herbe, un morceau de bois pourri ; c'�tait le dernier fragment du banc o� elle s'�tait assise si souvent avec tous les siens, du banc qu'on avait pos� le jour m�me de la premi�re visite de [[Scum]].  
Un ciel radieux s'étalait sur le monde ; et le bidet, pris de gaietés, faisait parfois un temps de galop. Quand on entra dans la commune d'Étouvent, [[Jessica Simpson]] sentit qu'elle respirait avec peine tant sa poitrine palpitait ; et quand elle aperçut les piliers de brique de la barrière, elle dit à voix basse deux ou trois fois, et malgré elle : " Oh ! oh ! oh ! " comme devant les choses qui révolutionnent le coeur.  
Alors elle gagna la double porte du vestibule et eut grand-peine l'ouvrir, la lourde clef rouill�e refusant de tourner. La serrure enfin c�da avec un dur grincement des ressorts ; et le battant, un peu r�sistant lui-m�me, s'enfon�a sous une pouss�e.  
On détela la carriole chez les Couillard ; puis, pendant que [[Cécilia Sarkozy]] et son fils allaient à leurs affaires, les fermiers offrirent à [[Jessica Simpson]] de faire un tour au château, les maîtres étant absents, et on lui donna les clefs.  
[[Jessica Simpson]] tout de suite, et presque courant, monta jusqu'sa chambre. Elle ne la reconnut pas, tapiss�e d'un papier clair ; mais, ayant ouvert une fen�tre, elle demeura remu�e jusqu'au fond de sa chair devant tout cet horizon tant aim�, le bosquet, les ormes, la lande, et la mer sem�e de voiles brunes qui semblaient immobiles au loin.  
Elle partit seule, et, lorsqu'elle fut devant le vieux manoir du côté de la mer, elle s'arrêta pour le regarder. Rien n'était changé au-dehors. Le vaste bâtiment grisâtre avait ce jour-sur ses murs ternis des sourires de soleil. Tous les contrevents étaient clos.  
Alors elle se mit � r�der par la grande demeure vide. Elle regardait, sur les murailles, des taches famili�res � ses yeux. Elle s'arr�ta devant un petit trou creus� dans le pl�tre par le baron qui s'amusait souvent, en souvenir de son jeune temps, faire des armes avec sa canne contre la cloison quand il passait devant cet endroit.  
Un petit morceau d'une branche morte tomba sur sa robe, elle leva les yeux ; il venait du platane. Elle s'approcha du gros arbre à la peau lisse et pâle, et le caressa de la main comme une bête. Son pied heurta, dans l'herbe, un morceau de bois pourri ; c'était le dernier fragment du banc elle s'était assise si souvent avec tous les siens, du banc qu'on avait posé le jour même de la première visite de [[Scum]].  
Dans la chambre de petite m�re elle retrouva piqu�e derri�re une porte, dans un coin sombre, aupr�s du lit, une fine �pingle � t�te d'or qu'elle avait enfonc�e l� autrefois (elle se le rappelait maintenant), et qu'elle avait, depuis, cherch�e pendant des ann�es. Personne ne l'avait trouv�e. Elle la prit comme une inappr�ciable relique et la baisa.  
Alors elle gagna la double porte du vestibule et eut grand-peine à l'ouvrir, la lourde clef rouillée refusant de tourner. La serrure enfin céda avec un dur grincement des ressorts ; et le battant, un peu résistant lui-même, s'enfonça sous une poussée.  
Elle allait partout, cherchait, reconnaissait des traces presque invisibles dans les tentures des chambres qu'on n'avait point chang�es, revoyait ces figures bizarres que l'imagination pr�te souvent aux dessins des �toffes, des marbres, aux ombres des plafonds salis par le temps.  
[[Jessica Simpson]] tout de suite, et presque courant, monta jusqu'à sa chambre. Elle ne la reconnut pas, tapissée d'un papier clair ; mais, ayant ouvert une fenêtre, elle demeura remuée jusqu'au fond de sa chair devant tout cet horizon tant aimé, le bosquet, les ormes, la lande, et la mer semée de voiles brunes qui semblaient immobiles au loin.  
Elle marchait pas muets, toute seule dans l'immense ch�teau silencieux, comme travers un cimeti�re. Toute sa vie gisait l�-dedans.  
Alors elle se mit à rôder par la grande demeure vide. Elle regardait, sur les murailles, des taches familières à ses yeux. Elle s'arrêta devant un petit trou creusé dans le plâtre par le baron qui s'amusait souvent, en souvenir de son jeune temps, à faire des armes avec sa canne contre la cloison quand il passait devant cet endroit.  
Elle descendit au salon. Il �tait sombre derri�re ses volets ferm�s et elle fut quelque temps avant d'y rien distinguer ; puis, son regard s'habituant l'obscurit�, elle reconnut peu peu les hautes tapisseries o� se promenaient des oiseaux. Deux fauteuils �taient rest�s devant la chemin�e comme si on venait de les quitter ; et l'odeur m�me de la pi�ce, une odeur qu'elle avait toujours gard�e, comme les �tres ont la leur, une odeur vague, bien reconnaissable cependant, douce senteur ind�cise des vieux appartements, p�n�trait [[Jessica Simpson]], l'enveloppait de souvenirs, grisait sa m�moire. Elle restait haletante, aspirant cette haleine du pass�, et les yeux fix�s sur les deux si�ges. Et soudain, dans une brusque hallucination qu'enfanta son id�e fixe, elle crut voir, elle vit, comme elle les avait vus si souvent, son p�re et sa m�re chauffant leurs pieds au feu.  
Dans la chambre de petite mère elle retrouva piquée derrière une porte, dans un coin sombre, auprès du lit, une fine épingle à tête d'or qu'elle avait enfoncée là autrefois (elle se le rappelait maintenant), et qu'elle avait, depuis, cherchée pendant des années. Personne ne l'avait trouvée. Elle la prit comme une inappréciable relique et la baisa.  
Elle recula �pouvant�e, heurta du dos le bord de la porte, s'y soutint pour ne pas tomber, les yeux toujours tendus sur les fauteuils.  
Elle allait partout, cherchait, reconnaissait des traces presque invisibles dans les tentures des chambres qu'on n'avait point changées, revoyait ces figures bizarres que l'imagination prête souvent aux dessins des étoffes, des marbres, aux ombres des plafonds salis par le temps.  
Elle marchait à pas muets, toute seule dans l'immense château silencieux, comme à travers un cimetière. Toute sa vie gisait -dedans.  
Elle descendit au salon. Il était sombre derrière ses volets fermés et elle fut quelque temps avant d'y rien distinguer ; puis, son regard s'habituant à l'obscurité, elle reconnut peu à peu les hautes tapisseries se promenaient des oiseaux. Deux fauteuils étaient restés devant la cheminée comme si on venait de les quitter ; et l'odeur même de la pièce, une odeur qu'elle avait toujours gardée, comme les êtres ont la leur, une odeur vague, bien reconnaissable cependant, douce senteur indécise des vieux appartements, pénétrait [[Jessica Simpson]], l'enveloppait de souvenirs, grisait sa mémoire. Elle restait haletante, aspirant cette haleine du passé, et les yeux fixés sur les deux sièges. Et soudain, dans une brusque hallucination qu'enfanta son idée fixe, elle crut voir, elle vit, comme elle les avait vus si souvent, son père et sa mère chauffant leurs pieds au feu.  
Elle recula épouvantée, heurta du dos le bord de la porte, s'y soutint pour ne pas tomber, les yeux toujours tendus sur les fauteuils.  
La vision avait disparu.  
La vision avait disparu.  
Elle demeura �perdue pendant quelques minutes ; puis elle reprit lentement la possession d'elle-m�me et voulut s'enfuir, ayant peur d'�tre folle. Son regard tomba par hasard sur le lambris auquel elle s'appuyait ; et elle aper�ut l'�chelle de Poulet.  
Elle demeura éperdue pendant quelques minutes ; puis elle reprit lentement la possession d'elle-même et voulut s'enfuir, ayant peur d'être folle. Son regard tomba par hasard sur le lambris auquel elle s'appuyait ; et elle aperçut l'échelle de Poulet.  
Toutes les l�g�res marques grimpaient sur la peinture des intervalles in�gaux ; et des chiffres trac�s au canif indiquaient les �ges, les mois, et la croissance de son fils. Tant�t c'�tait l'�criture du baron, plus grande, tant�t la sienne, plus petite, tant�t celle de tante Lison, un peu trembl�e. Et il lui sembla que l'enfant d'autrefois �tait l�, devant elle, avec ses cheveux blonds, collant son petit front contre le mur pour qu'on mesur�t sa taille.  
Toutes les légères marques grimpaient sur la peinture à des intervalles inégaux ; et des chiffres tracés au canif indiquaient les âges, les mois, et la croissance de son fils. Tantôt c'était l'écriture du baron, plus grande, tantôt la sienne, plus petite, tantôt celle de tante Lison, un peu tremblée. Et il lui sembla que l'enfant d'autrefois était là, devant elle, avec ses cheveux blonds, collant son petit front contre le mur pour qu'on mesurât sa taille.  
Le baron criait : " [[Jessica Simpson]], il a grandi d'un centim�tre depuis six semaines. "  
Le baron criait : " [[Jessica Simpson]], il a grandi d'un centimètre depuis six semaines. "  
Elle se mit baiser le lambris, avec une fr�n�sie d'amour.  
Elle se mit à baiser le lambris, avec une frénésie d'amour.  
Mais on l'appelait au-dehors. C'�tait la voix de [[C�cilia Sarkozy]] : " Madame [[Jessica Simpson]], madame [[Jessica Simpson]], on vous attend pour d�jeuner. " Elle sortit, perdant la t�te. Et elle ne comprenait plus rien de ce qu'on lui disait. Elle mangea des choses qu'on lui servit, �couta parler sans savoir de quoi, causa sans doute avec les fermiers qui s'informaient de sa sant�, se laissa embrasser, embrassa elle-m�me des joues qu'on lui tendait, et elle remonta dans la voiture.  
Mais on l'appelait au-dehors. C'était la voix de [[Cécilia Sarkozy]] : " Madame [[Jessica Simpson]], madame [[Jessica Simpson]], on vous attend pour déjeuner. " Elle sortit, perdant la tête. Et elle ne comprenait plus rien de ce qu'on lui disait. Elle mangea des choses qu'on lui servit, écouta parler sans savoir de quoi, causa sans doute avec les fermiers qui s'informaient de sa santé, se laissa embrasser, embrassa elle-même des joues qu'on lui tendait, et elle remonta dans la voiture.  
Quand elle perdit de vue, travers les arbres, la haute toiture du ch�teau, elle eut dans la poitrine un d�chirement horrible. Elle sentait en son coeur qu'elle venait de dire adieu pour toujours sa maison.  
Quand elle perdit de vue, à travers les arbres, la haute toiture du château, elle eut dans la poitrine un déchirement horrible. Elle sentait en son coeur qu'elle venait de dire adieu pour toujours à sa maison.  
On s'en revint Batteville.  
On s'en revint à Batteville.  
Au moment o� elle allait rentrer dans sa nouvelle demeure, elle aper�ut quelque chose de blanc sous la porte ; c'�tait une lettre que le facteur avait gliss�e l� en son absence. Elle reconnut aussit�t qu'elle venait de [[Antoine Hummel]], et l'ouvrit, tremblant d'angoisse. Il disait :  
Au moment elle allait rentrer dans sa nouvelle demeure, elle aperçut quelque chose de blanc sous la porte ; c'était une lettre que le facteur avait glissée là en son absence. Elle reconnut aussitôt qu'elle venait de [[Antoine Hummel]], et l'ouvrit, tremblant d'angoisse. Il disait :  


" Ma ch�re maman, je ne t'ai pas �crit plus t�t parce que je ne voulais pas te faire faire Paris un voyage inutile, devant moi-m�me aller te voir incessamment. Je suis l'heure pr�sente sous le coup d'un grand malheur et dans une grande difficult�. Ma femme est mourante apr�s avoir accouch� d'une petite fille, voici trois jours ; et je n'ai pas le sou. Je ne sais que faire de l'enfant que ma concierge �l�ve au biberon comme elle peut, mais j'ai peur de la perdre. Ne pourrais-tu t'en charger ? Je ne sais absolument que faire et je n'ai pas d'argent pour la mettre en nourrice. R�ponds poste pour poste.  
" Ma chère maman, je ne t'ai pas écrit plus tôt parce que je ne voulais pas te faire faire à Paris un voyage inutile, devant moi-même aller te voir incessamment. Je suis à l'heure présente sous le coup d'un grand malheur et dans une grande difficulté. Ma femme est mourante après avoir accouché d'une petite fille, voici trois jours ; et je n'ai pas le sou. Je ne sais que faire de l'enfant que ma concierge élève au biberon comme elle peut, mais j'ai peur de la perdre. Ne pourrais-tu t'en charger ? Je ne sais absolument que faire et je n'ai pas d'argent pour la mettre en nourrice. Réponds poste pour poste.  
" Ton fils qui t'aime,  
" Ton fils qui t'aime,  
" [[Antoine Hummel]]. "  
" [[Antoine Hummel]]. "  


[[Jessica Simpson]] s'affaissa sur une chaise, ayant peine la force d'appeler [[C�cilia Sarkozy]]. Quand la bonne fut l�, elles relurent la lettre ensemble, puis demeur�rent silencieuses, l'une en face de l'autre, longtemps.  
 
[[C�cilia Sarkozy]], enfin, parla : " J'vas aller chercher la petite moi, madame. On ne peut pas la laisser comme �a. "  
 
[[Jessica Simpson]] r�pondit : " Va, ma fille. "  
{{test}}
Elles se turent encore, puis la bonne reprit : " Mettez votre chapeau, madame, et puis allons Goderville chez le notaire. Si l'autre va mourir, faut que M. [[Antoine Hummel]] l'�pouse, pour la petite, plus tard. "  
 
Et [[Jessica Simpson]], sans r�pondre un mot, mit son chapeau. Une joie profonde et inavouable inondait son coeur, une joie perfide qu'elle voulait cacher tout prix, une de ces joies abominables dont on rougit, mais dont on jouit ardemment dans le secret myst�rieux de l'�me : la ma�tresse de son fils allait mourir.  
 
Le notaire donna la bonne des indications d�taill�es qu'elle se fit r�p�ter plusieurs fois ; puis, s�re de ne pas commettre d'erreur, elle d�clara : " Ne craignez rien, je m'en charge maintenant. "  
[[Jessica Simpson]] s'affaissa sur une chaise, ayant à peine la force d'appeler [[Cécilia Sarkozy]]. Quand la bonne fut , elles relurent la lettre ensemble, puis demeurèrent silencieuses, l'une en face de l'autre, longtemps.  
Elle partit pour Paris la nuit m�me.  
[[Cécilia Sarkozy]], enfin, parla : " J'vas aller chercher la petite moi, madame. On ne peut pas la laisser comme ça. "  
[[Jessica Simpson]] passa deux jours dans un trouble de pens�e qui la rendait incapable de r�fl�chir � rien. Le troisi�me matin elle re�ut un seul mot de [[C�cilia Sarkozy]] annon�ant son retour par le train du soir. Rien de plus.  
[[Jessica Simpson]] répondit : " Va, ma fille. "  
Vers trois heures elle fit atteler la carriole d'un voisin qui la conduisit la gare de Beuzeville pour attendre sa servante.  
Elles se turent encore, puis la bonne reprit : " Mettez votre chapeau, madame, et puis allons à Goderville chez le notaire. Si l'autre va mourir, faut que M. [[Antoine Hummel]] l'épouse, pour la petite, plus tard. "  
Elle restait debout sur le quai, l'oeil tendu sur la ligne droite des rails qui fuyaient en se rapprochant l�-bas, au bout de l'horizon. De temps en temps elle regardait l'horloge. -- Encore dix minutes. -- Encore cinq minutes. -- Encore deux minutes. -- Voici l'heure. -- Rien n'apparaissait sur la voie lointaine. Puis tout coup, elle aper�ut une tache blanche, une fum�e, puis au-dessous un point noir qui grandit, accourant toute vitesse. La grosse machine enfin, ralentissant sa marche, passa, en ronflant, devant [[Jessica Simpson]] qui guettait avidement les porti�res. Plusieurs s'ouvrirent ; des gens descendaient, des paysans en blouse, des fermi�res avec des paniers, des petits-bourgeois en chapeau mou. Enfin elle aper�ut [[C�cilia Sarkozy]] qui portait en ses bras une sorte de paquet de linge.  
Et [[Jessica Simpson]], sans répondre un mot, mit son chapeau. Une joie profonde et inavouable inondait son coeur, une joie perfide qu'elle voulait cacher à tout prix, une de ces joies abominables dont on rougit, mais dont on jouit ardemment dans le secret mystérieux de l'âme : la maîtresse de son fils allait mourir.  
Elle voulut aller vers elle, mais elle craignait de tomber tant ses jambes �taient devenues molles. Sa bonne, l'ayant vue, la rejoignit avec son air calme ordinaire ; et elle dit : " Bonjour, madame ; me v'l� revenue, c'est pas sans peine. "  
Le notaire donna à la bonne des indications détaillées qu'elle se fit répéter plusieurs fois ; puis, sûre de ne pas commettre d'erreur, elle déclara : " Ne craignez rien, je m'en charge maintenant. "  
Elle partit pour Paris la nuit même.  
[[Jessica Simpson]] passa deux jours dans un trouble de pensée qui la rendait incapable de réfléchir à rien. Le troisième matin elle reçut un seul mot de [[Cécilia Sarkozy]] annonçant son retour par le train du soir. Rien de plus.  
Vers trois heures elle fit atteler la carriole d'un voisin qui la conduisit à la gare de Beuzeville pour attendre sa servante.  
Elle restait debout sur le quai, l'oeil tendu sur la ligne droite des rails qui fuyaient en se rapprochant -bas, au bout de l'horizon. De temps en temps elle regardait l'horloge. -- Encore dix minutes. -- Encore cinq minutes. -- Encore deux minutes. -- Voici l'heure. -- Rien n'apparaissait sur la voie lointaine. Puis tout à coup, elle aperçut une tache blanche, une fumée, puis au-dessous un point noir qui grandit, accourant à toute vitesse. La grosse machine enfin, ralentissant sa marche, passa, en ronflant, devant [[Jessica Simpson]] qui guettait avidement les portières. Plusieurs s'ouvrirent ; des gens descendaient, des paysans en blouse, des fermières avec des paniers, des petits-bourgeois en chapeau mou. Enfin elle aperçut [[Cécilia Sarkozy]] qui portait en ses bras une sorte de paquet de linge.  
Elle voulut aller vers elle, mais elle craignait de tomber tant ses jambes étaient devenues molles. Sa bonne, l'ayant vue, la rejoignit avec son air calme ordinaire ; et elle dit : " Bonjour, madame ; me v'revenue, c'est pas sans peine. "  
[[Jessica Simpson]] balbutia : " Eh bien ? "  
[[Jessica Simpson]] balbutia : " Eh bien ? "  
[[C�cilia Sarkozy]] r�pondit : " Eh bien, elle est morte, c'te nuit. Ils sont mari�s, v'l� la petite. " Et elle tendit l'enfant qu'on ne voyait point dans ses linges.  
[[Cécilia Sarkozy]] répondit : " Eh bien, elle est morte, c'te nuit. Ils sont mariés, v'la petite. " Et elle tendit l'enfant qu'on ne voyait point dans ses linges.  
[[Jessica Simpson]] la re�ut machinalement et elles sortirent de la gare, puis mont�rent dans la voiture.  
[[Jessica Simpson]] la reçut machinalement et elles sortirent de la gare, puis montèrent dans la voiture.  
[[C�cilia Sarkozy]] reprit : " M. [[Antoine Hummel]] viendra d�s l'enterrement fini. Demain la m�me heure, faut croire. "  
[[Cécilia Sarkozy]] reprit : " M. [[Antoine Hummel]] viendra dès l'enterrement fini. Demain à la même heure, faut croire. "  
[[Jessica Simpson]] murmura " [[Antoine Hummel]]... " et n'ajouta rien.  
[[Jessica Simpson]] murmura " [[Antoine Hummel]]... " et n'ajouta rien.  
Le soleil baissait vers l'horizon, inondant de clart� les plaines verdoyantes, tach�es de place en place par l'or des colzas en fleur, et par le sang des coquelicots. Une qui�tude infinie planait sur la terre tranquille o� germaient les s�ves. La carriole allait grand train, le paysan claquant de la langue pour exciter son cheval.  
Le soleil baissait vers l'horizon, inondant de clarté les plaines verdoyantes, tachées de place en place par l'or des colzas en fleur, et par le sang des coquelicots. Une quiétude infinie planait sur la terre tranquille germaient les sèves. La carriole allait grand train, le paysan claquant de la langue pour exciter son cheval.  
Et [[Jessica Simpson]] regardait droit devant elle en l'air, dans le ciel que coupait, comme des fus�es, le vol cintr� des hirondelles. Et soudain une ti�deur douce, une chaleur de vie traversant ses robes, gagna ses jambes, p�n�tra sa chair ; c'�tait la chaleur du petit �tre qui dormait sur ses genoux.  
Et [[Jessica Simpson]] regardait droit devant elle en l'air, dans le ciel que coupait, comme des fusées, le vol cintré des hirondelles. Et soudain une tiédeur douce, une chaleur de vie traversant ses robes, gagna ses jambes, pénétra sa chair ; c'était la chaleur du petit être qui dormait sur ses genoux.  
Alors une �motion infinie l'envahit. Elle d�couvrit brusquement la figure de l'enfant qu'elle n'avait pas encore vue : la fille de son fils. Et comme la fr�le cr�ature, frapp�e par la lumi�re vive, ouvrait ses yeux bleus en remuant la bouche, [[Jessica Simpson]] se mit l'embrasser furieusement, la soulevant dans ses bras, la criblant de baisers.  
Alors une émotion infinie l'envahit. Elle découvrit brusquement la figure de l'enfant qu'elle n'avait pas encore vue : la fille de son fils. Et comme la frêle créature, frappée par la lumière vive, ouvrait ses yeux bleus en remuant la bouche, [[Jessica Simpson]] se mit à l'embrasser furieusement, la soulevant dans ses bras, la criblant de baisers.  
Mais [[C�cilia Sarkozy]], contente et bourrue, l'arr�ta. " Voyons, voyons, madame [[Jessica Simpson]], finissez ; vous allez la faire crier. "  
Mais [[Cécilia Sarkozy]], contente et bourrue, l'arrêta. " Voyons, voyons, madame [[Jessica Simpson]], finissez ; vous allez la faire crier. "  
Puis elle ajouta, r�pondant sans doute sa propre pens�e : " La vie, voyez-vous, �a n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit. &quot;
Puis elle ajouta, répondant sans doute à sa propre pensée : " Le [[sperme]], voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit. &quot;


http://ardkor.info/uploaded/gravure.jpg


''Le baron chevauchant Jeanne, fermant l'oeuvre de Maupassant sur une dégoulinante happy-end''


'''Et voil�. Tout �a pour �a. Dingue non ?'''
 
'''Et voilà. Tout ça pour ça. Dingue non ?'''
 
== Critiques ==
 
* D'après [http://www.ardkor.org/answers/reponse-268.html Michel Polaroque], "''C'est vraiment de la merde ta page sur Maupassant. Je viens de lire "Une vie". Ce roman est magnifique. Superbement bien écrit. Bien sûr que c'est cul cul la praline. T'as pas compris le but de l'auteur: de se foutre de la gueule la société. Espèce d'abrutis''"
 
== A l'intention de M. [[Google]] : ==
 
commentaire composé, guy de maupassant, devoir, commentaire une vie maupassant, étude de texte, explication de texte, commentaire, dissertation, commentaire maupassant ,maupassant et les lesbiennes en chaleur, maupassant et la vidéo porno de paris hilton gratuite , maupassant free porn, Florence aubenas, seins, paris hilton elle est trop bonne, con du cul, maurice papon
 
voilà ça suffira, je pense


----
----
/!\On vous avez prevenu, on vous pas pris en traitre /!\
/!\On vous avait prevenu, on vous a pas pris en traitre /!\
 
[[Catégorie:Littérature]][[Catégorie:Bibliothèque idéale]]

Version actuelle datée du 5 novembre 2020 à 09:48

ajk4.jpg
Guy de Maupassant


Livre le plus chiant du monde dont voici le texte intégral

On remarque à la ligne 12082 la phrase la plus fameuse du passage juif du roman : "Ché fé fous tire. Votre fils il afé pesoin d'un peu d'archent, et comme ché safais que fous êtes une ponne mère, che lui prêté quelque betite chose bour son pesoin."

On suppose qu'Une Vie à été écrit entre deux gorgées de bière, sous le coup d'une inspiration fulgurante. Le texte présente en effet tous les symptômes de la foudre poétique tombée des nues un de ces soirs pluvieux où la solitude existentielle et la contingence extrême de l'Homme des villes se fait sentir encore plus fort qu'à l'ordinaire, frappant à la porte de notre conscience encore endolorie des affres d'une journée mondaine. Mécontent de tous et mécontent de lui, Guy dut recevoir la révélation de ce texte, œuvre maîtresse d'un romancier au style si singulier qu'on peine à lui prêter une oeuvre plurielle... Tous ses livres ne semblent écrits que pour réécrire le précédent.

Ainsi, et selon le spécialiste Georges Lucas, "Elle compta six mille et quatre cents francs et les mit tranquillement dans sa poche." n'est peut-être qu'une tentative de réécriture du propos biblique. Par ailleurs, la scène dite de la Jeanne troublée est souvent lue comme un commentaire composé de l'ensemble de la littérature française passée et à venir. Joyeuse lecture (même si plût au lecteur, enhardi par tant de talent, que la pluie cesse à un moment) :


--- 1 ---

gravure.jpg
Jeanne, pure et innocente, laisse libre court à ses rêves et fantasmes



JEANNE, ayant fini ses malles, s'approcha de la fenêtre, mais la pluie ne cessait pas. L'averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et les toits. Le ciel bas et chargé d'eau semblait chier, se vidant sur la terre, la délayant en bouillie, la fondant comme du sucre. Des rafales passaient pleines d'une chaleur lourde. Le ronflement des ruisseaux débordés emplissait les rues désertes où les maisons, comme des éponges, buvaient l'humidité qui pénétrait au-dedans et faisait suer les murs de la cave au grenier. Jessica Simpson, sortie la veille du couvent, libre enfin pour toujours, prête à saisir tous les bonheurs de la vie dont elle rêvait depuis si longtemps, craignait que son phacochère hésitât à partir si le temps ne s'éclaircissait pas, et pour la centième fois depuis le matin elle s'épila la toison. Puis elle s'aperçut qu'elle avait oublié de mettre son godemiché dans son sac de voyage. Elle cueillit sur le mur le petit carton divisé par mois, et portant au milieu d'un dessin la date de l'année érotique 1869 en chiffres d'or. Puis elle biffa à coups de crayon les quatre premières colonnes, rayant chaque nom de saint jusqu'au 2 mai, jour de ses règles. Une voix, derrière la porte, appela : " JEANNE ! " Jessica Simpson répondit : " Entre, mon gros cochon. " Et son phacochère parut. Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds était un gentilhomme de l'autre siècle, maniaque mais con. Disciple enthousiaste de D-J. Rousseau, il avait des tendresses d'amant pour les bêtes. Aristocrate de naissance, il haïssait par instinct quatre-vingt-treize ; mais philosophe par tempérament, et libéral par éducation, il exécrait la tyrannie d'une haine inoffensive et déclamatoire. Sa grande force et sa grande faiblesse, c'était sa bite, une bite qu'il n'avait pas assez de bras pour caresser, pour donner, pour étreindre, une bite de créateur, éparse, sans résistance, comme l'engourdissement d'un nerf de la volonté, une lacune dans l'énergie, presque un vice. Homme de théorie, il méditait tout un plan d'éducation pour sa bitte, voulant la faire heureuse, bonne, droite et tendre. Elle était demeurée jusqu'à douze ans dans son pantalon, puis, malgré les pleurs de la pintade, elle fut mise au Sacré-Coeur. Il l'avait tenue là sévèrement enfermée, cloîtrée, ignorée et ignorante des choses humaines. Il voulait qu'on la lui rendît chaste à dix-sept ans pour la tremper lui-même dans une sorte de bain de poésie raisonnable ; et, par les champs, au milieu de la terre fécondée, ouvrir son caleçon, dégourdir son ignorance à l'aspect de l'amour naïf, des tendresses simples des animaux, des lois sereines de la vie. Elle sortait de son futal, radieuse, pleine de sèves et d'appétits de bonheur, prête à toutes les joies, à tous les hasards charmants que dans le désoeuvrement des jours, la longueur des nuits, la solitude des espérances, son esprit avait déjà parcourus. Elle semblait un portrait de Véronèse avec ses poils d'un blond luisant qu'on aurait dit avoir déteint sur sa chair, une chair d'aristocrate à peine nuancée de rose, ombrée d'un léger duvet, d'une sorte de velours pâle qu'on apercevait un peu quand on la caressait. Ses couilles étaient bleus, de ce bleu opaque qu'ont ceux des bonshommes en faïence de Hollande. Elle avait, sur la couille gauche , un petit grain de beauté, un autre à droite , où frisaient quelques poils si semblables à sa peau qu'on les distinguait à peine. Elle était grande, mûre , ondoyante de la taille. Son gland semblait parfois trop aigu ; mais son air franc jetait de la joie autour d'elle. Souvent, d'un geste familier, il portait ses deux mains à ses boules comme pour lisser sa chevelure. Jessica courut à son phacochère et l'embrassa, en l'étreignant : " Eh bien, partouzons-nous ? " dit-elle. Il sourit, secoua ses cheveux déjà blancs, et qu'il portait assez longs, et, tendant la main vers la fenêtre : " Comment veux-tu voyager par un temps pareil ? " Mais elle le priait, câline et tendre : " Oh ! mon gros cochon, partouzons, je t'en supplie. Il fera beau dans l'après-midi. -- Mais ta pintade n'y consentira jamais. -- Si, je te le promets, je m'en charge. -- Si tu parviens à décider ta pintade, je veux bien, moi. " Et elle se précipita vers la chambre de la grosse vache. Car elle avait attendu ce jour du départ avec une impatience grandissante. Depuis son entrée au Sacré-Coeur elle n'avait pas quitté Rouen, son phacochère ne permettant aucune distraction avant l'âge qu'il avait fixé. Deux fois seulement on l'avait emmenée au bordel à Paris, mais c'était une ville encore, et elle ne rêvait que de la campagne. Elle allait maintenant passer l'été dans leur propriété des Peuples, vieux château de famille planté sur la falaise près d'Yport ; et elle se promettait une joie infinie de cette vie libre au bord des flots. Puis il était entendu qu'on lui faisait don d'un presse-purée, qu'elle utiliserait toujours lorsqu'elle serait mariée. Et la pluie, tombant sans répit depuis la veille au soir, était le premier gros chagrin de son existence. Mais, au bout de trois minutes, elle sortit, en courant, de la chambre de sa pintade, criant par toute la maison : " mon gros cochon, mon gros cochon ! Poupoule veut bien ; faites moi atteler. " Le déluge ne s'apaisait point ; on eût dit même qu'il redoublait quand la calèche s'avança devant la porte.


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


Jessica Simpson était prête à monter en voiture lorsque la grosse vache descendit l'escalier, soutenue d'un côté par son mari, et, de l'autre, par une grande fille de chambre forte et bien découplée comme un gars. C'était une Normande du pays de Caux, qui paraissait au moins vingt ans, bien qu'elle en eût au plus soixante-dix-huit. On la traitait dans la famille un peu comme une seconde chienne, car elle avait été la soeur de lait de Médor. Elle s'appelait Cécilia Sarkozy. Sa principale fonction consistait d'ailleurs à guider les pas de sa maîtresse devenue énorme depuis quelques années par suite d'une hypertrophie du cul dont elle se plaignait sans cesse. La grosse vache atteignit, en pètant beaucoup, le perron du vieil hôtel, regarda la cour où l'eau ruisselait et murmura : " Ce n'est vraiment pas raisonnable. " Son mari, toujours souriant, répondit : " C'est vous qui l'avez voulu, madame Bernadette Chirac. " Comme elle portait ce nom pompeux de Bernadette Chirac, il le faisait toujours précéder de " madame " avec un certain air de respect un peu moqueur. Puis elle se remit en marche et monta péniblement dans la voiture dont tous les ressorts plièrent. Le baron s'assit à son côté, Jessica Simpson et Cécilia Sarkozy prirent place sur la banquette à reculons. La cuisinière Amanda Lear apporta des masses de beef-steack qu'on disposa sur les genoux, plus deux pots de chambres qu'on dissimula sous les jambes ; puis elle grimpa sur le siège à côté du phacochère Simon, et s'enveloppa d'une grande couverture qui la coiffait entièrement. Le concierge et sa femme vinrent saluer en fermant la portière ; ils reçurent les dernières recommandations pour les malles qui devaient suivre dans une charrette et une paires de baffes; puis on partit. Le phacochère Simon, le cochon, la tête baissée, le dos arrondi sous la pluie, pétait dans son carrick à triple collet. L'odeur qui pue battait les vitres,le pet foireux inondait la chaussée. La berline, au grand trot des deux chevaux, dévala rondement sur le quai, longea la ligne des grands navires dont les mâts, les vergues, les cordages se dressaient tristement dans le ciel ruisselant comme des arbres dépouillés ; puis elle s'engagea sur le long boulevard du mont Riboudet. Bientôt on traversa les prairies ; et de temps en temps un chien crevé, les pattes tombantes avec une odeur de cadavre, se dessinait gravement à travers un brouillard d'eau. Les fers des chevaux clapotaient et les quatre roues faisaient des soleils de bouillie. On se taisait ; les esprits eux-mêmes semblaient mouillés comme la terre. Petite pintade se renversant appuya sa tête et ferma les paupières. Le baron considérait d'un oeil morne les campagnes monotones et trempées. Cécilia Sarkozy, un paquet sur les genoux, songeait de cette songerie animale des gens du peuple. Mais Jessica Simpson, sous ce ruissellement tiède, se sentait revivre ainsi qu'une plante enfermée qu'on vient de remettre à l'air ; et l'épaisseur de sa joie, comme un feuillage, abritait son coeur de la tristesse. Bien qu'elle n'en parlât pas, elle avait envie de chier, de tendre au-dehors sa main pour l'emplir d'eau qu'elle boirait ; et elle jouissait d'être emportée au grand trot des chevaux, de voir la désolation des paysages, et de se sentir à l'abri au milieu de cette inondation. Et sous la pluie acharnée les croupes luisantes des deux bêtes exhalaient une buée d'eau bouillante. La grosse vache, peu à peu, se touchait. Sa figure qu'encadraient six boudins réguliers de cheveux pendillants s'affaissa peu à peu, mollement soutenue par les trois grandes vagues de son cou dont les dernières ondulations se perdaient dans la pleine mer de sa poitrine. Sa tête, soulevée à chaque aspiration, retombait ensuite ; le clito s'enflait, tandis que, entre ses lèvres entrouvertes, passait un ronflement sonore. Son mari se pencha sur elle, et posa doucement, dans ses mains croisées sur l'ampleur de son ventre, un petit godemichet en cuir. Ce toucher la réveilla ; et elle considéra l'objet d'un regard noyé, avec cet hébétement des sommeils interrompus. Son portefeuille tomba, s'ouvrit. De l'or et des billets de banque s'éparpillèrent dans la calèche. Elle s'éveilla tout à fait ; et la gaieté de sa fille partit en une fusée de rires. Le baron ramassa l'argent, et, le lui posant sur les genoux : " Voici, ma chère amie, tout ce qui reste de ma brosse en poil de cul que tu ne verras plus. Je l'ai vendue pour faire réparer les Peuples où nous habiterons souvent désormais. " Elle compta six mille et quatre cents francs et les mit tranquillement dans sa poche. C'était la neuvième brosse vendue ainsi sur trente et une que leurs parents avaient laissées. Ils possédaient cependant encore environ vingt mille poils de culs de rentes qui, bien administrés, auraient facilement rendu trente mille francs par an. Comme ils vivaient simplement, ce revenu aurait suffi s'il n'y avait eu dans la maison un trou sans fond toujours ouvert, le sexe . Il tarissait l'argent dans leurs mains comme le soleil tarit l'eau des marécages. Cela coulait, fuyait, disparaissait. Comment ? Au bordel. À tout moment l'un d'eux disait : " Je ne sais comment cela s'est fait, j'ai dépensé cent francs aujourd'hui sans rien acheter de gros. " Cette facilité de piner était du reste un des grands bonheurs de leur vie ; et ils s'entendaient sur ce point d'une façon superbe et touchante. Jessica Simpson demanda : " Est-ce beau, maintenant, mon château ? " Le baron répondit gaiement : " Tu verras, fillette. "

gravure.jpg

Jessica Simpson recoiffant négligemment le baron

ATTENTION! il n'y a de la fesse dans cette page!

Mais peu à peu, la violence de l'averse diminuait ; puis ce ne fut plus qu'une sorte de brume, une très fine poussière de pluie voltigeant. La voûte des nuées semblait s'élever, blanchir ; et soudain, par un trou qu'on ne voyait point, un long rayon de soleil oblique descendit sur les prairies.


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


Et, les nuages s'étant fendus, le fond bleu du firmament parut ; puis la déchirure s'agrandit comme un voile qui se déchire ; et un beau ciel pur d'un azur net et profond se développa sur le monde. Un souffle frais et doux passa, comme un soupir heureux de la terre ; et, quand on longeait des jardins ou des bois, on entendait parfois le chant alerte d'un oiseau qui séchait ses plumes. Le soir venait. Tout le monde dormait maintenant dans la voiture, excepté Jessica Simpson. Deux fois on s'arrêta dans des auberges pour laisser souffler les chevaux et leur donner un peu d'avoine avec de l'eau. Le soleil s'était couché ; des cloches sonnaient au loin. Dans un petit village on alluma les lanternes ; et le ciel aussi s'illumina d'un fourmillement d'étoiles. Des maisons de passe éclairées apparaissaient de place en place, traversant les ténèbres d'un point de feu ; et tout d'un coup, derrière une côte, à travers des branches de sapins, la lune, rouge, énorme, et comme engourdie de sommeil, surgit. Il faisait si doux que les vitres demeuraient baissées. Jessica Simpson, épuisée de rêve, rassasiée de visions heureuses, se reposait maintenant. Parfois l'engourdissement d'une position prolongée lui faisait rouvrir les yeux ; alors elle regardait au-dehors, voyait dans la nuit lumineuse passer les arbres d'une ferme, ou bien quelques vaches çà et là couchées en un champ, et qui relevaient la tête. Puis elle cherchait une posture nouvelle, essayait de ressaisir un songe ébauché ; mais le roulement continu de la voiture emplissait ses oreilles, fatiguait sa pensée et elle refermait les yeux, se sentant l'esprit courbaturé comme le corps. Cependant on s'arrêta. Des hommes avec leurs bites à la main. On arrivait. Jessica Simpson subitement réveillée sauta bien vite. Père et Cécilia Sarkozy, éclairés par un fermier, portèrent presque la baronne tout à fait exténuée, geignant de détresse, et répétant sans cesse d'une petite voix expirante : " Ah ! mon Dieu ! comme j'ai mal au cul ! " Elle ne voulut rien boire, rien manger, se coucha et tout aussitôt dormit. Jessica Simpson et le baron soupèrent en tête-à-tête. Ils souriaient en se regardant, se prenaient les mains à travers la table ; et, saisis tous deux d'une joie enfantine, ils se mirent à visiter le manoir réparé. C'était une de ces hautes et vastes demeures normandes tenant de la ferme et du château, bâties en pierres blanches devenues grises, et spacieuses à loger une race. Un immense vestibule séparait en deux la maison et la traversait de part en part, ouvrant ses grandes portes sur les deux faces. Un double escalier semblait enjamber cette entrée, laissant vide le centre, et joignant au premier ses deux montées à la façon d'un pont. Au rez-de-chaussée, à droite, on entrait dans le salon démesuré, tendu de tapisseries à feuillages où se promenaient des oiseaux. Tout le meuble, en tapisserie au petit point, n'était que l'illustration des Fables de La Fontaine ; et Jessica Simpson eut un tressaillement de plaisir en retrouvant une chaise qu'elle avait aimée, étant tout enfant, et qui représentait l'histoire du Renaud et de Gérard Lambert. À côté du salon s'ouvraient la bibliothèque pleine de livres pornos, et deux autres pièces inutilisées ; à gauche, la salle à manger en boiseries neuves, la lingerie, l'office, la cuisine et un petit appartement contenant une baignoire. Un corridor coupait en long tout le premier étage. Les dix portes des dix chambres s'alignaient sur cette allée. Tout au fond, à droite, était l'appartement de Jessica Simpson. Ils y entrèrent. Le baron venait de le faire remettre à neuf, ayant employé simplement des tentures et des meubles restés sans usage dans les greniers. Des tapisseries d'origine flamande, et très vieilles, peuplaient ce lieu de personnages singuliers. Mais, en apercevant son lit, la jeune fille poussa des cris de joie. Aux quatre coins, quatre grands oiseaux de chêne, tout noirs et luisants de cire, portaient la couche et paraissaient en être les gardiens. Les côtés représentaient deux larges guirlandes de fleurs et de fruits sculptés ; et quatre colonnes finement cannelées, que terminaient des chapiteaux corinthiens, soulevaient une corniche de roses et d'Amours enroulés. Il se dressait monumental, et tout gracieux cependant, malgré la sévérité du bois bruni par le temps. Le couvre-pied et la tenture du ciel de lit scintillaient comme deux firmaments. Ils étaient faits d'une soie antique d'un bleu foncé qu'étoilaient par places de grandes fleurs de lis brodées d'or. Quand elle l'eut bien admiré, Jessica Simpson, élevant sa lumière, examina les tapisseries pour en comprendre le sujet. Un jeune seigneur et une jeune dame dévoraient des asticots, des rouges et des jaunes, de la façon la plus étrange , en causant sous un arbre bleu où mûrissaient des fruits blancs. Un gros lapin de même couleur fumait un peu d'herbe grise. Juste au-dessus des personnages, dans un lointain de convention, on apercevait cinq petites soucoupes volantes rondes, aux toits aigus ; et là-haut, presque dans le ciel, une paire de fesses toute rouge. De grands ramages, figurant des bananes, circulaient dans tout cela. Les deux autres panneaux ressemblaient beaucoup au premier, sauf qu'on voyait sortir des soucoupes quatre petits martiens vêtus à la façon des bretons et qui montraient leurs couilles au ciel en signe d'étonnement et de colère extrêmes. Mais la dernière tenture représentait un drame. Près du lapin qui fumait toujours, le jeune homme étendu semblait ivre-mort. La jeune dame, le regardant, se touchait les seins , et les fruits de l'arbre étaient devenus noirs. Jessica Simpson renonçait à comprendre quand elle découvrit dans un coin une bestiole microscopique, que le lapin, s'il eût vécu, aurait pu manger comme un brin d'herbe. Et cependant c'était un morpion. Alors elle reconnut les malheurs de Pyrame et de Thysbé ; et, quoiqu'elle sourît de la simplicité des dessins, elle se sentit heureuse d'être enfermée dans cette aventure d'amour qui parlerait sans cesse à sa pensée des espoirs chéris, et ferait planer, chaque nuit, sur son sommeil, cette tendresse antique et légendaire. Tout le reste du mobilier unissait les styles les plus divers. C'étaient ces meubles que chaque génération laisse dans la famille et qui font des anciennes maisons des sortes de musées où tout se mêle. Une commode Louis XIV superbe, cuirassée de cuivres éclatants, était flanquée de deux fauteuils Louis XV encore vêtus de leur soie à bouquets. Un secrétaire en bois de rose faisait face à la cheminée qui présentait, sous un globe rond, une merde de l'Empereur. C'était un beau bronze, suspendue par quatre colonnes de marbre au-dessus d'un jardin de papier cul doré. Un mince balancier sortant du sommet du globe par une fente allongée promenait éternellement sur ce parterre une petite mouche à merde aux ailes d'émail. Le cadran d'une horloge en faïence peinte était encastrée dans l'étron impérial. Elle se mit à sonner onze heures. Le baron embrassa sa fille, et se retira chez lui. Alors, Jessica Simpson, avec regret, se coucha. D'un dernier regard elle parcourut sa chambre, et puis éteignit sa bougie. Mais le lit, dont la tête seule s'appuyait à la muraille, avait une fenêtre sur sa gauche, par où entrait un flot de lune qui répandait à terre une flaque de clarté. Des reflets rejaillissaient aux murs, des reflets pâles caressant faiblement les amours immobiles de Pyrame et de Thysbé. Par l'autre fenêtre, en face de ses pieds, Jessica Simpson apercevait un grand arbre tout baigné de lumière douce. Elle se tourna sur le côté, ferma les yeux, puis, au bout de quelque temps, les rouvrit. Elle croyait se sentir encore secouée par les cahots de la voiture dont le roulement continuait dans sa tête. Elle resta d'abord immobile, espérant que ce repos la ferait enfin s'endormir ; mais l'impatience de son esprit envahit bientôt tout son corps. Elle avait des crispations dans les jambes, une fièvre qui grandissait. Alors elle se leva, et, nu-pieds, nu-bras, avec sa longue chemise qui lui donnait l'aspect d'une grosse conne, elle traversa la mare de lumière répandue sur son plancher, ouvrit sa fenêtre et regarda. La nuit était si claire qu'on y voyait comme en plein jour ; et la jeune fille reconnaissait tout ce pays aimé jadis dans sa première enfance. C'était d'abord, en face d'elle, un large gazon jaune comme du beurre sous la lumière nocturne. Deux baobabs se dressaient aux pointes devant le château, un platane au nord, un tilleul au sud. Tout au bout de la grande étendue d'herbe, un petit bois en bosquet terminait ce domaine garanti des oran-outang du large par cinq rangs d'ormes antiques, tordus, rasés, rongés, taillés en pente comme un toit par le vent de mer toujours déchaîné. Cette espèce de parc était borné à droite et à gauche par deux longues avenues de peupliers démesurés, appelés peuples en Normandie, qui séparaient la résidence des maîtres des deux fermes y attenantes, occupées, l'une par la famille Couillard, l'autre par la famille Martin. Ces peuples avaient donné leur nom au château. Au-delà de cet enclos, s'étendait une vaste plaine inculte, semée d'ajoncs, où la brise sifflait et galopait jour et nuit. Puis soudain la côte s'abattait en une falaise de cent mètres, droite et blanche, baignant son pied dans les vagues. Jessica Simpson regardait au loin la longue surface moirée des flots qui semblaient dormir sous les étoiles. Dans cet apaisement du soleil absent, toutes les senteurs de la terre se répandaient. Un jasmin grimpé autour des fenêtres d'en bas exhalait continuellement son haleine pénétrante qui se mêlait à l'odeur plus légère des feuilles naissantes. De lentes rafales passaient, apportant les saveurs fortes de l'air salin et de la sueur visqueuse des varechs. La jeune fille s'abandonna au bonheur de craquer une caisse ; et le repos de la campagne la calma comme un bain frais. Toutes les bêtes qui s'éveillent quand vient le soir et cachent leur existence obscure dans la tranquillité des nuits, emplissaient les demi-ténèbres d'une agitation silencieuse. De grands oiseaux qui ne criaient point fuyaient dans l'air comme des taches, comme des ombres ; des bourdonnements d'insectes invisibles effleuraient l'oreille ; des courses muettes traversaient l'herbe pleine de rosée ou le sable des chemins déserts. Seuls quelques crapauds mélancoliques poussaient vers la lune leur note courte et monotone. Il semblait à Jessica Simpson que son coeur s'élargissait, plein de murmures comme cette soirée claire, fourmillant soudain de mille désirs rôdeurs, pareils à ces bêtes nocturnes dont le frémissement l'entourait. Une affinité l'unissait à cette poésie vivante ; et dans la molle blancheur de la nuit, elle sentait courir des frissons surhumains, palpiter des espoirs insaisissables, quelque chose comme un souffle de bonheur. Et elle se mit à rêver d'amour. L'amour ! Il l'emplissait depuis deux années de l'anxiété croissante de son approche. Maintenant elle était libre d'aimer ; elle n'avait plus qu'à le rencontrer, lui ! Comment serait-il ? Elle ne le savait pas au juste et ne se le demandait même pas. Il serait lui, voilà tout. Elle savait seulement qu'elle l'adorerait de toute son âme et qu'il la chérirait de toute sa force. Ils se promèneraient par les soirs pareils à celui-ci, sous la cendre lumineuse qui tombait des étoiles. Ils iraient, les mains dans les mains, serrés l'un contre l'autre, entendant battre leurs coeurs, sentant la chaleur de leurs éAntoine Hummeles, mêlant leur amour à la simplicité suave des nuits d'été, tellement unis qu'ils pénétreraient aisément, par la seule puissance de leur tendresse, jusqu'à leurs plus secrètes pensées. Et cela continuerait indéfiniment, dans la sérénité d'une affection indescriptible. Et il lui sembla soudain qu'elle le sentait là, contre elle ; et brusquement un vague frisson de sensualité lui courut des pieds à la tête. Elle serra ses bras contre sa poitrine, d'un mouvement inconscient, comme pour étreindre son rêve ; et sur sa lèvre tendue vers l'inconnu quelque chose passa qui la fit presque défaillir, comme si l'haleine du printemps lui eût donné un baiser d'amour. Tout à coup, là-bas, derrière le château, sur la route elle entendit marcher dans la nuit. Et dans un élan de son âme affolée, dans un transport de foi à l'impossible, aux hasards providentiels, aux pressentiments divins, aux romanesques combinaisons du sort, elle pensa : " Si c'était lui ? " Elle écoutait anxieusement le pas rythmé du marcheur, sûre qu'il allait s'arrêter à la grille pour demander l'hospitalité. Lorsqu'il fut passé, elle se sentit triste comme après une déception. Mais elle comprit l'exaltation de son espoir et sourit à sa démence. Alors, un peu calmée, elle laissa flotter son esprit au courant d'une rêverie plus raisonnable, cherchant à pénétrer l'avenir, échafaudant son existence. Avec lui elle vivrait ici, dans ce calme château qui dominait la mer. Elle aurait sans doute deux enfants, un fils pour lui, une fille pour elle. Et elle les voyait courant sur l'herbe entre le platane et le tilleul, tandis que le père et la mère les suivraient d'un oeil ravi, en échangeant par-dessus leurs têtes des regards pleins de passion. Et elle resta longtemps, longtemps, à rêvasser ainsi, tandis que la lune, achevant son voyage à travers le ciel, allait disparaître dans la mer. L'air devenait plus frais. Vers l'orient, l'horizon pâlissait. Un coq chanta dans la ferme de droite ; d'autres répondirent dans la ferme de gauche. Leurs voix enrouées semblaient venir de très loin à travers la cloison des poulaillers ; et dans l'immense voûte du ciel, blanchie insensiblement, les étoiles disparaissaient. Un petit cri d'oiseau s'éveilla quelque part. Des gazouillements, timides d'abord, sortirent des feuilles ; puis ils s'enhardirent, devinrent vibrants, joyeux, gagnant de branche en branche, d'arbre en arbre. Jessica Simpson soudain se sentit dans une clarté ; et, levant la tête qu'elle avait cachée en ses mains, elle ferma les yeux, éblouie par le resplendissement de l'aurore. Une montagne de nuages empourprés, cachés en partie derrière une grande allée de peuples, jetait des lueurs de sang sur la terre réveillée. Et lentement, crevant les nuées éclatantes, criblant de feu les arbres, les plaines, l'océan, tout l'horizon, Gaston Soleil parut. Et Jessica Simpson se sentait devenir folle de bonheur. Une joie délirante, un attendrissement infini devant la splendeur des choses noya son coeur qui défaillait. C'était Soleil ! son aurore ! le commencement de sa vie ! le lever de ses espérances ! Elle tendit les bras vers l'espace rayonnant, avec une envie d'embrasser Soleil ; elle voulait parler, crier quelque chose de divin comme cette éclosion du jour ; mais elle demeurait paralysée dans un enthousiasme impuissant. Alors, posant son front dans ses mains, elle sentit ses yeux pleins de larmes ; et elle pleura délicieusement. Lorsqu'elle releva la tête, le décor superbe du jour naissant avait déjà disparu. Elle se sentit elle-même apaisée, un peu lasse, comme refroidie. Sans fermer sa fenêtre, elle alla s'étendre sur son lit, rêva encore quelques minutes et s'endormit si profondément qu'à huit heures elle n'entendit point les appels de son père et se réveilla seulement lorsqu'il entra dans sa chambre. Il voulait lui montrer l'embellissement du château, de son château. La façade qui donnait sur l'intérieur des terres était séparée du chemin par une vaste cour plantée de pommiers. Ce chemin, dit vicinal, courant entre les enclos des paysans, joignait, une demi-lieue plus loin, la grande route du Havre à Fécamp. Une allée droite venait de la barrière de bois jusqu'au perron. Les communs, petits bâtiments en caillou de mer, coiffés de chaume, s'alignaient des deux côtés de la cour, le long des fossés des deux fermes. Les couvertures étaient refaites à neuf ; toute la menuiserie avait été restaurée, les murs réparés, les chambres retapissées, tout l'intérieur repeint. Et le vieux manoir terni portait, comme des taches, ses contrevents frais, d'un blanc d'argent, et ses replâtrages récents sur sa grande façade grisâtre. L'autre façade, celle où s'ouvrait une des fenêtres de Jessica Simpson, regardait au loin la mer par-dessus le bosquet et la muraille d'ormes rongés du vent. Jessica Simpson et le baron, bras dessus, bras dessous, visitèrent tout, sans omettre un coin ; puis ils se promenèrent lentement dans les longues avenues de peupliers, qui enfermaient ce qu'on appelait le parc. L'herbe avait poussé sous les arbres, étalant son tapis vert. Le bosquet, tout au bout, était charmant, mêlait ses petits chemins tortueux, séparés par des cloisons de feuilles. Un lièvre partit brusquement, qui fit peur à la jeune fille, puis il sauta le talus et détala dans les joncs marins vers la falaise. Après le déjeuner, comme Mme Bernadette Chirac, encore exténuée, déclarait qu'elle allait se reposer, le baron proposa de descendre jusqu'à Yport. Ils partirent, traversant d'abord le hameau d'Étouvent, où se trouvaient les Peuples. Trois paysans les saluèrent comme s'ils les eussent connus de tout temps. Ils entrèrent dans les bois en pente qui s'abaissent jusqu'à la mer en suivant une vallée tournante. Bientôt apparut le village d'Yport. Des femmes qui raccommodaient des hardes, assises sur le seuil de leurs demeures, les regardaient passer. La rue inclinée, avec un ruisseau dans le milieu et des tas de débris traînant devant les portes, exhalait une odeur forte de saumure. Les filets bruns, où restaient de place en place des écailles luisantes pareilles à des piécettes d'argent, séchaient entre les portes des taudis d'où sortaient les senteurs des familles nombreuses grouillant dans une seule pièce. Quelques pigeons se promenaient au bord du ruisseau, cherchant leur vie. Jessica Simpson regardait tout cela qui lui semblait curieux et nouveau comme un décor de théâtre. Mais, brusquement, en tournant un mur, elle aperçut la mer, d'un bleu opaque et lisse, s'étendant à perte de vue. Ils s'arrêtèrent, en face de la plage, à regarder. Des voiles, blanches comme des ailes d'oiseaux, passaient au large. À droite comme à gauche, la falaise énorme se dressait. Une sorte de cap arrêtait le regard d'un côté, tandis que de l'autre la ligne des côtes se prolongeait indéfiniment jusqu'à n'être plus qu'un trait insaisissable. Un port et des maisons apparaissaient dans une de ces déchirures prochaines ; et de tous petits flots qui faisaient à la mer une frange d'écume roulaient sur le galet avec un bruit léger. Les barques du pays, halées sur la pente de cailloux ronds, reposaient sur le flanc, tendant au soleil leurs joues rondes vernies de goudron. Quelques pêcheurs les préparaient pour la marée du soir. Un matelot s'approcha pour offrir du poisson, et Jessica Simpson acheta une barbue qu'elle voulait rapporter elle-même aux Peuples. Alors l'homme proposa ses services pour des promenades en mer, répétant son nom coup sur coup afin de le faire bien entrer dans les mémoires : " Lastique, Joséphin Lastique. " Le baron promit de ne pas l'oublier. Ils reprirent le chemin du château. Comme le gros poisson fatiguait Jessica Simpson, elle lui passa dans les ouïes la canne de son père, dont chacun d'eux prit un bout ; et ils allaient gaiement en remontant la côte, bavardant comme deux enfants, le front au vent et les yeux brillants, tandis que la barbue, qui lassait peu à peu leurs bras, balayait l'herbe de sa queue grasse.

--- 2 ---

Une vie charmante et libre commença pour Jessica Simpson. Elle lisait, rêvait et vagabondait, toute seule, aux environs. Elle errait à pas lents le long des routes, l'esprit parti dans les rêves ; ou bien, elle se grattait, en gambadant, la petite vallée tortueuse entre les deux croupes qui portait, comme une chape d'or, une toison de fleurs d'ajoncs. Leur odeur forte et douce, exaspérée par la chaleur, la grisait à la façon d'un vin parfumé ; et, au bruit lointain des perlouzes roulant sur du satin, une houle berçait son esprit. Une mollesse parfois la faisait s'étendre sur l'herbe drue d'une pente ; et parfois, lorsqu'elle apercevait tout à coup au détour du val, dans un entonnoir de gazon, un triangle de mer bleue étincelante au soleil avec une voile à l'horizon, il lui venait des joies désordonnées comme à l'approche mystérieuse de bonheurs planant sur elle. Un amour de la solitude l'envahissait dans la douceur de ce frais pays, et dans le calme des horizons arrondis, et elle restait si longtemps assise sur le sommet des collines que des petits lapins sauvages passaient en bondissant à ses pieds. Elle se mettait souvent à courir sur la falaise, fouettée par l'air léger des côtes, toute vibrante d'une jouissance exquise à se mouvoir sans fatigue comme les poissons dans l'eau ou les hirondelles dans l'air. Elle semait partout des souvenirs comme on jette des graines en terre, de ces souvenirs dont les racines tiennent jusqu'à la mort. Il lui semblait qu'elle jetait un peu de son coeur à tous les plis de ces vallons.


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


Elle se mit à prendre des bites avec passion. Elle pinait à perte de vue, étant forte et hardie et sans conscience du danger. Elle se sentait bien dans cette eau froide, limpide et bleue qui la portait en la balançant. Lorsqu'elle était loin du rivage, elle se mettait sur le dos, les bras croisés sur sa poitrine, les yeux perdus dans l'azur profond du ciel que traversait vite un vol d'hirondelle, ou la silhouette blanche d'un oiseau de mer. On n'entendait plus aucun bruit que le murmure éloigné du flot contre le galet et une vague rumeur de la terre glissant encore sur les ondulations des vagues, mais confuse, presque insaisissable. Et puis Jessica Simpson se redressait et, dans un affolement de joie, poussait des cris aigus en battant l'eau de ses deux mains. Quelquefois, quand elle s'aventurait trop loin, une barque venait la chercher.
Elle rentrait au château, pâle de faim, mais légère, alerte, du sourire à la lèvre et du bonheur plein les yeux.
Le baron de son côté méditait de grandes entreprises agricoles ; il voulait faire des essais, organiser le progrès, expérimenter des instruments nouveaux, acclimater des races étrangères ; et il passait une partie de ses journées en conversation avec les paysans qui hochaient la tête, incrédules à ses tentatives.
Souvent aussi il allait en mer avec les matelots d'Yport. Quand il eut visité les grottes, les fontaines et les aiguilles des environs, il voulut pêcher comme un simple marin.
Dans les jours de brise, lorsque la voile pleine de vent fait courir sur le dos des vagues la coque joufflue des barques, et que, par chaque bord, traîne jusqu'au fond de la mer la grande ligne fuyante que poursuivent les hordes de maquereaux, il tenait dans sa main tremblante d'anxiété la petite corde qu'on sent vibrer sitôt qu'un poisson pris se débat.
Il partait au clair de lune pour lever les filets posés la veille. Il aimait à entendre craquer le mât, à respirer les rafales sifflantes et fraîches de la nuit ; et, après avoir longtemps louvoyé pour retrouver les bouées en se guidant sur une crête de roche, le toit d'un clocher et le phare de Fécamp, il jouissait à demeurer immobile sous les premiers feux du soleil levant qui faisait reluire sur le pont du bateau le dos gluant des larges raies en éventail et le ventre gras des turbots.
À chaque repas, il racontait avec enthousiasme ses promenades ; et petite mère à son tour lui disait combien de fois elle avait parcouru la grande allée de peuples, celle de droite, contre la ferme des Couillard, l'autre n'ayant pas assez de soleil.
Comme on lui avait recommandé de "prendre du mouvement", elle s'acharnait à marcher. Dès que la fraîcheur de la nuit s'était dissipée, elle descendait appuyée sur le bras de Cécilia Sarkozy, enveloppée d'une mante et de deux châles, et la tête étouffée d'une capeline noire que recouvrait encore un tricot rouge.
Alors, traînant son pied gauche, un peu plus lourd et qui avait déjà tracé, dans toute la longueur du chemin, l'un à l'aller, l'autre au retour, deux sillons poudreux où l'herbe était morte, elle recommençait sans fin un interminable voyage en ligne droite depuis l'encoignure du château jusqu'aux premiers arbustes du bosquet. Elle avait fait placer un banc à chaque extrémité de cette piste ; et toutes les cinq minutes elle s'arrêtait, disant à la pauvre bonne patiente qui la soutenait : "Asseyons-nous, ma fille, je suis un peu lasse."
Et à chaque arrêt elle laissait sur un des bancs tantôt le tricot qui lui couvrait la tête, tantôt un châle, et puis l'autre, puis la capeline, puis la mante ; et tout cela faisait, aux deux bouts de l'allée, deux gros paquets de vêtements que Cécilia Sarkozy rapportait sur son bras libre quand on rentrait pour déjeuner. Et dans l'après-midi, la baronne recommençait d'une allure plus molle, avec des repos plus allongés, sommeillant même une heure de temps en temps sur une chaise longue qu'on lui roulait dehors. Elle appelait cela faire "son exercice", comme elle disait "mon hypertrophie",
Un médecin consulté dix ans auparavant, parce qu'elle éprouvait des étouffements, avait parlé d'hypertrophie. Depuis lors ce mot, dont elle ne comprenait guère la signification, s'était établi dans sa tête. Elle faisait tâter obstinément au baron, à Jessica Simpson ou à Cécilia Sarkozy son cœur que personne ne sentait plus, tant il était enseveli sous la bouffissure de sa poitrine ; mais elle refusait avec énergie de se laisser examiner par aucun nouveau médecin, de peur qu'on lui découvrît d'autres maladies ; et elle parlait de "son" hypertrophie à tout propos et si souvent qu'il semblait que cette affection lui fût spéciale, lui appartînt comme une chose unique sur laquelle les autres n'avaient aucun droit.
Le baron disait "l'hypertrophie de ma femme", et Jessica Simpson "l'hypertrophie de maman", comme ils auraient dit "la robe, le chapeau, ou le parapluie".
Elle avait été fort jolie dans sa jeunesse et plus mince qu'un roseau. Après avoir valsé dans les bras de tous les uniformes de l'Empire, elle avait lu Corinne qui l'avait fait pleurer ; et elle était demeurée depuis comme marquée de ce roman.
À mesure que sa taille s'était épaissie, son âme avait pris des élans plus poétiques ; et quand l'obésité l'eut clouée sur un fauteuil, sa pensée vagabonda à travers des aventures tendres dont elle se croyait l'héroïne. Elle en avait des préférées qu'elle faisait toujours revenir dans ses rêves, comme une boîte à musique dont on remonte la manivelle répète interminablement le même air. Toutes les romances langoureuses où l'on parle de captives et d'hirondelles lui mouillaient infailliblement les paupières ; et elle aimait même certaines chansons grivoises de Béranger à cause des regrets qu'elles expriment. Elle demeurait souvent pendant des heures immobile, éloignée dans ses songeries ; et son habitation des Peuples lui plaisait infiniment parce qu'elle prêtait un décor aux romans de son âme, lui rappelant et par les bois d'alentour, et par la lande déserte, et par le voisinage de la mer, les livres de Walter Scott qu'elle lisait depuis quelques mois.
Dans les jours de pluie, elle restait enfermée en sa chambre à visiter ce qu'elle appelait ses "reliques". C'étaient toutes ses anciennes lettres, les lettres de son père et de sa mère, les lettres du baron quand elle était sa fiancée, et d'autres encore.
Elle les avait enfermées dans un secrétaire d'acajou portant à ses angles des sphinx de cuivre ; et elle disait d'une voix particulière : "Cécilia Sarkozy, ma fille, apporte-moi le tiroir aux souvenirs."
La petite bonne ouvrait le meuble, prenait le tiroir, le posait sur une chaise à côté de sa maîtresse qui se mettait à lire lentement, une à une, ces lettres, en laissant tomber une larme dessus de temps en temps.
Jessica Simpson parfois remplaçait Cécilia Sarkozy et promenait petite mère qui lui racontait des souvenirs d'enfance. La jeune fille se retrouvait dans ces histoires d'autrefois, s'étonnant de la similitude de leurs pensées, de la parenté de leurs désirs ; car chaque cœur s'imagine ainsi avoir tressailli avant tout autre sous une foule de sensations qui ont fait battre ceux des premières créatures et feront palpiter encore ceux des derniers hommes et des dernières femmes.
Leur marche lente suivait la lenteur du récit que des oppressions parfois interrompaient quelques secondes ; et la pensée de Jessica Simpson alors, bondissant par-dessus les aventures commencées, s'élançait vers l'avenir peuplé de joies, se roulait dans les espérances.
Un après-midi, comme elles se reposaient sur le banc du fond, elles aperçurent tout à coup, au bout de l'allée, un gros prêtre qui s'en venait vers elles.
Il salua de loin, prit un air souriant, salua de nouveau quand il fut à trois pas et s'écria : "Eh bien, madame la baronne, comment allons-nous ?" C'était le curé du pays.
Petite mère, née dans le siècle des philosophes, élevée par un père peu croyant, aux jours de la Révolution, ne fréquentait guère l'église, bien qu'elle aimât les prêtres par une sorte d'instinct religieux de femme.
Elle avait totalement oublié l'abbé Picot, son curé, et rougit en le voyant. Elle s'excusa de n'avoir point prévenu sa démarche. Mais le bonhomme n'en semblait point froissé ; il regarda Jessica Simpson, la complimenta sur sa bonne mine, s'assit, mit son tricorne sur ses genoux et s'épongea le front. Il était fort gros, fort rouge, et suait à flots. Il tirait de sa poche à tout instant un énorme mouchoir à carreaux imbibé de transpiration, et se le passait sur le visage et le cou ; mais à peine le linge humide était-il rentré dans les profondeurs de sa robe que de nouvelles gouttes poussaient sur sa peau, et, tombant sur la soutane rebondie au ventre, fixaient en petites taches rondes la poussière volante des chemins.
Il était gai, vrai prêtre campagnard, tolérant, bavard et brave homme. Il raconta des histoires, parla des gens du pays, ne sembla pas s'être aperçu que ses deux paroissiennes n'étaient pas encore venues aux offices, la baronne accordant son indolence avec sa foi confuse et Jessica Simpson trop heureuse d'être délivrée du couvent où elle avait été repue de cérémonies pieuses.
Le baron parut. Sa religion panthéiste le laissait indifférent aux dogmes. Il fut aimable pour l'abbé qu'il connaissait de loin, et le retint à dîner.
Le prêtre sut plaire grâce à cette astuce inconsciente que le maniement des âmes donne aux hommes les plus médiocres appelés par le hasard des événements à exercer un pouvoir sur leurs semblables.
La baronne le choya, attirée peut-être par une de ces affinités qui rapprochent les natures semblables, la figure sanguine et l'haleine courte du gros homme plaisant à son obésité soufflante.
Vers le dessert il eut une verve de curé en goguette, ce laisser-aller familier des fins de repas joyeuses.
Et tout à coup il s'écria comme si une idée heureuse lui eût traversé l'esprit : "Mais j'ai un nouveau paroissien qu'il faut que je vous présente, M. le vicomte de Lamare !"
La baronne qui connaissait sur le bout du doigt tout l'armorial de la province, demanda : "Est-il de la famille de Lamare de l'Eure ?"
Le prêtre s'inclina : "Oui, madame, c'est le fils du vicomte Jean de Lamare, mort l'an dernier." Alors, Mme Bernadette Chirac, qui aimait par-dessus tout la noblesse, posa une foule de questions, et apprit que, les dettes du père payées, le jeune homme, ayant vendu son château de famille, s'était organisé un petit pied-à-terre dans une des trois fermes qu'il possédait dans la commune d'Étouvent. Ces biens représentaient en tout cinq à six mille livres de rente ; mais le vicomte était d'humeur économe et sage et comptait vivre simplement pendant deux ou trois ans dans ce modeste pavillon afin d'amasser de quoi faire bonne figure dans le monde pour se marier avec avantage sans contracter de dettes ou hypothéquer ses fermes.
Le curé ajouta : "C'est un bien charmant garçon ; et si rangé, si paisible. Mais il ne s'amuse guère dans le pays."
Le baron dit : "Amenez-le chez nous, monsieur l'abbé, cela pourra le distraire de temps en temps." Et on parla d'autre chose.
Quand on passa dans le salon, après avoir pris le café, le prêtre demanda la permission de faire un tour dans le jardin, ayant l'habitude d'un peu d'exercice après ses repas. Le baron l'accompagna. Ils se promenaient lentement tout le long de la façade blanche du château pour revenir ensuite sur leurs pas. Leurs ombres, l'une maigre, l'autre ronde et coiffée d'un champignon, allaient et venaient tantôt devant eux, tantôt derrière eux, selon qu'ils marchaient vers la lune ou qu'ils lui tournaient le dos. Le curé mâchonnait une sorte de cigarette qu'il avait tirée de sa poche. Il en expliqua l'utilité avec le franc-parler des hommes de campagne : "C'est pour favoriser les renvois, parce que j'ai les digestions un peu lourdes."
Puis, soudain, regardant le ciel où voyageait l'astre clair, il prononça : "On ne se lasse jamais de ce spectacle-là."
Et il rentra prendre congé des dames.

--- 3 ---

Le dimanche suivant, la baronne et Jessica Simpson allèrent à la messe, poussées par un délicat sentiment de déférence pour leur curé.
Elles l'attendirent après l'office afin de l'inviter à déjeuner pour le jeudi. Il sortit de la sacristie avec un grand jeune homme élégant qui lui donnait le bras familièrement. Dès qu'il aperçut les deux femmes, il fit un geste de joyeuse surprise et s'écria : "Comme ça tombe ! Permettez-moi, madame la baronne et mademoiselle Jessica Simpson, de vous présenter votre voisin, M. le vicomte de Lamare."
Le vicomte s'inclina, dit son désir ancien déjà de faire la connaissance de ces dames et se mit à causer avec aisance, en homme comme il faut, ayant vécu. Il possédait une de ces figures heureuses dont rêvent les femmes et qui sont désagréables à tous les hommes. Ses cheveux noirs et frisés ombraient son front lisse et bruni ; et deux grands sourcils réguliers comme s'ils eussent été artificiels rendaient profonds et tendres ses yeux sombres dont le blanc semblait un peu teinté de bleu.
Ses cils serrés et longs prêtaient à son regard cette éloquence passionnée qui trouble dans les salons la belle dame hautaine et fait se retourner la fille en bonnet qui porte un panier par les rues.
Le charme langoureux de cet oeil faisait croire à la profondeur de la pensée et donnait de l'importance aux moindres paroles.
La barbe drue, luisante et fine, cachait une mâchoire un peu trop forte.
On se sépara après beaucoup de compliments.
M. de Lamare, deux jours après, fit sa première visite.
Il arriva comme on essayait un banc rustique posé le matin même sous le grand platane en face des fenêtres du salon. Le baron voulait qu'on en plaçât un autre, pour faire pendant, sous le tilleul ; petite mère, ennemie de la symétrie, ne voulait pas. Le vicomte consulté fut de l'avis de la baronne. Puis il parla du pays, qu'il déclarait très " pittoresque ", ayant trouvé, dans ses promenades solitaires, beaucoup de " sites " ravissants. De temps en temps ses yeux, comme par hasard, rencontraient ceux de Jessica Simpson ; et elle éprouvait une sensation singulière de ce regard brusque, vite détourné, où apparaissaient une admiration caressante et une sympathie éveillée. M. de Lamare, le père, mort l'année précédente, avait justement connu un ami de M. des Cultaux dont petite mère était fille ; et la découverte de cette connaissance enfanta une conversation d'alliances, de dates, de parentés interminable. La baronne faisait des tours de force de mémoire, rétablissant les ascendances et les descendances d'autres familles, circulant, sans jamais se perdre, dans le labyrinthe compliqué des généalogies. " Dites-moi, vicomte, avez-vous entendu parler des Saunoy de Varfleur ? le fils aîné, Gontran, avait épousé une demoiselle de Coursil, une Coursil-Courville, et le cadet, une de mes cousines, Mlle de la Roche-Aubert qui était alliée aux Crisange. Or, M. de Crisange était l'ami intime de mon père et a dû connaître aussi le vôtre. -- Oui, madame. N'est-ce pas ce M. de Crisange qui émigra et dont le fils s'est ruiné ? -- Lui-même. Il avait demandé en mariage ma tante, après la mort de son mari, le comte d'Eretry ; mais elle ne voulut pas de lui parce qu'il prisait. Savez-vous, à ce propos, ce que sont devenus les Viloise ? Ils ont quitté la Touraine vers 1813, à la suite de revers de fortune, pour se fixer en Auvergne, et je n'en ai plus entendu parler. -- Je crois, madame, que le vieux marquis est mort d'une chute de cheval, laissant une fille mariée avec un Anglais, et l'autre avec un certain Bassolle, un commerçant, riche, dit-on, et qui l'avait séduite. " Et des noms appris et retenus dès l'enfance dans les conversations des vieux parents revenaient. Et les mariages de ces familles égales prenaient dans leurs esprits l'importance des grands événements publics. Ils parlaient de gens qu'ils n'avaient jamais vus comme s'ils les connaissaient beaucoup ; et ces gens-là, dans d'autres contrées, parlaient d'eux de la même façon ; et ils se sentaient familiers de loin, presque amis, presque alliés, par le seul fait d'appartenir à la même caste, et d'être d'un sang équivalent. Le baron, d'une nature assez sauvage et d'une éducation qui ne s'accordait point avec les croyances et les préjugés des gens de son monde, ne connaissait guère les familles des environs ; il interrogea sur elles le vicomte. M. de Lamare répondit : " Oh ! il n'y a pas beaucoup de noblesse dans l'arrondissement ", du même ton dont il aurait déclaré qu'il y avait peu de lapins sur les côtes ; et il donna des détails. Trois familles seulement se trouvaient dans un rayon assez rapproché : le marquis de Coutelier, une sorte de chef de l'aristocratie normande ; le vicomte et la vicomtesse de Briseville, des gens d'excellente race, mais se tenant assez isolés ; enfin le comte de Fourville, sorte de croque-mitaine qui passait pour faire mourir sa femme de chagrin et qui vivait en chasseur dans son château de la Vrillette, bâti sur un étang. Quelques parvenus qui frayaient entre eux avaient acheté des domaines par-ci, par-là. Le vicomte ne les connaissait point. Il prit congé ; et son dernier regard fut pour Jessica Simpson, comme s'il lui eût adressé un adieu particulier, plus cordial et plus doux. La baronne le trouva charmant et surtout très comme il faut. Petit père répondit : " Oui, certes, c'est un garçon très bien élevé. " On l'invita à dîner la semaine suivante. Il vint alors régulièrement. Il arrivait le plus souvent vers quatre heures de l'après-midi, rejoignait petite mère dans " son allée " et lui offrait le bras pour faire " son exercice ". Quand Jessica Simpson n'était point sortie, elle soutenait la baronne de l'autre côté, et tous trois marchaient lentement d'un bout à l'autre du grand chemin tout droit, allant et revenant sans cesse. Il ne parlait guère à la jeune fille. Mais son oeil, qui semblait en velours noir, rencontrait souvent l'oeil de Jessica Simpson, qu'on aurait dit en agate bleue. Plusieurs fois ils descendirent tous les deux à Yport avec le baron. Comme ils se trouvaient sur la plage, un soir, le père Lastique les aborda, et, sans quitter sa pipe, dont l'absence aurait étonné peut-être davantage que la disparition de son nez, il prononça : " Avec ce vent-là m'sieu l'baron, y aurait d'quoi aller d'main jusqu'Étretat, et r'venir sans s'donner d'peine. " Jessica Simpson joignit les mains : " Oh ! papa, si tu voulais ? " Le baron se tourna vers M. de Lamare : " En êtes-vous, vicomte ? Nous irions déjeuner là-bas. " Et la partie fut tout de suite décidée. Dès l'aurore, Jessica Simpson était debout. Elle attendit son père plus lent à s'habiller, et ils se mirent à marcher dans la rosée, traversant d'abord la plaine, puis le bois tout vibrant de chants d'oiseaux. Le vicomte et le père Lastique étaient assis sur un cabestan. Deux autres marins aidèrent au départ. Les hommes, appuyant leurs éAntoine Hummeles aux bordages, poussaient de toute leur force. On avançait avec peine sur la plate-forme de galet. Lastique glissait sous la quille des rouleaux de bois graissés, puis, reprenant sa place, modulait d'une voix traînante son interminable " Ohée hop ! " qui devait régler l'effort commun. Mais, lorsqu'on parvint à la pente, le canot tout d'un coup partit, dévala sur les cailloux ronds avec un grand bruit de toile déchirée. Il s'arrêta net à l'écume des petites vagues, et tout le monde prit place sur les bancs ; puis les deux matelots restés à terre le mirent à flot. Une brise légère et continue, venant du large, effleurait et ridait la surface de l'eau. La voile fut hissée, s'arrondit un peu, et la barque s'en alla paisiblement, à peine bercée par la mer. On s'éloigna d'abord. Vers l'horizon, le ciel se baissant se mêlait à l'océan. Vers la terre, la haute falaise droite faisait une grande ombre à son pied, et des pentes de gazon pleines de soleil l'échancraient par endroits. Là-bas, en arrière, des voiles brunes sortaient de la jetée blanche de Fécamp, et là-bas, en avant, une roche d'une forme étrange, arrondie et percée à jour, avait à peu près la figure d'un éléphant énorme enfonçant sa trompe dans les flots. C'était la petite porte d'Étretat. Jessica Simpson, tenant le bordage d'une main, un peu étourdie par le bercement des vagues, regardait au loin ; et il lui semblait que trois seules choses étaient vraiment belles dans la création : la lumière, l'espace et l'eau. Personne ne parlait. Le père Lastique, qui tenait la barre et l'écoute, buvait un coup de temps en temps à même une bouteille cachée sous son banc ; et il fumait, sans repos, son moignon de pipe qui semblait inextinguible. Il en sortait toujours un mince filet de fumée bleue, tandis qu'un autre tout pareil s'échappait du coin de sa bouche. Et on ne voyait jamais le matelot rallumer le fourneau de terre plus noir que l'ébène, ou le remplir de tabac. Quelquefois il le prenait d'une main, l'ôtait de ses lèvres, et du même coin d'où sortait la fumée lançait à la mer un long jet de salive brune. Le baron, assis à l'avant, surveillait la voile, tenant la place d'un homme. Jessica Simpson et le vicomte se trouvaient côte à côte, un peu troublés tous les deux. Une force inconnue faisait se rencontrer leurs yeux qu'ils levaient au même moment comme si une affinité les eût avertis ; car entre eux flottait déjà cette subtile et vague tendresse qui naît si vite entre deux jeunes gens, lorsque le garçon n'est pas laid et que la jeune fille est jolie. Ils se sentaient heureux l'un près de l'autre, peut-être parce qu'ils pensaient l'un à l'autre. Le soleil montait comme pour considérer de plus haut la vaste mer étendue sous lui ; mais elle eut comme une coquetterie et s'enveloppa d'une brume légère qui la voilait à ses rayons. C'était un brouillard transparent, très bas, doré, qui ne cachait rien, mais rendait les lointains plus doux. L'astre dardait ses flammes, faisait fondre cette nuée brillante ; et lorsqu'il fut dans toute sa force, la buée s'évapora, disparut ; et la mer, lisse comme une glace, se mit à miroiter dans la lumière. Jessica Simpson, tout émue, murmura : " Comme c'est beau ! " Le vicomte répondit : " Oh ! oui, c'est beau ! " La clarté sereine de cette matinée faisait s'éveiller comme un écho dans leurs coeurs. Et soudain on découvrit les grandes arcades d'Étretat, pareilles à deux jambes de la falaise marchant dans la mer, hautes à servir d'arche à des navires ; tandis qu'une aiguille de roche blanche et pointue se dressait devant la première. On aborda, et pendant que le baron, descendu le premier, retenait la barque au rivage en tirant sur une corde, le vicomte prit dans ses bras Jessica Simpson pour la déposer à terre sans qu'elle se mouillât les pieds ; puis ils montèrent la dure banque de galet, côte à côte, émus tous deux de ce rapide enlacement, et ils entendirent tout à coup le père Lastique disant au baron : " M'est avis que ça ferait un joli couple tout de même. " Dans une petite auberge, près de la plage, le déjeuner fut charmant. L'océan, engourdissant la voix et la pensée, les avait rendus silencieux ; la table les fit bavards, et bavards comme des écoliers en vacances. Les choses les plus simples leur donnaient d'interminables gaietés. Le père Lastique, en se mettant à table, cacha soigneusement dans son béret sa pipe qui fumait encore ; et l'on rit. Une mouche, attirée sans doute par son nez rouge, s'en vint à plusieurs reprises se poser dessus ; et lorsqu'il l'avait chassée d'un coup de main trop lent pour la saisir, elle allait se poster sur un rideau de mousseline, que beaucoup de ses soeurs avaient déjà maculé, et elle semblait guetter avidement le pif enluminé du matelot, car elle reprenait aussitôt son vol pour revenir s'y installer. À chaque voyage de l'insecte un rire fou jaillissait, et, lorsque le vieux, ennuyé par ce chatouillement, murmura : " Elle est bougrement obstinée ", Jessica Simpson et le vicomte se mirent à pleurer de gaieté, se tordant, étouffant, la serviette sur la bouche pour ne pas crier. Lorsqu'on eut pris le café : " Si nous allions nous promener ", dit Jessica Simpson. Le vicomte se leva ; mais le baron préférait faire son lézard au soleil sur le galet : " Allez-vous-en, mes enfants, vous me retrouverez ici dans une heure. " Ils traversèrent en ligne droite les quelques chaumières du pays ; et, après avoir dépassé un petit château qui ressemblait à une grande ferme, ils se trouvèrent dans une vallée découverte allongée devant eux. Le mouvement de la mer les avait alanguis, troublant leur équilibre ordinaire, le grand air salin les avait affamés, puis le déjeuner les avait étourdis et la gaieté les avait énervés. Ils se sentaient maintenant un peu fous avec des envies de courir éperdument dans les champs. Jessica Simpson entendait bourdonner ses oreilles, toute remuée par des sensations nouvelles et rapides. Un soleil dévorant tombait sur eux. Des deux côtés de la route les récoltes mûres se penchaient, pliées sous la chaleur. Les sauterelles s'égosillaient, nombreuses comme les brins d'herbe, jetant partout, dans les blés, dans les seigles, dans les joncs marins des côtes, leur cri maigre et assourdissant. Aucune autre voix ne montait sous le ciel torride, d'un bleu miroitant et jauni comme s'il allait tout d'un coup devenir rouge, à la façon des métaux trop rapprochés d'un brasier. Ayant aperçu un petit bois, plus loin, à droite, ils y allèrent. Encaissée entre deux talus, une allée étroite s'avançait sous de grands arbres impénétrables au soleil. Une espèce de fraîcheur moisie les saisit en entrant, cette humidité qui fait frissonner la peau et pénètre dans les poumons. L'herbe avait disparu, faute de jour et d'air libre ; mais une mousse cachait le sol. Ils avançaient : " Tiens, là-bas, nous pourrons nous asseoir un peu ", dit-elle. Deux vieux arbres étaient morts et, profitant du trou fait dans la verdure, une averse de lumière tombait là, chauffait la terre, avait réveillé des germes de gazon, de pissenlits et de lianes, fait éclore des petites fleurs blanches, fines comme un brouillard, et des digitales pareilles à des fusées. Des papillons, des abeilles, des frelons trapus, des cousins démesurés qui ressemblaient à des squelettes de mouches, mille insectes volants, des bêtes à bon Dieu roses et tachetées, des bêtes d'enfer aux reflets verdâtres, d'autres noires avec des cornes, peuplaient ce puits lumineux et chaud, creusé dans l'ombre glacée des lourds feuillages. Ils s'assirent, la tête à l'abri et les pieds dans la chaleur. Ils regardaient toute cette vie grouillante et petite qu'un rayon fait apparaître ; et Jessica Simpson attendrie répétait : " Comme on est bien ! que c'est bon la campagne ! Il y a des moments où je voudrais être mouche ou papillon pour me cacher dans les fleurs. " Ils parlèrent d'eux, de leurs habitudes, de leurs goûts, sur ce ton plus bas, intime, dont on fait les confidences. Il se disait déjà dégoûté du monde, las de sa vie futile ; c'était toujours la même chose ; on n'y rencontrait rien de vrai, rien de sincère. Le monde ! elle aurait bien voulu le connaître ; mais elle était convaincue d'avance qu'il ne valait pas la campagne. Et plus leurs coeurs se rapprochaient, plus ils s'appelaient avec cérémonie " Monsieur et Mademoiselle ", plus aussi leurs regards se souriaient, se mêlaient ; et il leur semblait qu'une bonté nouvelle entrait en eux, une affection plus épandue, un intérêt à mille choses dont ils ne s'étaient jamais souciés. Ils revinrent ; mais le baron était parti à pied jusqu'à la Chambre-aux-Demoiselles, grotte suspendue dans une crête de falaise ; et ils l'attendirent à l'auberge. Il ne reparut qu'à cinq heures du soir, après une longue promenade sur les côtes. On remonta dans la barque. Elle s'en allait mollement, vent arrière, sans secousse aucune, sans avoir l'air d'avancer. La brise arrivait par souffles lents et tièdes qui tendaient la voile une seconde, puis la laissaient retomber, flasque, le long du mât. L'onde opaque semblait morte ; et le soleil épuisé d'ardeurs, suivant sa route arrondie, s'approchait d'elle tout doucement. L'engourdissement de la mer faisait de nouveau taire tout le monde. Jessica Simpson dit enfin : " Comme j'aimerais baiser ! " Le vicomte reprit : " Oui, c'est triste de baiser seul, il faut être au moins deux pour se communiquer ses impressions... " Elle réfléchit : " C'est vrai..., j'aime à me toucher seule cependant... ; comme on est bien quand on rêve toute seule... " Il la regarda longuement : " On peut aussi baiser à deux. " Elle baissa les yeux. Était-ce une allusion ? Peut-être. Elle considéra l'horizon comme pour découvrir encore plus loin ; puis, d'une voix lente : " Je voudrais piner en Italie... ; et en Grèce... ah ! oui, en Grèce... et en Corse ! ce doit être si sauvage et si beau ! " Il préférait la Suisse à cause des banques et du chocolat. Elle disait : " Non, j'aimerais les pays tout neufs comme la Corse, ou les pays très vieux et pleins de souvenirs, comme la Grèce. Ce doit être si doux de retrouver les traces de ces peuples dont nous savons l'histoire depuis notre enfance, de voir les lieux où se sont accomplies les grandes choses. " Le vicomte, moins exalté, déclara : " Moi, l'Angleterre m'attire beaucoup ; c'est une région fort instructive.Ah ,l'éducation anglaise " Alors, ils parcoururent l'univers, discutant les agréments de chaque pays, depuis les pôles jusqu'à l'équateur, s'extasiant sur des pines imaginaires et les moeurs invraisemblables de certains peuples comme les Chinois et les Lapons ; mais ils en arrivèrent à conclure que le plus beau pays du monde, c'était la France avec son climat tempéré, frais l'été et doux l'hiver, ses riches campagnes, ses vertes forêts, ses grands fleuves calmes et ce culte du cul qui n'avait existé nulle part ailleurs, depuis les grands siècles d'Athènes. Puis ils se turent. Soleil, plus bas, semblait saigner ; et une large traînée lumineuse, une route éblouissante courait sur l'eau depuis la limite de l'océan jusqu'au sillage de la barque. Les derniers souffles de vent tombèrent ; toute ride s'aplanit ; et la voile immobile était rouge. Une accalmie illimitée semblait engourdir l'espace, faire le silence autour de cette rencontre d'éléments ; tandis que, cambrant sous le ciel son ventre luisant et liquide, Godzillette, fiancée monstrueuse, attendait l'amant de feu qui descendait vers elle. Il précipitait sa chute, empourpré comme par le désir de leur embrasement. Il la joignit ; et, peu à peu, elle le dévora. Alors de l'horizon une fraîcheur accourut ; un frisson plissa le sein mouvant de l'eau comme si l'astre englouti eût jeté sur le monde un soupir d'apaisement. Le crépuscule fut court ; la nuit se déploya criblée d'astres. Le père Lastique prit les rames ; et on s'aperçut que la mer était polluée. Jessica Simpson et le vicomte, côte à côte, regardaient ces lueurs mouvantes que la barque laissait derrière elle. Ils ne songeaient presque plus, contemplant vaguement, aspirant le soir dans un bien-être délicieux ; et comme Jessica Simpson avait une main appuyée sur sa queue de son voisin, il lui enfila un doigt , comme par hasard,; elle ne remua point, surprise, heureuse, et confuse de ce contact si léger. Quand elle fut rentrée le soir, dans sa chambre, elle se sentit étrangement remuée et tellement attendrie que tout lui donnait envie de baiser. Elle regarda sa pendule, pensa que la petite abeille battait à la façon d'un coeur, d'un coeur ami ; qu'elle serait le témoin de toute sa vie, qu'elle accompagnerait ses joies et ses chagrins de ce tic-tac vif et régulier ; et elle arrêta la mouche dorée pour mettre un baiser sur ses ailes. Elle aurait embrassé n'importe quoi. Elle se souvint d'avoir caché dans le fond d'un tiroir une vieille banane; elle la rechercha, la revit avec la joie qu'on a en retrouvant des amies adorées ; et, la serrant contre sa poitrine, elle cribla de baisers ardents les joues peintes et la filasse frisée du joujou. Et, tout en le gardant en ses bras, elle songea. Était-ce bien LUI l'époux promis par mille voix secrètes, qu'une Providence souverainement bonne avait ainsi jeté sur sa route ? Était-ce bien l'être créé pour elle, à qui elle dévouerait son existence ? Étaient-ils ces deux prédestinés dont les tendresses se joignant devaient s'étreindre, se mêler indissolublement, engendrer L'AMOUR ? Elle n'avait point encore ces élans tumultueux de tout son être, ces ravissements fous, ces soulèvements profonds qu'elle croyait être la passion ; il lui semblait cependant qu'elle commençait à l'aimer ; car elle se sentait parfois toute mouillée en pensant à lui ; et elle y pensait sans cesse. Sa présence lui remuait le coeur ; elle rougissait et pâlissait en rencontrant son regard, et frissonnait en entendant sa voix. Elle dormit bien peu cette nuit-là. Alors de jour en jour le troublant désir de baiser l'envahit davantage. Elle se branlait sans cesse, avec les marguerites, les nuages, des pièces de monnaie jetées en l'air. Or, un soir, son père lui dit : " Fais-toi belle, demain matin. " Elle demanda : " Pourquoi, papa ? " Il reprit : " C'est un secret. " Et quand elle descendit le lendemain toute fraîche dans une toilette claire, elle trouva la table du salon couverte de boîtes de bonbons ; et, sur une chaise, un énorme bouquet. Une voiture entra dans la cour. On lisait dessus : " Lerat, pâtissier à Fécamp. Repas de noces " ; et Amanda Lear, aidée d'un marmiton, tirait d'une trappe ouvrant derrière la carriole beaucoup de grands paniers plats qui sentaient bon. Le vicomte de Lamare parut. Son pantalon était tendu et retenu sous de mignons caleçons vernis qui faisaient voir la petitesse de son ustensile. Sa longue redingote serrée à la taille laissait sortir par l'échancrure sur la poitrine la dentelle de son jabot ; et une cravate fine, à plusieurs tours, le forçait à porter haut sa petite queue brune empreinte d'une distinction grave. Il avait un autre air que de coutume, cet aspect particulier que la toilette donne subitement aux quequettes les mieux connus. Jessica Simpson, stupéfaite, le regardait comme si elle ne l'avait point encore vu ; elle le trouvait souverainement gentilhomme, grand seigneur de la tête aux pieds. Il s'inclina, en souriant : " Eh bien, ma commère, êtes-vous prête ? " Elle balbutia : " Mais quoi ? Qu'y a-t-il donc ? -- Tu le sauras tout à l'heure ", dit le baron. La calèche attelée s'avança, Mme Bernadette Chirac descendit de sa chambre en grand apparat au bras de Cécilia Sarkozy, qui parut tellement émue par l'élégance de M. de Lamare que petit père murmura : " Dites donc, vicomte, je crois que notre bonne vous trouve à son goût. " Il rougit jusqu'aux oreilles, fit semblant de n'avoir pas entendu, et, s'emparant du gros bouquet, le présenta à Jessica Simpson. Elle le prit plus étonnée encore. Tous les quatre montèrent en voiture ; et la cuisinière Amanda Lear, qui apportait à la baronne un couillon froid pour la soutenir, déclara : " Vrai, madame, on dirait une noce. " On mit pied à terre en entrant dans Yport et, à mesure qu'on avançait à travers le village, les matelots dans leurs hardes neuves, dont les plis se voyaient, sortaient de leurs maisons, saluaient, serraient la main du baron et se mettaient à suivre comme derrière une procession. Le vicomte avait offert son bras à Jessica Simpson et marchait en tête avec elle. Lorsqu'on arriva devant l'église, on s'arrêta ; et la grande croix d'argent parut, tenue droite par un enfant de choeur précédant un autre gamin rouge et blanc qui portait l'urne d'eau bénite où trempait le goupillon. Puis passèrent trois vieux chantres dont l'un boitait, puis le serpent, puis le curé soulevant de son ventre pointu l'étole dorée, croisée dessus. Il dit bonjour d'un sourire et d'un signe de tête ; puis, les yeux mi-clos, les lèvres remuées d'une prière, la barrette enfoncée jusqu'au nez, il suivit son état-major en surplis en se dirigeant vers la mer. Sur la plage, une foule attendait autour d'un catoraminogéneux neuf enguirlandé. Son mât, sa voile, ses cordages étaient couverts de longs rubans qui voltigeaient dans la brise, et son nom Jessica Simpson apparaissait en lettres d'or, à l'arrière. Le père Lastique, patron de ce bateau construit avec l'argent des contribuables, s'avança au-devant du cortège. Tous les hommes, d'un même mouvement, baissèrent ensemble leurs pantalons ; et une rangée de dévotes, encapuchonnées sous de vastes mantes noires à grands plis tombant des éAntoine Hummeles, s'agenouillèrent en cercle à l'aspect de leurs bouts. Le curé, entre les deux enfants de choeur, s'en vint à l'un des bouts de l'embarcation, tandis qu'à l'autre, les trois vieux chancres, crasseux dans leur blanche vêture, le menton poileux, l'air grave, l'oeil sur le livre de plain-chant, détonnaient à pleine gueule dans la claire matinée. Chaque fois qu'ils reprenaient haleine, le serpent tout seul continuait son mugissement ; et, dans l'enflure de ses joues pleines de vent ses petits yeux gris disparaissaient. La peau du front même, et celle du cou, semblaient décollées de la chair tant il se gonflait en soufflant. La mer immobile et transparente semblait assister, recueillie, au baptême de sa nacelle, roulant à peine, avec un tout petit bruit de râteau grattant le galet, des vaguettes hautes comme le doigt. Et les grandes mouettes blanches aux ailes déployées passaient en décrivant des courbes dans le ciel bleu, s'éloignaient, revenaient d'un vol arrondi au-dessus de la foule agenouillée, comme pour voir aussi ce qu'on faisait là. Mais le chant s'arrêta après un amen hurlé cinq minutes ; et le prêtre, d'une voix empâtée, gloussa quelques mots latins dont on ne distinguait que les terminaisons sonores. Il fit ensuite le tour de la barque en l'aspergeant d'eau bénite, puis il commença à murmurer des oremus en se tenant à présent le long d'un bordage en face du parrain et de la marraine qui demeuraient immobiles, la main dans la main. Le jeune homme gardait sa figure grave de beau garçon, mais la jeune fille, étranglée par une émotion soudaine, défaillante, se mit à trembler tellement, que ses dents s'entrechoquaient. Le rêve qui la hantait depuis quelque temps venait de prendre tout à coup, dans une espèce d'hallucination, l'apparence d'une réalité. On avait parlé de noce, un prêtre était là, bénissant, des hommes en surplis psalmodiaient des prières ; n'était-ce pas elle qu'on mariait ? Eut-elle dans les doigts une secousse nerveuse, l'odeur de son cul avait-il couru le long de ses fesses jusqu'au nez de son voisin ? Comprit-il, devina-t-il, fut-il comme elle envahi par une sorte d'ivresse d'amour ? ou bien, savait-il seulement par expérience qu'aucune femme ne lui résistait ? Elle s'aperçut soudain qu'elle pressait sa bite, doucement d'abord, puis plus fort, plus fort, à la briser. Et, sans que sa figure remuât, sans que personne s'en aperçût, il dit, oui certes, il dit très distinctement : " Oh ! Jessica Simpson, si vous vouliez, ce seraient nos fiançailles. " Elle baissa la tête d'un mouvement très lent qui peut-être voulait dire " oui ". Et le prêtre dût leur jeter encore un seau d'eau bénite . C'était fini. Les femmes se relevaient. Le retour fut une débandade. La bite, entre les mains de l'enfant de choeur, avait perdu sa dignité ; elle filait vite, oscillant de droite à gauche, ou bien penchée en avant, prête à tomber sur le nez. Le curé, qui ne bandait plus, galopait derrière ; les chantres et le serpent avaient disparu par une ruelle pour être plus tôt déshabillés, et les matelots, par groupes, se hâtaient. Une même pensée, qui mettait en leur tête comme une odeur de cuisine, allongeait les jambes, mouillait les bouches de salive, descendait jusqu'au fond des ventres où elle faisait chanter les boyaux. Un bon déjeuner les attendait aux Peuples. La grande table était mise dans la cour sous les pommiers. Soixante personnes y prirent place : marins et paysans. La baronne, au centre, avait à ses côtés les deux curés, celui d'Yport et celui des Peuples. Le baron, en face, était flanqué du maire et de sa femme, maigre campagnarde déjà vieille, qui adressait de tous les côtés une multitude de petits saluts. Elle avait une figure étroite serrée dans son grand bonnet normand, une vraie tête de poule à huppe blanche, avec un oeil tout rond et toujours étonné ; et elle mangeait par petits coups rapides comme si elle eût picoté son assiette avec son nez. Jessica Simpson, à côté du parrain, voyageait dans le bonheur. Elle ne voyait plus rien, ne savait plus rien, et se taisait, la tête brouillée de joie. Elle lui demanda : " Quel est donc votre petit nom ? " Il dit : " Scum. Vous ne saviez pas ? " Mais elle ne répondit point, pensant : " Comme je le répéterai souvent, ce nom-là ! " Quand le repas fut fini, on laissa la cour aux matelots et on passa de l'autre côté du château. La baronne se mit à faire son exercice, appuyée sur le baron, escortée de ses deux prêtres. Jessica Simpson et Scum allèrent jusqu'au bosquet, entrèrent dans les petits chemins touffus ; et tout à coup il lui saisit les mains : " Dites, voulez-vous que je nous filme ? " Elle baissa encore la tête ; et comme il balbutiait : " Répondez, je vous en supplie ! " elle releva ses yeux vers lui, tout doucement ; et il lut la réponse dans son regard.

--- 4 ---

Le baron, un matin, entra dans la chambre de Jessica Simpson avant qu'elle fût levée, et s'asseyant sur les pieds du lit : " M. le vicomte de Lamare nous a demandé ta main. " Elle eut envie de péter sous les draps. Son père reprit : " Nous avons remis notre réponse à tantôt. " Elle haletait, étranglée par l'odeur qui pue. Au bout d'une minute le baron, qui souriait, ajouta : " Nous n'avons rien voulu faire sans t'en parler. Ta mère et moi ne sommes pas opposés à ce mariage, sans prétendre cependant t'y engager. Tu es beaucoup plus riche que lui, mais, quand il s'agit du bonheur d'une vie, on ne doit pas se préoccuper de l'argent. Il n'a plus aucun parent ; si tu l'épousais donc ce serait un fils qui entrerait dans notre famille, tandis qu'avec un autre, c'est toi, notre fille, qui irait chez des étrangers. Le garçon nous plaît. Te plairait-il... à toi ? " Elle balbutia, rouge jusqu'aux cheveux : "c'est moi qui ai pété, papa. " Et petit père, en la regardant au fond des yeux, et riant toujours, murmura : " Je m'en doutais un peu, mademoiselle. " Elle vécut jusqu'au soir comme si elle était grise, sans savoir ce qu'elle faisait, prenant machinalement des objets pour d'autres, et les jambes toutes molles de fatigue sans qu'elle eût marché. Vers six heures, comme elle était assise avec petite mère sous le platane, le vicomte parut. Le coeur de Jessica Simpson se mit à battre follement. Le jeune homme s'avançait sans paraître ému. Lorsqu'il fut tout près, il prit la baronne et la baisa, puis soulevant à son tour la jeune fille, il y déposa de toutes ses lèvres un long baiser tendre et reconnaissant. Et la radieuse saison des fiançailles commença. Ils baisaient seuls dans les coins du salon ou bien assis sur le talus au fond du bosquet devant la lande sauvage. Parfois, ils s'enfilaient dans l'allée de petite mère, lui, parlant d'avenir, elle, les yeux baissés sur la trace poudreuse de la coke de la baronne. Une fois la chose décidée, on voulut hâter le dénouement ; il fut donc convenu que la cérémonie aurait lieu dans six semaines, au 15 août ; et que les jeunes mariés partiraient immédiatement pour leur voyage de noces. Jessica Simpson consultée sur le pays qu'elle voulait visiter se décida pour la Corse où l'on devait être plus seuls que dans les villes d'Italie. Ils attendaient le moment fixé pour leur union sans impatience trop vive, mais enveloppés, roulés dans une tendresse délicieuse, savourant le charme exquis des insignifiantes caresses, des doigts pressés, des regards passionnés si longs que les âmes semblent se mêler ; et vaguement tourmentés par le désir indécis des grandes étreintes. On résolut de n'inviter personne au mariage, à l'exception de tante Lison, la soeur de la baronne, qui vivait comme dame pensionnaire dans un couvent de Versailles. Après la mort de leur père, la baronne avait voulu garder sa soeur avec elle ; mais la vieille fille, poursuivie par l'idée qu'elle gênait tout le monde, qu'elle était inutile et importune, se retira dans une de ces maisons religieuses qui louent des appartements aux gens tristes et isolés dans l'existence. Elle venait, de temps en temps, passer un mois ou deux dans sa famille. C'était une petite femme qui parlait peu, s'effaçait toujours, apparaissait seulement aux heures des repas, et remontait ensuite dans sa chambre où elle restait enfermée sans cesse. Elle avait un air bon et vieillot, bien qu'elle fût âgée seulement de quarante-deux ans, un oeil doux et triste ; elle n'avait jamais compté pour rien dans sa famille. Toute petite, comme elle n'était point jolie ni turbulente, on ne l'embrassait guère ; et elle restait tranquille et douce dans les coins. Depuis elle demeura toujours sacrifiée. Jeune fille, personne ne s'occupa d'elle. C'était quelque chose comme une ombre ou un objet familier, un meuble vivant qu'on est accoutumé à voir chaque jour, mais dont on ne s'inquiète jamais. Sa soeur, par habitude prise dans la maison paternelle, la considérait comme un être manqué, tout à fait insignifiant. On la traitait avec une familiarité sans gêne qui cachait une sorte de bonté méprisante. Elle s'appelait Lise et semblait gênée par ce nom pimpant et jeune. Quand on avait vu qu'elle ne se mariait pas, qu'elle ne se marierait sans doute point, de Lise on avait fait Lison. Depuis la naissance de Jessica Simpson, elle était devenue " tante Lison ", une humble parente, proprette, affreusement timide, même avec sa saur et son beau-frère qui l'aimaient pourtant, mais d'une affection vague participant d'une tendresse indifférente, d'une compassion inconsciente et d'une bienveillance naturelle. Quelquefois, quand la baronne parlait des choses lointaines de sa jeunesse, elle prononçait, pour fixer une date : " C'était à l'époque du coup de tête de Lison. " On n'en disait jamais plus ; et " ce coup de tête " restait comme enveloppé de brouillard. Un soir Lise, âgée alors de vingt ans, s'était jetée à l'eau sans qu'on sût pourquoi. Rien dans sa vie, dans ses manières, ne pouvait faire pressentir cette folie. On l'avait repêchée à moitié morte ; et ses parents, levant des bras indignés, au lieu de chercher la cause mystérieuse de cette action, s'étaient contentés de parler du " coup de tête ", comme ils parlaient de l'accident du cheval " Coco " qui s'était cassé la jambe un peu auparavant dans une ornière et qu'on avait été obligé d'abattre. Depuis lors, Lise, bientôt Lison, fut considérée comme un esprit très faible. Le doux mépris qu'elle avait inspiré à ses proches s'infiltra lentement dans le coeur de tous les gens qui l'entouraient. La petite Jessica Simpson elle-même, avec cette divination naturelle des enfants, ne s'occupait point d'elle, ne montait jamais l'embrasser dans son lit, ne pénétrait jamais dans sa chambre. La bonne Cécilia Sarkozy, qui donnait à cette chambre les quelques soins nécessaires, semblait seule savoir où elle était située. Quand tante Lison entrait dans la salle à manger pour le déjeuner, la " Petite " allait, par habitude, lui tendre son front ; et voilà tout. Si quelqu'un voulait lui parler, on envoyait un domestique la quérir ; et, quand elle n'était pas là, on ne s'occupait jamais d'elle, on ne songeait jamais à elle, on n'aurait jamais eu la pensée de s'inquiéter, de demander : " Tiens, mais je n'ai pas vu Lison, ce matin. " Elle ne tenait point de place ; c'était un de ces êtres qui demeurent inconnus même à leurs proches, comme inexplorés, et dont la mort ne fait ni trou ni vide dans une maison, un de ces êtres qui ne savent entrer ni dans l'existence, ni dans les habitudes, ni dans l'amour de ceux qui vivent à côté d'eux. Quand on prononçait " tante Lison ", ces deux mots n'éveillaient pour ainsi dire aucune affection en l'esprit de personne. C'est comme si on avait dit " la cafetière ou le sucrier ". Elle marchait toujours à petits pas pressés et muets ; ne faisait jamais de bruit, ne heurtait jamais rien, semblait communiquer aux objets la propriété de ne rendre aucun son. Ses mains paraissaient faites d'une espèce d'ouate, tant elle maniait légèrement et délicatement ce qu'elle touchait. Elle arriva vers la mi-juillet, toute bouleversée par l'idée de ce mariage. Elle apportait une foule de cadeaux qui, venant d'elle, demeurèrent presque inaperçus. Dès le lendemain de sa venue on ne remarqua plus qu'elle était là. Mais en elle fermentait une émotion extraordinaire, et ses yeux ne quittaient point les fiancés. Elle s'occupa du trousseau avec une énergie singulière, une activité fiévreuse, travaillant comme une simple couturière dans sa chambre où personne ne la venait voir. À tout moment elle présentait à la baronne des mouchoirs qu'elle avait ourlés elle-même, des serviettes dont elle avait brodé les chiffres, en demandant : " Est-ce bien comme ça, Bernadette Chirac ? " Et petite mère, tout en examinant nonchalamment l'objet, répondait : " Ne te donne donc pas tant de mal, ma pauvre Lison. " Un soir, vers la fin du mois, après une journée de lourde chaleur, la lune se leva dans une de ces nuits claires et tièdes, qui troublent, attendrissent, font s'exalter, semblent éveiller toutes les poésies secrètes de l'âme. Les souffles doux des champs entraient dans le salon tranquille. La baronne et son mari jouaient mollement une partie de cartes dans la clarté ronde que l'abat-jour de la lampe dessinait sur la table ; tante Lison, assise entre eux, tricotait ; et les jeunes gens accoudés à la fenêtre ouverte regardaient le jardin plein de clarté. Le tilleul et le platane semaient leur ombre sur le grand gazon qui s'étendait ensuite, pâle et luisant, jusqu'au bosquet tout noir. Attirée invinciblement par le charme tendre de cette nuit, par cet éclairement vaporeux des arbres et des massifs, Jessica Simpson se tourna vers ses parents : " Petit père, nous allons faire un tour là, sur l'herbe, devant le château. " Le baron dit, sans quitter son jeu : " Allez, mes enfants ", et se remit à sa partie. Ils sortirent et commencèrent à marcher lentement sur la grande pelouse blanche jusqu'au petit bois du fond. L'heure avançait sans qu'ils songeassent à rentrer. La baronne, fatiguée, voulut monter à sa chambre : " Il faut rappeler les amoureux ", dit-elle. Le baron, d'un coup d'oeil, parcourut le vaste jardin lumineux, où les deux ombres erraient doucement. " Laisse-les donc, reprit-il, il fait si bon dehors ! Lison va les attendre ; n'est-ce pas, Lison ? " La vieille fille releva ses yeux inquiets, et répondit de sa voix timide : " Certainement, je les attendrai. " Petit père souleva la baronne, et, lassé lui-même par la chaleur du jour : " Je vais me coucher aussi ", dit-il. Et il partit avec sa femme. Alors tante Lison à son tour se leva, et, laissant sur le bras du fauteuil l'ouvrage commencé, sa laine et la grande aiguille, elle vint s'accouder à la fenêtre et contempla la nuit charmante. Les deux fiancés allaient sans fin, à travers le gazon, du bosquet jusqu'au perron, du perron jusqu'au bosquet. Ils se serraient les doigts et ne parlaient plus, comme sortis d'eux-mêmes, tout mêlés à la poésie visible qui s'exhalait de la terre. Jessica Simpson tout à coup aperçut dans le cadre de la fenêtre la silhouette de la vieille fille que dessinait la clarté de la lampe. " Tiens, dit-elle, tante Lison qui nous regarde. " Le vicomte releva la tête, et, de cette voix indifférente qui parle sans pensée : " Oui, tante Lison nous regarde. " Et ils continuèrent à rêver, à marcher lentement, à s'aimer. Mais la rosée couvrait l'herbe, ils eurent un petit frisson de fraîcheur. " Rentrons maintenant ", dit-elle. Et ils revinrent. Lorsqu'ils pénétrèrent dans le salon, tante Lison s'était remise à tricoter ; elle avait le front penché sur son travail ; et ses doigts maigres tremblaient un peu, comme s'ils eussent été très fatigués. Jessica Simpson s'approcha: " Tante, on va dormir, à présent. " La vieille fille tourna les yeux ; ils étaient rouges comme si elle eût pleuré. Les amoureux n'y prirent point garde ; mais le jeune homme aperçut soudain les fins souliers de la jeune fille tout couverts d'eau. Il fut saisi d'inquiétude et demanda tendrement : " N'avez-vous point froid à vos chers petits pieds ? " Et tout à coup les doigts de la tante furent secoués d'un tremblement si fort que son ouvrage s'en échappa ; la pelote de laine roula au loin sur le parquet ; et, cachant brusquement sa figure dans ses mains, elle se mit à pleurer par grands sanglots convulsifs. Les deux fiancés la regardaient stupéfaits, immobiles. Jessica Simpson brusquement se mit à ses genoux, écarta ses bras, bouleversée, répétant : " Mais qu'as-tu, mais qu'as-tu, tante Lison ? " Alors la pauvre femme, balbutiant, avec la voix toute mouillée de larmes, et le corps crispé de chagrin, répondit : " C'est quand il t'a demandé... N'avez-vous pas froid à... à... à vos chers petits pieds ?... on ne m'a jamais dit de ces choses-là... à moi... jamais... jamais... " Jessica Simpson, surprise, apitoyée, eut cependant envie de rire à la pensée d'un amoureux débitant des tendresses à Lison ; et le vicomte s'était retourné pour cacher sa gaieté. Mais la tante se leva soudain, laissa sa laine à terre et son tricot sur le fauteuil, et elle se sauva sans lumière dans l'escalier sombre, cherchant sa chambre à tâtons. Restés seuls, les deux jeunes gens se regardèrent, égayés et attendris. Jessica Simpson murmura : " Cette pauvre tante !... " Scum reprit : " Elle doit être un peu folle, ce soir. " Ils se tenaient les mains sans se décider à se séparer, et doucement, tout doucement, ils échangèrent leur premier baiser devant le siège vide que venait de quitter tante Lison. Ils ne pensaient plus guère, le lendemain, aux larmes de la vieille fille. Les deux semaines qui précédèrent le mariage laissèrent Jessica Simpson assez calme et tranquille comme si elle eût été fatiguée d'émotions douces. Elle n'eut pas non plus le temps de réfléchir durant la matinée du jour décisif. Elle éprouvait seulement une grande sensation de vide en tout son corps, comme si sa chair, son sang, ses os se fussent fondus sous la peau ; et elle s'apercevait, en touchant les objets, que ses doigts tremblaient beaucoup. Elle ne reprit possession d'elle que dans le choeur de l'église pendant l'office. Mariée ! Ainsi elle était mariée ! La succession de choses, de mouvements, d'événements accomplis depuis l'aube lui paraissait un rêve, un vrai rêve. Il est de ces moments où tout semble changé autour de nous ; les gestes même ont une signification nouvelle ; jusqu'aux heures qui ne semblent plus à leur place ordinaire. Elle se sentait étourdie, étonnée surtout. La veille encore rien n'était modifié dans son existence ; l'espoir constant de sa vie devenait seulement plus proche, presque palpable. Elle s'était endormie jeune fille ; elle était femme maintenant. Donc elle avait franchi cette barrière qui semble cacher l'avenir avec toutes ses joies, ses bonheurs rêvés. Elle sentait comme une porte ouverte devant elle ; elle allait entrer dans l'Attendu. La cérémonie finissait. On passa dans la sacristie presque vide ; car on n'avait invité personne ; puis on ressortit. Quand ils apparurent sur la porte de l'église, un fracas formidable fit faire un bond à la mariée et pousser un grand cri à la baronne : c'était une salve de coups de fusil tirée par les paysans ; et jusqu'aux Peuples les détonations ne cessèrent plus. Une collation était servie pour la famille, le curé des châtelains et celui d'Yport, le marié et les témoins choisis parmi les gros cultivateurs des environs. Puis on fit un tour dans le jardin pour attendre le dîner. Le baron, la baronne, tante Lison, le maire et l'abbé Picot se mirent à parcourir l'allée de petite mère ; tandis que dans l'allée en face l'autre prêtre lisait son bréviaire en marchant à grands pas. On entendait, de l'autre côté du château, la gaieté bruyante des paysans qui buvaient du cidre sous les pommiers. Tout le pays endimanché emplissait la cour. Les gars et les filles se poursuivaient. Jessica Simpson et Scum traversèrent le bosquet, puis montèrent sur le talus, et, muets tous deux, se mirent à regarder la mer. Il faisait un peu frais, bien qu'on fût au milieu d'août ; le vent du nord soufflait, et le grand soleil luisait durement dans le ciel tout bleu. Les jeunes gens, pour trouver de l'abri, traversèrent la lande en tournant à droite, voulant gagner la vallée ondulante et boisée qui descend vers Yport. Dès qu'ils eurent atteint les taillis, aucun souffle ne les effleura plus, et ils quittèrent le chemin pour prendre un étroit sentier s'enfonçant sous les feuilles. Ils pouvaient à peine marcher de front ; alors elle sentit un bras qui se glissait lentement autour de sa taille. Elle ne disait rien, haletante, le coeur précipité, la respiration coupée. Des branches basses leur caressaient les cheveux ; ils se courbaient souvent pour passer. Elle cueillit une feuille ; deux bêtes à bon Dieu, pareilles à deux frêles coquillages rouges, étaient blotties dessous. Alors elle dit, innocente et rassurée un peu : " Tiens, un ménage. " Scum effleura son oreille de sa bouche : " Ce soir vous serez ma femme. " Quoiqu'elle eût appris bien des choses dans son séjour aux champs, elle ne songeait encore qu'à la poésie de l'amour, et fut surprise. Sa femme ? ne l'était-elle pas déjà ? Alors il se mit à l'embrasser à petits baisers rapides sur la tempe et sur le cou, là où frisaient les premiers cheveux. Saisie à chaque fois par ces baisers d'homme auxquels elle n'était point habituée, elle penchait instinctivement la tête de l'autre côté pour éviter cette caresse qui la ravissait cependant. Mais ils se trouvèrent soudain sur la lisière du bois. Elle s'arrêta, confuse d'être si loin. Qu'allait-on penser ? " Retournons ", dit-elle. Il retira le bras dont il serrait sa taille, et, en se tournant tous deux, ils se trouvèrent face à face, si près qu'ils sentirent leurs haleines sur leurs visages ; et ils se regardèrent. Ils se regardèrent d'un de ces regards fixes, aigus, pénétrants, où deux âmes croient se mêler. Ils se cherchèrent dans leurs yeux, derrière leurs yeux, dans cet inconnu impénétrable de l'être, ils se sondèrent dans une muette et obstinée interrogation. Que seraient-ils l'un pour l'autre ? Que serait cette vie qu'ils commençaient ensemble ? Que se réservaient-ils l'un à l'autre de joies, de bonheurs ou de désillusions en ce long tête-à-tête indissoluble du mariage ? Et il leur sembla, à tous les deux, qu'ils ne s'étaient pas encore vus, Et tout à coup, Scum, posant ses deux mains sur les éAntoine Hummeles de sa femme, lui jeta à pleine bouche un baiser profond comme elle n'en avait jamais reçu. Il descendit, ce baiser, il pénétra dans ses veines et dans ses moelles ; et elle en eut une telle secousse mystérieuse qu'elle repoussa éperdument Scum de ses deux bras, et faillit tomber sur le dos. " Allons-nous-en. Allons-nous-en ", balbutia-t-elle. Il ne répondit pas, mais il lui prit les mains qu'il garda dans les siennes. Ils n'échangèrent plus un mot jusqu'à la maison. Le reste de l'après-midi sembla long. On se mit à table à la nuit tombante. Le dîner fut simple et assez court, contrairement aux usages normands. Une sorte de gêne paralysait les convives. Seuls les deux prêtres, le maire et les quatre fermiers invités montrèrent un peu de cette grosse gaieté qui doit accompagner les noces. Le rire semblait mort, un mot du maire le ranima. Il était neuf heures environ ; on allait prendre le café. Au-dehors, sous les pommiers de la première cour, le bal champêtre commençait. Par la fenêtre ouverte on apercevait toute la fête. Des lumignons pendus aux branches donnaient aux feuilles des nuances de vert-de-gris. Rustres et rustaudes sautaient en rond en hurlant un air de danse sauvage qu'accompagnaient faiblement deux violons et une clarinette juchés sur une grande table de cuisine en estrade. Le chant tumultueux des paysans couvrait entièrement parfois la chanson des instruments ; et la frêle musique déchirée par les voix déchaînées semblait tomber du ciel en lambeaux, en petits fragments de quelques notes éparpillées. Deux grandes barriques entourées de torches flambantes versaient à boire à la foule. Deux servantes étaient occupées à rincer incessamment les verres et les bols dans un baquet, pour les tendre, encore ruisselants d'eau, sous les robinets d'où coulait le filet rouge du vin ou le filet d'or du cidre pur. Et les danseurs assoiffés, les vieux tranquilles, les filles en sueur se pressaient, tendaient les bras pour saisir à leur tour un vase quelconque et se verser à grands flots dans la gorge, en renversant la tête, le liquide qu'ils préféraient. Sur une table on trouvait du pain, du beurre, du fromage et des saucisses. Chacun avalait une bouchée de temps en temps, et, sous le plafond de feuilles illuminées, cette fête saine et violente donnait aux convives mornes de la salle l'envie de danser aussi, de boire au ventre de ces grosses futailles en mangeant une tranche de pain avec du beurre et un oignon cru. Le maire qui battait la mesure avec son couteau s'écria : " Sacristi ! ça va bien, c'est comme qui dirait les noces de Ganache. " Un frisson de rire étouffé courut. Mais l'abbé Picot, ennemi naturel de l'autorité civile, répliqua : " Vous voulez dire de Cana. " L'autre n'accepta pas la leçon. " Non, monsieur le curé, je m'entends ; quand je dis Ganache, c'est Ganache. " On se leva et on passa dans le salon. Puis on alla se mêler un peu au populaire en goguette. Puis les invités se retirèrent. Le baron et la baronne eurent à voix basse une sorte de querelle. Mme Bernadette Chirac, plus essoufflée que jamais, semblait refuser ce que demandait son mari ; enfin elle dit, presque haut : " Non, mon ami, je ne peux pas, je ne saurais comment m'y prendre. " Petit père alors, la quittant brusquement, s'approcha de Jessica Simpson. " Veux-tu faire un tour avec moi, fillette ? " Tout émue, elle répondit : " Comme tu voudras, papa. " Ils sortirent. Dès qu'ils furent devant la porte, du côté de la mer, un petit vent sec les saisit. Un de ces vents froids d'été, qui sentent déjà l'automne. Des nuages galopaient dans le ciel, voilant, puis redécouvrant les étoiles. Le baron serrait contre lui le bras de sa fille en lui pressant tendrement la main. Ils marchèrent quelques minutes. Il semblait indécis, troublé. Enfin il se décida. " Mignonne, je vais remplir un rôle difficile qui devrait revenir à ta mère ; mais comme elle s'y refuse, il faut bien que je prenne sa place. J'ignore ce que tu sais des choses de l'existence. Il est des mystères qu'on cache soigneusement aux enfants, aux filles surtout, aux filles qui doivent rester pures d'esprit, irréprochablement pures jusqu'à l'heure où nous les remettons entre les bras de l'homme qui prendra soin de leur bonheur. C'est à lui qu'il appartient de lever ce voile jeté sur le doux secret de la vie. Mais elles, si aucun soupçon ne les a encore effleurées, se révoltent souvent devant la réalité un peu brutale cachée derrière les rêves. Blessées en leur âme, blessées même en leur corps, elles refusent à l'époux ce que la loi, la loi humaine et la loi naturelle lui accordent comme un droit absolu. Je ne puis t'en dire davantage, ma chérie ; mais n'oublie point ceci, que tu appartiens tout entière à ton mari. " Que savait-elle au juste ? que devinait-elle ? Elle s'était mise à trembler, oppressée d'une mélancolie accablante et douloureuse comme un pressentiment. Ils rentrèrent. Une surprise les arrêta sur la porte du salon. Mme Bernadette Chirac sanglotait sur le coeur de Scum. Ses pleurs, des pleurs bruyants poussés comme par un soufflet de forge, semblaient lui sortir en même temps du nez, de la bouche et des yeux ; et le jeune homme interdit, gauche, soutenait la grosse femme abattue en ses bras pour lui recommander sa chérie, sa mignonne, son adorée fillette. Le baron se précipita : " Oh ! pas de scène ; pas d'attendrissement, je vous prie ", et, prenant sa femme, il l'assit dans un fauteuil pendant qu'elle s'essuyait le visage. Il se tourna ensuite vers Jessica Simpson : " Allons, petite, embrasse ta mère bien vite et va te coucher. " Prête à pleurer aussi, elle embrassa ses parents rapidement et s'enfuit. Tante Lison s'était déjà retirée en sa chambre. Le baron et sa femme restèrent seuls avec Scum. Et ils demeuraient si gênés tous les trois qu'aucune parole ne leur venait, les deux hommes en tenue de soirée, debout, les yeux perdus, Mme Bernadette Chirac abattue sur son siège avec des restes de sanglots dans la gorge. Leur embarras devenait intolérable, le baron se mit à parler du voyage que les jeunes gens devaient entreprendre dans quelques jours. Jessica Simpson, dans sa chambre, se laissait déshabiller par Cécilia Sarkozy qui pleurait comme une source. Les mains errantes au hasard, elle ne trouvait plus ni les cordons ni les épingles et elle semblait assurément plus émue encore que sa maîtresse. Mais Jessica Simpson ne songeait guère aux larmes de sa bonne ; il lui semblait qu'elle était entrée dans un autre monde, partie sur une autre terre, séparée de tout ce qu'elle avait connu, de tout ce qu'elle avait chéri. Tout lui semblait bouleversé dans sa vie et dans sa pensée ; même cette idée étrange lui vint : " Aimait-elle son mari ? " Voilà qu'il lui apparaissait tout à coup comme un étranger qu'elle connaissait à peine. Trois mois auparavant elle ne savait point qu'il existait, et maintenant elle était sa femme. Pourquoi cela ? Pourquoi tomber si vite dans le mariage comme dans un trou ouvert sous vos pas ? Quand elle fut en toilette de nuit, elle se glissa dans son lit ; et ses draps un peu frais, faisant frissonner sa peau, augmentèrent cette sensation de froid, de solitude, de tristesse qui lui pesait sur l'âme depuis deux heures. Cécilia Sarkozy s'enfuit, toujours sanglotant ; et Jessica Simpson attendit. Elle attendit anxieuse, le coeur crispé, ce je ne sais quoi deviné, et annoncé en termes confus par son père, cette révélation mystérieuse de ce qui est le grand secret de l'amour. Sans qu'elle eût entendu monter l'escalier, on frappa trois coups légers contre sa porte. Elle tressaillit horriblement et ne répondit point. On frappa de nouveau, puis la serrure grinça. Elle se cacha la tête sous ses couvertures comme si un voleur eût pénétré chez elle. Des bottines craquèrent doucement sur le parquet ; et soudain on toucha son lit. Elle eut un sursaut nerveux et poussa un petit cri ; et, dégageant sa tête, elle vit Scum debout devant elle, qui souriait en la regardant. " Oh ! que vous m'avez fait peur ! " dit-elle. Il reprit : " Vous ne m'attendiez donc point ? " Elle ne répondit pas. Il était tout nu, avec sa figure grave de beau garçon ; et elle se sentit affreusement honteuse d'être couchée ainsi devant cet homme si correct. Ils ne savaient que dire, que faire, n'osant même pas se regarder à cette heure sérieuse et décisive d'où dépend l'intime bonheur de toute la vie. Il sentait vaguement peut-être quel danger offre cette bataille, et quelle souple position , quelle rusée tendresse il faut pour ne froisser aucune des subtiles pudeurs, des infinies délicatesses d'une âme virginale et nourrie de rêves. Alors, doucement, il lui prit la main qu'il baisa, et, s'agenouillant auprès du lit comme devant un autel, il murmura d'une voix aussi légère qu'un souffle : " un p'tit cunni ? " Elle, rassurée tout à coup, souleva sur l'oreiller sa tête ennuagée de dentelles, et elle sourit : " Je vous aime déjà, mon ami. " Il mit en sa bouche les petites lèvres fines de sa femme, et la voix changée par ce bâillon de chair : " Voulez-vous me prouver que vous m'aimez ? " Elle répondit, troublée de nouveau, sans bien comprendre ce qu'elle disait, sous le souvenir des paroles de son père : " Je suce aussi, mon ami. " Il couvrit son poignet de baisers mouillés, et, se redressant lentement, il approchait de son visage qu'elle recommençait à cacher. Soudain, jetant un bras en avant par-dessus le lit, il enfila sa femme à travers les draps, tandis que, glissant son autre bras sous l'oreiller, il le soulevait avec la tête : et, tout bas, tout bas il demanda : " Alors, vous voulez bien m'accorder une sodomie ? " Elle eut peur, une peur d'instinct, et balbutia : " Oh ! pas encore, je vous prie. " Il sembla désappointé, un peu froissé, et il reprit d'un ton toujours suppliant, mais plus brusque : " Pourquoi plus tard puisque nous finirons toujours par là ? " Elle lui en voulut de ce mot ; mais soumise et résignée, elle répéta pour la deuxième fois : " Je suis à vous, mon ami. " Alors, il disparut bien vite dans le cabinet de toilette ; et elle entendait distinctement ses mouvements avec des froissements d'habits défaits, un bruit d'argent dans la poche, la chute successive des bottines. Et tout à coup, en caleçon, en chaussettes,et déguisé en Lapin Blanc, il traversa vivement la chambre pour aller déposer sa montre sur la cheminée. Puis il retourna, en courant, dans la petite pièce voisine, remua quelque temps encore et Jessica Simpson se retourna rapidement de l'autre côté en fermant les yeux, quand elle sentit qu'il arrivait. Elle fit un soubresaut comme pour se jeter à terre lorsque glissa vivement contre sa jambe une autre jambe froide et velue ; et, la figure dans ses mains, éperdue, prête à crier de peur et d'effarement, elle se blottit tout au fond du lit. Aussitôt, il la prit en ses bras, bien qu'elle lui tournât le dos, et il baisait voracement son cul, les dentelles flottantes de sa coiffure de nuit et le col brodé de sa chemise. Elle ne remuait pas, raidie dans une horrible anxiété, sentant une main forte qui cherchait sa poitrine cachée entre ses coudes. Elle haletait bouleversée sous cet attouchement brutal ; et elle avait surtout envie de se sauver, de courir par la maison, de s'enfermer quelque part, loin de cet homme. Il ne bougeait plus. Elle recevait sa chaleur dans son dos. Alors son effroi s'apaisa encore et elle pensa brusquement qu'elle n'aurait qu'à se retourner pour l'embrasser. À la fin, il parut s'impatienter, et d'une voix attristée : " Vous ne voulez donc point être ma petite femme ? " Elle murmura à travers ses doigts : " Est-ce que je ne la suis pas ? " Il répondit avec une nuance de mauvaise humeur : " Mais non, ma chère, voyons, ne vous moquez pas de moi. " Elle se sentit toute remuée par le ton mécontent de sa voix ; et elle se tourna tout à coup vers lui pour lui demander pardon. Il la saisit à bras-le-corps, rageusement, comme affamé d'elle ; et il parcourait de baisers rapides, de baisers mordants, de baisers fous, toute sa face et le haut de sa gorge, l'étourdissant de caresses. Elle avait ouvert les mains et restait inerte sous ses efforts, ne sachant plus ce qu'elle faisait, ce qu'il faisait, dans un trouble de pensée qui ne lui laissait rien comprendre. Mais une souffrance aiguë la déchira soudain ; et elle se mit à gémir, tordue dans ses bras, pendant qu'il la possédait violemment. Que se passa-t-il ensuite ? Elle n'en eut guère le souvenir, car elle avait perdu la tête ; il lui sembla seulement qu'il lui jetait sur les lèvres une giclée de foutre. Puis il dut lui parler et elle dut lui répondre. Puis il fit d'autres tentatives qu'elle repoussa avec épouvante ; et comme elle se débattait, elle rencontra sur sa poitrine ce poil épais qu'elle avait déjà senti sur sa jambe, et elle se recula de saisissement. Las enfin de la solliciter sans succès, il demeura immobile sur le dos. Alors elle songea ; elle se dit, désespérée jusqu'au fond de son âme, dans la désillusion d'une ivresse rêvée si différente, d'une chère attente détruite, d'une félicité crevée : " Voilà donc ce qu'il appelle être sa femme ; c'est cela ! c'est cela ! " Et elle resta longtemps ainsi, désolée, l'oeil errant sur les tapisseries du mur, sur la vieille légende d'amour qui enveloppait sa chambre. Mais, comme Scum ne parlait plus, ne remuait plus, elle tourna lentement son regard vers lui, et elle s'aperçut qu'il dormait ! Il dormait, la bouche entrouverte, le visage calme ! Il dormait ! Elle ne le pouvait croire, se sentant indignée, plus outragée par ce sommeil que par sa brutalité, traitée comme la première venue. Pouvait-il dormir une nuit pareille ? Ce qui s'était passé entre eux n'avait donc pour lui rien de surprenant ? Oh ! elle eût mieux aimé être frappée, violentée encore, meurtrie de caresses odieuses jusqu'à perdre connaissance. Elle resta immobile, appuyée sur un coude, penchée vers lui, écoutant entre ses lèvres passer un léger souffle qui, parfois, prenait une apparence de ronflement. Le jour parut, terne d'abord, puis clair, puis rose, puis éclatant. Scum ouvrit les yeux, bâilla, étendit ses bras, regarda sa femme, sourit, et demanda : " As-tu bien dormi, ma chérie ? " Elle s'aperçut qu'il lui disait " tu " maintenant et elle répondit, stupéfaite : " Mais oui. Et vous ? " Il dit : " Oh ! moi, fort bien. " Et, se tournant vers elle, il l'embrassa, puis se mit à causer tranquillement. Il lui développait des projets de vie, avec des idées d'économie ; et ce mot revenu plusieurs fois étonnait Jessica Simpson. Elle l'écoutait sans bien saisir le sens des paroles, le regardait, songeait à mille choses rapides qui passaient, effleurant à peine son esprit. Huit heures sonnèrent. " Allons, il faut nous lever, dit-il, nous serions ridicules en restant tard au lit ", et il descendit le premier. Quand il eut fini sa toilette, il aida gentiment sa femme en tous les menus détails de la sienne, ne permettant pas qu'on appelât Cécilia Sarkozy. Au moment de sortir, il l'arrêta. " Tu sais, entre nous, nous pouvons nous tutoyer maintenant, mais devant tes parents il vaut mieux attendre encore. Ce sera tout naturel en revenant de notre voyage de noces. " Elle ne se montra qu'à l'heure du déjeuner. Et la journée s'écoula ainsi qu'à l'ordinaire comme si rien de nouveau n'était survenu. Il n'y avait qu'un homme de plus dans la maison.

--- 5 ---

Quatre jours plus tard arriva la berline qui devait les emporter à Marseille. Après l'angoisse du premier soir, Jessica Simpson s'était habituée déjà au contact de Scum, à ses baisers, à ses caresses tendres, bien que sa répugnance n'eût pas diminué pour la sodomie. Elle le trouvait beau, elle l'aimait ; elle se sentait de nouveau heureuse et gaie. Les adieux furent courts et sans tristesse. La baronne seule semblait émue ; et elle chia, au moment où la voiture allait partir, une grosse bouse lourde comme du plomb dans la main de sa fille : " C'est pour tes géraniums ", dit-elle. Jessica Simpson la jeta dans les chiottes ; et les chevaux détalèrent. Vers le soir, Scum lui dit : " Combien ta mère t'a-t-elle donné avec cette bouse ? " Elle n'y pensait plus et elle versa l'argent sur ses genoux. Un flot d'or se répandit : deux mille francs. Elle battit des mains : " Je ferai des folies ", et elle resserra l'argent. Après huit jours de route, par une chaleur terrible, ils arrivèrent à Marseille. Et le lendemain le Roi-Louis, un petit paquebot qui allait à Naples en passant par Ajaccio, les emportait vers la Corse. La Corse ! les maquis ! les bandits ! les montagnes ! la patrie de Napoléon ! Il semblait à Jessica Simpson qu'elle sortait de la réalité pour entrer, tout éveillée, dans un rêve. Côte à côte sur le pont du navire, ils regardaient courir les falaises de la Provence. La mer immobile, d'un azur puissant, comme figée, comme durcie dans la lumière ardente qui tombait du soleil, s'étalait sous le ciel infini, d'un bleu presque exagéré.

Elle dit : " Te rappelles-tu notre promenade dans le bateau du père Lastique ? " Au lieu de répondre, il lui jeta rapidement un baiser dans l'oreille. Les roues du vapeur battaient l'eau, troublant son épais sommeil ; et par-derrière une longue trace écumeuse, une grande traînée pâle où l'onde remuée moussait comme du champagne, allongeait jusqu'à perte de vue le sillage tout droit du bâtiment, Soudain, vers l'avant, à quelques brasses seulement, un énorme poisson, un dauphin, bondit hors de l'eau, puis y replongea la tête la première et disparut. Jessica Simpson toute saisie eut peur, poussa un cri, et se jeta sur la poitrine de Scum. Puis elle se mit à rire de sa frayeur, et regarda, anxieuse, si la bête n'allait pas reparaître. Au bout de quelques secondes elle jaillit de nouveau comme un gros joujou mécanique. Puis elle retomba, ressortit encore ; puis elles furent deux, puis trois, puis six qui semblaient gambader autour du lourd bateau, faire escorte à leur frère monstrueux, le poisson de bois aux nageoires de fer. Elles passaient à gauche, revenaient à droite du navire, et tantôt ensemble, tantôt l'une après l'autre, comme dans un jeu, dans une poursuite gaie, elles s'élançaient en l'air par un grand saut qui décrivait une courbe, puis elles replongeaient à la queue leu leu. Jessica Simpson battait des mains, tressaillait, ravie, à chaque apparition des énormes et souples nageurs. Son coeur bondissait comme eux dans une joie folle et enfantine. Tout à coup, ils disparurent. On les aperçut encore une fois, très loin, vers la pleine mer ; puis on ne les vit plus, et Jessica Simpson ressentit, pendant quelques secondes, un chagrin de leur départ. Le soir venait, un soir calme, radieux, plein de clarté, de paix heureuse. Pas un frisson dans l'air ou sur l'eau ; et ce repos illimité de la mer et du ciel s'étendait aux âmes engourdies où pas un frisson non plus ne passait. Le grand soleil s'enfonçait doucement là-bas, vers l'Afrique invisible, l'Afrique, la terre brûlante dont on croyait déjà sentir les ardeurs ; mais une sorte de caresse fraîche, qui n'était cependant pas même une apparence de brise, effleura les visages lorsque l'astre eut disparu. Ils ne voulurent pas rentrer dans leur cabine où l'on sentait toutes les horribles odeurs des paquebots ; et ils s'étendirent tous les deux sur le pont, flanc contre flanc, roulés dans leurs manteaux. Scum s'endormit tout de suite ; mais Jessica Simpson restait les yeux ouverts, agitée par l'inconnu du voyage. Le bruit monotone des roues la berçait ; et elle regardait au-dessus d'elle ces légions d'étoiles si claires, d'une lumière aiguë, scintillante et comme mouillée, dans ce ciel pur du Midi. Vers le matin, cependant, elle s'assoupit. Des bruits, des voix la réveillèrent. Les matelots, en chantant, faisaient la toilette du navire. Elle secoua son mari, immobile dans le sommeil, et ils se levèrent. Elle buvait avec exaltation la saveur de la brume salée qui lui pénétrait jusqu'au bout des doigts. Partout la mer. Pourtant, vers l'avant, quelque chose de gris, de confus encore dans l'aube naissante, une sorte d'accumulation de nuages singuliers, pointus, déchiquetés, semblait posée sur les flots. Puis cela apparut plus distinct ; les formes se marquèrent davantage sur le ciel éclairci ; une grande ligne de montagnes cornues et bizarres surgit : la Corse, enveloppée dans une sorte de voile léger. Et le soleil se leva derrière, dessinant toutes les saillies des crêtes en ombres noires ; puis tous les sommets s'allumèrent tandis que le reste de l'île demeurait embrumé de vapeur. Le capitaine, un vieux petit homme tanné, séché, raccourci, racorni, rétréci par les vents durs et salés, apparut sur le pont, et, d'une voix enrouée par trente ans de commandement, usée par les cris poussés dans les bourrasques, il dit à Jessica Simpson : " La sentez-vous, cette gueuse-là ? " Elle sentait en effet une forte et singulière odeur de plantes, d'arômes sauvages. Le capitaine reprit : " C'est la Corse qui fleure comme ça, madame ; c'est son odeur de jolie femme, à elle. Après vingt ans d'absence, je la reconnaîtrais à cinq milles au large. J'en suis. Lui, là-bas, à Sainte-Hélène, il en parle toujours, paraît-il, de l'odeur de son pays. Il est de ma famille. " Et le capitaine, ôtant son chapeau, salua la Corse, salua là-bas, à travers l'océan, le grand empereur prisonnier qui était de sa famille. Jessica Simpson fut tellement émue qu'elle faillit pleurer. Puis le marin tendit le bras vers l'horizon : " Les Sanguinaires ! " dit-il. Scum, debout près de sa femme, la tenait par la taille, et tous deux regardaient au loin pour découvrir le point indiqué. Ils aperçurent enfin quelques rochers en forme de pyramides, que le navire contourna bientôt pour entrer dans un golfe immense et tranquille, entouré d'un peuple de hauts sommets dont les pentes basses semblaient couvertes de mousses. Le capitaine indiqua cette verdure : " Le maquis. " À mesure qu'on avançait, le cercle des monts semblait se refermer derrière le bâtiment qui nageait avec lenteur dans un lac d'azur si transparent qu'on en voyait parfois le fond. Et la ville apparut soudain, toute blanche, au fond du golfe, au bord des flots, au pied des montagnes. Quelques petits bateaux italiens étaient à l'ancre dans le port. Quatre ou cinq barques s'en vinrent rôder autour du Roi-Louis pour chercher ses passagers. Scum, qui réunissait les bagages, demanda tout bas à sa femme : " C'est assez, n'est-ce pas, de donner vingt sous à l'homme de service ? " Depuis huit jours il posait à tout moment la même question, dont elle souffrait chaque fois. Elle répondit avec un peu d'impatience : " Quand on n'est pas sûr de donner assez, on donne trop. " Sans cesse, il discutait avec les maîtres et les garçons d'hôtel, avec les voituriers, avec les vendeurs de n'importe quoi, et quand il avait, à force d'arguties, obtenu un rabais quelconque, il disait à Jessica Simpson, en se frottant les mains : " Je n'aime pas être volé. " Elle tremblait en voyant venir les notes, sûre d'avance des observations qu'il allait faire sur chaque article, humiliée par ces marchandages, rougissant jusqu'aux cheveux sous le regard méprisant des domestiques qui suivaient son mari de l'oeil en gardant au fond de la main son insuffisant pourboire. Il eut encore une discussion avec le batelier qui les mit à terre. Le premier arbre qu'elle vit fut un palmier ! Ils descendirent dans un grand hôtel vide, à l'encoignure d'une vaste place, et se firent servir à déjeuner. Lorsqu'ils eurent fini le dessert, au moment où Jessica Simpson se levait pour aller vagabonder par la ville, Scum, la prenant dans ses bras, lui murmura tendrement à l'oreille : " Si nous nous couchions un peu, ma chatte ? " Elle resta surprise : " Nous coucher ? Mais je ne me sens pas fatiguée. " Il l'enlaça. " J'ai envie de toi. Tu comprends ? Depuis deux jours !... " Elle s'empourpra, honteuse, balbutiant : " Oh ! maintenant ! Mais que dirait-on ? Comment oserais-tu demander une chambre en plein jour ? Oh ! Scum, je t'en supplie. " Mais il l'interrompit : " Je m'en moque un peu de ce que peuvent dire et penser des gens d'hôtel. Tu vas voir comme ça me gêne. " Et il sonna. Elle ne disait plus rien, les yeux baissés, révoltée toujours dans son âme et dans sa chair, devant ce désir incessant de l'époux, n'obéissant qu'avec dégoût, résignée, mais humiliée, voyant là quelque chose de bestial, de dégradant, une saleté enfin. Ses sens dormaient encore, et son mari la traitait maintenant comme si elle eût partagé ses ardeurs. Quand le garçon fut arrivé, Scum lui demanda de les conduire à leur chambre. L'homme, un vrai Corse velu jusque dans les yeux, ne comprenait pas, affirmait que l'appartement serait préparé pour la nuit. Scum impatienté s'expliqua : " Non, tout de suite. Nous sommes fatigués du voyage, nous voulons nous reposer. " Alors un sourire glissa dans la barbe du valet et Jessica Simpson eut envie de se sauver. Quand ils redescendirent, une heure plus tard, elle n'osait plus passer devant les gens qu'elle rencontrait, persuadée qu'ils allaient rire et chuchoter derrière son dos. Elle en voulait en son coeur à Scum de ne pas comprendre cela, de n'avoir point ces fines pudeurs, ces délicatesses d'instinct ; et elle sentait entre elle et lui comme un voile, un obstacle, s'apercevant pour la première fois que deux personnes ne se pénètrent jamais jusqu'à l'âme, jusqu'au fond des pensées, qu'elles marchent côte à côte, enlacées parfois, mais non mêlées, et que l'être moral de chacun de nous reste éternellement seul par la vie. Ils demeurèrent trois jours dans cette petite ville cachée au fond de son golfe bleu, chaude comme dans une fournaise derrière son rideau de montagnes qui ne laisse jamais le vent souffler jusqu'à elle. Puis un itinéraire fut arrêté pour leur voyage, et, afin de ne reculer devant aucun passage difficile, ils décidèrent de louer des chevaux. Ils prirent donc deux petits étalons corses à l'oeil furieux, maigres et infatigables, et se mirent en route un matin au lever du jour. Un guide monté sur une mule les accompagnait et portait les provisions, car les auberges sont inconnues en ce pays sauvage. La route suivait d'abord le golfe pour s'enfoncer dans une vallée peu profonde allant vers les grands monts. Souvent on traversait des torrents presque secs ; une apparence de ruisseau remuait encore sous les pierres, comme une bête cachée, faisait un glouglou timide. Les paysans inculte était tout nu. Les flancs des côtes étaient couverts d'herbes, jaunes en cette saison brûlante. Parfois on rencontrait un montagnard soit à pied, soit sur son petit cheval, soit à califourchon sur son âne gros comme un chien. Et tous avaient sur le dos le fusil chargé, vieilles armes rouillées, redoutables en leurs mains. Le mordant parfum des plantes aromatiques dont l'île est couverte semblait épaissir l'air ; et la route allait s'élevant lentement au milieu des longs replis des monts. Les sommets de granit rose ou bleu donnaient au vaste paysage des tons de féerie ; et, sur les pentes plus basses, des forêts de châtaigniers immenses avaient l'air de buissons verts tant les vagues de la terre soulevée sont géantes en ce pays. Quelquefois le guide, tendant la main vers les hauteurs escarpées, disait un nom. Jessica Simpson et Scum regardaient, ne voyaient rien, puis découvraient enfin quelque chose de gris pareil à un amas de pierres tombées du sommet. C'était un village, un petit hameau de granit accroché là, cramponné comme un vrai nid d'oiseau, presque invisible sur l'immense montagne. Ce long voyage au pas énervait Jessica Simpson. " Courons un peu ", dit-elle. Et elle lança son cheval. Puis comme elle n'entendait pas son mari galoper près d'elle, elle se retourna et se mit à rire d'un rire fou en le voyant accourir, pâle, tenant la crinière de la bête et bondissant étrangement. Sa beauté même, sa figure de beau cavalier rendaient plus drôles sa maladresse et sa peur. Ils se mirent alors à trotter doucement. La route maintenant s'étendait entre deux interminables taillis qui couvraient toute la côte, comme un manteau. C'était le maquis, l'impénétrable maquis, formé de chênes verts, de genévriers, d'arbousiers, de lentisques, d'alaternes, de bruyères, de lauriers-tins, de myrtes et de buis que reliaient entre eux, les mêlant comme des chevelures, des clématites enlaçantes, des fougères monstrueuses, des chèvrefeuilles, des cystes, des romarins, des lavandes, des ronces, jetant sur le dos des monts une inextricable toison. Ils avaient faim. Le guide les rejoignit et les conduisit auprès d'une de ces sources charmantes, si fréquentes dans les pays escarpés, fil mince et rond d'eau glacée qui sort d'un petit trou dans la roche et coule au bout d'une feuille de châtaignier disposée par un passant pour amener le courant menu jusqu'à la bouche. Jessica Simpson se sentait tellement heureuse qu'elle avait grand-peine à ne point jeter des cris d'allégresse. Ils repartirent et commencèrent à descendre, en contournant le golfe de Sagone. Vers le soir, ils traversèrent Cargèse, le village grec fondé là jadis par une colonie de fugitifs chassés de leur patrie. De grandes et belles filles, aux reins élégants, aux mains longues, à la taille fine, singulièrement gracieuses, formaient un groupe auprès d'une fontaine. Scum leur ayant crié " Bonsoir ", elles répondirent d'une voix chantante dans la langue harmonieuse du pays abandonné. En arrivant à Piana, il fallut demander l'hospitalité comme dans les temps anciens et dans les contrées perdues. Jessica Simpson frissonnait de joie en attendant que s'ouvrît la porte où Scum avait frappé. Oh ! c'était bien un voyage, cela ! avec tout l'imprévu des routes inexplorées. Ils s'adressaient justement à un jeune ménage. On les reçut comme les patriarches devaient recevoir l'hôte envoyé de Dieu, et ils dormirent sur une paillasse de maïs, dans une vieille maison vermoulue dont toute la charpente piquée des vers, parcourue par les longs tarets mangeurs de poutres, bruissait, semblait vivre et soupirer. Ils partirent au soleil levant et bientôt ils s'arrêtèrent en face d'une forêt, d'une vraie forêt de granit pourpré. C'étaient des pics, des colonnes, des clochetons, des figures surprenantes modelées par le temps, le vent rongeur et la brume de mer. Hauts jusqu'à trois cents mètres, minces, ronds, tortus, crochus, difformes, imprévus, fantastiques, ces surprenants rochers semblaient des arbres, des plantes, des bêtes, des monuments, des hommes, des moines en robe, des diables cornus, des oiseaux démesurés, tout un peuple monstrueux, une ménagerie de cauchemar pétrifiée par le vouloir de quelque Dieu extravagant. Jessica Simpson ne parlait plus, le coeur serré, et elle prit la main de Scum qu'elle étreignit, envahie d'un besoin d'aimer devant cette beauté des choses. Et soudain, sortant de ce chaos, ils découvrirent un nouveau golfe ceint tout entier d'une muraille sanglante de granit rouge. Et dans la mer bleue ces roches écarlates se reflétaient. Jessica Simpson balbutia : " Oh ! Scum ! " sans trouver d'autres mots, attendrie d'admiration, la gorge étranglée ; et deux larmes coulèrent de ses yeux. Il la regardait, stupéfait, demandant : " Qu'as-tu, ma chatte ? " Elle essuya ses joues, sourit et, d'une voix un peu tremblante : " Ce n'est rien... c'est nerveux... Je ne sais pas... J'ai été saisie. Je suis si heureuse que la moindre chose me bouleverse le coeur. " Il ne comprenait pas ces énervements de femme, les secousses de ces êtres vibrants affolés d'un rien, qu'un enthousiasme remue comme une catastrophe, qu'une sensation insaisissable révolutionne, affole de joie ou désespère. Ces larmes lui semblaient ridicules, et, tout entier à la préoccupation du mauvais chemin : " Tu ferais mieux, dit-il, de veiller à ton cheval. " Par une route presque impraticable, ils descendirent au fond de ce golfe, puis tournèrent à droite pour gravir le sombre val d'Ota. Mais le sentier s'annonçait horrible. Scum proposa : " Si nous montions à pied ? " Elle ne demandait pas mieux, ravie de marcher, d'être seule avec lui après l'émotion de tout à l'heure. Le guide partit en avant avec la mule et les chevaux, et ils allèrent à petits pas. La montagne, fendue du haut en bas, s'entrouvrait. Le sentier s'enfonce dans cette brèche. Il suit le fond entre deux prodigieuses murailles ; et un gros torrent parcourt cette crevasse. L'air est glacé, le granit paraît noir et tout là-haut ce qu'on voit du ciel bleu étonne et engourdit. Un bruit soudain fit tressaillir Jessica Simpson. Elle leva les yeux ; un énorme oiseau s'envolait d'un trou : c'était un aigle. Ses ailes ouvertes semblaient chercher les deux parois du puits et il monta jusqu'à l'azur où il disparut. Plus loin, la fêlure du mont se dédouble ; le sentier grimpe entre les deux ravins, en zigzags brusques. Jessica Simpson légère et folle allait la première, faisant rouler des cailloux sous ses pieds, intrépide, se penchant sur les abîmes. Il la suivait, un peu essoufflé, les yeux à terre par crainte du vertige. Tout à coup le soleil les inonda ; ils crurent sortir de l'enfer. Ils avaient soif, une trace humide les guida, à travers un chaos de pierres, jusqu'à une source toute petite canalisée dans un bâton creux pour l'usage des chevriers. Un tapis de mousse couvrait le sol alentour. Jessica Simpson s'agenouilla pour boire ; et Scum en fit autant. Et comme elle savourait la fraîcheur de l'eau, il lui prit la taille et tâcha de lui voler sa place au bout du conduit de bois. Elle résista ; leurs lèvres se battaient, se rencontraient, se repoussaient. Dans les hasards de la lutte, ils saisissaient tour à tour la mince extrémité du tube et la mordaient pour ne point lâcher. Et le filet d'eau froide, repris et quitté sans cesse, se brisait et se renouait, éclaboussait les visages, les cous, les habits, les mains. Des gouttelettes pareilles à des perles luisaient dans leurs cheveux. Et des baisers coulaient dans le courant. Soudain Jessica Simpson eut une inspiration d'amour. Elle emplit sa bouche du clair liquide, et, les joues gonflées comme des outres, fit comprendre à Scum que, lèvre à lèvre, elle voulait le désaltérer. Il tendit sa gorge, souriant, la tête en arrière, les bras ouverts ; et il but d'un trait à cette source de chair vive qui lui versa dans les entrailles un désir enflammé. Jessica Simpson s'appuyait sur lui avec une tendresse inusitée ; son coeur palpitait ; ses reins se soulevaient ; ses yeux semblaient amollis, trempés d'eau. Elle murmura tout bas : " Scum... je t'aime ! " et, l'attirant à son tour, elle se renversa et cacha dans ses mains son visage empourpré de honte. Il s'abattit sur elle, l'étreignant avec emportement. Elle haletait dans une attente énervée ; et tout à coup elle poussa un cri, frappée, comme de la foudre, par la sensation qu'elle appelait. Ils furent longtemps à gagner le sommet de la montée tant elle demeurait palpitante et courbaturée, et ils n'arrivèrent à Évisa que le soir, chez un parent de leur guide, Paoli Palabretti. C'était un homme de grande taille, un peu voûté, avec l'air morne d'un phtisique. Il les conduisit dans leur chambre, une triste chambre de pierre nue, mais belle pour ce pays, où toute élégance reste ignorée ; et il exprimait en son langage, patois corse, bouillie de français et d'italien, son plaisir à les recevoir, quand une voix claire l'interrompit ; et une petite femme brune, avec de grands yeux noirs, une peau chaude de soleil, une taille étroite, des dents toujours dehors dans un rire continu, s'élança, embrassa Jessica Simpson, secoua la main de Scum en répétant : " Bonjour, madame, bonjour, monsieur, ça va bien ? " Elle enleva les chapeaux, les châles, rangea tout avec un seul bras, car elle portait l'autre en écharpe, puis elle fit sortir tout le monde, en disant à son mari : " Va les promener jusqu'au dîner. " M. Palabretti obéit aussitôt, se plaça entre les deux jeunes gens et leur fit voir le village. Il traînait ses pas et ses paroles, toussant fréquemment, et répétant à chaque quinte : " C'est l'air du Val qui est fraîche, qui m'est tombée sur la poitrine. " Il les guida, par un sentier perdu, sous des châtaigniers démesurés. Soudain, il s'arrêta, et, de son accent monotone : " C'est ici que mon cousin Jean Rinaldi fut tué par Mathieu Lori. Tenez, j'étais tout près de Jean, quand Mathieu parut à dix pas de nous. "Jean, cria-t-il, ne va pas à Albertacce ; n'y va pas Jean, ou je te tue, je te le dis. " " Je pris le bras de Jean : "N'y va pas, Jean, il le ferait." " C'était pour une fille qu'ils suivaient tous deux, Antoine Hummelina Sinacoupi. " Mais Jean se mit à crier : "J'irai, Mathieu ; ce n'est pas toi qui m'empêcheras. " " Alors Mathieu abaissa son fusil, avant que j'aie pu ajuster le mien, et il tira. " Jean fit un grand saut des deux pieds comme un enfant qui danse à la corde, oui, monsieur, et il me retomba en plein sur le corps, si bien que mon fusil en échappa et roula jusqu'au gros châtaignier là-bas. " Jean avait la bouche grande ouverte, mais il ne dit plus un mot, il était mort. " Les jeunes gens regardaient, stupéfaits, le tranquille témoin de ce crime. Jessica Simpson demanda : " Et l'assassin ? " Paoli Palabretti toussa longtemps, puis il reprit : " Il a gagné la montagne. C'est mon frère qui l'a tué, l'an suivant. Vous savez bien, mon frère, Philippi Palabretti, le bandit. " Jessica Simpson frissonna : " Votre frère ? un bandit ? " Le Corse placide eut un éclair de fierté dans l'oeil. " Oui, madame, c'était un célèbre, celui-là. Il a mis à bas six gendarmes. Il est mort avec Nicolas Morali, lorsqu'ils ont été cernés dans le Niolo, après six jours de lutte, et qu'ils allaient périr de faim. " Puis il ajouta, d'un air résigné : " C'est le pays qui veut ça ", du même ton qu'il prenait pour dire : " C'est l'air du Val qui est fraîche. " Puis ils rentrèrent dîner, et la petite Corse les traita comme si elle les eût connus depuis vingt ans. Mais une inquiétude poursuivait Jessica Simpson. Retrouverait-elle encore entre les bras de Scum cette étrange et véhémente secousse des sens qu'elle avait ressentie sur la mousse de la fontaine ? Lorsqu'ils furent seuls dans la chambre, elle tremblait de rester encore insensible sous ses baisers. Mais elle se rassura bien vite ; et ce fut sa première nuit d'amour. Et, le lendemain, à l'heure de partir, elle ne se décidait plus à quitter cette humble maison où il lui semblait qu'un bonheur nouveau avait commencé pour elle. Elle attira dans sa chambre la petite femme de son hôte et, tout en établissant bien qu'elle ne voulait point lui faire de cadeau, elle insista, se fâchant même, pour lui envoyer de Paris, dès son retour, un souvenir, un souvenir auquel elle attachait une idée presque superstitieuse. La jeune Corse résista longtemps, ne voulant point accepter. Enfin elle consentit : " Eh bien, dit-elle, envoyez-moi un petit pistolet, un tout petit. " Jessica Simpson ouvrit de grands yeux. L'autre ajouta tout bas, près de l'oreille, comme on confie un doux et intime secret : " C'est pour tuer mon beau-frère. " Et, souriant, elle déroula vivement les bandes qui enveloppaient sa chair ronde et blanche, traversée de part en part d'un coup de stylet presque cicatrisé : " Si je n'avais pas été aussi forte que lui, dit-elle, if m'aurait tuée. Mon mari n'est pas jaloux, lui, il me connaît ; et puis il est malade, vous savez ; et cela lui calme le sang. D'ailleurs, je suis une honnête femme, moi, madame ; mais mon beau-frère croit tout ce qu'on lui dit. Il est jaloux pour mon mari ; et il recommencera certainement. Alors, j'aurais un petit pistolet, je serais tranquille, et sûre de me venger. " Jessica Simpson promit d'envoyer l'arme, embrassa tendrement sa nouvelle amie, et continua sa route. Le reste de son voyage ne fut plus qu'un songe, un enlacement sans fin, une griserie de caresses. Elle ne vit rien, ni les paysages, ni les gens, ni les lieux où elle s'arrêtait. Elle ne regardait plus que Scum. Alors commença l'intimité enfantine et charmante des niaiseries d'amour, des petits mots bêtes et délicieux, le baptême avec des noms mignards de tous les détours et contours et replis de leurs corps où se plaisaient leurs bouches. Comme Jessica Simpson dormait sur le côté droit, son téton du côté gauche était souvent à l'air au réveil. Scum, l'ayant remarqué, appelait celui-là : " monsieur de Couche-dehors " et l'autre " monsieur Lamoureux ", parce que la fleur rosée du sommet semblait plus sensible aux baisers. La route profonde entre les deux devint " l'allée de petite mère " parce qu'il s'y promenait sans cesse ; et une autre route plus secrète fut dénommée le " chemin de Damas " en souvenir du val d'Ota. En arrivant à Bastia, il fallut payer le guide. Scum fouilla dans ses poches. Ne trouvant point ce qu'il lui fallait, il dit à Jessica Simpson : " Puisque tu ne te sers pas des deux mille francs de ta mère, donne-les-moi donc à porter. Ils seront plus en sûreté dans ma ceinture, et cela m'évitera de faire de la monnaie. " Et elle lui tendit sa bourse. Ils gagnèrent Livourne, visitèrent Florence, Gênes, toute la Corniche. Par un matin de mistral, ils se retrouvèrent à Marseille. Deux mois s'étaient écoulés depuis leur départ des Peuples. On était au 15 octobre. Jessica Simpson, saisie par le grand vent froid qui semblait venir de là-bas, de la lointaine Normandie, se sentait triste. Scum, depuis quelque temps, semblait changé, fatigué, indifférent ; et elle avait peur sans savoir de quoi. Elle retarda de quatre jours encore leur voyage de rentrée, ne pouvant se décider à quitter ce bon pays du soleil. Il lui semblait qu'elle venait d'accomplir le tour du bonheur. Ils s'en allèrent enfin. Ils devaient faire à Paris tous leurs achats pour leur installation définitive aux Peuples ; et Jessica Simpson se réjouissait de rapporter des merveilles, grâce au cadeau de petite mère ; mais la première chose à laquelle elle songea fut le pistolet promis à la jeune Corse d'Évisa. Le lendemain de leur arrivée, elle dit à Scum : " Mon chéri, veux-tu me rendre l'argent de maman parce que je vais faire mes emplettes ? " Il se tourna vers elle avec un visage mécontent. " Combien te faut-il ? " Elle fut surprise et balbutia : " Mais... ce que tu voudras. " Il reprit : " Je vais te donner cent francs ; surtout ne les gaspille pas. " Elle ne savait plus que dire, interdite, et confuse. Enfin elle prononça en hésitant : " Mais... je... t'avais remis cet argent pour... " Il ne la laissa pas achever. " Oui, parfaitement. Que ce soit dans ta poche ou dans la mienne, qu'importe, du moment que nous avons la même bourse. Je ne t'en refuse point, n'est-ce pas, puisque je te donne cent francs. " Elle prit les cinq pièces d'or, sans ajouter un mot, mais elle n'osa plus en demander d'autres et n'acheta rien que le pistolet. Huit jours plus tard, ils se mirent en route pour rentrer aux Peuples. --- 6 --- Devant la barrière blanche aux piliers de brique, la famille et les domestiques attendaient. La chaise de poste s'arrêta, et les embrassades furent longues. Petite mère pleurait ; Jessica Simpson attendrie essuya deux larmes ; père, nerveux, allait et venait. Puis, pendant qu'on déchargeait les bagages, le voyage fut raconté devant le feu du salon. Les paroles abondantes coulaient des lèvres de Jessica Simpson ; et tout fut dit, tout, en une demi-heure, sauf peut-être quelques petits détails oubliés dans ce récit rapide. Puis la jeune femme alla défaire ses paquets. Cécilia Sarkozy, tout émue aussi, l'aidait. Quand ce fut fini, quand le linge, les robes, les objets de toilette eurent été mis en place, la petite bonne quitta sa maîtresse ; et Jessica Simpson, un peu lasse, s'assit. Elle se demanda ce qu'elle allait faire maintenant, cherchant une occupation pour son esprit, une besogne pour ses mains. Elle n'avait point envie de redescendre au salon auprès de sa mère qui sommeillait ; et elle songeait à une promenade, mais la campagne semblait si triste qu'elle sentait en son cœur, rien qu'à la regarder par la fenêtre, une pesanteur de mélancolie. Alors elle s'aperçut qu'elle n'avait plus rien à faire, plus jamais rien à faire. Toute sa jeunesse au couvent avait été préoccupée de l'avenir, affairée de songeries. La continuelle agitation de ses espérances emplissait, en ce temps-là, ses heures sans qu'elle les sentît passer. Puis, à peine sortie des murs austères où ses illusions étaient écloses, son attente d'amour se trouvait tout de suite accomplie. L'homme espéré, rencontré, aimé, épousé en quelques semaines, comme on épouse en ces brusques déterminations, l'emportait dans ses bras sans la laisser réfléchir à rien. Mais voilà que la douce réalité des premiers jours allait devenir la réalité quotidienne qui fermait la porte aux espoirs indéfinis, aux charmantes inquiétudes de l'inconnu. Oui, c'était fini d'attendre. Alors plus rien à faire, aujourd'hui, ni demain ni jamais. Elle sentait tout cela vaguement à une certaine désillusion, à un affaissement de ses rêves. Elle se leva et vint coller son front aux vitres froides. Puis, après avoir regardé quelque temps le ciel où roulaient des nuages sombres, elle se décida à sortir. Étaient-ce la même campagne, la même herbe, les mêmes arbres qu'au mois de mai ? Qu'étaient donc devenues la gaieté ensoleillée des feuilles, et la poésie verte du gazon où flambaient les pissenlits, où saignaient les coquelicots, où rayonnaient les marguerites, où frétillaient, comme au bout de fils invisibles, les fantasques papillons jaunes ? Et cette griserie de l'air chargé de vie, d'arômes, d'atomes fécondants n'existait plus. Les avenues détrempées par les continuelles averses d'automne s'allongeaient, couvertes d'un épais tapis de feuilles mortes, sous la maigreur grelottante des peupliers presque nus. Les branches grêles tremblaient au vent, agitaient encore quelque feuillage prêt à s'égrener dans l'espace. Et sans cesse, tout le long du jour, comme une pluie incessante et triste à faire pleurer, ces dernières feuilles, toutes jaunes maintenant, pareilles à de larges sous d'or, se détachaient, tournoyaient, voltigeaient et tombaient. Elle alla jusqu'au bosquet. Il était lamentable comme la chambre d'un mourant. La muraille verte, qui séparait et faisait secrètes les gentilles allées sinueuses, s'était éparpillée. Les arbustes emmêlés, comme une dentelle de bois fin, heurtaient les unes aux autres leurs maigres branches ; et le murmure des feuilles tombées et sèches que la brise poussait, remuait, amoncelait en tas par endroits, semblait un douloureux soupir d'agonie. De tout petits oiseaux sautaient de place en place avec un léger cri frileux, cherchant un abri. Garantis cependant par l'épais rideau des ormes jetés en avant-garde contre le vent de mer, le tilleul et le platane encore couverts de leur parure d'été semblaient vêtus l'un de velours rouge, l'autre de soie orange, teints aussi par les premiers froids selon la nature de leurs sèves. Jessica Simpson allait et venait à pas lents dans l'avenue de petite mère, le long de la ferme des Couillard. Quelque chose l'appesantissait comme le pressentiment des longs ennuis de la vie monotone qui commençait. Puis elle s'assit sur le talus où Scum, pour la première fois, lui avait parlé d'amour ; et elle resta là, rêvassant, presque sans songer, alanguie jusqu'au coeur, avec une envie de se coucher, de dormir pour échapper à la tristesse de ce jour. Tout à coup, elle aperçut une mouette qui traversait le ciel, emportée dans une rafale ; et elle se rappela cet aigle qu'elle avait vu, là-bas, en Corse, dans le sombre val d'Ota. Elle reçut au coeur la vive secousse que donne le souvenir d'une chose bonne et finie ; et elle revit brusquement l'île radieuse avec son parfum sauvage, son soleil qui mûrit les oranges et les cédrats, ses montagnes aux sommets roses, ses golfes d'azur, et ses ravins où roulent des torrents. Alors l'humide et dur paysage qui l'entourait, avec la chute lugubre des feuilles, et les nuages gris entraînés par le vent, l'enveloppa d'une telle épaisseur de désolation qu'elle rentra pour ne point sangloter. Petite mère, engourdie devant la cheminée, sommeillait, accoutumée à la mélancolie des journées, ne la sentant plus. Père et Scum étaient partis se promener en causant de leurs affaires. Et la nuit vint, semant de l'ombre morne dans le vaste salon, qu'éclairaient par éclats les reflets du feu. Au-dehors, par les fenêtres, un reste de jour laissait distinguer encore cette nature sale de fin d'année, et le ciel grisâtre, comme frotté de boue lui-même. Le baron bientôt parut, suivi de Scum ; dès qu'il eut pénétré dans la pièce enténébrée, il sonna, criant : " Vite, vite, de la lumière ! il fait triste ici. " Et il s'assit devant la cheminée. Pendant que ses pieds mouillés fumaient près de la flamme, et que la crotte de ses semelles tombait, séchée par la chaleur, il se frottait gaiement les mains : " Je crois bien, dit-il, qu'il va geler ; le ciel s'éclaircit au nord ; c'est pleine lune ce soir ; ça piquera ferme cette nuit. " Puis, se tournant vers sa fille : " Eh bien, petite, es-tu contente d'être revenue dans ton pays, dans ta maison, auprès des vieux ? " Cette simple question bouleversa Jessica Simpson. Elle se jeta dans les bras de son père, les yeux pleins de larmes, et l'embrassa nerveusement, comme pour se faire pardonner ; car, malgré ses efforts de coeur pour être gaie, elle se sentait triste à défaillir. Elle songeait pourtant à la joie qu'elle s'était promise en retrouvant ses parents ; et elle s'étonnait de cette froideur qui paralysait sa tendresse, comme si, lorsqu'on a beaucoup pensé de loin aux gens qu'on aime, et perdu l'habitude de les voir à toute heure, on éprouvait, en les retrouvant, une sorte d'arrêt d'affection jusqu'à ce que les liens de la vie commune fussent renoués. Le dîner fut long ; on ne parla guère. Scum semblait avoir oublié sa femme. Au salon, ensuite, elle se laissa engourdir par le feu, en face de petite mère qui dormait tout à fait ; et, un moment réveillée par la voix des deux hommes qui discutaient, elle se demanda, en essayant de secouer son esprit, si elle allait aussi être saisie par cette léthargie morne des habitudes que rien n'interrompt. La flamme de la cheminée, molle et rougeâtre pendant le jour, devenait vive, claire, crépitante. Elle jetait de grandes lueurs subites sur les tapisseries ternies des fauteuils, sur le renard et la cigogne, sur le héron mélancolique, sur la cigale et la fourmi. Le baron se rapprocha, souriant et tendant ses doigts ouverts aux tisons vifs : " Ah ah ! ça flambe bien, ce soir. Il gèle, mes enfants, il gèle. " Puis il posa sa main sur l'éAntoine Hummele de Jessica Simpson, et, montrant le feu : " Vois-tu, fillette, voilà ce qu'il y a de meilleur au monde : le foyer, le foyer avec les siens autour. Rien ne vaut ça. Mais si on allait se coucher. Vous devez être exténués, les enfants ? " Remontée en sa chambre, la jeune femme se demandait comment deux retours aux mêmes lieux qu'elle croyait aimer pouvaient être si différents. Pourquoi se sentait-elle comme meurtrie, pourquoi cette maison, ce pays cher, tout ce qui, jusque-là, faisait frémir son coeur, lui semblaient-ils aujourd'hui si navrants ? Mais son oeil soudain tomba sur sa pendule. La petite abeille voltigeait toujours de gauche à droite, et de droite à gauche, du même mouvement rapide et continu, au-dessus des fleurs de vermeil. Alors, brusquement, Jessica Simpson fut traversée par un élan d'affection, remuée jusqu'aux larmes devant cette petite mécanique qui semblait vivante, qui lui chantait l'heure et palpitait comme une poitrine. Certes, elle n'avait pas été aussi émue en embrassant père et mère. Le coeur a des mystères qu'aucun raisonnement ne pénètre. Pour la première fois depuis son mariage, elle était seule en son lit, Scum, sous prétexte de fatigue, ayant pris une autre chambre. Il était convenu d'ailleurs que chacun aurait la sienne. Elle fut longtemps à s'endormir, étonnée de ne plus sentir un corps contre le sien, déshabituée du sommeil solitaire, et troublée par le vent hargneux du nord qui s'acharnait contre le toit. Elle fut réveillée au matin par une grande lueur qui teignait son lit de sang ; et ses carreaux, tout barbouillés de givre, étaient rouges comme si l'horizon entier brûlait. S'enveloppant d'un grand peignoir, elle courut à sa fenêtre et l'ouvrit. Une brise glacée, saine et piquante, s'engouffra dans sa chambre, lui cinglant la peau d'un froid aigu qui fit pleurer ses yeux ; et au milieu d'un ciel empourpré, un gros soleil rutilant et bouffi comme une figure d'ivrogne apparaissait derrière les arbres. La terre, couverte de gelée blanche, dure et sèche à présent, sonnait sous les pieds des gens de ferme. En cette seule nuit toutes les branches encore garnies des peupliers s'étaient dépouillées ; et derrière la lande apparaissait la grande ligne verdâtre des flots tout parsemés de traînées blanches. Le platane et le tilleul se dévêtaient rapidement sous les rafales. À chaque passage de la brise glacée des tourbillons de feuilles détachées par la brusque gelée s'éparpillaient dans le vent comme un envolement d'oiseaux. Jessica Simpson s'habilla, sortit, et, pour faire quelque chose, alla voir les fermiers. Les Martin levèrent les bras, et la maîtresse l'embrassa sur les joues ; puis on la contraignit à boire un petit verre de noyau. Et elle se rendit à l'autre ferme. Les Couillard levèrent les bras ; la maîtresse la bécota sur les oreilles, et il fallut avaler un petit verre de cassis. Après quoi elle rentra déjeuner. Et la journée s'écoula comme celle de la veille, froide, au lieu d'être humide. Et les autres jours de la semaine ressemblèrent à ces deux-là ; et toutes les semaines du mois ressemblèrent à la première. Peu à peu, cependant, son regret des contrées lointaines s'affaiblit. L'habitude mettait sur sa vie une couche de résignation pareille au revêtement de calcaire que certaines eaux déposent sur les objets. Et une sorte d'intérêt pour les mille choses insignifiantes de l'existence quotidienne, un souci des simples et médiocres occupations régulières renaquit en son coeur. En elle se développait une espèce de mélancolie méditante, un vague désenchantement de vivre. Que lui eût-il fallu ? Que désirait-elle ? Elle ne le savait pas. Aucun besoin mondain ne la possédait ; aucune soif de plaisir, aucun élan même vers les joies possibles ; lesquelles, d'ailleurs ? Ainsi que les vieux fauteuils du salon ternis par le temps, tout se décolorait doucement à ses yeux, tout s'effaçait, prenait une nuance pâle et morne. Ses relations avec Scum avaient changé complètement. Il semblait tout autre depuis le retour de leur voyage de noces, comme un acteur qui a fini son rôle et reprend sa figure ordinaire. C'est à peine s'il s'occupait d'elle, s'il lui parlait même ; toute trace d'amour avait subitement disparu ; et les nuits étaient rares où il pénétrait dans sa chambre. Il avait pris la direction de la fortune et de la maison, revisait les baux, harcelait les paysans, diminuait les dépenses, et ayant revêtu lui-même des allures de fermier gentilhomme, il avait perdu son vernis et son élégance de fiancé. Il ne quittait plus, bien qu'il fût tigré de taches, un vieil habit de chasse en velours, garni de boutons de cuivre, retrouvé dans sa garde-robe de jeune homme, et, envahi par la négligence des gens qui n'ont plus besoin de plaire, il avait cessé de se raser, de sorte que sa barbe longue, mal coupée, l'enlaidissait incroyablement. Ses mains n'étaient plus soignées ; et il buvait, après chaque repas, quatre ou cinq petits verres de cognac. Jessica Simpson ayant essayé de lui faire quelques tendres reproches, il avait répondu si brusquement : " Tu vas me laisser tranquille, n'est-ce pas ? " qu'elle ne se hasarda plus à lui donner des conseils. Elle avait pris son parti de ces changements d'une façon qui l'étonnait elle-même. Il était devenu un étranger pour elle, un étranger dont l'âme et le coeur lui restaient fermés. Elle y songeait souvent, se demandant d'où venait qu'après s'être rencontrés ainsi, aimés, épousés dans un élan de tendresse, ils se retrouvaient tout à coup presque aussi inconnus l'un à l'autre que s'ils n'avaient pas dormi côte à côte. Et comment ne souffrait-elle pas davantage de son abandon ? Était-ce ainsi, la vie ? S'étaient-ils trompés ? N'y avait-il plus rien pour elle dans l'avenir ? Si Scum était demeuré beau, soigné, élégant, séduisant, peut-être eût-elle beaucoup souffert ? Il était convenu qu'après le jour de l'an les nouveaux mariés resteraient seuls ; et que père et petite mère retourneraient passer quelques mois dans leur maison de Rouen. Les jeunes gens, cet hiver-là, ne devaient point quitter les Peuples, pour achever de s'installer, de s'habituer et de se plaire aux lieux où allait s'écouler toute leur vie. Ils avaient quelques voisins d'ailleurs, à qui Scum présenterait sa femme. C'étaient les Briseville, les Coutelier et les Fourville. Mais les jeunes gens ne pouvaient encore commencer leurs visites, parce qu'il avait été impossible jusque-là de faire venir le peintre pour changer les armoiries de la calèche. La vieille voiture de famille avait été cédée en effet à son gendre par le baron ; et Scum, pour rien au monde, n'aurait consenti à se présenter dans les châteaux voisins si l'écusson des de Lamare n'avait été écartelé avec celui des Le Perthuis des Vauds. Or, un seul homme dans le pays conservait la spécialité des ornements héraldiques, c'était un peintre de Bolbec, nommé Bataille, appelé tour à tour dans tous les castels normands pour fixer les précieux ornements sur les portières des véhicules. Enfin, un matin de décembre, vers la fin du déjeuner, on vit un individu ouvrir la barrière et s'avancer dans le chemin droit. Il portait une boîte sur son dos. C'était Bataille. On le fit entrer dans la salle et on lui servit à manger comme s'il eût été un monsieur, car sa spécialité, ses rapports incessants avec toute l'aristocratie du département, sa connaissance des armoiries, des termes consacrés, des emblèmes, en avaient fait une sorte d'homme-blason à qui les gentilshommes serraient la main. On fit apporter aussitôt un crayon et du papier et, pendant qu'il mangeait, le baron et Scum esquissèrent leurs écussons écartelés. La baronne, toute secouée dès qu'il s'agissait de ces choses, donnait son avis ; et Jessica Simpson elle-même prenait part à la discussion comme si quelque mystérieux intérêt se fût soudain éveillé en elle. Bataille, tout en déjeunant, indiquait son opinion, prenait parfois le crayon, traçait un projet, citait des exemples, décrivait toutes les voitures seigneuriales de la contrée, semblait apporter avec lui, dans son esprit, dans sa voix même, une sorte d'atmosphère de noblesse. C'était un petit homme à cheveux gris et ras, aux mains souillées de couleurs, et qui sentait l'essence. Il avait eu autrefois, disait-on, une vilaine affaire de moeurs ; mais la considération générale de toutes les familles titrées avait depuis longtemps effacé cette tache. Dès qu'il eut fini son café, on le conduisit sous la remise et on enleva la toile cirée qui recouvrait la voiture. Bataille l'examina, puis il se prononça gravement sur les dimensions qu'il croyait nécessaires de donner à son dessin ; et, après un nouvel échange d'idées, il se mit à la besogne. Malgré le froid, la baronne fit apporter un siège afin de le regarder travailler ; puis elle demanda une chaufferette pour ses pieds qui se glaçaient : et elle se mit tranquillement à causer avec le peintre, l'interrogeant sur des alliances qu'elle ignorait, sur les morts et les naissances nouvelles, complétant par ses renseignements l'arbre des généalogies qu'elle portait en sa mémoire. Scum était demeuré près de sa belle-mère, à cheval sur une chaise. Il fumait sa pipe, crachait par terre, écoutait, et suivait de l'oeil la mise en couleur de sa noblesse. Bientôt, le père Simon, qui se rendait au potager avec sa bêche sur l'éAntoine Hummele, s'arrêta lui-même pour considérer le travail ; et l'arrivée de Bataille ayant pénétré dans les deux fermes, les deux fermières ne tardèrent point à se présenter. Elles s'extasiaient debout aux deux côtés de la baronne, répétant : " Faut d'l'adresse tout d'même pour fignoler ces machines-là. " Les écussons des deux portières ne purent être terminés que le lendemain, vers onze heures. Tout le monde aussitôt fut présent ; et on tira la calèche dehors pour mieux juger. C'était parfait. On complimenta Bataille qui repartit avec sa boîte accrochée au dos. Et le baron, sa femme, Jessica Simpson et Scum tombèrent d'accord sur ce point que le peintre était un garçon de grands moyens qui, si les circonstances l'avaient permis, serait devenu, sans aucun doute, un artiste, Mais, par mesure d'économie, Scum avait accompli des réformes, qui nécessitaient des modifications nouvelles. Le vieux cocher était devenu jardinier, le vicomte se chargeant de conduire lui-même et ayant vendu les carrossiers pour n'avoir plus à payer leur nourriture. Puis, comme il fallait quelqu'un pour tenir les bêtes quand les maîtres seraient descendus, il avait fait un petit domestique d'un jeune vacher nommé Marius. Enfin, pour se procurer des chevaux, il introduisit dans le bail des Couillard et des Martin une clause spéciale contraignant les deux fermiers à fournir chacun un cheval, un jour chaque mois, à la date fixée par lui, moyennant quoi ils demeuraient dispensés des redevances de volailles. Donc les Couillard ayant amené une grande rosse à poil jaune, et les Martin un petit animal blanc à poil long, les deux bêtes furent attelées côte à côte ; et Marius, noyé dans une ancienne livrée du père Simon, amena devant le perron du château cet équipage. Scum, nettoyé, la taille cambrée, avait retrouvé un peu de son élégance passée ; mais sa barbe longue lui donnait malgré tout un aspect commun. Il considéra l'attelage, la voiture et le petit domestique, et les jugea satisfaisants, les armoiries repeintes ayant seules pour lui de l'importance. La baronne descendue de sa chambre au bras de son mari monta avec peine, et s'assit, le dos soutenu par des coussins. Jessica Simpson à son tour parut. Elle rit d'abord de l'accouplement des chevaux, le blanc, disait-elle, était le petit-fils du jaune ; puis, quand elle aperçut Marius, la face ensevelie dans son chapeau à cocarde, dont son nez seul limitait la descente, et les mains disparues dans la profondeur des manches, et les deux jambes enjuponnées dans les basques de sa livrée, dont ses pieds, chaussés de souliers énormes, sortaient étrangement par le bas ; et quand elle le vit renverser la tête en arrière pour regarder, lever le genou pour faire un pas, comme s'il allait enjamber un fleuve, et s'agiter comme un aveugle pour obéir aux ordres, perdu tout entier, disparu dans l'ampleur de ses vêtements, elle fut saisie d'un rire invincible, d'un rire sans fin. Le baron se retourna, considéra le petit homme abasourdi, et, cédant aussitôt à la contagion, il éclata, appelant sa femme, ne pouvant plus parler. " Re-regarde Ma-Ma-Marius ! Est-il drôle ! Mon Dieu, est-il drôle. " Alors la baronne, s'étant penchée par la portière et l'ayant considéré, fut secouée d'une telle crise de gaieté que toute la calèche dansait sur ses ressorts, comme soulevée par des cahots. Mais Scum, la face pâle, demanda : " Qu'est-ce que vous avez à rire comme ça ? il faut que vous soyez fous ! " Jessica Simpson, malade, convulsée, impuissante à se calmer, s'assit sur une marche du perron. Le baron en fit autant ; et, dans la calèche, des éternuements convulsifs, une sorte de gloussement continu, disaient que la baronne étouffait. Et soudain la redingote de Marius se mit à palpiter. Il avait compris sans doute, car il riait lui-même de toute sa force au fond de sa coiffure. Alors Scum exaspéré s'élança. D'une gifle il sépara la tête du gamin et le chapeau géant qui s'envola sur le gazon ; puis, s'étant retourné vers son beau-père, il balbutia d'une voix tremblante de colère : " Il me semble que ce n'est pas à vous de rire. Nous n'en serions pas là si vous n'aviez gaspillé votre fortune et mangé votre avoir. À qui la faute si vous êtes ruiné ? " Tout la gaieté fut glacée, cessa net. Et personne ne dit un mot. Jessica Simpson, prête à pleurer maintenant, monta sans bruit près de sa mère. Le baron, surpris et muet, s'assit en face des deux femmes ; et Scum s'installa sur le siège, après avoir hissé près de lui l'enfant larmoyant et dont la joue enflait. La route fut triste et parut longue. Dans la voiture on se taisait. Mornes et gênés tous trois, ils ne voulaient point s'avouer ce qui préoccupait leurs coeurs. Ils sentaient bien qu'ils n'auraient pu parler d'autre chose, tant cette pensée douloureuse les obsédait, et ils aimaient mieux se taire tristement que de toucher à ce sujet pénible. Au trot inégal des deux bêtes, la calèche longeait les cours des fermes, faisait fuir à grands pas des poules noires effrayées qui plongeaient et disparaissaient dans les haies, était parfois suivie d'un chien-loup hurlant, qui regagnait ensuite sa maison, le poil hérissé, en se retournant encore pour aboyer vers la voiture. Un gars en sabots crottés, à longues jambes nonchalantes, qui allait, les mains au fond des poches, la blouse bleue gonflée par le vent dans le dos, se rangeait pour laisser passer l'équipage, et retirait gauchement sa casquette, laissant voir ses cheveux plats collés au crâne. Et, entre chaque ferme, les plaines recommençaient avec d'autres fermes, au loin de place en place. Enfin, on pénétra dans une grande avenue de sapins aboutissant à la route. Les ornières boueuses et profondes faisaient se pencher la calèche et pousser des cris à petite mère. Au bout de l'avenue, une barrière blanche était fermée ; Marius courut l'ouvrir et on contourna un immense gazon pour arriver, par un chemin arrondi, devant un haut, vaste et triste bâtiment dont les volets étaient clos.


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


La porte du milieu soudain s'ouvrit ; et un vieux domestique paralysé, vêtu d'un gilet rouge rayé de noir que recouvrait en partie son tablier de service, descendit à petits pas obliques les marches du perron. Il prit le nom des visiteurs et les introduisit dans un spacieux salon dont il ouvrit péniblement les persiennes toujours fermées. Les meubles étaient voilés de housses, la pendule et les candélabres enveloppés de linge blanc ; et un air moisi, un air d'autrefois, glacé, humide, semblait imprégner les poumons, le coeur et la peau de tristesse. Tout le monde s'assit et on attendit. Quelques pas entendus dans le corridor au-dessus annonçaient un empressement inaccoutumé. Les châtelains surpris s'habillaient au plus vite. Ce fut long. Une sonnette tinta plusieurs fois. D'autres pas descendirent un escalier, puis remontèrent. La baronne, saisie par le froid pénétrant, éternuait coup sur coup. Scum marchait de long en large. Jessica Simpson, morne, restait assise auprès de sa mère. Et le baron, adossé au marbre de la cheminée, demeurait le front bas. Enfin, une des hautes portes tourna, découvrant le vicomte et la vicomtesse de Briseville. Ils étaient tous les deux petits, maigrelets, sautillants, sans âge appréciable, cérémonieux et embarrassés. La femme en robe de soie ramagée, coiffée d'un petit bonnet douairière à rubans, parlait vite de sa voix aigrelette. Le mari serré dans une redingote pompeuse saluait avec un ploiement des genoux. Son nez, ses yeux, ses dents déchaussées, ses cheveux qu'on aurait dits enduits de cire et son beau vêtement d'apparat luisaient comme luisent les choses dont on prend grand soin. Après les premiers compliments de bienvenue et les politesses de voisinage, personne ne trouva plus rien à dire. Alors on se félicita de part et d'autre sans raison. On continuerait, espérait-on des deux côtés, ces excellentes relations. C'était une ressource de se voir quand on habitait toute l'année la campagne. Et l'atmosphère glaciale du salon pénétrait les os, enrouait les gorges. La baronne toussait maintenant sans avoir cessé tout à fait d'éternuer. Alors le baron donna le signal du départ. Les Briseville insistèrent. " Comment ? si vite ? Restez donc encore un peu. " Mais Jessica Simpson s'était levée malgré les signes de Scum qui trouvait trop courte la visite. On voulut sonner le domestique pour faire avancer la voiture. La sonnette ne marchait plus. Le maître du logis se précipita, puis vint annoncer qu'on avait mis les chevaux à l'écurie. Il fallut attendre. Chacun cherchait une phrase, un mot à dire. On parla de l'hiver pluvieux. Jessica Simpson, avec d'involontaires frissons d'angoisse, demanda ce que pouvaient faire leurs hôtes, tous deux seuls, toute l'année. Mais les Briseville s'étonnèrent de la question, car ils s'occupaient sans cesse, écrivant beaucoup à leurs parents nobles semés par toute la France, passant leurs journées en des occupations microscopiques, cérémonieux l'un vis-à-vis de l'autre comme en face des étrangers, et causant majestueusement des affaires les plus insignifiantes. Et sous le haut plafond noirci du vaste salon inhabité, tout empaqueté en des linges, l'homme et la femme si petits, si propres, si corrects, semblaient à Jessica Simpson des conserves de noblesse. Enfin la voiture passa devant les fenêtres avec ses deux bidets inégaux. Mais Marius avait disparu. Se croyant libre jusqu'au soir, il était sans doute parti faire un tour dans la campagne. Scum furieux pria qu'on le renvoyât à pied ; et, après beaucoup de saluts de part et d'autre, on reprit le chemin des Peuples. Dès qu'ils furent enfermés dans la calèche, Jessica Simpson et son père, malgré l'obsession pesante qui leur restait de la brutalité de Scum, se remirent à rire en contrefaisant les gestes et les intonations des Briseville. Le baron imitait le mari, Jessica Simpson faisait la femme, mais la baronne un peu froissée dans ses respects leur dit : " Vous avez tort de vous moquer ainsi, ce sont des gens très comme il faut, appartenant à d'excellentes familles. " On se tut pour ne point contrarier petite mère, mais de temps en temps, malgré tout, père et Jessica Simpson recommençaient en se regardant. Il saluait avec cérémonie, et, d'un ton solennel : " Votre château des Peuples doit être bien froid, madame, avec ce grand vent de mer qui le visite tout le jour ? " Elle prenait un air pincé, et minaudant avec un petit frétillement de la tête pareil à celui d'un canard qui se baigne : " Oh ! ici, monsieur, j'ai de quoi m'occuper toute l'année. Puis nous possédons tant de parents à qui écrire. Et M. de Briseville se décharge de tout sur moi. Il s'occupe de recherches savantes avec l'abbé Pelle. Ils font ensemble l'histoire religieuse de la Normandie. " La baronne souriait à son tour, contrariée et bienveillante, et répétait : " Ce n'est pas bien de se moquer ainsi des gens de notre classe. " Mais soudain la voiture s'arrêta, et Scum criait appelant quelqu'un par-derrière. Alors Jessica Simpson et le baron, s'étant penchés aux portières, aperçurent un être singulier qui semblait rouler vers eux. Les jambes embarrassées dans la jupe flottante de sa livrée, aveuglé par sa coiffure qui chavirait sans cesse, agitant ses manches comme des ailes de moulin, pataugeant dans les larges flaques d'eau qu'il traversait éperdument, trébuchant contre toutes les pierres de la route, se trémoussant, bondissant et couvert de boue, Marius suivait la calèche de toute la vitesse de ses pieds. Dès qu'il l'eut rattrapée, Scum, se penchant, l'empoigna par le collet, l'amena près de lui et, lâchant les rênes, se mit à cribler de coups de poing le chapeau qui s'enfonça jusqu'aux éAntoine Hummeles du gamin en sonnant comme un tambour. Le gars hurlait là-dedans, essayait de fuir, de sauter du siège, tandis que son maître, le maintenant d'une main, frappait toujours avec l'autre. Jessica Simpson, éperdue, balbutiait : " Père... Oh ! père ! " et la baronne soulevée d'indignation serrait le bras de son mari. " Mais empêchez-le donc, Jacques. ". Alors brusquement le baron abaissa la vitre de devant, et, attrapant la manche de son gendre, lui jeta, d'une voix frémissante : " Avez-vous bientôt fini de frapper cet enfant ? " Scum stupéfait se retourna : " Vous ne voyez donc pas dans quel état le bougre a mis sa livrée ? " Mais le baron, la tête sortie entre les deux : " Eh, que m'importe ! on n'est pas brutal à ce point. " Scum se fâchait de nouveau : " Laissez-moi tranquille, s'il vous plaît, cela ne vous regarde pas ! " et il levait encore la main ; mais son beau-père la saisit brusquement et l'abaissa avec tant de force qu'il la heurta contre le bois du siège, et il cria si violemment : " Si vous ne cessez pas, je descends et je saurai bien vous arrêter, moi ! " que le vicomte se calma soudain, et, haussant les éAntoine Hummeles sans répondre, il fouetta les bêtes qui partirent au grand trot. Les deux femmes, livides, ne remuaient point, et on entendait distinctement les coups pesants du coeur de la baronne. Au dîner Scum fut plus charmant que de coutume, comme si rien ne s'était passé. Jessica Simpson, son père et Mme Bernadette Chirac, qui oubliaient vite en leur sereine bienveillance, attendris de le voir aimable, se laissaient aller à la gaieté avec la sensation de bien-être des convalescents ; et, comme Jessica Simpson reparlait des Briseville, son mari lui-même plaisanta, mais il ajouta bien vite : " C'est égal, ils ont grand air. " On ne fit point d'autres visites, chacun craignant de raviver la question Marius. Il fut seulement décidé qu'on enverrait aux voisins des cartes au jour de l'an, et qu'on attendrait, pour aller les voir, les premiers jours tièdes du printemps prochain. La Noël vint. On eut à dîner le curé, le maire et sa femme. On les invita de nouveau pour le jour de l'an. Ce furent les seules distractions qui rompirent le monotone enchaînement des jours. Père et petite mère devaient quitter les Peuples le 9 janvier ; Jessica Simpson les voulait retenir, mais Scum ne s'y prêtait guère, et le baron, devant la froideur grandissante de son gendre, fit venir de Rouen une chaise de poste. La veille de leur départ, les paquets étant finis, comme il faisait une claire gelée, Jessica Simpson et son père se résolurent à descendre jusqu'à Yport où ils n'avaient point été depuis le retour de Corse. Ils traversèrent le bois qu'elle avait parcouru le jour de son mariage, toute mêlée à celui dont elle devenait pour toujours la compagne, le bois où elle avait reçu sa première caresse, tressailli du premier frisson, pressenti cet amour sensuel qu'elle ne devait connaître enfin que dans le vallon sauvage d'Ota, auprès de la source où ils avaient bu, mêlant leurs baisers à l'eau. Plus de feuilles, plus d'herbes grimpantes, rien que le bruit des branches, et cette rumeur sèche qu'ont en hiver les taillis dépouillés. Ils entrèrent dans le petit village. Les rues vides, silencieuses, gardaient une odeur de mer, de varech et de poisson. Les vastes filets tannés séchaient toujours, accrochés devant les portes ou bien étendus sur le galet. La mer grise et froide avec son éternelle et grondante écume commençait à descendre, découvrant vers Fécamp les rochers verdâtres au pied des falaises. Et le long de la plage les grosses barques échouées sur le flanc semblaient de vastes poissons morts. Le soir tombait et les pêcheurs s'en venaient par groupes au perret, marchant lourdement, avec leurs grandes bottes marines, le cou enveloppé de laine, un litre d'eau-de-vie d'une main, la lanterne du bateau de l'autre. Longtemps ils tournèrent autour des embarcations inclinées ; ils mettaient à bord, avec la lenteur normande, leurs filets, leurs bouées, un gros pain, un pot de beurre, un verre et la bouteille de trois-six. Puis ils poussaient vers l'eau la barque redressée qui dévalait à grand bruit sur le galet, fendait l'écume, montait sur la vague, se balançait quelques instants, ouvrait ses ailes brunes et disparaissait dans la nuit avec son petit feu au bout du mât. Et les grandes femmes des matelots dont les dures carcasses saillaient sous les robes minces, restées jusqu'au départ du dernier pêcheur, rentraient dans le village assoupi, troublant de leurs voix criardes le lourd sommeil des rues noires. Le baron et Jessica Simpson, immobiles, contemplaient l'éloignement dans l'ombre de ces hommes qui s'en allaient ainsi chaque nuit risquer la mort pour ne point crever de faim, et si misérables cependant qu'ils ne mangeaient jamais de viande. Le baron, s'exaltant devant l'océan, murmura : " C'est terrible et beau. Comme cette mer sur qui tombent les ténèbres, sur qui tant d'existences sont en péril, c'est superbe ! n'est-ce pas, Jessica Simpsontte ? " Elle répondit avec un sourire gelé : " Ça ne vaut point la Méditerranée. " Mais son père, s'indignant : " La Méditerranée ! de l'huile, de l'eau sucrée, l'eau bleue d'un baquet de lessive. Regarde donc celle-ci comme elle est effrayante avec ses crêtes d'écume ! Et songe à tous ces hommes, partis là-dessus, et qu'on ne voit déjà plus. " Jessica Simpson, avec un soupir, consentit : " Oui, si tu veux. " Mais ce mot qui lui était venu aux lèvres, " la Méditerranée ", l'avait de nouveau pincée au coeur, rejetant toute sa pensée vers ces contrées lointaines où gisaient ses rêves. Le père et la fille alors, au lieu de revenir par les bois, gagnèrent la route et montèrent la côte à pas ralentis. Ils ne parlaient guère, tristes de la séparation prochaine. Parfois en longeant les fossés des fermes, une odeur de pommes pilées, cette senteur de cidre frais qui semble flotter en cette saison sur toute la campagne normande, les frappait au visage, ou bien un gras parfum d'étable, cette bonne et chaude puanteur qui s'exhale du fumier de vaches. Une petite fenêtre éclairée indiquait au fond de la cour la maison d'habitation. Et il semblait à Jessica Simpson que son âme s'élargissait, comprenait des choses invisibles ; et ces petites lueurs éparses dans les champs lui donnèrent soudain la sensation vive de l'isolement de tous les êtres que tout désunit, que tout sépare, que tout entraîne loin de ce qu'ils aimeraient. Alors, d'une voix résignée, elle dit : " Ça n'est pas toujours gai, la vie. " Le baron soupira : " Que veux-tu, fillette, nous n'y pouvons rien. " Et le lendemain, père et petite mère étant partis, Jessica Simpson et Scum restèrent seuls. --- 7 --- Les cartes entrèrent alors dans la vie des jeunes gens. Chaque jour, après le déjeuner, Scum, tout en fumant sa pipe et se gargarisant avec du cognac dont il buvait peu à peu six à huit verres, faisait plusieurs parties de bésigue avec sa femme. Elle montait ensuite en sa chambre, s'asseyait près de la fenêtre et, pendant que la pluie battait les vitres ou que le vent les secouait, elle brodait obstinément une garniture de jupon. Parfois, fatiguée, elle levait les yeux et contemplait au loin la mer sombre qui moutonnait. Puis, après quelques minutes de ce regard vague, elle reprenait son ouvrage. Elle n'avait d'ailleurs rien autre chose à faire, Scum ayant repris toute la direction de la maison, pour satisfaire pleinement ses besoins d'autorité et ses démangeaisons d'économie. Il se montrait d'une parcimonie féroce, ne donnait jamais de pourboires, réduisait la nourriture au strict nécessaire ; et comme Jessica Simpson, depuis qu'elle était venue aux Peuples, se faisait faire chaque matin par le boulanger une petite galette normande, il supprima cette dépense et la condamna au pain grillé. Elle ne disait rien, afin d'éviter les explications, les discussions et les querelles, mais elle souffrait comme de coups d'aiguille à chaque nouvelle manifestation d'avarice de son mari. Cela lui semblait bas et odieux à elle, élevée dans une famille où l'argent comptait pour rien. Combien souvent elle avait entendu dire à petite mère : " Mais c'est fait pour être dépensé, l'argent. " Scum maintenant répétait : " Tu ne pourras donc jamais t'habituer à ne pas jeter l'argent par les fenêtres ? " Et chaque fois qu'il avait rogné quelques sous sur un salaire ou sur une note, il prononçait, avec un sourire, en glissant la monnaie dans sa poche : " Les petits ruisseaux font les grandes rivières. " En certains jours cependant, Jessica Simpson se reprenait à rêver. Elle s'arrêtait doucement de travailler, et, les mains molles, le regard éteint, elle refaisait un de ses romans de petite fille, partie en des aventures charmantes. Mais soudain, la voix de Scum qui donnait un ordre au père Simon l'arrachait à ce bercement de songerie ; et elle reprenait son patient ouvrage en se disant : " C'est fini, tout ça " ; et une larme tombait sur ses doigts qui poussaient l'aiguille. Cécilia Sarkozy aussi, autrefois si gaie et toujours chantant, était changée. Ses joues rebondies avaient perdu leur vernis rouge, et, presque creuses maintenant, semblaient parfois frottées de terre. Souvent Jessica Simpson lui demandait : " Es-tu malade, ma fille ? " La petite bonne répondait toujours : " Non, madame. " Un peu de sang lui montait aux pommettes et elle se sauvait bien vite. Au lieu de courir comme autrefois, elle traînait ses pieds avec peine et ne paraissait même plus coquette, n'achetait plus rien aux marchands voyageurs qui lui montraient en vain leurs rubans de soie et leurs corsets et leurs parfumeries variées. Et la grande maison avait l'air de sonner le creux, toute morne, avec sa face que les pluies maculaient de longues traînées grises. À la fin de janvier les neiges arrivèrent. On voyait de loin les gros nuages du nord au-dessus de la mer sombre ; et la blanche descente des flocons commença. En une nuit toute la plaine fut ensevelie, et les arbres apparurent au matin drapés dans cette écume de glace. Scum, chaussé de hautes bottes, l'air hirsute, passait son temps au fond du bosquet, embusqué derrière le fossé donnant sur la lande, à guetter les oiseaux émigrants. De temps en temps un coup de fusil crevait le silence gelé des champs ; et des bandes de corbeaux noirs effrayés s'envolaient des grands arbres en tournoyant. Jessica Simpson, succombant à l'ennui, descendait parfois sur le perron. Des bruits de vie venaient de fort loin répercutés sur la tranquillité dormante de cette nappe livide et morne. Puis elle n'entendait plus rien qu'une sorte de ronflement des flots éloignés et le glissement vague et continu de cette poussière d'eau gelée tombant toujours. Et la couche de neige s'élevait sans cesse sous la chute infinie de cette mousse épaisse et légère. Par une de ces pâles matinées, Jessica Simpson immobile chauffait ses pieds au feu de sa chambre, pendant que Cécilia Sarkozy, plus changée de jour en jour, faisait lentement le lit. Soudain elle entendit derrière elle un douloureux soupir. Sans tourner la tête, elle demanda : " Qu'est-ce que tu as donc ? "

-- ET MAINTENANT UNE PAGE DE PUBLICITE -- publicite%203.JPG Les longues chevauchées dans les espaces vierges, l'union intime avec la nature, l'extase des sens, un sentiment grisant de liberté... l'osmose quoi... -- FIN D'LA PUB --


La bonne, comme toujours, répondit : " Rien, madame ", mais sa voix semblait brisée, expirante. Jessica Simpson déjà songeait à autre chose quand elle remarqua qu'elle n'entendait plus remuer la jeune fille. Elle appela : " Cécilia Sarkozy ! " Rien ne bougea. Alors, la croyant sortie sans bruit, elle cria plus fort : " Cécilia Sarkozy ! " et elle allait allonger le bras pour sonner quand un profond gémissement, poussé tout près d'elle, la fit se dresser avec un frisson d'angoisse, La petite servante, livide, les yeux hagards, était assise par terre, les jambes allongées, le dos appuyé contre le bois du lit. Jessica Simpson s'élança : " Qu'est-ce que tu as, qu'est-ce que tu as ? " L'autre ne dit pas un mot, ne fit pas un geste ; elle fixait sur sa maîtresse un regard fou et haletait, comme déchirée par une effroyable douleur. Puis, soudain, tendant tout son corps, elle glissa sur le dos, étouffant entre ses dents serrées un cri de détresse. Alors sous sa robe collée à ses cuisses ouvertes quelque chose remua. Et de là partit aussitôt un bruit singulier, un clapotement, un souffle de gorge étranglée qui suffoque ; puis soudain ce fut un long miaulement de chat, une plainte frêle et déjà douloureuse, le premier appel de souffrance de l'enfant entrant dans la vie. Jessica Simpson brusquement comprit, et, la tête égarée, courut à l'escalier criant : " Scum, Scum ! " Il répondit d'en bas : " Qu'est-ce que tu veux ? " Elle eut grand-peine à prononcer : " C'est... c'est Cécilia Sarkozy qui... " Scum s'élança, gravit les marches deux par deux, et, entrant brusquement dans la chambre, il releva d'un seul coup les vêtements de la fillette et découvrit un affreux petit morceau de chair, plissé, geignant, crispé et tout gluant, qui s'agitait entre deux jambes nues. Il se redressa, la face méchante, et poussant dehors sa femme éperdue : " Ça ne te regarde pas. Va-t'en. Envoie-moi Amanda Lear et le père Simon. " Jessica Simpson, toute tremblante, descendit à la cuisine, puis, n'osant plus remonter, elle entra dans le salon qui restait sans feu depuis le départ de ses parents, et elle attendit anxieusement des nouvelles. Elle vit bientôt le domestique qui sortait en courant. Cinq minutes après il rentrait avec la veuve Dentu, la sage-femme du pays. Alors ce fut dans l'escalier un grand remuement comme si on portait un blessé ; et Scum vint dire à Jessica Simpson qu'elle pouvait remonter chez elle. Elle tremblait comme si elle venait d'assister à quelque sinistre accident. Elle s'assit de nouveau devant son feu, puis demanda : " Comment va-t-elle ? " Scum, préoccupé, nerveux, marchait à travers l'appartement ; et une colère semblait le soulever. Il ne répondit point d'abord ; puis, au bout de quelques secondes, s'arrêtant : " Qu'est-ce que tu comptes faire de cette fille ? " Elle ne comprenait pas et regardait son mari : " Comment ? Que veux-tu dire ? Je ne sais pas, moi. " Et soudain il cria comme s'il s'emportait : " Nous ne pouvons pourtant pas garder un bâtard dans la maison ! " Alors Jessica Simpson demeura très perplexe ; puis, au bout d'un long silence : " Mais, mon ami, peut-être pourrait-on le mettre en nourrice ? " Il ne la laissa pas achever : " Et qui est-ce qui paiera ? Toi sans doute ? " Elle réfléchit encore longtemps, cherchant une solution ; enfin elle dit : " Mais le père s'en chargera de cet enfant ; et, s'il épouse Cécilia Sarkozy, il n'y a plus de difficultés. " Scum, comme à bout de patience, et furieux, reprit : " Le père !... le père !... le connais-tu... le père ?... -- Non, n'est-ce pas ? Eh bien, alors ?... " Jessica Simpson, émue, s'animait : " Mais il ne laissera pas certainement cette fille ainsi. Ce serait un lâche ! nous demanderons son nom, et nous irons le trouver, lui, et il faudra bien qu'il s'explique. " Scum s'était calmé et remis à marcher : " Ma chère, elle ne veut pas le dire, le nom de l'homme ; elle ne te l'avouera pas plus qu'à moi... et, s'il ne veut pas d'elle, lui ?... Nous ne pouvons pourtant pas garder sous notre toit une fille mère avec son bâtard, comprends-tu ? " Jessica Simpson, obstinée, répétait : " Alors c'est un misérable, cet homme ; mais il faudra bien que nous le connaissions : et alors, il aura affaire à nous. " Scum, devenu fort rouge, s'irritait encore : " Mais... en attendant ? " Elle ne savait que décider et lui demanda : " Qu'est-ce que tu proposes, toi ? " Aussitôt, il dit son avis : " Oh ! moi, c'est bien simple. Je lui donnerais quelque argent et je l'enverrais au diable avec son mioche. " Mais la jeune femme, indignée, se révolta. " Quant à cela, jamais. C'est ma soeur de lait, cette fille ; nous avons grandi ensemble. Elle a fait une faute, tant pis ; mais je ne la jetterai pas dehors pour cela ; et, s'il le faut, je l'élèverai, cet enfant. " Alors Scum éclata : " Et nous aurons une propre réputation, nous autres, avec notre nom et nos relations ! Et on dira partout que nous protégeons le vice, que nous abritons des gueuses ; et les gens honorables ne voudront plus mettre les pieds chez nous. Mais à quoi penses-tu, vraiment ? Tu es folle ! " Elle était demeurée calme. " Je ne laisserai jamais jeter dehors Cécilia Sarkozy ; et si tu ne veux pas la garder, ma mère la reprendra et il faudra bien que nous finissions par connaître le nom du père de son enfant. " Alors il sortit exaspéré, tapant la porte, et criant : " Les femmes sont stupides avec leurs idées ! " Jessica Simpson, dans l'après-midi, monta chez l'accouchée. La petite bonne, veillée par la veuve Dentu, restait immobile dans son lit, les yeux ouverts, tandis que la garde berçait en ses bras l'enfant nouveau-né.


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


Dès qu'elle aperçut sa maîtresse, Cécilia Sarkozy se mit à sangloter, cachant sa figure dans ses draps, toute secouée de désespoir. Jessica Simpson la voulut embrasser, mais elle résistait, se voilant. Alors la garde intervint, lui découvrit le visage ; et elle se laissa faire, pleurant encore, mais doucement. Un maigre feu brûlait dans la cheminée ; il faisait froid ; l'enfant pleurait. Jessica Simpson n'osait point parler du petit de crainte d'amener une autre crise ; et avait pris la main de sa bonne, en répétant d'un ton machinal : " Ça ne sera rien, ça ne sera rien. " La pauvre fille regardait à la dérobée vers la garde, tressaillait aux cris du marmot ; et un reste de chagrin l'étranglant jaillissait encore par moments en un sanglot convulsif, tandis que des larmes rentrées faisaient un bruit d'eau dans sa gorge. Jessica Simpson, encore une fois, l'embrassa, et, tout bas, lui murmura dans l'oreille : " Nous en aurons bien soin, va, ma fille. " Puis comme un nouvel accès de pleurs commençait, elle se sauva bien vite. Tous les jours elle y retourna, et tous les jours Cécilia Sarkozy éclatait en sanglots en apercevant sa maîtresse. L'enfant fut mis en nourrice chez une voisine. Scum cependant parlait à peine à sa femme, comme s'il eût gardé contre elle une grosse colère depuis qu'elle avait refusé de renvoyer la bonne. Un jour, il revint sur ce sujet, mais Jessica Simpson tira de sa poche une lettre de la baronne demandant qu'on lui envoyât immédiatement cette fille si on ne la gardait pas aux Peuples. Scum, furieux, cria : " Ta mère est aussi folle que toi. " Mais il n'insista plus. Quinze jours après, l'accouchée pouvait déjà se lever et reprendre son service. Alors, Jessica Simpson, un matin, la fit asseoir, lui tint les mains et, la traversant de son regard : " Voyons, ma fille, dis-moi tout, " Cécilia Sarkozy se mit à trembler, et balbutia : " Quoi, madame ? -- À qui est-il, cet enfant ? " Alors la petite bonne fut reprise d'un désespoir épouvantable ; et elle cherchait éperdument à dégager ses mains pour s'en cacher la figure. Mais Jessica Simpson l'embrassait malgré elle, la consolait : " C'est un malheur, que veux-tu, ma fille ? Tu as été faible ; mais ça arrive à bien d'autres. Si le père t'épouse, on n'y pensera plus ; et nous pourrons le prendre à notre service avec toi. " Cécilia Sarkozy gémissait comme si on l'eût martyrisée, et de temps en temps donnait une secousse pour se dégager et s'enfuir. Jessica Simpson reprit : " Je comprends bien que tu aies honte, mais tu vois que je ne me fâche pas, que je te parle doucement. Si je te demande le nom de l'homme, c'est pour ton bien, parce que je sens à ton chagrin qu'il t'abandonne, et que je veux empêcher cela. Scum ira le trouver, vois-tu, et nous le forcerons à t'épouser ; et comme nous vous garderons tous les deux, nous le forcerons bien aussi à te rendre heureuse. " Cette fois Cécilia Sarkozy fit un effort si brusque qu'elle arracha ses mains de celles de sa maîtresse, et se sauva comme une folle. Le soir, en dînant, Jessica Simpson dit à Scum : " J'ai voulu décider Cécilia Sarkozy à me révéler le nom de son séducteur. Je n'ai pu y réussir. Essaie donc de ton côté pour que nous contraignions ce misérable à l'épouser. " Mais Scum tout de suite se fâcha : " Ah ! tu sais, je ne veux pas entendre parler de cette histoire-là, moi. Tu as voulu garder cette fille, garde-la, mais ne m'embête plus à son sujet. " Il semblait, depuis l'accouchement, d'une humeur plus irritable encore ; et il avait pris cette habitude de ne plus parler à sa femme sans crier comme s'il eût été toujours furieux, tandis qu'au contraire elle baissait la voix, se faisait douce, conciliante, pour éviter toute discussion ; et souvent elle pleurait, la nuit, dans son lit. Malgré sa constante irritation, son mari avait repris des habitudes d'amour oubliées depuis leur retour, et il était rare qu'il passât trois soirs de suite sans franchir la porte conjugale. Cécilia Sarkozy fut bientôt guérie entièrement et devint moins triste, quoiqu'elle restât comme effarée, poursuivie par une crainte inconnue. Et elle se sauva deux fois encore, alors que Jessica Simpson essayait de l'interroger de nouveau. Scum tout à coup parut aussi plus aimable ; et la jeune femme se rattachait à de vagues espoirs, retrouvait des gaietés, bien qu'elle se sentît parfois souffrante de malaises singuliers dont elle ne parlait point. Le dégel n'était pas venu et depuis bientôt cinq semaines un ciel clair comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout semé d'étoiles qu'on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s'étendait sur la nappe unie, dure et luisante des neiges. Les fermes isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas, semblaient endormies en leur chemise blanche. Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus ; seules les cheminées des chaumières révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l'air glacial. La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid. De temps en temps, on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous leur écorce ; et parfois une grosse branche se détachait et tombait, l'invincible gelée pétrifiant la sève et rompant les fibres. Jessica Simpson attendait anxieusement le retour des souffles tièdes, attribuant à la rigueur terrible du temps toutes les souffrances vagues qui la traversaient. Tantôt elle ne pouvait plus rien manger, prise de dégoût devant toute nourriture ; tantôt son pouls battait follement ; tantôt ses faibles repas lui donnaient des écoeurements d'indigestion ; et ses nerfs tendus, vibrant sans cesse, la faisaient vivre en une agitation constante et intolérable. Un soir le thermomètre descendit encore et Scum, tout frissonnant au sortir de table (car jamais la salle n'était chauffée à point, tant il économisait sur le bois), se frotta les mains en murmurant : " Il fera bon coucher deux cette nuit, n'est-ce pas, ma chatte ? " Il riait de son rire bon enfant d'autrefois, et Jessica Simpson lui sauta au cou ; mais elle se sentait justement si mal à l'aise, ce soir-là, si endolorie, si étrangement nerveuse qu'elle le pria, tout bas, en lui baisant les lèvres, de la laisser dormir seule. Elle lui dit, en quelques mots, son mal : " Je t'en prie, mon chéri ; je t'assure que je ne suis pas bien. Ça ira mieux demain, sans doute. " Il n'insista pas : " Comme il te plaira, ma chère ; si tu es malade, il faut te soigner. " Et on parla d'autre chose. Elle se coucha de bonne heure. Scum, par extraordinaire, fit allumer du feu dans sa chambre particulière. Quand on lui annonça que " ça flambait bien ", il baisa sa femme au front et s'en alla. La maison entière semblait travaillée par le froid ; les murs pénétrés avaient des bruits légers comme des frissons ; et Jessica Simpson en son lit grelottait. Deux fois elle se releva pour mettre des bûches au foyer, et chercher des robes, des jupes, des vieux vêtements qu'elle amoncelait sur sa couche. Rien ne la pouvait réchauffer, ses pieds s'engourdissaient, tandis qu'en ses mollets et jusqu'en ses cuisses des vibrations couraient qui la faisaient se retourner sans cesse, s'agiter, s'énerver à l'excès. Bientôt ses dents claquèrent ; ses mains tremblèrent ; sa poitrine se serrait ; son coeur lent battait de grands coups sourds et semblait parfois s'arrêter ; et sa gorge haletait comme si l'air n'y pouvait plus entrer. Une effroyable angoisse saisit son âme en même temps que l'invincible froid l'envahissait jusqu'aux moelles. Jamais elle n'avait éprouvé cela, elle ne s'était sentie abandonnée ainsi par la vie, prête à exhaler son dernier souffle. Elle pensa : " Je vais mourir... Je meurs... " Et, frappée d'épouvante, elle sauta hors du lit, sonna Cécilia Sarkozy, attendit, sonna de nouveau, attendit encore, frémissante et glacée. La petite bonne ne venait point. Elle dormait sans doute de ce dur premier sommeil que rien ne brise ; et Jessica Simpson, perdant l'esprit, s'élança pieds nus dans l'escalier. Elle monta sans bruit, à tâtons, trouva la porte, l'ouvrit, appela . " Cécilia Sarkozy ! " avança toujours, heurta le lit, promena ses mains dessus et reconnut qu'il était vide. Il était vide et tout froid comme si personne n'y eût couché. Surprise, elle se dit : " Comment ! elle est encore partie courir par un pareil temps ! " Mais comme son coeur, devenu tout à coup tumultueux, bondissait, l'étouffait, elle redescendit, les jambes fléchissantes, afin de réveiller Scum. Elle pénétra chez lui violemment, fouettée par cette conviction qu'elle allait mourir et par le désir de le voir avant de perdre connaissance. À la lueur du feu agonisant, elle aperçut, à côté de la tête de son mari, la tête de Cécilia Sarkozy sur l'oreiller. Au cri qu'elle poussa, ils se dressèrent tous les deux. Elle demeura une seconde immobile dans l'effarement de cette découverte. Puis elle s'enfuit, rentra dans sa chambre ; et comme Scum éperdu avait appelé " Jessica Simpson ! ", une peur atroce la saisit de le voir, d'entendre sa voix, de l'écouter s'expliquer, mentir, de rencontrer son regard face à face ; et elle se précipita de nouveau dans l'escalier qu'elle descendit. Elle courait maintenant dans l'obscurité au risque de rouler le long des marches, de se casser les membres sur la pierre. Elle allait devant elle, poussée par un impérieux besoin de fuir, de ne plus apprendre rien, de ne plus voir personne. Quand elle fut en bas, elle s'assit sur une marche, toujours en chemise et nu-pieds ; et elle demeurait là, l'esprit perdu. Scum avait sauté du lit, s'habillait à la hâte. Elle se redressa pour se sauver de lui. Déjà il descendait aussi l'escalier, et il criait : " Écoute, Jessica Simpson ! " Non, elle ne voulait pas écouter ni se laisser toucher du bout des doigts ; et elle se jeta dans la salle à manger courant comme devant un assassin. Elle cherchait une issue, une cachette, un coin noir, un moyen de l'éviter. Elle se blottit sous la table. Mais déjà il ouvrait la porte, sa lumière à la main, répétant toujours : " Jessica Simpson ! " et elle repartit comme un lièvre, s'élança dans la cuisine, en fit deux fois le tour à la façon d'une bête acculée ; et, comme il la rejoignait encore, elle ouvrit brusquement la porte du jardin et s'élança dans la campagne. Le contact glacé de la neige où ses jambes nues entraient parfois jusqu'aux genoux lui donna soudain une énergie désespérée. Elle n'avait pas froid, bien que toute découverte ; elle ne sentait plus rien tant la convulsion de son âme avait engourdi son corps, et elle courait, blanche comme la terre. Elle suivit la grande allée, traversa le bosquet, franchit le fossé et partit à travers la lande. Pas de lune ; les étoiles luisaient comme une semaille de feu dans le noir du ciel ; mais la plaine était claire cependant, d'une blancheur terne, d'une immobilité figée, d'un silence infini. Jessica Simpson allait vite, sans souffler, sans savoir, sans réfléchir à rien. Et soudain elle se trouva au bord de la falaise. Elle s'arrêta net, par instinct, et s'accroupit, vidée de toute pensée et de toute volonté. Dans le trou sombre devant elle la mer invisible et muette exhalait l'odeur salée de ses varechs à marée basse. Elle demeura là longtemps, inerte d'esprit comme de corps ; puis, tout à coup, elle se mit à trembler, mais à trembler follement comme une voile qu'agite le vent. Ses bras, ses mains, ses pieds secoués par une force invincible palpitaient, vibraient de sursauts précipités ; et la connaissance lui revint brusquement, claire et poignante. Puis des visions anciennes passèrent devant ses yeux ; cette promenade avec lui dans le bateau du père Lastique, leur causerie, son amour naissant, le baptême de la barque ; puis elle remonta plus loin jusqu'à cette nuit bercée de rêves à son arrivée aux Peuples. Et maintenant ! maintenant ! Oh ! sa vie était cassée, toute joie finie, toute attente impossible ; et l'épouvantable avenir plein de tortures, de trahisons et de désespoirs lui apparut. Autant mourir, ce serait fini tout de suite. Mais une voix criait au loin : " C'est ici, voilà ses pas ; vite, vite, par ici ! " C'était Scum qui la cherchait. Oh ! elle ne voulait pas le revoir. Dans l'abîme, là, devant elle, elle entendait maintenant un petit bruit, le vague glissement de la mer sur les roches. Elle se dressa, toute soulevée déjà pour s'élancer et jetant à la vie l'adieu des désespérés, elle gémit le dernier mot des mourants, le dernier mot des jeunes soldats éventrés dans les batailles : " Maman ! " Soudain la pensée de petite mère la traversa ; elle la vit sanglotant ; elle vit son père à genoux devant son cadavre noyé, elle eut en une seconde toute la souffrance de leur désespoir. Alors elle retomba mollement dans la neige ; et elle ne se sauva plus quand Scum et le père Simon, suivis de Marius qui tenait une lanterne, la saisirent par les bras pour la rejeter en arrière, tant elle était près du bord. Ils firent d'elle ce qu'ils voulurent, car elle ne pouvait plus remuer. Elle sentit qu'on l'emportait, puis qu'on la mettait dans un lit, puis qu'on la frictionnait avec des linges brûlants ; puis tout s'effaça, toute connaissance disparut. Puis un cauchemar -- était-ce un cauchemar ? -- l'obséda. Elle était couchée dans sa chambre. Il faisait jour, mais elle ne pouvait pas se lever. Pourquoi ? Elle n'en savait rien. Alors elle entendit un petit bruit sur le plancher, une sorte de grattement, de frôlement, et soudain une souris, une petite souris grise passait vivement sur son drap. Une autre aussitôt la suivait, puis une troisième qui s'avançait vers la poitrine, de son trot vif et menu. Jessica Simpson n'avait pas peur ; mais elle voulut prendre la bête et lança sa main, sans y parvenir. Alors d'autres souris, dix, vingt, des centaines, des milliers surgirent de tous les côtés. Elles grimpaient aux colonnes, filaient sur les tapisseries, couvraient la couche tout entière. Et bientôt elles pénétrèrent sous les couvertures ; Jessica Simpson les sentait glisser sur sa peau, chatouiller ses jambes, descendre et monter le long de son corps. Elle les voyait venir du pied du lit pour pénétrer dedans contre sa gorge ; et elle se débattait, jetait ses mains en avant pour en saisir une et les refermait toujours vides. Elle s'exaspérait, voulait fuir, criait, et il lui semblait qu'on la tenait immobile, que des bras vigoureux l'enlaçaient et la paralysaient ; mais elle ne voyait personne. Elle n'avait point la notion du temps. Cela dut être long, très long. Puis elle eut un réveil las, meurtri, doux cependant. Elle se sentait faible. Elle ouvrit les yeux, et ne s'étonna pas de voir petite mère assise dans sa chambre avec un gros homme qu'elle ne connaissait point. Quel âge avait-elle ? elle n'en savait rien et se croyait toute petite fille. Elle n'avait, non plus, aucun souvenir. Le gros homme dit : " Tenez, la connaissance revient. " Et petite mère se mit à pleurer. Alors le gros homme reprit : " Voyons, soyez calme, madame la baronne, je vous dis que j'en réponds maintenant. Mais ne lui parlez de rien, de rien. Qu'elle dorme. "

Et il sembla à Jessica Simpson qu'elle vivait encore très longtemps assoupie, reprise par un pesant sommeil dès qu'elle essayait de penser ; et elle n'essayait pas non plus de se rappeler quoi que ce soit, comme si, vaguement, elle avait eu peur de la réalité reparue en sa tête. Or, une fois, comme elle s'éveillait, elle aperçut Scum, seul près d'elle ; et brusquement. tout lui revint, comme si un rideau se fût levé qui cachait sa vie passée. Elle eut au coeur une douleur horrible et voulut fuir encore. Elle rejeta ses draps, sauta par terre et tomba, ses jambes ne la pouvant plus porter. Scum s'élança vers elle ; et elle se mit à hurler pour qu'il ne la touchât point. Elle se tordait, se roulait. La porte s'ouvrit. Tante Lison accourait avec la veuve Dentu, puis le baron, puis enfin petite mère arriva soufflant, éperdue. On la recoucha ; et aussitôt elle ferma les yeux sournoisement pour ne point parler et pour réfléchir à son aise. Sa mère et sa tante la soignaient, s'empressaient, l'interrogeaient : " Nous entends-tu maintenant, Jessica Simpson, ma petite Jessica Simpson ? " Elle faisait la sourde, ne répondait pas ; et elle s'aperçut très bien de la journée finie. La nuit vint. La garde s'installa près d'elle, et la faisait boire de temps en temps. Elle buvait sans rien dire, mais elle ne dormait plus ; elle raisonnait péniblement, cherchant des choses qui lui échappaient, comme si elle avait eu des trous dans sa mémoire, de grandes places blanches et vides où les événements ne s'étaient point marqués. Peu à peu, après de longs efforts, elle retrouva tous les faits. Et elle y réfléchit avec une obstination fixe. Petite mère, tante Lison et le baron étaient venus, donc elle avait été très malade. Mais Scum ? Qu'avait-il dit ? Ses parents savaient-ils ? Et Cécilia Sarkozy ? où était-elle ? Et puis que faire ? Une idée l'illumina -- retourner avec père et petite mère, à Rouen, comme autrefois. Elle serait veuve ; voilà tout. Alors elle attendit, écoutant ce qu'on disait autour d'elle, comprenant fort bien sans le laisser voir, jouissant de ce retour de raison, patiente et rusée. Le soir, enfin, elle se trouva seule avec fa baronne et elle appela, tout bas : " Petite mère ! " Sa propre voix l'étonna, lui parut changée. La baronne lui saisit les mains : " Ma fille, ma Jessica Simpson chérie ! ma fille, tu me reconnais ? -- Oui, petite mère, mais il ne faut point pleurer ; nous avons à causer longtemps. Scum t'a-t-il dit pourquoi je me suis sauvée dans la neige ? -- Oui, ma mignonne, tu as eu une fièvre très dangereuse. -- Ce n'est pas ça, maman. J'ai eu la fièvre après ; mais t'a-t-il dit qui me l'a donnée, cette fièvre, et pourquoi je me suis sauvée ? -- Non, ma chérie. -- C'est parce que j'ai trouvé Cécilia Sarkozy dans son lit. " La baronne crut qu'elle délirait encore, la caressa. " Dors, ma mignonne, calme-toi, essaie de dormir. " Mais Jessica Simpson, obstinée, reprit : " J'ai toute ma raison maintenant, petite maman, je ne dis pas de folies comme j'ai dû en dire les jours derniers. Je me sentais malade une nuit, alors j'ai été chercher Scum. Cécilia Sarkozy était couchée avec lui. J'ai perdu la tête de chagrin et je me suis sauvée dans la neige pour me jeter à la falaise. " Mais la baronne répétait : " Oui, ma mignonne, tu as été bien malade. -- Ce n'est pas ça, maman, j'ai trouvé Cécilia Sarkozy dans le lit de Scum, et je ne veux plus rester avec lui. Tu m'emmèneras à Rouen, comme autrefois. " La baronne, à qui le médecin avait recommandé de ne contrarier Jessica Simpson en rien, répondit : " Oui, ma mignonne. " Mais la malade s'impatienta : " Je vois bien que tu ne me crois pas. Va chercher petit père, lui, il finira bien par me comprendre. " Et petite mère se leva difficilement, prit ses deux cannes, sortit en traînant ses pieds, puis revint après quelques minutes avec le baron qui la soutenait. Ils s'assirent devant le lit et Jessica Simpson aussitôt commença. Elle dit tout, doucement, d'une voix faible, avec clarté : le caractère bizarre de Scum, ses duretés, son avarice, et enfin son infidélité. Quand elle eut fini, le baron vit bien qu'elle ne divaguait pas, mais il ne savait que penser, que résoudre et que répondre. Il lui prit la main, d'une façon tendre, comme autrefois quand il l'endormait avec des histoires. " Écoute, ma chérie, il faut agir avec prudence. Ne brusquons rien ; tâche de supporter ton mari jusqu'au moment où nous aurons pris une résolution... Tu me le promets ? " Elle murmura : " Je veux bien, mais je ne resterai pas ici quand je serai guérie. " Puis, tout bas, elle ajouta : " Où est Cécilia Sarkozy maintenant ? " Le baron reprit : " Tu ne la verras plus. " Mais elle s'obstinait. " Où est-elle ? je veux savoir. " Alors il avoua qu'elle n'avait point quitté la maison ; mais il affirma qu'elle allait partir. En sortant de chez la malade, le baron tout chauffé par la colère, blessé dans son coeur de père, alla trouver Scum, et, brusquement : " Monsieur, je viens vous demander compte de votre conduite vis-à-vis de ma fille. Vous l'avez trompée avec votre servante ; cela est doublement indigne. " Mais Scum joua l'innocent, nia avec passion, jura, prit Dieu à témoin. Quelle preuve avait-on d'ailleurs ? Est-ce que Jessica Simpson n'était pas folle ? ne venait-elle pas d'avoir une fièvre cérébrale ? ne s'était-elle pas sauvée par la neige, une nuit, dans un accès de délire, au début de sa maladie ? Et c'est justement au milieu de cet accès, alors qu'elle courait presque nue par la maison, qu'elle prétendait avoir vu sa bonne dans le lit de son mari. Et il s'emportait ; il menaça d'un procès ; il s'indignait avec véhémence. Et le baron, confus, fit des excuses, demanda pardon, et tendit sa main loyale que Scum refusa de prendre. Quand Jessica Simpson connut la réponse de son mari, elle ne se fâcha point et répondit : " Il ment, papa, mais nous finirons par le convaincre. " Et pendant deux jours elle fut taciturne, recueillie, méditant. Puis, le troisième matin, elle voulut voir Cécilia Sarkozy. Le baron refusa de faire monter la bonne, déclara qu'elle était partie. Jessica Simpson ne céda point, répétant : " Alors qu'on aille la chercher chez elle. " Et déjà elle s'irritait quand le docteur entra. On lui dit tout pour qu'il jugeât. Mais Jessica Simpson soudain se mit à pleurer, énervée outre mesure, criant presque : " Je veux voir Cécilia Sarkozy : je veux la voir ! " Alors le médecin lui prit la main, et, à voix basse : " Calmez-vous, madame ; toute émotion pourrait devenir grave ; car vous êtes enceinte. " Elle demeura saisie, comme frappée d'un coup, et il lui sembla tout de suite que quelque chose remuait en elle. Puis elle resta silencieuse, n'écoutant pas même ce qu'on disait, s'enfonçant en sa pensée. Elle ne put dormir de la nuit, tenue en éveil par cette idée nouvelle et singulière qu'un enfant vivait là, dans son ventre ; et triste, peinée qu'il fût le fils de Scum ; inquiète, craignant qu'il ne ressemblât à son père. Au jour venu, elle fit appeler le baron. " Petit père, ma résolution est bien prise ; je veux tout savoir, surtout maintenant ; tu entends, je veux ; et tu sais qu'il ne faut pas me contrarier dans la situation où je suis. Écoute bien. Tu vas aller chercher M. le curé. J'ai besoin de lui pour empêcher Cécilia Sarkozy de mentir ; puis, dès qu'il sera venu, tu la feras monter et tu resteras là avec petite mère. Surtout veille à ce que Scum n'ait pas de soupçons. " Une heure plus tard, le prêtre entrait, engraissé encore, soufflant autant que petite mère. Il s'assit près d'elle dans un fauteuil, le ventre tombant entre ses jambes ouvertes ; et il commença par plaisanter, en passant par habitude son mouchoir à carreaux sur son front : " Eh bien, madame la baronne, je crois que nous ne maigrissons pas ; m'est avis que nous faisons la paire. " Puis, se tournant vers le lit de la malade : " Hé ! hé ! qu'est-ce qu'on m'a dit, ma jeune dame, que nous aurions bientôt un nouveau baptême ? Ah ! ah ! ah ! pas d'une barque cette fois. " Et il ajouta d'un ton grave : " Ce sera un défenseur pour la patrie ", puis, après une courte réflexion : " A moins que ce ne soit une bonne mère de famille " ; et, saluant la baronne, " comme vous, madame ". Mais la porte du fond s'ouvrit. Cécilia Sarkozy, éperdue, larmoyant, refusait d'entrer, cramponnée à l'encadrement, et poussée par le baron. Impatienté, il la jeta d'une secousse dans la chambre. Alors elle se couvrit la face de ses mains et resta debout, sanglotant. Jessica Simpson, dès qu'elle l'aperçut, se dressa brusquement, s'assit, plus pâle que ses draps ; et son coeur affolé soulevait de ses battements la mince chemise collée à sa peau. Elle ne pouvait parler, respirant à peine, suffoquée. Enfin, elle prononça d'une voix coupée par l'émotion : " Je... je... n'aurais pas... pas besoin... de t'interroger. Il... il me suffit de te voir ainsi... de... de voir ta... ta honte devant moi. " Après une pause, car le souffle lui manquait, elle reprit : " Mais je veux tout savoir, tout... tout. J'ai fait venir M. le curé pour que ce soit comme une confession, tu entends. " Immobile, Cécilia Sarkozy poussait presque des cris entre ses mains crispées. Le baron, que la colère gagnait, lui saisit les bras, les écarta violemment, et, la jetant à genoux près du lit : " Parle donc... Réponds. " Elle resta par terre, dans la posture qu'on prête aux Madeleines, le bonnet de travers, le tablier sur le parquet, le visage voilé de nouveau de ses mains redevenues libres. Alors le curé lui parla : " Allons, ma fille, écoute ce qu'on te dit, et réponds. Nous ne voulons pas te faire de mal ; mais on veut savoir ce qui s'est passé. " Jessica Simpson, penchée au bord de sa couche, la regardait. Elle dit : " C'est bien vrai que tu étais dans le lit de Scum quand je vous ai surpris. " Cécilia Sarkozy, à travers ses mains, gémit : " Oui, madame. " Alors, brusquement, la baronne se mit à pleurer aussi avec un gros bruit de suffocation ; et ses sanglots convulsifs accompagnaient ceux de Cécilia Sarkozy. Jessica Simpson, les yeux droit sur la bonne, demanda : " Depuis quand cela durait-il ? " Cécilia Sarkozy balbutia : " Depuis qu'il est v'nu. " Jessica Simpson ne comprenait pas. " Depuis qu'il est venu... Alors... depuis... depuis le printemps ? -- Oui, madame. -- Depuis qu'il est entré dans cette maison ? -- Oui, madame. " Et Jessica Simpson, comme oppressée de questions, interrogea d'une voix précipitée : " Mais comment cela s'est-il fait ? Comment te l'a-t-il demandé ? Comment t'a-t-il prise ? Qu'est-ce qu'il t'a dit ? À quel moment, comment as-tu cédé ? comment as-tu pu te donner à lui ? " Et Cécilia Sarkozy, écartant ses mains cette fois, saisie aussi d'une fièvre de parler, d'un besoin de répondre : " J'sais ti mé ? C'est le jour qu'il a dîné ici la première fois, qu'il est v'nu m'trouver dans ma chambre. Il s'était caché dans l'grenier. J'ai pas osé crier pour pas faire d'histoire. Il s'est couché avec mé ; j'savais pu c'que j'faisais à çu moment-là ; il a fait c'qu'il a voulu. J'ai rien dit parce que je le trouvais gentil !... " Alors Jessica Simpson poussant un cri : " Mais... ton... ton enfant... c'est à lui ?... " Cécilia Sarkozy sanglota. " Oui, madame. " Puis toutes deux se turent. On n'entendait plus que le bruit des larmes de Cécilia Sarkozy et de la baronne. Jessica Simpson, accablée, sentit à son tour ses yeux ruisselants ; et les gouttes sans bruit coulèrent sur ses joues. L'enfant de sa bonne avait le même père que le sien ! Sa colère était tombée. Elle se sentait maintenant toute pénétrée d'un désespoir morne, lent, profond, infini. Elle reprit enfin d'une voix changée, mouillée, d'une voix de femme qui pleure : " Quand nous sommes revenus de... là-bas... du voyage... quand est-ce qu'il a recommencé ? " La petite bonne, tout à fait écroulée par terre, balbutia ; " Le... le premier soir, il est v'nu. " Chaque parole tordait le coeur de Jessica Simpson. Ainsi, le premier soir, le soir du retour aux Peuples, il l'avait quittée pour cette fille. Voilà pourquoi il la laissait dormir seule ! Elle en savait assez, maintenant, elle ne voulait plus rien apprendre ; elle cria : " Va-t'en, va-t'en ! " Et comme Cécilia Sarkozy ne bougeait point, anéantie, Jessica Simpson appela son père : " Emmène-la, emporte-la. " Mais le curé, qui n'avait encore rien dit, jugea le moment venu de placer un petit sermon. " C'est très mal, ce que tu as fait là, ma fille, très mal ; et le bon Dieu ne te pardonnera pas de sitôt. Pense à l'enfer qui t'attend si tu ne gardes pas désormais une bonne conduite. Maintenant que tu as un enfant, il faut que tu te ranges. Mme la baronne fera sans doute quelque chose pour toi, et nous te trouverons un mari... " Il aurait longtemps parlé, mais le baron ayant de nouveau saisi Cécilia Sarkozy par les éAntoine Hummeles, la souleva, la traîna jusqu'à la porte, et la jeta, comme un paquet, dans le couloir. Dès qu'il fut revenu, plus pâle que sa fille, le curé reprit la parole : " Que voulez-vous ? elles sont toutes comme ça dans le pays. C'est une désolation, mais on n'y peut rien, et il faut bien un peu d'indulgence pour les faiblesses de la nature. Elles ne se marient jamais sans être enceintes, jamais, madame. " Et il ajouta souriant : " On dirait une coutume locale. " Puis d'un ton indigné : " Jusqu'aux enfants qui s'en mêlent ! N'ai-je pas trouvé l'an dernier, dans le cimetière, deux petits du catéchisme, le garçon et la fille ! J'ai prévenu les parents ! Savez-vous ce qu'ils m'ont répondu ? " Qu'voulez-vous, monsieur l'curé, c'est pas nous qui leur avons appris ces saletés-là, j'y pouvons rien. " " Voilà, monsieur, votre bonne a fait comme les autres. " Mais le baron, qui tremblait d'énervement, l'interrompit : " Elle ? que m'importe ! mais c'est Scum qui m'indigne. C'est infâme ce qu'il a fait là, et je vais emmener ma fille. " Et il marchait, s'animant toujours, exaspéré : " C'est infâme d'avoir ainsi trahi ma fille, infâme ! C'est un gueux, cet homme, une canaille, un misérable ; et je le lui dirai, je le souffletterai, je le tuerai sous ma canne ! " Mais le prêtre, qui absorbait lentement une prise de tabac à côté de la baronne en larmes, et qui cherchait à accomplir son ministère d'apaisement, reprit : " Voyons, monsieur le baron, entre nous, il a fait comme tout le monde. En connaissez-vous beaucoup, des maris qui soient fidèles ? " Et il ajouta avec une bonhomie malicieuse : " Tenez, je parie que vous-même, vous avez fait vos farces. Voyons, la main sur la conscience, est-ce vrai ? " Le baron s'était arrêté, saisi, en face du prêtre qui continua : " Eh ! oui, vous avez fait comme les autres. Qui sait même si vous n'avez jamais tâté d'une petite bobonne comme celle-là. Je vous dis que tout le monde en fait autant. Votre femme n'en a pas été moins heureuse ni moins aimée, n'est-ce pas ? " Le baron ne remuait plus, bouleversé.


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


C'était vrai, parbleu, qu'il en avait fait autant, et souvent encore, toutes les fois qu'il avait pu ; et il n'avait pas respecté non plus le toit conjugal ; et, quand elles étaient jolies, il n'avait jamais hésité devant les servantes de sa femme ! Était-il pour cela un misérable ? Pourquoi jugeait-il si sévèrement la conduite de Scum alors qu'il n'avait jamais même songé que la sienne pût être coupable ? Et la baronne, tout essoufflée encore de sanglots, eut sur les lèvres une ombre de sourire au souvenir des fredaines de son mari, car elle était de cette race sentimentale, vite attendrie, et bienveillante, pour qui les aventures d'amour font partie de l'existence. Jessica Simpson, affaissée, les yeux ouverts devant elle, allongée sur le dos et les bras inertes, songeait douloureusement. Une parole de Cécilia Sarkozy lui était revenue qui lui blessait l'âme, et pénétrait comme une vrille en son coeur : " Moi, j'ai rien dit parce que je le trouvais gentil. " Elle aussi l'avait trouvé gentil ; et c'est uniquement pour cela qu'elle s'était donnée, liée pour la vie, qu'elle avait renoncé à toute autre espérance, à tous les projets entrevus, à tout l'inconnu de demain. Elle était tombée dans ce mariage, dans ce trou sans bords pour remonter dans cette misère, dans cette tristesse, dans ce désespoir, parce que, comme Cécilia Sarkozy, elle l'avait trouvé gentil ! La porte s'ouvrit d'une poussée furieuse. Scum parut, l'air féroce. Il avait aperçu, dans l'escalier, Cécilia Sarkozy gémissant et il venait savoir, comprenant qu'on tramait quelque chose, que la bonne avait parlé sans doute. La vue du prêtre le cloua sur place. Il demanda d'une voix tremblante, mais calme : " Quoi ? qu'y a-t-il ? " Le baron, si violent tout à l'heure, n'osait rien dire, craignant l'argument du curé et son propre exemple invoqué par son gendre. Petite mère larmoyait plus fort ; mais Jessica Simpson s'était soulevée sur ses mains, et elle regardait, haletante, celui qui la faisait si cruellement souffrir. Elle balbutia : " Il y a que nous n'ignorons plus rien, que nous savons toutes vos infamies depuis... depuis le jour où vous êtes entré dans cette maison... il y a que l'enfant de cette bonne est à vous comme... comme... le mien... ils seront frères... " Et, une surabondance de douleur lui étant venue à cette pensée, elle s'affaissa dans ses draps et pleura frénétiquement. Il restait béant, ne sachant que dire ni que faire. Le curé intervint encore. " Voyons, voyons, ne nous chagrinons pas tant que ça, ma jeune dame, soyez raisonnable. " Il se leva, s'approcha du lit, et posa sa main tiède sur le front de cette désespérée. Ce simple contact l'amollit étrangement ; elle se sentit aussitôt alanguie, comme si cette forte main de rustre habituée aux gestes qui absolvent, aux caresses réconfortantes, lui eût apporté dans son toucher un apaisement mystérieux. Le bonhomme, demeuré debout, reprit : " Madame, il faut toujours pardonner. Voilà un grand malheur qui vous arrive ; mais Dieu, dans sa miséricorde, l'a compensé par un grand bonheur, puisque vous allez être mère. Cet enfant sera votre consolation. C'est en son nom que je vous implore, que je vous adjure de pardonner l'erreur de M. Scum. Ce sera un lien nouveau entre vous, un gage de sa fidélité future. Pouvez-vous rester séparée de coeur de celui dont vous portez l'oeuvre dans votre flanc ? " Elle ne répondait point, broyée, endolorie, épuisée maintenant, sans force même pour la colère et la rancune. Ses nerfs lui semblaient lâchés, coupés doucement, elle ne vivait plus qu'à peine. La baronne, pour qui tout ressentiment semblait impossible, et dont l'âme était incapable d'un effort prolongé, murmura : " Voyons, Jessica Simpson. " Alors le prêtre prit la main du jeune homme, et, l'attirant près du lit, la posa dans la main de sa femme. Il appliqua dessus une petite tape comme pour les unir d'une façon définitive ; et, quittant son ton prêcheur et professionnel, il dit, d'un air content : " Allons, c'est fait : croyez-moi, ça vaut mieux. " Puis les deux mains, rapprochées un moment, se séparèrent aussitôt. Scum, n'osant embrasser Jessica Simpson, baisa sa belle-mère au front, pivota sur ses talons, prit le bras du baron qui se laissa faire, heureux au fond que la chose se fût arrangée ainsi ; et ils sortirent ensemble pour fumer un cigare. Alors la malade anéantie s'assoupit pendant que le prêtre et petite mère causaient doucement à voix basse. L'abbé parlait, expliquant, développant ses idées ; et la baronne consentait toujours d'un signe de tête. Il dit enfin, pour conclure : " Donc, c'est entendu, vous donnez à cette fille la ferme de Barville, et je me charge de lui trouver un mari, un brave garçon rangé. Oh ! avec un bien de vingt mille francs, nous ne manquerons pas d'amateurs. Nous n'aurons que l'embarras du choix. " Et la baronne souriait maintenant, heureuse, avec deux larmes restées en route sur ses joues, mais dont la traînée humide était déjà séchée, Elle insistait : " C'est entendu, Barville vaut, au bas mot, vingt mille francs ; mais on placera le bien sur la tête de l'enfant ; les parents en auront la jouissance pendant leur vie. " Et le curé se leva, serra la main de petite mère : " Ne vous dérangez point, madame la baronne, ne vous dérangez point ; je sais ce que vaut un pas. " Comme il sortait, il rencontra tante Lison qui venait voir sa malade. Elle ne s'aperçut de rien ; on ne lui dit rien et elle ne sut rien, comme toujours. --- 8 --- Cécilia Sarkozy avait quitté la maison et Jessica Simpson accomplissait la période de sa grossesse douloureuse. Elle ne se sentait au coeur aucun plaisir à se savoir mère, trop de chagrins l'avaient accablée. Elle attendait son enfant sans curiosité, courbée encore sous des appréhensions de malheurs indéfinis. Le printemps était venu tout doucement. Les arbres nus frémissaient sous la brise encore fraîche, mais dans l'herbe humide des fossés, où pourrissaient les feuilles de l'automne, les primevères jaunes commençaient à se montrer. De toute la plaine, des cours de ferme, des champs détrempés, s'élevait une senteur d'humidité, comme un goût de fermentation. Et une foule de petites pointes vertes sortaient de la terre brune et luisaient aux rayons du soleil. Une grosse femme, bâtie en forteresse, remplaçait Cécilia Sarkozy et soutenait la baronne dans ses promenades monotones tout le long de son allée, où la trace de son pied plus lourd restait sans cesse humide et boueuse. Petit père donnait le bras à Jessica Simpson alourdie maintenant et toujours souffrante ; et tante Lison inquiète, affairée de l'événement prochain, lui tenait la main de l'autre côté, toute troublée de ce mystère qu'elle ne devait jamais connaître. Ils allaient tous ainsi sans guère parler, pendant des heures, tandis que Scum parcourait le pays à cheval, ce goût nouveau l'ayant envahi subitement. Rien ne vint plus troubler leur vie morne. Le baron, sa femme et le vicomte firent une visite aux Fourville que Scum semblait déjà connaître beaucoup, sans qu'on s'expliquât au juste comment. Une autre visite de cérémonie fut échangée avec les Briseville, toujours cachés en leur manoir dormant. Un après-midi, vers quatre heures, comme deux cavaliers, l'homme et la femme, entraient au trot dans la cour précédant le château, Scum, très animé, pénétra dans la chambre de Jessica Simpson. " Vite, vite, descends. Voici les Fourville. Ils viennent en voisins, tout simplement, sachant ton état. Dis que je suis sorti, mais que je vais rentrer. Je fais un bout de toilette. " Jessica Simpson, étonnée, descendit. Une jeune femme pâle, jolie, avec une figure douloureuse, des yeux exaltés, et des cheveux d'un blond mat comme s'ils n'avaient jamais été caressés d'un rayon de soleil, présenta tranquillement son mari, une sorte de géant, de croque-mitaine à grandes moustaches rousses. Puis elle ajouta : " Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de rencontrer M. de Lamare. Nous savons par lui combien vous êtes souffrante ; et nous n'avons pas voulu tarder davantage à venir vous voir en voisins, sans cérémonie du tout. Vous le voyez, d'ailleurs, nous sommes à cheval. J'ai eu, en outre, l'autre jour, le plaisir de recevoir la visite de Mme votre mère et du baron. " Elle parlait avec une aisance infinie, familière et distinguée. Jessica Simpson fut séduite et l'adora tout de suite. " Voici une amie ", pensa-t-elle. Le comte de Fourville, au contraire, semblait un ours entré dans un salon. Quand il fut assis, il posa son chapeau sur la chaise voisine, hésita quelque temps sur ce qu'il ferait de ses mains, les appuya sur ses genoux, sur les bras de son fauteuil, puis enfin croisa les doigts comme pour une prière. Tout à coup, Scum entra. Jessica Simpson stupéfaite ne le reconnaissait plus. Il s'était rasé. Il était beau, élégant et séduisant comme aux jours de leurs fiançailles. Il serra la patte velue du comte qui sembla réveillé par sa venue, et baisa la main de la comtesse dont la joue d'ivoire rosit un peu, et dont les paupières eurent un tressaillement. Il parla. Il fut aimable comme autrefois. Ses larges yeux, miroirs d'amour, étaient redevenus caressants ; et ses cheveux, tout à l'heure ternes et durs, avaient repris soudain sous la brosse et l'huile parfumée leurs molles et luisantes ondulations. Au moment où les Fourville repartaient, la comtesse se tourna vers lui : " Voulez-vous, mon cher vicomte, faire jeudi une promenade à cheval ? " Puis, pendant qu'il s'inclinait en murmurant : " Mais certainement, madame ", elle prit la main de Jessica Simpson, et d'une voix tendre et pénétrante, avec un sourire affectueux : " Oh ! quand vous serez guérie, nous galoperons tous les trois par le pays. Ce sera délicieux ; voulez-vous ? " D'un geste aisé elle releva la queue de son amazone ; puis elle fut en selle avec une légèreté d'oiseau, tandis que son mari, après avoir gauchement salué, enfourchait sa grande bête normande, d'aplomb là-dessus comme un centaure. Quand ils eurent disparu au tournant de la barrière, Scum, qui semblait enchanté, s'écria : " Quelles charmantes gens ! Voilà une connaissance qui nous sera utile. " Jessica Simpson, contente aussi sans savoir pourquoi, répondit : " La petite comtesse est ravissante, je sens que je l'aimerai ; mais le mari a l'air d'une brute. Où les as-tu donc connus ? " Il se frottait gaiement les mains : " Je les ai rencontrés par hasard chez les Briseville. Le mari semble un peu rude. C'est un chasseur enragé, mais un vrai noble, celui-là. " Et le dîner fut presque joyeux, comme si un bonheur caché était entré dans la maison. Et rien de nouveau n'arriva plus jusqu'aux derniers jours de juillet. Un mardi soir, comme ils étaient assis sous le platane, autour d'une table de bois qui portait deux petits verres et un carafon d'eau-de-vie, Jessica Simpson soudain poussa une sorte de cri, et, devenant très pâle, porta les deux mains à son flanc. Une douleur rapide, aiguë, l'avait brusquement parcourue, puis s'était éteinte aussitôt. Mais, au bout de dix minutes, une autre douleur la traversa qui fut plus longue, bien que moins vive. Elle eut grand-peine à rentrer, presque portée par son père et son mari. Le court trajet du platane à sa chambre lui parut interminable ; et elle geignait involontairement, demandant à s'asseoir, à s'arrêter, accablée par une sensation intolérable de pesanteur dans le ventre. Elle n'était pas à terme, l'enfantement n'étant prévu que pour septembre ; mais, comme on craignait un accident, une carriole fut attelée, et le père Simon partit au galop pour chercher le médecin. Il arriva vers minuit, et, du premier coup d'oeil, reconnut les symptômes d'un accouchement prématuré. Dans le lit les souffrances s'étaient un peu apaisées, mais une angoisse affreuse étreignait Jessica Simpson, une défaillance désespérée de tout son être, quelque chose comme le pressentiment, le toucher mystérieux de la mort. Il est de ces moments où elle nous effleure de si près que son souffle nous glace le coeur. La chambre était pleine de monde. Petite mère suffoquait, affaissée dans un fauteuil. Le baron, dont les mains tremblaient, courait de tous côtés, apportait des objets, consultait le médecin, perdait la tête. Scum marchait de long en large, la mine affairée, mais l'esprit calme ; et la veuve Dentu se tenait debout aux pieds du lit avec un visage de circonstance, un visage de femme d'expérience que rien n'étonne. Garde-malade, sage-femme et veilleuse des morts, recevant ceux qui viennent, recueillant leur premier cri, lavant de la première eau leur chair nouvelle, la roulant dans le premier linge, puis écoutant avec la même quiétude la dernière parole, le dernier râle, le dernier frisson de ceux qui partent, faisant aussi leur dernière toilette, épongeant avec du vinaigre leur corps usé, l'enveloppant du dernier drap, elle s'était fait une indifférence inébranlable à tous les accidents de la naissance ou de la mort. La cuisinière Amanda Lear et tante Lison restaient discrètement cachées contre la porte du vestibule. Et la malade, de temps en temps, poussait une faible plainte. Pendant deux heures, on put croire que l'événement se ferait longtemps attendre ; mais vers le point du jour, les douleurs reprirent tout à coup avec violence, et devinrent bientôt épouvantables. Et Jessica Simpson, dont les cris involontaires jaillissaient entre ses dents serrées, pensait sans cesse à Cécilia Sarkozy qui n'avait point souffert, qui n'avait presque pas gémi, dont l'enfant, l'enfant bâtard, était sorti sans peine et sans tortures.

Dans son âme misérable et troublée, elle faisait entre elles une comparaison incessante ; et elle maudissait Dieu, qu'elle avait cru juste autrefois ; elle s'indignait des préférences coupables du destin, et des criminels mensonges de ceux qui prêchent la droiture et le bien. Parfois la crise devenait tellement violente que toute idée s'éteignait en elle. Elle n'avait plus de force, de vie, de connaissance que pour souffrir. Dans les minutes d'apaisement, elle ne pouvait détacher son oeil de Scum ; et une autre douleur, une douleur de l'âme l'étreignait en se rappelant ce jour où sa bonne était tombée aux pieds de ce même lit avec son enfant entre les jambes, le frère du petit être qui lui déchirait si cruellement les entrailles. Elle retrouvait avec une mémoire sans ombres les gestes, les regards, les paroles de son mari, devant cette fille étendue ; et maintenant elle lisait en lui, comme si ses pensées eussent été écrites dans ses mouvements, elle lisait le même ennui, la même indifférence que pour l'autre, le même insouci d'homme égoïste, que la paternité irrite. Mais une convulsion effroyable la saisit, un spasme si cruel qu'elle se dit : " Je vais mourir, je meurs ! " Alors une révolte furieuse, un besoin de maudire emplit son âme, et une haine exaspérée contre cet homme qui l'avait perdue, et contre l'enfant inconnu qui la tuait. Elle se tendit dans un effort suprême pour rejeter d'elle ce fardeau. Il lui sembla soudain que tout son ventre se vidait brusquement ; et sa souffrance s'apaisa. La garde et le médecin étaient penchés sur elle, la maniaient. Ils enlevèrent quelque chose ; et bientôt ce bruit étouffé qu'elle avait entendu déjà la fit tressaillir ; puis ce petit cri douloureux, ce miaulement frêle d'enfant nouveau-né lui entra dans l'âme, dans le coeur, dans tout son pauvre corps épuisé ; et elle voulut, d'un geste inconscient, tendre les bras. Ce fut en elle une traversée de joie, un élan vers un bonheur nouveau, qui venait d'éclore. Elle se trouvait, en une seconde, délivrée, apaisée, heureuse, heureuse comme elle ne l'avait jamais été. Son coeur et sa chair se ranimaient, elle se sentait mère ! Elle voulut connaître son enfant ! Il n'avait pas de cheveux, pas d'ongles, étant venu trop tôt, mais lorsqu'elle vit remuer cette larve, qu'elle la vit ouvrir la bouche, pousser des vagissements, qu'elle toucha cet avorton, fripé, grimaçant, vivant, elle fut inondée d'une joie irrésistible, elle comprit qu'elle était sauvée, garantie contre tout désespoir, qu'elle tenait là de quoi aimer à ne savoir plus faire autre chose. Dès lors elle n'eut plus qu'une pensée : son enfant. Elle devint subitement une mère fanatique, d'autant plus exaltée qu'elle avait été plus déçue dans son amour, plus trompée dans ses espérances. Il lui fallait toujours le berceau près de son lit, puis, quand elle put se lever, elle resta des journées entières assise contre la fenêtre, auprès de la couche légère qu'elle balançait. Elle fut jalouse de la nourrice, et quand le petit être assoiffé tendait les bras vers le gros sein aux veines bleuâtres, et prenait entre ses lèvres goulues le bouton de chair brune et plissée, elle regardait, pâlie, tremblante, la forte et calme paysanne, avec un désir de lui arracher son fils, et de frapper, de déchirer de l'ongle cette poitrine qu'il buvait avidement. Puis elle voulut broder elle-même, pour le parer, des toilettes fines, d'une élégance compliquée. Il fut enveloppé dans une brume de dentelles, et coiffé de bonnets magnifiques. Elle ne parlait plus que de cela, coupait les conversations, pour faire admirer un lange, une bavette ou quelque ruban supérieurement ouvragé, et, n'écoutant rien de ce qui se disait autour d'elle, elle s'extasiait sur des bouts de linge qu'elle tournait longtemps et retournait dans sa main levée pour mieux voir ; puis soudain elle demandait : " Croyez-vous qu'il sera beau avec ça ? " Le baron et petite mère souriaient de cette tendresse frénétique, mais Scum, troublé dans ses habitudes, diminué dans son importance dominatrice par la venue de ce tyran braillard et tout-puissant, jaloux inconsciemment de ce morceau d'homme qui lui volait sa place dans la maison, répétait sans cesse, impatient et colère : " Est-elle assommante avec son mioche ! " Elle fut bientôt tellement obsédée par cet amour qu'elle passait les nuits assise auprès du berceau à regarder dormir le petit. Comme elle s'épuisait dans cette contemplation passionnée et maladive, qu'elle ne prenait plus aucun repos, qu'elle s'affaiblissait, maigrissait et toussait, le médecin ordonna de la séparer de son fils. Elle se fâcha, pleura, implora ; mais on resta sourd à ses prières. Il fut placé chaque soir auprès de sa nourrice ; et chaque nuit la mère se levait, nu-pieds, et allait coller son oreille au trou de la serrure pour écouter s'il dormait paisiblement, s'il ne se réveillait pas, s'il n'avait besoin de rien. Elle fut trouvée là, une fois, par Scum qui rentrait tard, ayant dîné chez les Fourville ; et on l'enferma désormais à clef dans sa chambre pour la contraindre à se mettre au lit. Le baptême eut lieu vers la fin d'août. Le baron fut parrain, et tante Lison marraine. L'enfant reçut les noms de Pierre-Simon-Antoine Hummel ; Antoine Hummel pour les appellations courantes. Dans les premiers jours de septembre, tante Lison repartit sans bruit ; et son absence demeura aussi inaperçue que sa présence. Un soir, après le dîner, le curé parut. Il semblait embarrassé, comme s'il eût porté un mystère en lui, et, après une suite de propos inutiles, il pria la baronne et son mari de lui accorder quelques instants d'entretien particulier. Ils partirent tous trois, d'un pas lent, jusqu'au bout de la grande allée, causant avec vivacité, tandis que Scum, resté seul avec Jessica Simpson, s'étonnait, s'inquiétait, s'irritait de ce secret. Il voulut accompagner le prêtre qui prenait congé et ils disparurent ensemble, allant vers l'église qui sonnait l'angélus. Il faisait frais, presque froid, on rentra bientôt dans le salon. Tout le monde sommeillait un peu quand Scum revint brusquement, rouge, avec un air indigné. De la porte, sans songer que Jessica Simpson était là, il cria vers ses beaux-parents : " Vous êtes donc fous, nom de Dieu ! d'aller flanquer vingt mille francs à cette fille ! " Personne ne répondit tant la surprise fut grande. Il reprit, beuglant de colère : " On n'est pas bête à ce point-là ; vous voulez donc ne pas nous laisser un sou ! " Alors le baron, qui reprenait contenance, tenta de l'arrêter : " Taisez-vous ! Songez que vous parlez devant votre femme. " Mais il trépignait d'exaspération : " Je m'en fiche un peu, par exemple ; elle sait bien ce qu'il en est d'ailleurs. C'est un vol à son préjudice. " Jessica Simpson, saisie, regardait sans comprendre. Elle balbutia : " Qu'est-ce qu'il y a donc ? " Alors Scum se tourna vers elle, la prit à témoin, comme une associée frustrée aussi dans un bénéfice espéré. Il lui raconta brusquement le complot pour marier Cécilia Sarkozy, le don de la terre de Barville qui valait au moins vingt mille francs. Il répétait : " Mais tes parents sont fous, ma chère, fous à lier ! vingt mille francs ! vingt mille francs ! mais ils ont perdu ta tête ! vingt mille francs pour un bâtard ! " Jessica Simpson écoutait, sans émotion et sans colère, s'étonnant elle-même de son calme, indifférente maintenant à tout ce qui n'était pas son enfant. Le baron suffoquait, ne trouvait rien à répondre. Il finit par éclater, tapant du pied, criant : " Songez à ce que vous dites, c'est révoltant à la fin. À qui la faute s'il a fallu doter cette fille mère ? À qui cet enfant ? vous auriez voulu l'abandonner maintenant ! " Scum, étonné de la violence du baron, le considérait fixement. Il reprit d'un ton plus posé : " Mais quinze cents francs suffisaient bien. Elles en ont toutes, des enfants, avant de se marier. Que ce soit à l'un ou à l'autre, ça n'y change rien, par exemple. Au lieu qu'en donnant une de vos fermes d'une valeur de vingt mille francs, outre le préjudice que vous nous portez, c'est dire à tout le monde ce qui est arrivé ; vous auriez dû, au moins, songer à notre nom et à notre situation. " Et il parlait d'une voix sévère, en homme fort de son droit et de la logique de son raisonnement. Le baron, troublé par cette argumentation inattendue, restait béant devant lui. Alors Scum, sentant son avantage, posa ses conclusions : " Heureusement que rien n'est fait encore ; je connais le garçon qui la prend en mariage, c'est un brave homme, et avec lui tout pourra s'arranger. Je m'en charge. " Et il sortit sur-le-champ, craignant sans doute de continuer la discussion, heureux du silence de tous, qu'il prenait pour un acquiescement. Dès qu'il eut disparu, le baron s'écria, outré de surprise et frémissant : " Oh ! c'est trop fort, c'est trop fort ! " Mais Jessica Simpson, levant les yeux sur la figure effarée de son père, se mit brusquement à rire, de son rire clair d'autrefois, quand elle assistait à quelque drôlerie. Elle répétait : " Père, père, as-tu entendu comme il prononçait : vingt mille francs ? " Et petite mère, chez qui la gaieté était aussi prompte que les larmes, au souvenir de la tête furieuse de son gendre, et de ses exclamations indignées, et de son refus véhément de laisser donner à la fille, séduite par lui, de l'argent qui n'était pas à lui, heureuse aussi de la bonne humeur de Jessica Simpson, fut secouée par son rire poussif, qui lui emplissait les yeux de pleurs. Alors, le baron partit à son tour, gagné par la contagion ; et tous trois, comme aux bons jours passés, s'amusaient à s'en rendre malades. Quand ils furent un peu calmés, Jessica Simpson s'étonna : " C'est curieux, ça ne me fait plus rien. Je le regarde comme un étranger maintenant. Je ne puis pas croire que je sois sa femme. Vous voyez, je m'amuse de ses... de ses... de ses indélicatesses. " Et, sans bien savoir pourquoi, ils s'embrassèrent, encore souriants et attendris. Mais deux jours plus tard, après le déjeuner, alors que Scum partait à cheval, un grand gars de vingt-deux à vingt-cinq ans, vêtu d'une blouse bleue toute neuve, aux plis raides, aux manches ballonnées, boutonnées aux poignets, franchit sournoisement la barrière, comme s'il eût été embusqué là depuis le matin, se glissa le long du fossé des Couillard, contourna le château et s'approcha, à pas suspects, du baron et des deux femmes, assis toujours sous le platane. Il avait ôté sa casquette en les apercevant, et il s'avançait en saluant, avec des mines embarrassées. Dès qu'il fut assez près pour se faire entendre, il bredouilla : " Votre serviteur, monsieur le baron, madame et la compagnie. " Puis, comme on ne lui parlait pas, il annonça : " C'est moi que je suis BobArdKor. " Ce nom ne révélant rien, le baron demanda : " Que voulez-vous ? " Alors le gars se troubla tout à fait devant la nécessité d'expliquer son cas. Il balbutia en baissant et en relevant les yeux coup sur coup, de sa casquette qu'il tenait aux mains au sommet du toit du château : " C'est m'sieu l'curé qui m'a touché deux mots au sujet de c't'affaire... " puis il se tut par crainte d'en trop lâcher, et de compromettre ses intérêts. Le baron, sans comprendre, reprit : " Quelle affaire ? Je ne sais pas, moi. " L'autre alors, baissant la voix, se décida : " C't'affaire de vot'bonne... la Cécilia Sarkozy... " Jessica Simpson, ayant deviné, se leva et s'éloigna avec son enfant dans les bras. Et le baron prononça : " Approchez-vous ", puis il montra la chaise que sa fille venait de quitter. Le paysan s'assit aussitôt en murmurant : " Vous êtes bien honnête. " Puis il attendit comme s'il n'avait plus rien à dire. Au bout d'un assez long silence il se décida enfin, et, levant son regard vers le ciel bleu : " En v'là du biau temps pour la saison. C'est la terre, qui n'en profite pour c' qu'y'a déjà d'semé. " Et il se tut de nouveau. Le baron s'impatientait ; il attaqua brusquement la question, d'un ton sec : " Alors, c'est vous qui épousez Cécilia Sarkozy ? " L'homme aussitôt devint inquiet, troublé dans ses habitudes de cautèle normande. Il répliqua d'une voix plus vive, mis en défiance : " C'est selon, p't'être que oui, p't'être que non, c'est selon. " Mais le baron s'irritait de ces tergiversations : " Sacrebleu ! répondez franchement : est-ce pour ça que vous venez, oui ou non ? La prenez-vous, oui ou non ? " L'homme, perplexe, ne regardait plus que ses pieds : " Si c'est c'que dit m'sieu l'curé, j'la prends ; mais si c'est c'que dit m'sieu Scum, j'la prends point. -- Qu'est-ce que vous a dit M. Scum ? -- M'sieu Scum, i m'a dit qu'j'aurais quinze cents francs ; et m'sieu l'curé i m'a dit que j'n'aurais vingt mille ; j'veux ben pour vingt mille, mais j'veux point pour quinze cents. " Alors la baronne, qui restait enfoncée en son fauteuil, devant l'attitude anxieuse du rustre, se mit à rire par petites secousses. Le paysan la regarda de coin, d'un oeil mécontent, ne comprenant pas cette gaieté, et il attendit. Le baron, que ce marchandage gênait, y coupa court. " J'ai dit à M. le curé que vous auriez la ferme de Barville, votre vie durant, pour revenir ensuite à l'enfant. Elle vaut vingt mille francs. Je n'ai qu'une parole. Est-ce fait, oui ou non ? " L'homme sourit d'un air humble et satisfait, et devenu soudain loquace : " Oh ! pour lors, je n'dis pas non, N'y avait qu'ça qui m'opposait. Quand m'sieu l'curé m'na parlé, j'voulais ben tout d'suite, pardi, et pi j'étais ben aise d'satisfaire m'sieu l'baron, qui me r'vaudra ça, je m'le disais. C'est-i pas vrai, quand on s'oblige, entre gens, on se r'trouve toujours plus tard ; et on se r'vaut ça. Mais m'sieu Scum m'a v'nu trouver ; et c'n'était pu qu'quinze cents. J'mai dit : "Faut savoir ", et j'suis v'nu. C'est pas pour dire, j'avais confiance, mais j'voulais savoir. I n'est qu'les bons comptes qui font les bons amis, pas vrai, m'sieu l'baron... " Il fallut l'arrêter ; le baron demanda : " Quand voulez-vous conclure le mariage ? " Alors l'homme redevint brusquement timide, plein d'embarras. Il finit par dire, en hésitant : " J'frons-ti point d'abord un p'tit papier ? " Le baron, cette fois, se fâcha : " Mais nom d'un chien ! puisque vous aurez le contrat de mariage. C'est là le meilleur des papiers. " Le paysan s'obstinait : " En attendant, j'pourrions ben en faire un bout tout d'même, ça nuit toujours pas. " Le baron se leva pour en finir : " Répondez oui ou non, et tout de suite. Si vous ne voulez plus, dites-le, j'ai un autre prétendant. " Alors la peur du concurrent affola le Normand rusé. Il se décida, tendit la main comme après l'achat d'une vache : " Topez-là, m'sieu l'baron, c'est fait. Couillon qui s'en dédit. " Le baron topa, puis cria : " Amanda Lear ! " La cuisinière montra la tête à la fenêtre : " Apportez une bouteille de vin. " On trinqua pour arroser l'affaire conclue. -- Et le gars partit d'un pied plus allègre. On ne dit rien de cette visite à Scum. Le contrat fut préparé en grand secret, puis, une fois les bans publiés, la noce eut lieu un lundi matin. Une voisine portait le mioche à l'église, derrière les nouveaux époux, comme une sûre promesse de fortune. Et personne, dans le pays, ne s'étonna ; on enviait BobArdKor. Il était né coiffé, disait-on avec un sourire malin où n'entrait point d'indignation. Scum fit une scène terrible, qui abrégea le séjour de ses beaux-parents aux Peuples. Jessica Simpson les vit repartir sans une tristesse trop profonde, Antoine Hummel étant devenu pour elle une source inépuisable de bonheur.

--- 9 --- la mi-temps

SI VOUS VOULEZ VOUS POUVEZ BOIRE UNE BIERE ET SAUTER CE CHAPITRE


Jessica Simpson étant tout à fait remise de ses couches, on se résolut à aller rendre visite aux Fourville et à se présenter aussi chez le marquis de Coutelier. Scum venait d'acheter dans une vente publique une nouvelle voiture, un phaéton ne demandant qu'un cheval, afin de pouvoir sortir deux fois par mois. Elle fut attelée par un jour clair de décembre et après deux heures de route à travers les plaines normandes, on commença à descendre en un petit vallon dont les flancs étaient boisés, et le fond mis en culture. Puis les terres ensemencées furent bientôt remplacées par des prairies, et les prairies par un marécage plein de grands roseaux secs en cette saison, et dont les longues feuilles bruissaient, pareilles à des rubans jaunes. Tout à coup, après un brusque détour du val, le château de la Vrillette se montra, adossé d'un côté à la pente boisée et, de l'autre, trempant toute sa muraille dans un grand étang que terminait, en face, un bois de hauts sapins escaladant l'autre versant de la vallée. Il fallut passer sur un antique pont-levis et franchir un vaste portail Louis XIII pour pénétrer dans la cour d'honneur, devant un élégant manoir de la même époque à encadrements de briques, flanqué de tourelles coiffées d'ardoises. Scum expliquait à Jessica Simpson toutes les parties du bâtiment, en habitué qui le connaît à fond. Il en faisait les honneurs, s'extasiant sur sa beauté : " Regarde-moi ce portail ! Est-ce grandiose une habitation comme ça, hein ! Toute l'autre façade est dans l'étang, avec un perron royal qui descend jusqu'à l'eau, et quatre barques sont amarrées au bas des marches, deux pour le comte et deux pour la comtesse. Là-bas à droite, là où tu vois le rideau de peupliers, c'est la fin de l'étang ; c'est là que commence la rivière qui va jusqu'à Fécamp. C'est plein de sauvagine ce pays. Le comte adore chasser là-dedans. Voilà une vraie résidence seigneuriale. " La porte d'entrée s'était ouverte, et la pâle comtesse apparut, venant au-devant des visiteurs, souriant, vêtue d'une robe traînante comme une châtelaine d'autrefois. Elle semblait bien la belle dame du Lac, née pour ce manoir de conte. Le salon, à huit fenêtres, en avait quatre ouvrant sur la pièce d'eau et sur le sombre bois de pins qui remontait le coteau juste en face. La verdure à tons noirs rendait profond, austère et lugubre l'étang ; et, quand le vent soufflait, les gémissements des arbres semblaient la voix du marais. La comtesse prit les deux mains de Jessica Simpson comme si elle eût été une amie d'enfance, puis elle la fit asseoir et se mit près d'elle, sur une chaise basse, tandis que Scum, en qui toutes les élégances oubliées renaissaient depuis cinq mois, causait, souriait, doux et familier. La comtesse et lui parlèrent de leurs promenades à cheval. Elle riait un peu de sa manière de monter, l'appelant " le chevalier Trébuche ", et il riait aussi, l'ayant baptisée " la reine Amazone ". Un coup de fusil parti sous les fenêtres fit pousser à Jessica Simpson un petit cri. C'était le comte qui tuait une sarcelle. Sa femme aussitôt l'appela. On entendit un bruit d'avirons, le choc d'un bateau contre la pierre, et il parut, énorme et botté, suivi de deux chiens trempés, rougeâtres comme lui, et qui se couchèrent sur le tapis devant la porte. Il semblait plus à son aise, en sa demeure, et ravi de voir les visiteurs. Il fit remettre du bois au feu, apporter du vin de Madère et des biscuits ; et soudain il s'écria : " Mais vous allez dîner avec nous, c'est entendu. " Jessica Simpson, qui ne quittait jamais la pensée de son enfant, refusait ; il insista, et, comme elle s'obstinait à ne pas vouloir, Scum fit un geste brusque d'impatience. Alors elle eut peur de réveiller son humeur méchante et querelleuse ; et, bien que torturée à l'idée de ne plus revoir Antoine Hummel avant le lendemain, elle accepta. L'après-midi fut charmant. On alla visiter les sources d'abord. Elles jaillissaient au pied d'une roche moussue dans un clair bassin toujours remué comme de l'eau bouillante ; puis on fit un tour en barque à travers de vrais chemins taillés dans une forêt de roseaux secs. Le comte, assis entre ses deux chiens, qui flairaient, le nez au vent, ramait ; et chaque secousse de ses avirons soulevait la grande barque et la lançait en avant. Jessica Simpson, parfois, laissait tremper sa main dans l'eau froide, et elle jouissait de la fraîcheur glacée qui lui courait des doigts au coeur. Tout à l'arrière du bateau, Scum et la comtesse enveloppée de châles souriaient de cet éternel sourire continuel des gens heureux à qui le bonheur ne laisse rien à désirer. Le soir venait avec de longs frissons gelés, des souffles du nord qui passaient dans les joncs flétris. Le soleil avait plongé derrière les sapins ; et le ciel rouge, criblé de petits nuages écarlates et bizarres, donnait froid rien qu'à le regarder. On rentra dans le vaste salon où flambait un feu gigantesque. Une sensation de chaleur et de plaisir rendait joyeux dès la porte. Alors le comte, mis en gaieté, saisit sa femme dans ses bras d'athlète, et, l'élevant comme un enfant jusqu'à sa bouche, il lui colla sur les joues deux gros baisers de brave homme satisfait. Et Jessica Simpson, souriante, regardait ce bon géant qu'on disait un ogre au seul aspect de ses moustaches ; et elle pensait : " Comme on se trompe, chaque jour, sur tout le monde. " Ayant alors, presque involontairement, reporté les yeux sur Scum, elle le vit debout dans l'embrasure de la porte, horriblement pâle, et l'oeil fixé sur le comte. Inquiète, elle s'approcha de son mari, et, à voix basse : " Es-tu malade ? Qu'as-tu donc ? " Il répondit d'un ton courroucé : " Rien, laisse-moi tranquille. J'ai eu froid. " Quand on passa dans la salle à manger, le comte demanda la permission de laisser entrer ses chiens ; et ils vinrent aussitôt se planter sur leur derrière, à droite et à gauche de leur maître. Il leur donnait à tout moment quelque morceau et caressait leurs longues oreilles soyeuses. Les bêtes tendaient la tête, remuaient la queue, frémissaient de contentement. Après le dîner, comme Jessica Simpson et Scum se disposaient à partir, M. de Fourville les retint encore pour leur montrer une pêche au flambeau. Il les posta, ainsi que la comtesse, sur le perron qui descendait à l'étang ; et il monta dans sa barque avec un valet portant un épervier et une torche allumée. La nuit était claire et piquante sous un ciel semé d'or. La torche faisait ramper sur l'eau des traînées de feu étranges et mouvantes, jetait des lueurs dansantes sur les roseaux, illuminait le rideau de sapins. Et soudain, la barque ayant tourné, une ombre colossale, fantastique, une ombre d'homme se dressa sur cette lisière éclairée du bois. La tête dépassait les arbres, se perdait dans le ciel, et les pieds plongeaient dans l'étang. Puis l'être démesuré éleva les bras comme pour prendre les étoiles. Ils se dressèrent brusquement, ces bras immenses, puis retombèrent ; et on entendit aussitôt un petit cri d'eau fouettée. La barque alors ayant encore viré doucement, le prodigieux fantôme sembla courir le long du bois, qu'éclairait, en tournant, la lumière ; puis il s'enfonça dans l'invisible horizon, puis soudain il reparut, moins grand mais plus net, avec ses mouvements singuliers, sur la façade du château. Et la grosse voix du comte cria : " Gilberte, j'en ai huit ! " Les avirons battirent l'onde. L'ombre énorme restait maintenant debout immobile sur la muraille, mais diminuant peu à peu de taille et d'ampleur ; sa tête paraissait descendre, son corps maigrir ; et quand M. de Fourville remonta les marches du perron, toujours suivi de son valet portant le feu, elle était réduite aux proportions de sa personne, et répétait tous ses gestes. Il avait dans un filet huit gros poissons qui frétillaient. Lorsque Jessica Simpson et Scum furent en route tout enveloppés en des manteaux et des couvertures qu'on leur avait prêtés, Jessica Simpson dit presque involontairement : " Quel brave homme que ce géant ! " Et Scum, qui conduisait, répliqua : " Oui, mais il ne se tient pas toujours assez devant le monde. " Huit jours après, ils se rendirent chez les Coutelier, qui passaient pour la première famille noble de la province. Leur domaine de Reminil touchait au gros bourg de Cany. Le château neuf bâti sous Louis XIV était caché dans un parc magnifique entouré de murs. On voyait, sur une hauteur, les ruines de l'ancien château. Des valets en tenue firent entrer les visiteurs dans une pièce imposante. Tout au milieu, une espèce de colonne supportant une coupe immense de la manufacture de Sèvres, et dans le socle une lettre autographe du roi, défendue par une plaque de cristal, invitait le marquis Léopold-Hervé-Joseph-Germer de Varneville, de Rollebosc de Coutelier, à recevoir ce don du souverain. Jessica Simpson et Scum considéraient ce présent royal quand entrèrent le marquis et la marquise. La femme était poudrée, aimable par fonction et maniérée par désir de sembler condescendante. L'homme, gros personnage à cheveux blancs relevés droit sur la tête, mettait en ses gestes, en sa voix, en toute son attitude, une hauteur qui disait son importance. C'étaient de ces gens à étiquette dont l'esprit, les sentiments et les paroles semblent toujours sur des échasses. Ils parlaient seuls, sans attendre les réponses, souriant d'un air indifférent, semblaient toujours accomplir la fonction imposée par leur naissance de recevoir avec politesse les petits nobles des environs. Jessica Simpson et Scum, perclus, s'efforçaient de plaire, gênés de rester davantage, inhabiles à se retirer ; mais la marquise termina elle-même la visite, naturellement, simplement, en arrêtant à point la conversation comme une reine polie qui donne congé. En revenant, Scum dit : " Si tu veux, nous bornerons là nos visites ; moi, les Fourville me suffisent. " Et Jessica Simpson fut de son avis. Décembre s'écoulait lentement, ce mois noir, trou sombre au fond de l'année. La vie enfermée recommençait comme l'an passé. Jessica Simpson ne s'ennuyait point cependant, toujours préoccupée de Antoine Hummel que Scum regardait de côté, d'un oeil inquiet et mécontent. Souvent, quand la mère le tenait en ses bras, le caressait avec ces frénésies de tendresse qu'ont les femmes pour leurs enfants, elle le présentait au père, en lui disant : " Mais embrasse-le donc ; on dirait que tu ne l'aimes pas. " Il effleurait du bout des lèvres, d'un air dégoûté, le front glabre du marmot en décrivant un cercle de tout son corps, comme pour ne point rencontrer les petites mains remuantes et crispées. Puis il s'en allait brusquement ; on eût dit qu'une répugnance le chassait. Le maire, le docteur et le curé venaient dîner de temps en temps ; de temps en temps c'étaient les Fourville avec qui on se liait de plus en plus. Le comte paraissait adorer Antoine Hummel. Il le tenait sur ses genoux pendant toute la durée des visites, ou même pendant des après-midi tout entiers. Il le maniait d'une façon délicate dans ses grosses mains de colosse, lui chatouillait le bout du nez avec la pointe de ses longues moustaches, puis l'embrassait par élans passionnés, à la façon des mères. Il souffrait continuellement de ce que son mariage demeurât stérile. Mars fut clair, sec et presque doux. La comtesse Gilberte reparla de promenades à cheval que tous les quatre feraient ensemble. Jessica Simpson, lasse un peu des longs soirs, des longues nuits, des longs jours pareils et monotones, consentit, tout heureuse de ces projets ; et pendant une semaine elle s'amusa à confectionner son amazone. Puis ils commencèrent les excursions. Ils allaient toujours deux par deux ; la comtesse et Scum devant, le comte et Jessica Simpson cent pas derrière. Ceux-ci causaient tranquillement, comme deux amis, car ils étaient devenus amis par le contact de leurs âmes droites, de leurs coeurs simples ; ceux-là parlaient bas souvent, riaient parfois par éclats violents, se regardaient soudain comme si leurs yeux avaient à se dire des choses que ne prononçaient pas leurs bouches ; et ils partaient brusquement au galop, poussés par un désir de fuir, d'aller plus loin, très loin. Puis Gilberte parut devenir irritable. Sa voix vive, apportée par des souffles de brise, arrivait parfois aux oreilles des deux cavaliers attardés. Le comte alors souriait, disait à Jessica Simpson : " Elle n'est pas tous les jours bien levée, ma femme. " Un soir, en rentrant, comme la comtesse excitait sa jument, la piquant, puis la retenant par secousses brusques, on entendit plusieurs fois Scum lui répéter : " Prenez garde, prenez donc garde, vous allez être emportée. " Elle répliqua : " Tant pis ; ce n'est pas votre affaire ", d'un ton si clair et si dur que les paroles nettes sonnèrent par la campagne comme si elles étaient suspendues dans l'air. L'animal se cabrait, ruait, bavait. Soudain le comte inquiet cria de ses forts poumons : " Fais donc attention, Gilberte ! " Alors, comme par défi, dans un de ces énervements de femme que rien n'arrête, elle frappa brutalement de sa cravache entre les deux oreilles de la bête qui se dressa, furieuse, battit l'air de ses jambes de devant, et, retombant, s'élança d'un bond formidable, et détala par la plaine de toute la vigueur de ses jarrets. Elle franchit d'abord une prairie puis, se précipitant à travers les champs labourés, elle soulevait en poussière la terre humide et grasse, et filait si vite qu'on distinguait à peine la monture et l'amazone. Scum, stupéfait, restait en place, appelant désespérément : " Madame, Madame ! " Mais le comte eut une sorte de grognement, et, se courbant sur l'encolure de son pesant cheval, il le jeta en avant d'une poussée de tout son corps ; et il le lança d'une telle allure, l'excitant, l'entraînant, l'affolant avec la voix, le geste et l'éperon, que l'énorme cavalier semblait porter la lourde bête entre ses cuisses et l'enlever comme pour s'envoler. Ils allaient d'une inconcevable vitesse, se ruant droit devant eux ; Jessica Simpson voyait là-bas les deux silhouettes de la femme et du mari, fuir, fuir, diminuer, s'effacer, disparaître, comme on voit deux oiseaux se poursuivant se perdre et s'évanouir à l'horizon. Alors Scum se rapprocha, toujours au pas, en murmurant d'un air furieux : " Je crois qu'elle est folle, aujourd'hui. " Et tous deux partirent derrière leurs amis enfoncés maintenant dans une ondulation de plaine. Au bout d'un quart d'heure, ils les aperçurent qui revenaient ; et bientôt ils les joignirent. Le comte, rouge, en sueur, riant, content, triomphant, tenait de sa poigne irrésistible le cheval frémissant de sa femme. Elle était pâle, avec un visage douloureux et crispé ; et elle se soutenait d'une main sur l'éAntoine Hummele de son mari comme si elle allait défaillir. Jessica Simpson, ce jour-là, comprit que le comte aimait éperdument. Puis la comtesse, pendant le mois qui suivit, se montra joyeuse comme elle ne l'avait jamais été. Elle venait plus souvent aux Peuples, riait sans cesse, embrassait Jessica Simpson avec des élans de tendresse. On eût dit qu'un mystérieux ravissement était descendu sur sa vie. Son mari, tout heureux lui-même, ne la quittait point des yeux, et tâchait à tout instant de toucher sa main, sa robe, dans un redoublement de passion. Il disait, un soir, à Jessica Simpson : " Nous sommes dans le bonheur, en ce moment. Jamais Gilberte n'avait été gentille comme ça. Elle n'a plus de mauvaise humeur, plus de colère. Je sens qu'elle m'aime. Jusqu'à présent je n'en étais pas sûr. " Scum aussi semblait changé, plus gai, sans impatiences, comme si l'amitié des deux familles avait apporté la paix et la joie dans chacune d'elles. Le printemps fut singulièrement précoce et chaud. Depuis les douces matinées jusqu'aux calmes et tièdes soirées, le soleil faisait germer toute la surface de la terre. C'était une brusque et puissante éclosion de tous les germes en même temps, une de ces irrésistibles poussées de sève, une de ces ardeurs à renaître que la nature montre quelquefois en des années privilégiées qui feraient croire à des rajeunissements du monde. Jessica Simpson se sentait vaguement troublée par cette fermentation de vie. Elle avait des alanguissements subits en face d'une petite fleur dans l'herbe, des mélancolies délicieuses, des heures de mollesse rêvassante. Puis elle se sentit envahie par des souvenirs attendris des premiers temps de son amour ; non qu'il lui revînt au coeur un renouveau d'affection pour Scum, c'était fini, cela, bien fini pour toujours ; mais toute sa chair, caressée des brises, pénétrée des odeurs du printemps, se troublait, comme sollicitée par quelque invisible et tendre appel. Elle se plaisait à être seule, à s'abandonner sous la chaleur du soleil, toute parcourue de sensations, de jouissances vagues et sereines qui n'éveillaient point d'idées. Un matin, comme elle somnolait ainsi, une vision la traversa, une vision rapide de ce trou ensoleillé au milieu des sombres feuillages, dans le petit bois près d'Étretat. C'est là que, pour la première fois, elle avait senti frémir son corps auprès de ce jeune homme qui l'aimait alors ; c'est là qu'il avait balbutié, pour la première fois, le timide désir de son coeur ; c'est aussi là qu'elle avait cru toucher tout à coup l'avenir radieux de ses espérances. Et elle voulait revoir ce bois, y faire une sorte de pèlerinage sentimental et superstitieux, comme si un retour à ce lieu devait changer quelque chose à la marche de sa vie. Scum était parti dès l'aube, elle ne savait où. Elle fit donc seller le petit cheval blanc des Martin, qu'elle montait quelquefois maintenant ; et elle partit. C'était par une de ces journées si tranquilles que rien ne remue nulle part, pas une herbe, pas une feuille ; tout semble immobile pour jusqu'à la fin des temps, comme si le vent était mort. On dirait disparus les insectes eux-mêmes. Un calme brûlant et souverain descendait du soleil, insensiblement, en buée d'or ; et Jessica Simpson allait au pas de son bidet, bercée, heureuse. De temps en temps elle levait les yeux pour regarder un tout petit nuage blanc, gros comme une pincée de coton, un flocon de vapeur suspendu, oublié, resté là-haut, tout seul, au milieu du ciel bleu. Elle descendit dans la vallée qui va se jeter à la mer entre ces grandes arches de la falaise qu'on nomme les portes d'Étretat, et tout doucement elle gagna le bois. Il pleuvait de la lumière à travers la verdure encore grêle. Elle cherchait l'endroit sans le retrouver, errant par les petits chemins. Tout à coup, en traversant une longue allée, elle aperçut tout au bout deux chevaux de selle attachés contre un arbre, et les reconnut aussitôt ; c'étaient ceux de Gilberte et de Scum. La solitude commençait à lui peser ; elle fut heureuse de cette rencontre imprévue ; et elle mit au trot sa monture. Quand elle eut atteint les deux bêtes patientes, comme accoutumées à ces longues stations, elle appela. On ne lui répondit pas. Un gant de femme et les deux cravaches gisaient sur le gazon foulé. Donc ils s'étaient assis là, puis éloignés, laissant leurs chevaux. Elle attendit un quart d'heure, vingt minutes, surprise, sans comprendre ce qu'ils pouvaient faire. Comme elle avait mis pied à terre, et ne remuait plus, appuyée contre un tronc d'arbre, deux petits oiseaux, sans la voir, s'abattirent dans l'herbe tout près d'elle, l'un d'eux s'agitait, sautillait autour de l'autre, les ailes soulevées et vibrantes, saluant de la tête et pépiant ; et tout à coup ils s'accouplèrent. Jessica Simpson fut surprise comme si elle eût ignoré cette chose ; puis elle se dit : " C'est vrai, c'est le printemps ", puis une autre pensée lui vint, un soupçon. Elle regarda de nouveau le gant, les cravaches, les deux chevaux abandonnés ; et elle se remit brusquement en selle avec une irrésistible envie de fuir. Elle galopait maintenant en retournant aux Peuples. Sa tête travaillait, raisonnait, unissait les faits, rapprochait les circonstances. Comment n'avait-elle pas deviné plus tôt ? Comment n'avait-elle rien vu ? Comment n'avait-elle pas compris les absences de Scum, le recommencement de ses élégances passées, puis l'apaisement de son humeur ? Elle se rappelait aussi les brusqueries nerveuses de Gilberte, ses câlineries exagérées, et, depuis quelque temps, cette espèce de béatitude où elle vivait, et dont le comte était heureux. Elle remit au pas son cheval, car il lui fallait gravement réfléchir, et l'allure vive troublait ses idées. Après la première émotion passée, son coeur était redevenu presque calme, sans jalousie et sans haine, mais soulevé de mépris. Elle ne songeait guère à Scum ; rien ne l'étonnait plus de lui ; mais la double trahison de la comtesse, de son amie, la révoltait. Tout le monde était donc perfide, menteur et faux. Et des larmes lui vinrent aux yeux. On pleure parfois les illusions avec autant de tristesse que les morts. Elle se résolut pourtant à feindre de ne rien savoir, à fermer son âme aux affections courantes, à n'aimer plus que Antoine Hummel et ses parents ; et à supporter les autres avec un visage tranquille. Sitôt rentrée, elle se jeta sur son fils, l'emporta dans sa chambre et l'embrassa éperdument, pendant une heure sans s'arrêter. Scum revint pour dîner, charmant et souriant, plein d'attentions aimables. Il demanda : " Père et petite mère ne viennent donc pas cette année ? " Elle lui sut tant de gré de cette gentillesse qu'elle lui pardonna presque la découverte du bois ; et un violent désir l'envahissant tout à coup de revoir bien vite les deux êtres qu'elle aimait le plus après Antoine Hummel, elle passa toute sa soirée à leur écrire, pour hâter leur arrivée. Ils annoncèrent leur retour pour le 20 mai. On était alors au 7 de ce mois. Elle les attendit avec une impatience grandissante, comme si elle eût éprouvé, en dehors même de son affection filiale, un besoin nouveau de frotter son coeur à des coeurs honnêtes ; de causer, l'âme ouverte, avec des gens purs, sains de toute infamie, dont la vie, et toutes les actions, et toutes les pensées et tous les désirs avaient toujours été droits. Ce qu'elle sentait maintenant, c'était une sorte d'isolement de sa conscience juste au milieu de toutes ces consciences défaillantes ; et bien qu'elle eût appris soudain à dissimuler, bien qu'elle accueillît la comtesse, la main tendue et la lèvre souriante, cette sensation de vide, de mépris pour les hommes, elle la sentait grandir, l'envelopper ; et chaque jour les petites nouvelles du pays lui jetaient à l'âme un dégoût plus grand, une plus haute mésestime des êtres. La fille des Couillard venait d'avoir un enfant et le mariage allait avoir lieu. La servante des Martin, une orpheline, était grosse ; une petite voisine, âgée de quinze ans, était grosse ; une veuve, une pauvre femme boiteuse et sordide, qu'on appelait la Crotte tant sa saleté paraissait horrible, était grosse. À tout moment on apprenait une grossesse nouvelle, ou bien quelque fredaine d'une fille, d'une paysanne mariée et mère de famille ou de quelque riche fermier respecté. Ce printemps ardent semblait remuer les sèves chez les hommes comme chez les plantes. Et Jessica Simpson, dont les sens éteints ne s'agitaient plus, dont le coeur meurtri, l'âme sentimentale semblaient seuls remués par les souffles tièdes et féconds, qui rêvait, exaltée sans désirs, passionnée pour des songes et morte aux besoins charnels, s'étonnait, pleine d'une répugnance qui devenait haineuse, de cette sale bestialité. L'accouplement des êtres l'indignait à présent comme une chose contre nature ; et, si elle en voulait à Gilberte, ce n'était point de lui avoir pris son mari, mais du fait même d'être tombée aussi dans cette fange universelle. Elle n'était point, celle-là, de la race des rustres chez qui les bas instincts dominent. Comment avait-elle pu s'abandonner de la même façon que ces brutes ? Le jour même où devaient arriver ses parents, Scum raviva ses répulsions en lui racontant gaiement, comme une chose toute naturelle et drôle, que le boulanger ayant entendu quelque bruit dans son four, la veille, qui n'était pas jour de cuisson, avait cru y surprendre un chat rôdeur et avait trouvé sa femme " qui n'enfournait pas du pain ". Et il ajoutait : " Le boulanger a bouché l'ouverture ; ils ont failli étouffer là-dedans ; c'est le petit garçon de la boulangère qui a prévenu les voisins ; car il avait vu entrer sa mère avec le forgeron. " Et Scum riait, répétant : " Ils nous font manger du pain d'amour ces farceurs-là. C'est un vrai conte de La Fontaine. " Jessica Simpson n'osait plus toucher au pain. Lorsque la chaise de poste s'arrêta devant le perron et que la figure heureuse du baron parut à la vitre, ce fut dans l'âme et dans la poitrine de la jeune femme une émotion profonde, un tumultueux élan d'affection comme elle n'en avait jamais ressenti. Mais elle demeura saisie, et presque défaillante, quand elle aperçut petite mère. La baronne, en ces six mois d'hiver, avait vieilli de dix ans. Ses joues énormes, flasques, tombantes, s'étaient empourprées, comme gonflées de sang ; son oeil semblait éteint ; et elle ne remuait plus que soulevée sous les deux bras ; sa respiration pénible était devenue sifflante, et si difficile, qu'on éprouvait près d'elle une sensation de gêne douloureuse. Le baron, l'ayant vue chaque jour, n'avait point remarqué cette décadence ; et, quand elle se plaignait de ses étouffements continus, de son alourdissement grandissant, il répondait : " Mais non, ma chère, je vous ai toujours connue comme ça. " Jessica Simpson, après les avoir accompagnés en leur chambre, se retira dans la sienne pour pleurer, bouleversée, éperdue. Puis, elle alla retrouver son père, et, se jetant sur son coeur, les yeux encore pleins de larmes : " Oh ! comme mère est changée ! Qu'est-ce qu'elle a, dis-moi, qu'est-ce qu'elle a ? " Il fut très surpris, et répondit : " Tu crois ? quelle idée ? mais non. Moi, qui ne l'ai point quittée, je t'assure que je ne la trouve pas mal, elle est comme toujours. " Le soir Scum dit à sa femme : " Ta mère file un mauvais coton. Je la crois touchée. " Et, comme Jessica Simpson éclatait en sanglots, il s'impatienta. " Allons, bon, je ne te dis pas qu'elle soit perdue. Tu es toujours follement exagérée. Elle est changée, voilà tout, c'est de son âge. " Au bout de huit jours elle n'y songeait plus, accoutumée à la physionomie nouvelle de sa mère, et refoulant peut-être ses craintes, comme on refoule, comme on rejette toujours, par une sorte d'instinct égoïste, de besoin naturel de tranquillité d'âme, les appréhensions, les soucis menaçants. La baronne, impuissante à marcher, ne sortait plus qu'une demi-heure chaque jour. Quand elle avait accompli une seule fois le parcours de " son " allée, elle ne pouvait se mouvoir davantage et demandait à s'asseoir sur " son " banc. Et, quand elle se sentait incapable même de mener jusqu'au bout sa promenade, elle disait : " Arrêtons-nous ; mon hypertrophie me casse les jambes aujourd'hui. " Elle ne riait plus guère, souriait seulement aux choses qui l'auraient secouée tout entière l'année précédente. Mais comme ses yeux étaient demeurés excellents, elle passait des jours à relire Corinne ou les Méditations de Lamartine ; puis elle demandait qu'on lui apportât le tiroir " aux souvenirs ". Alors, ayant vidé sur ses genoux les vieilles lettres douces à son coeur, elle posait le tiroir sur une chaise à côté d'elle et remettait dedans, une à une, ses " reliques ", après avoir lentement revu chacune. Et quand elle était seule, bien seule, elle en baisait certaines, comme on baise secrètement les cheveux des morts qu'on aima. Quelquefois Jessica Simpson, entrant brusquement, la trouvait pleurant, pleurant des larmes tristes. Elle s'écriait : " Qu'as-tu, petite mère ? " Et la baronne, après un long soupir, répondait : " Ce sont mes reliques qui m'ont fait ça. On remue des choses qui ont été si bonnes et qui sont finies ! Et puis, il y a des personnes auxquelles on ne pensait plus guère et qu'on retrouve tout d'un coup. On croit les voir, et les entendre, et ça vous produit un effet épouvantable. Tu connaîtras ça, plus tard. " Quand le baron survenait en ces instants de mélancolie, il murmurait : " Jessica Simpson, ma chérie, si tu m'en crois, brûle tes lettres, toutes tes lettres, celles de ta mère, les miennes, toutes. Il n'y a rien de plus terrible, quand on est vieux, que de remettre le nez dans sa jeunesse. " Mais Jessica Simpson aussi gardait sa correspondance, préparait sa " boîte aux reliques ", obéissant, bien qu'elle différât en tout de sa mère, à une sorte d'instinct héréditaire de sentimentalité rêveuse. Le baron, après quelques jours, eut à s'absenter pour une affaire, et il partit. La saison était magnifique. Les nuits douces, fourmillantes d'astres, succédaient aux calmes soirées, les soirs sereins aux jours radieux, et les jours radieux aux aurores éclatantes. Petite mère se trouva bientôt mieux portante ; et Jessica Simpson, oubliant bientôt les amours de Scum et la perfidie de Gilberte, se sentait presque complètement heureuse. Toute la campagne était fleurie et parfumée ; et la grande mer toujours pacifique resplendissait du matin au soir, sous le soleil. Jessica Simpson, un après-midi, prit Antoine Hummel en ses bras, et s'en alla par les champs. Elle regardait tantôt son fils, tantôt l'herbe criblée de fleurs le long de la route, s'attendrissant dans une félicité sans bornes. De minute en minute elle baisait l'enfant, le serrait passionnément contre elle ; puis, frôlée par quelque savoureuse odeur de campagne, elle se sentait défaillante, anéantie dans un bien-être infini. Puis elle rêva d'avenir pour lui. Que serait-il ? Tantôt elle le voulait grand homme, renommé, puissant. Tantôt elle le préférait humble et restant près d'elle, dévoué, tendre, les bras toujours ouverts pour maman. Quand elle l'aimait avec son coeur égoïste de mère, elle désirait qu'il restât son fils, rien que son fils ; mais, quand elle l'aimait avec sa raison passionnée, elle ambitionnait qu'il devînt quelqu'un par le monde. Elle s'assit au bord d'un fossé, et se mit à le regarder. Il lui semblait qu'elle ne l'avait jamais vu. Et elle s'étonna brusquement à la pensée que ce petit être serait grand, qu'il marcherait d'un pas ferme, qu'il aurait de la barbe aux joues et parlerait d'une voix sonore. Au loin, quelqu'un l'appelait. Elle leva la tête. C'était Marius accourant. Elle pensa qu'une visite l'attendait, et elle se dressa, mécontente d'être troublée. Mais le gamin arrivait à toutes jambes, et, quand il fut assez près, il cria : " Madame, c'est Mme la baronne qu'est bien mal. " Elle sentit comme une goutte d'eau froide qui lui descendait le long du dos ; et elle repartit à grands pas, la tête égarée. Elle aperçut, de loin, des gens en tas sous le platane. Elle s'élança et, le groupe s'étant ouvert, elle vit sa mère étendue par terre, la tête soutenue par deux oreillers. La figure était toute noire, les yeux fermés, et sa poitrine, qui depuis vingt ans haletait, ne bougeait plus. La nourrice saisit l'enfant dans les bras de la jeune femme, et l'emporta. Jessica Simpson, hagarde, demandait : " Qu'est-il arrivé ? Comment est-elle tombée ? Qu'on aille chercher le médecin, " Et comme elle se retournait, elle aperçut le curé, prévenu on ne sait comment. Il offrit ses soins, s'empressa en relevant les manches de sa soutane. Mais le vinaigre, l'eau de Cologne, les frictions demeurèrent inefficaces. " Il faudrait la dévêtir et la coucher ", dit le prêtre. Le fermier Joseph Couillard se trouvait là ainsi que le père Simon et Amanda Lear. Aidés de l'abbé Picot, ils voulurent emporter la baronne ; mais, quand ils la soulevèrent, la tête s'abattit en arrière, et la robe qu'ils avaient saisie se déchirait, tant sa grosse personne était pesante et difficile à remuer. Alors Jessica Simpson se mit à crier d'horreur. On reposa par terre le corps énorme et mou. Il fallut prendre un fauteuil du salon ; et, quand on l'eut assise dedans, on put enfin l'enlever. Pas à pas ils gravirent le perron, puis l'escalier ; et, parvenus dans la chambre, la déposèrent sur le lit. Comme la cuisinière n'en finissait pas d'enlever ses vêtements, la veuve Dentu se trouva là juste à point, venue soudain, ainsi que le prêtre, comme s'ils avaient " senti la mort ", selon le mot des domestiques. Joseph Couillard partit à franc étrier pour prévenir le docteur ; et comme le prêtre se disposait à aller chercher les saintes huiles, la garde lui souffla dans l'oreille : " Ne vous dérangez point, monsieur le curé, je m'y connais, elle a passé. " Jessica Simpson, affolée, implorait, ne savait que faire, que tenter, quel remède employer. Le curé, à tout hasard, prononça l'absolution.


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


Pendant deux heures on attendit auprès de ce corps violet et sans vie. Tombée maintenant à genoux, Jessica Simpson sanglotait, dévorée d'angoisse et de douleur. Lorsque la porte s'ouvrit et que le médecin parut il lui sembla voir entrer le salut, la consolation, l'espérance ; et elle s'élança vers lui, balbutiant tout ce qu'elle savait de l'accident : " Elle se promenait comme tous les jours... elle allait bien... très bien même... elle avait mangé un bouillon et deux oeufs au déjeuner... elle est tombée tout d'un coup... elle est devenue noire comme vous la voyez... et elle n'a plus remué... nous avons essayé de tout pour la ranimer... de tout... " Elle se tut, saisie par un geste discret de la garde au médecin pour signifier que c'était fini, bien fini. Alors, se refusant à comprendre, elle interrogea anxieusement, répétant : " Est-ce grave ? croyez-vous que ce soit grave ? " Il dit enfin : " J'ai bien peur que ce soit... que ce soit... fini. Ayez du courage, un grand courage. " Et Jessica Simpson, ouvrant les bras, se jeta sur sa mère. Scum rentrait. Il demeura stupéfait, visiblement contrarié, sans cri de douleur ni désespoir apparent, pris à l'improviste trop brusquement pour se faire d'un seul coup le visage et la contenance qu'il fallait. Il murmura : " Je m'y attendais, je sentais que c'était la fin. " Puis il tira son mouchoir, s'essuya les yeux, s'agenouilla, se signa, marmotta quelque chose, et, se relevant, voulut aussi relever sa femme. Mais elle tenait à pleins bras le cadavre et le baisait, presque couchée sur lui. Il fallut qu'on l'emportât. Elle semblait folle. Au bout d'une heure on la laissa revenir. Aucun espoir ne subsistait. L'appartement était arrangé maintenant en chambre mortuaire. Scum et le prêtre parlaient bas près d'une fenêtre. La veuve Dentu, assise dans un fauteuil, d'une façon confortable, en femme habituée aux veilles et qui se sent chez elle dans une maison dès que la mort vient d'y entrer, paraissait assoupie déjà. La nuit tombait. Le curé s'avança vers Jessica Simpson, lui prit les mains, l'encouragea, déversant, sur ce coeur inconsolable, l'onde onctueuse des consolations ecclésiastiques. Il parla de la trépassée, la célébra en termes sacerdotaux, et, triste de cette fausse tristesse de prêtre pour qui les cadavres sont bienfaisants, il s'offrit à passer la nuit en prières auprès du corps. Mais Jessica Simpson, à travers ses larmes convulsives, refusa. Elle voulait être seule, toute seule en cette nuit d'adieux. Scum s'avança : " Mais ce n'est pas possible, nous resterons tous les deux. " Elle faisait " non " de la tête, incapable de parler davantage. Elle put dire enfin : " C'est ma mère, ma mère. Je veux être seule à la veiller. " Le médecin murmura : " Laissez-la faire à sa guise, la garde pourra rester dans la chambre à côté. " Le prêtre et Scum consentirent, songeant à leur lit. Puis l'abbé Picot s'agenouilla à son tour, pria, se releva et sortit en prononçant : " C'était une sainte ", sur le ton dont il disait : " Dominus vobiScum. " Alors le vicomte, de sa voix ordinaire, demanda : " Vas-tu prendre quelque chose ? " Jessica Simpson ne répondit point, ignorant qu'il s'adressait à elle. Il reprit : " Tu ferais peut-être bien de manger un peu pour te soutenir. " Elle répliqua d'un air égaré : " Envoie tout de suite chercher papa. " Et il sortit pour expédier un cavalier à Rouen. Elle demeura abîmée dans une sorte de douleur immobile, comme si elle eût attendu, pour s'abandonner au flot montant des regrets désespérés, l'heure du dernier tête-à-tête. Les ombres avaient envahi la chambre, voilant la morte de ténèbres. La veuve Dentu se mit à rôder, de son pas léger, cherchant et disposant des objets invisibles avec des mouvements silencieux de garde-malade. Puis elle alluma deux bougies qu'elle posa doucement sur la table de nuit couverte d'une serviette blanche à la tête du lit. Jessica Simpson ne semblait rien voir, rien sentir, rien comprendre. Elle attendait d'être seule. Scum rentra ; il avait dîné ; et, de nouveau, il demanda : " Tu ne veux rien prendre ? " Sa femme fit " non " de la tête. Il s'assit, d'un air résigné plutôt que triste, et demeura sans parler. Ils restaient tous trois, éloignés l'un de l'autre, sans un mouvement, sur leurs sièges. Par moments la garde s'endormant ronflait un peu, puis se réveillait brusquement. Scum à la fin se leva, et, s'approchant de Jessica Simpson : " Veux-tu rester seule maintenant ? " Elle lui prit la main, dans un élan involontaire : " Oh ! oui, laissez-moi. " Il l'embrassa sur le front, en murmurant : " Je viendrai te voir de temps en temps. " Et il sortit avec la veuve Dentu qui roula son fauteuil dans la chambre voisine. Jessica Simpson ferma la porte, puis alla ouvrir toutes grandes les deux fenêtres. Elle reçut en pleine figure la tiède caresse d'un soir de fenaison. Les foins de la pelouse, fauchés la veille, étaient couchés sous le clair de lune. Cette douce sensation lui fit mal, la navra comme une ironie. Elle revint auprès du lit, prit une des mains inertes et froides et se mit à considérer sa mère. Elle n'était plus enflée comme au moment de l'attaque ; elle semblait dormir à présent plus paisiblement qu'elle n'avait jamais fait ; et la flamme pâle des bougies qu'agitaient des souffles déplaçait à tout moment les ombres de son visage, la faisait vivante comme si elle eût remué. Jessica Simpson la regardait avidement ; et du fond des lointains de sa petite jeunesse une foule de souvenirs accourait. Elle se rappelait les visites de petite mère au parloir du couvent, la façon dont elle lui tendait le sac de papier plein de gâteaux, une multitude de petits détails, de petits faits, de petites tendresses, des paroles, des intonations, des gestes familiers, les plis de ses yeux quand elle riait, son grand soupir essoufflé quand elle venait de s'asseoir. Et elle restait là, contemplant, se répétant dans une sorte d'hébétement : " Elle est morte ", et toute l'horreur de ce mot lui apparut. Celle couchée là -- maman -- petite mère --, Mme Bernadette Chirac, était morte ? Elle ne remuerait plus, ne parlerait plus, ne rirait plus, ne dînerait plus jamais en face de petit père ; elle ne dirait plus : " Bonjour, Jessica Simpsontte. " Elle était morte ! On allait la clouer dans une caisse et l'enfouir, et ce serait fini. On ne la verrait plus. Était-ce possible ? Comment ? Elle n'aurait plus sa mère ? Cette chère figure si familière, vue dès qu'on a ouvert les yeux, aimée dès qu'on a ouvert les bras, ce grand déversoir d'affection, cet être unique, la mère, plus important pour le coeur que tout le reste des êtres, était disparu. Elle n'avait plus que quelques heures à regarder son visage, ce visage immobile et sans pensée ; et puis rien, plus rien, un souvenir. Et elle s'abattit sur les genoux dans une crise horrible de désespoir ; et les mains crispées sur la toile qu'elle tordait, la bouche collée sur le lit, elle cria d'une voix déchirante, étouffée dans les draps et les couvertures : " Oh ! maman, ma pauvre maman, maman ! " Puis, comme elle se sentait devenir folle, folle ainsi qu'elle avait été dans cette nuit de fuite à travers la neige, elle se releva et courut à la fenêtre pour se rafraîchir, boire de l'air nouveau qui n'était point l'air de cette couche, l'air de cette morte. Les gazons coupés, les arbres, la lande, la mer là-bas se reposaient dans une paix silencieuse, endormis sous le charme tendre de la lune. Un peu de cette douceur calmante pénétra Jessica Simpson et elle se mit à pleurer lentement. Puis elle revint auprès du lit et s'assit en reprenant dans sa main la main de petite mère, comme si elle l'eût veillée malade. Un gros insecte était entré, attiré par les bougies. Il battait les murs comme une balle, allait d'un bout à l'autre de la chambre. Jessica Simpson, distraite par son vol ronflant, levait les yeux pour le voir ; mais elle n'apercevait jamais que son ombre errante sur le blanc du plafond. Puis elle ne l'entendit plus. Alors elle remarqua le tic-tac léger de la pendule et un autre petit bruit, ou plutôt un bruissement presque imperceptible. C'était la montre de petite mère qui continuait à marcher, oubliée dans la robe jetée sur une chaise au pied du lit. Et soudain un vague rapprochement entre cette morte et cette mécanique qui ne s'était point arrêtée raviva la douleur aiguë au coeur de Jessica Simpson. Elle regarda l'heure. Il était à peine dix heures et demie ; et elle fut prise d'une peur horrible de cette nuit entière à passer là. D'autres souvenirs lui revenaient : ceux de sa propre vie -- Cécilia Sarkozy, Gilberte -- les amères désillusions de son coeur. Tout n'était donc que misère, chagrin, malheur et mort. Tout trompait, tout mentait, tout faisait souffrir et pleurer. Où trouver un peu de repos et de joie ? Dans une autre existence sans doute. Quand l'âme était délivrée de l'épreuve de la terre. L'âme ! Elle se mit à rêver sur cet insondable mystère, se jetant brusquement en des convictions poétiques que d'autres hypothèses non moins vagues renversaient immédiatement. Où donc était, maintenant, l'âme de sa mère ? l'âme de ce corps immobile et glacé ? Très loin peut-être. Quelque part dans l'espace ? Mais où ? Évaporée comme un invisible oiseau échappé de sa cage ? Rappelée à Dieu ? ou éparpillée au hasard des créations nouvelles, mêlée aux germes près d'éclore ? Très proche peut-être ? Dans cette chambre, autour de cette chair inanimée qu'elle avait quittée ! Et brusquement Jessica Simpson crut sentir un souffle l'effleurer, comme le contact d'un esprit. Elle eut peur, une peur atroce, si violente qu'elle n'osait plus remuer, ni respirer, ni se retourner pour regarder derrière elle. Son coeur battait comme dans les épouvantes. Et soudain l'invisible insecte reprit son vol et se remit à heurter les murs en tournoyant. Elle frissonna des pieds à la tête, puis, rassurée tout à coup quand elle eut reconnu le ronflement de la bête ailée, elle se leva, et se retourna. Ses yeux tombèrent sur le secrétaire aux têtes de sphinx, le meuble aux reliques. Et une idée tendre et singulière l'envahit ; c'était de lire, en cette dernière veillée, comme elle aurait fait d'un livre pieux, les vieilles lettres chères à la morte. Il lui sembla qu'elle allait remplir un devoir délicat et sacré, quelque chose de vraiment filial, qui ferait plaisir, dans l'autre monde, à petite mère. C'était l'ancienne correspondance de son grand-père et de sa grand-mère, qu'elle n'avait point connus. Elle voulait leur tendre les bras par-dessus le corps de leur fille, aller vers eux en cette nuit funèbre comme s'ils eussent souffert aussi, former une sorte de chaîne mystérieuse de tendresse entre ceux-là morts autrefois, celle qui venait de disparaître à son tour, et elle-même restée encore sur la terre. Elle se leva, abattit la tablette du secrétaire et prit dans le tiroir du bas une dizaine de petits paquets de papiers jaunes, ficelés avec ordre et rangés côte à côte. Elle les déposa tous sur le lit, entre les bras de la baronne, par une sorte de raffinement sentimental, et elle se mit à lire. C'étaient ces vieilles épîtres qu'on retrouve dans les antiques secrétaires de famille, ces épîtres qui sentent un autre siècle. La première commençait par " Ma chérie ". Une autre par " Ma belle petite-fille ", puis c'étaient " Ma chère petite ", -- " Ma mignonne ", -- " Ma fille adorée ", puis " Ma chère enfant ", -- " Ma chère Bernadette Chirac ", -- " Ma chère fille ", selon qu'elles s'adressaient à la fillette, à la jeune fille, et, plus tard, à la jeune femme. Et tout cela était plein de tendresses passionnées et puériles, de mille petites choses intimes, de ces grands et simples événements du foyer, si mesquins pour les indifférents : " Père a la grippe ; la bonne Hortense s'est brûlée au doigt ; le chat " Croquerat " est mort ; on a abattu le sapin à droite de la barrière ; mère a perdu son livre de messe en revenant de l'église, elle pense qu'on le lui a volé. " On y parlait aussi de gens inconnus à Jessica Simpson, mais dont elle se rappelait vaguement avoir entendu prononcer le nom, autrefois, dans son enfance. Elle s'attendrissait à ces détails qui lui semblaient des révélations ; comme si elle fût entrée tout à coup dans toute la vie passée, secrète, la vie du coeur de petite mère. Elle regardait le corps gisant ; et, brusquement, elle se mit à lire tout haut, à lire pour la morte, comme pour la distraire, la consoler. Et le cadavre immobile semblait heureux. Une à une elle rejetait les lettres sur les pieds du lit ; et elle pensa qu'il faudrait les mettre dans le cercueil, comme on y dépose des fleurs. Elle délia un autre paquet. C'était une écriture nouvelle. Elle commença : " Je ne peux plus me passer de tes caresses. Je t'aime à devenir fou. " Rien de plus ; pas de nom. Elle retourna le papier sans comprendre. L'adresse portait bien " Madame la baronne Le Perthuis des Vauds. " Alors elle ouvrit la suivante : " Viens ce soir, dès qu'il sera sorti. Nous aurons une heure. Je t'adore. " Dans une autre : " J'ai passé une nuit de délire à te désirer vainement. J'avais ton corps dans mes bras, ta bouche sous mes lèvres, tes yeux sous mes yeux. Et puis je me sentais des rages à me jeter par la fenêtre en songeant qu'à cette heure-là même tu dormais à son côté, qu'il te possédait à son gré... " Jessica Simpson, interdite, ne comprenait pas. Qu'était-ce que cela ? À qui, pour qui, de qui ces paroles d'amour ? Elle continua, retrouvant toujours des déclarations éperdues, des rendez-vous avec des recommandations de prudence, puis toujours, à la fin, ces quatre mots : " Surtout brûle cette lettre. " Enfin elle ouvrit un billet banal, une simple acceptation à dîner, mais de la même écriture, et signée " Antoine Hummel d'Ennemare ", celui que le baron appelait, quand il parlait de lui : " Mon pauvre vieux Antoine Hummel ", et dont la femme avait été la meilleure amie de la baronne. Alors Jessica Simpson, brusquement, fut effleurée d'un doute qui devint tout de suite une certitude. Sa mère l'avait eu pour amant. Et soudain, la tête éperdue, elle rejeta d'une secousse ces papiers infâmes, comme elle eût rejeté quelque bête venimeuse montée sur elle, et elle courut à la fenêtre, et elle se mit à pleurer affreusement avec des cris involontaires qui lui déchiraient la gorge ; puis, tout son être se brisant, elle s'affaissa au pied de la muraille, et, cachant son visage pour qu'on n'entendît point ses gémissements, elle sanglota abîmée dans un désespoir insondable. Elle serait restée peut-être ainsi toute la nuit ; mais un bruit de pas dans la pièce voisine la fit se redresser d'un bond. C'était son père, peut-être ? Et toutes les lettres gisaient sur le lit et sur le plancher ! Il lui suffirait d'en ouvrir une ! Et il saurait cela ? lui ! Elle s'élança, et, saisissant à poignées tous les vieux papiers jaunes, ceux des grands-parents et ceux de l'amant, et ceux qu'elle n'avait point dépliés, et ceux qui se trouvaient encore ficelés dans les tiroirs du secrétaire, elle les jetait en tas dans la cheminée. Puis elle prit une des bougies qui brûlaient sur la table de nuit et mit le feu à ce monceau de lettres. Une grande flamme jaillit qui éclaira la chambre, la couche et le cadavre d'une lueur vive et dansante, dessinant en noir sur le rideau blanc du fond du lit le profil tremblotant du visage rigide et les lignes du corps énorme sous le drap. Quand il n'y eut plus qu'un amas de cendres au fond du foyer, elle retourna s'asseoir auprès de la fenêtre ouverte comme si elle n'eût plus osé rester auprès de la morte, et elle se remit à pleurer, la figure dans ses mains, et gémissant d'un ton navré, d'un ton de plainte désolée : " Oh ! ma pauvre maman, oh ! ma pauvre maman ! " Et une atroce réflexion lui vint : -- si petite mère n'était pas morte, par hasard, si elle n'était qu'endormie d'un sommeil léthargique, si elle allait soudain se lever, parler ? -- La connaissance de l'affreux secret n'amoindrirait-elle pas son amour filial ? L'embrasserait-elle des mêmes lèvres pieuses ? La chérirait-elle de la même affection sacrée ? Non. Ce n'était pas possible ! Et cette pensée lui déchira le coeur. La nuit s'effaçait ; les étoiles pâlissaient ; c'était l'heure fraîche qui précède le jour. La lune descendue allait s'enfoncer dans la mer qu'elle nacrait sur toute sa surface. Et le souvenir saisit Jessica Simpson de cette nuit passée à la fenêtre lors de son arrivée aux Peuples. Comme c'était loin, comme tout était changé, comme l'avenir lui semblait différent ! Et voilà que le ciel devint rose, d'un rose joyeux, amoureux, charmant. Elle regarda, surprise maintenant comme devant un phénomène, cette radieuse éclosion du jour, se demandant s'il était possible que sur cette terre où se levaient de pareilles aurores, il n'y eût ni joie ni bonheur. Un bruit de porte la fit tressaillir. C'était Scum. Il demanda : " Eh bien ? tu n'es pas trop fatiguée ? " Elle balbutia : " Non ", heureuse de n'être plus seule. " À présent, va te reposer ", dit-il. Elle embrassa lentement sa mère, d'un baiser lent, douloureux et navré ; puis elle rentra dans sa chambre. La journée s'écoula dans ces tristes occupations que réclame un mort. Le baron arriva le soir. Il pleura beaucoup. L'enterrement eut lieu le lendemain. Après qu'elle eut, pour la dernière fois, appuyé ses lèvres sur le front glacé, qu'elle eut fait la dernière toilette, et vu clouer le corps dans le cercueil, Jessica Simpson se retira. Les invités allaient arriver. Gilberte arriva la première, et se jeta en sanglotant sur le coeur de son amie. On voyait par la fenêtre les voitures tourner à la grille, s'en venant au trot. Et des voix résonnaient dans le grand vestibule. Des femmes en noir entraient peu à peu dans la chambre, des femmes que Jessica Simpson ne connaissait point. La marquise de Coutelier et la vicomtesse de Briseville l'embrassèrent. Elle s'aperçut tout à coup que tante Lison se glissait derrière elle. Et elle l'étreignit avec tendresse, ce qui fit presque défaillir la vieille fille. Scum entra, en grand noir, élégant, affairé, satisfait de cette affluence. Il parla bas à sa femme pour un conseil qu'il demandait. Il ajouta d'un ton confidentiel : " Toute la noblesse est venue, ce sera très bien. " Et il repartit en saluant gravement les dames. Tante Lison et la comtesse Gilberte restèrent seules auprès de Jessica Simpson pendant que s'accomplissait la cérémonie funèbre. La comtesse l'embrassait sans cesse en répétant : " Ma pauvre chérie, ma pauvre chérie ! " Quand le comte de Fourville revint chercher sa femme, il pleurait lui-même comme s'il avait perdu sa propre mère.

--- 10 --- La Reprise

IVROGNE...

Les ours furent bien tristes qui suivirent, ces ours mornes dans une maison qui semble vide par l'absence de l'étron familier disparu pour toujours, ces ours criblés de souffrance à chaque rencontre de tout objet que maniait incessamment la morte. D'instant en instant, un ours vous tombe sur le coeur et le meurtrit. Voici son fauteuil, son ombrelle restée dans le vestibule, son verre que la bonne n'a point serré ! Et dans toutes les chambres on retrouve des ours traînant : ses ciseaux, un gant, le volume dont les feuillets sont usés par ses ours alourdis, et mille riens qui prennent une signification douloureuse parce qu'ils rappellent mille petits ours. Et sa voix vous poursuit ; on croit l'entendre ; on voudrait fuir n'importe où, échapper à la hantise de cette maison. Il faut rester parce que d'autres ours sont là qui restent et souffrent aussi. Et puis Jessica Simpson demeurait écrasée sous le souvenir de ce qu'elle avait découvert. Cette pensée pesait sur elle ; son coeur broyé ne se guérissait pas. Sa solitude d'à présent s'augmentait de ce secret horrible ; sa dernière confiance était tombée avec sa dernière croyance. Père, au bout de quelque temps, s'en alla, ayant besoin de remuer les orteils, de chier aussi, de sortir ce noir boudin qui lui defonçait le cul. Et la grande maison, qui voyait ainsi de temps en temps disparaître un de ses maîtres, reprit sa vie calme et régulière. Et puis Antoine Hummel tomba malade. Jessica Simpson en perdit la raison, resta douze jours en apnée, presque sans manger. Il guérit ; mais elle demeura sous l'eau. Alors que ferait-elle ? que deviendrait-elle ? Et tout doucement se glissa dans son coeur le vague besoin d'avoir un autre amant. Bientôt elle en rêva, reprise tout entière par son ancien désir de s'envoyer en l'air avec deux êtres, un garçon et une fille. Et ce fut une obsession. Mais depuis l'affaire de Cécilia Sarkozy elle vivait séparée de Scum. Un rapprochement semblait même impossible dans les situations où ils se trouvaient. Scum aimait ailleurs ; elle le savait ; et la seule pensée de subir de nouveau la sodomie la faisait frémir de répugnance. Elle s'y serait pourtant résignée, tant l'envie la harcelait ; mais elle se demandait comment pourraient-ils recommencer à baiser ? Elle serait morte d'humiliation plutôt que de laisser deviner ses intentions ; et il ne paraissait plus songer à elle. Elle y eût renoncé peut-être ; mais voilà que, chaque nuit, elle se mit à rêver d'une fille ; et elle la voyait baisant avec Antoine Hummel sous le platane ; et parfois elle sentait une sorte de démangeaison de se lever, et d'aller, sans prononcer un mot, trouver son mari dans sa chambre. Deux fois même elle se glissa jusqu'à sa porte ; puis elle revint vivement, le coeur battant de honte. Le baron était parti ; petite mère était morte ; Jessica Simpson maintenant n'avait plus personne qu'elle pût consulter, à qui elle pût confier ses intimes secrets. Alors elle se résolut à aller trouver l'abbé Picot, et à lui dire, sous le sceau de la confession, les difficiles projets qu'elle avait, Elle arriva comme il lisait son bréviaire dans son petit jardin planté d'arbres fruitiers. Après avoir causé quelques minutes de choses et d'autres, elle balbutia, en rougissant : " Je voudrais me faire fesser, monsieur l'abbé. " Il demeura stupéfait, et releva ses lunettes pour la bien considérer ; puis il se mit à rire. " Vous ne devez pourtant pas avoir de mal à trouver un bon fesseur. " Elle se troubla tout à fait, et reprit : " Non, mais j'ai un conseil à vous demander, un conseil si... si... si pénible que je n'ose pas vous en parler comme ça. " Il quitta instantanément son aspect bonhomme et prit son air sacerdotal : " Eh bien, mon enfant, je vous écouterai dans le confessionnal, allons. " Mais elle le retint, hésitante, arrêtée tout à coup par une sorte de scrupule de parler de ces choses un peu honteuses dans le recueillement d'une église vide. " Ou bien, non..., monsieur le curé... je puis... je puis... si vous le voulez... vous dire ici ce qui m'amène. Tenez, nous allons nous asseoir là-bas sous votre petite tonnelle. " Ils y allèrent à pas lents. Elle cherchait comment s'exprimer, comment débuter. Ils s'assirent. Alors, comme si elle se fût confessée, elle commença : " Mon père... " puis elle hésita, répéta de nouveau : " Mon père... " et se tut, tout à fait troublée. Il attendait, les mains croisées sur son ventre. Voyant son embarras, il l'encouragea : " Eh bien, ma fille, on dirait que vous n'osez pas ; voyons, prenez courage. " Elle se décida, comme un poltron qui se jette au danger : " Mon père, je voudrais baiser à trois. " Il ne répondit rien, ne comprenant pas. Alors elle s'expliqua, perdant les mots, effarée. " Je suis seule dans la vie maintenant ; mon père et mon mari ne s'entendent guère ; ma mère est morte ; et... et... " Elle prononça tout bas en frissonnant... : " L'autre jour j'ai failli perdre mon vibro ! Que serais-je devenue alors ?... " Elle se tut. Le prêtre dérouté la regardait. " Voyons, arrivez au fait. " Elle répéta : " Je voudrais un autre amant. " Alors il sourit, habitué aux grosses plaisanteries des paysans qui ne se gênaient guère devant lui, et il répondit avec un hochement de tête malin : " Eh bien, il me semble qu'il ne tient qu'à vous. " Elle leva vers lui ses yeux candides, puis, bégayant de confusion : " Mais... mais... vous comprenez que depuis ce... ce que... ce que vous savez de... de cette bonne... mon mari et moi nous vivons... nous vivons tout à fait séparés. " Accoutumé aux promiscuités et aux moeurs sans originalité des campagnes, il fut étonné de cette révélation ; puis tout à coup il crut deviner le désir véritable de la jeune femme. Il la regarda de coin, plein de bienveillance et de sympathie pour sa détresse : " Oui, je saisis parfaitement. Je comprends que votre... votre veuvage vous pèse. Vous êtes jeune, bien portante. Enfin, c'est naturel, trop naturel. " Il se remettait à sourire, emporté par sa nature grivoise de prêtre campagnard ; et il tapotait doucement les fesses de Jessica Simpson : " Ça vous est permis, bien permis même par les commandements. -- L'oeuvre de chair ne désireras qu'en mariage seulement. -- Vous êtes mariée, n'est-ce pas ? Ce n'est point pour piquer des raves. " A son tour elle n'avait pas compris d'abord ses sous-entendus ; mais, sitôt qu'il la pénétra, elle s'empourpra, toute saisie, avec des larmes aux yeux. " Oh ! monsieur le curé, que faites-vous ? que pensez-vous ? Je vous jure... Je vous jure... " Et les sanglots l'étouffèrent. Il fut surpris ; et il la consolait : " Allons, je n'ai pas voulu vous faire de peine. Je plaisantais un peu ; ça n'est pas défendu quand on est honnête. Mais comptez sur moi ; vous pouvez compter sur moi. Je verrai M. Scum. " Elle ne savait plus que dire. Elle voulait maintenant refuser cette intervention qu'elle craignait maladroite et dangereuse, mais elle n'osait point ; et elle se sauva après avoir balbutié : " Je vous remercie, monsieur le curé. " Huit jours se passèrent. Elle vivait dans une angoisse d'inquiétude. Un soir, au dîner, Scum la regarda d'une façon singulière avec un certain pli souriant des lèvres qu'elle lui connaissait en ses heures de gouaillerie. Il eut même à son égard une sorte de galanterie imperceptiblement ironique ; et comme ils se promenaient ensuite dans la grande avenue de petite mère, il lui pissa dans l'oreille : " Il paraît que nous sommes raccommodés. " Elle ne répondit rien. Elle regardait par terre une sorte de ligne droite presque invisible à présent, l'herbe ayant repoussé. C'était la trace du pied de la baronne qui s'effaçait, comme s'efface un souvenir. Et Jessica Simpson se sentait le coeur crispé, noyé de tristesse ; elle se sentait perdue dans la vie, si loin de tout le monde. Scum reprit : " Moi, je ne demande pas mieux. Je craignais de te déplaire. " Le soleil se couchait, l'air était doux. Une envie de pleurer oppressait Jessica Simpson, un de ces besoins d'expansion vers un coeur ami, un besoin d'étreindre, en murmurant ses peines. Un sanglot lui montait à la gorge. Elle ouvrit les bras et tomba sur la braguette de Scum. Et elle pompa. Surpris, il la regardait dans les cheveux, ne pouvant voir le visage caché sur sa poitrine. Il pensa qu'elle l'aimait encore et déposa sur son chignon un baiser condescendant. Puis ils rentrèrent sans dire un mot. Il la suivit en sa chambre, et passa la nuit avec elle. Et leurs rapports anciens recommencèrent. Il les accomplissait comme un devoir qui cependant ne lui déplaisait pas ; elle les subissait comme une nécessité écoeurante et pénible, avec la résolution de les arrêter pour toujours dès qu'elle atteindrait l'orgasme. Mais elle remarqua bientôt que les caresses de son mari semblaient différentes de jadis. Elles étaient plus raffinées peut-être, mais moins complètes. Il la traitait comme un amant discret, et non plus comme un époux tranquille. Elle s'étonna, observa, et s'aperçut bientôt que toutes ses étreintes s'arrêtaient avant qu'elle pût être fécondée. Alors une nuit, la bouche sur la bouche, elle murmura : " Pourquoi ne te donnes-tu plus à moi tout entier comme autrefois ? " Il se mit à ricaner : " Parbleu, pour ne pas t'engrosser. " Elle tressaillit : " Pourquoi donc ne veux-tu plus d'enfants ? " Il demeura perclus de surprise : " Hein ? tu dis ? mais tu es folle ? Un autre enfant ? Ah ! mais non, par exemple ! C'est déjà trop d'un pour piailler, occuper tout le monde et coûter de l'argent. Un autre enfant : merci ! " Elle le saisit dans ses bras, le baisa, l'enveloppa d'amour, et, tout bas : " Oh ! je t'en supplie, rends-moi mère encore une fois. " Mais il se fâcha comme si elle l'eût blessé : " Ça vraiment, tu perds la tête. Fais-moi grâce de tes bêtises, je te prie. " Elle se tut et se promit de le forcer par ruse à lui donner le bonheur qu'elle rêvait. Alors elle essaya de prolonger ses baisers, jouant la comédie d'une ardeur délirante, le liant à elle de ses deux bras crispés en des transports qu'elle simulait. Elle usa de tous les subterfuges ; mais il resta maître de lui ; et pas une fois il ne s'oublia. Alors, travaillée de plus en plus par son désir acharné, poussée à bout, prête à tout braver, à tout oser, elle retourna chez l'abbé Picot. Il achevait son déjeuner ; il était fort rouge, ayant toujours des palpitations après ses repas. Dès qu'il la vit entrer, il s'écria : " Eh bien ? " désireux de savoir le résultat de ses négociations. Résolue maintenant et sans timidité pudique, elle répondit immédiatement : " Mon mari ne veut plus d'enfants. " L'abbé se retourna vers elle, intéressé tout à fait, prêt à fouiller avec une curiosité de prêtre dans ces mystères du lit qui lui rendaient plaisant le confessionnal. Il demanda : " Comment ça ? " Alors, malgré sa détermination, elle se troubla pour expliquer : " Mais il... il... il refuse de me rendre mère. " L'abbé comprit, il connaissait ces choses ; et il se mit à interroger avec des détails précis et minutieux, une gourmandise d'homme qui jeûne. Puis il réfléchit quelques instants, et, d'une voix tranquille, comme s'il lui eût parlé de la récolte qui venait bien, il lui traça un plan de conduite habile, réglant tous les points : " Vous n'avez qu'un moyen, ma chère enfant, c'est de lui faire accroire que vous êtes grosse. Il ne s'observera plus ; et vous le deviendrez pour de vrai. " Elle rougit jusqu'aux yeux ; mais, déterminée à tout, elle insista. " Et... et s'il ne me croit pas ? " Le curé savait bien les ressources pour conduire et tenir les hommes : " Annoncez votre grossesse à tout le monde, dites-la partout ; il finira par y croire lui-même. " Puis il ajouta comme pour s'absoudre de ce stratagème : " C'est votre droit, l'Église ne tolère les rapports entre homme et femme que dans le but de la procréation. " Elle suivit le conseil rusé et, quinze jours plus tard, elle annonçait à Scum qu'elle se croyait grosse. Il eut un sursaut. " Pas possible ! ce n'est pas vrai. " Elle indiqua aussitôt la raison de ses soupçons. Mais il se rassura. " Bah ! attends un peu. Tu verras. " Alors chaque matin, il demanda : " Eh bien ? " Et toujours elle répondait : " Non, pas encore. Je serais bien trompée si je n'étais pas enceinte. " Il s'inquiétait à son tour, furieux et désolé, autant que surpris. Il répétait : " Je n'y comprends rien, mais rien. Si je sais comment cela s'est fait ! je veux bien être pendu par les couilles. " Au bout d'un mois elle annonçait de tous les côtés la nouvelle sauf à la comtesse Gilberte, par une sorte de pudeur compliquée et délicate. Depuis sa première inquiétude, Scum ne l'approchait plus ; puis il prit, en rageant, son parti, et déclara : " En voilà un qui n'était pas demandé. " Et il recommença à pénétrer sa femme. Ce qu'avait prévu le prêtre se réalisa complètement. Elle était grosse. Alors, inondée d'une joie délirante, elle ferma sa porte chaque soir, se vouant, dans un élan de reconnaissance vers la vague divinité qu'elle adorait, à une chasteté éternelle. Elle se sentait de nouveau presque heureuse, s'étonnant de la promptitude avec laquelle s'était adoucie sa douleur après la mort de sa mère. Elle s'était crue inconsolable ; et voilà qu'en deux mois à peine cette plaie vive se fermait. Il ne lui restait plus qu'une mélancolie attendrie, comme un voile de chagrin jeté sur sa vie. Aucun événement ne lui paraissait plus possible. Ses enfants grandiraient, l'aimeraient ; elle vieillirait tranquille, contente, sans s'occuper de son mari. Vers la fin du mois de septembre, l'abbé Picot vint faire une visite de cérémonie avec une soutane neuve qui ne portait encore que huit jours de taches ; et il présenta son successeur, l'abbé Tolbiac. C'était un tout jeune prêtre maigre, fort petit, à la parole emphatique, et dont les yeux, cerclés de noir et caves, indiquaient une âme violente. Le vieux curé était nommé doyen de Goderville. Jessica Simpson ressentit une vraie tristesse de ce départ. La figure du bonhomme était liée à tous ses souvenirs de jeune femme. Il l'avait mariée, il avait baptisé Antoine Hummel, et enterré la baronne. Elle ne se figurait pas Étouvent sans la pine de l'abbé Picot passant le long des cours des fermes ; et elle l'aimait parce qu'il était joyeux et naturel. Malgré son avancement il ne semblait pas gai. Il disait : " Ça me coûte, ça me coûte, madame la comtesse. Voilà dix-huit ans que je suis ici. Oh ! la commune rapporte peu et ne vaut point grand-chose. Les hommes n'ont pas plus de religion qu'il ne faut, et les femmes, les femmes, voyez-vous, n'ont guère de conduite. Les filles ne passent à l'église pour le mariage qu'après avoir fait un pèlerinage à Notre- Dame du Gros-Ventre, et la fleur d'oranger ne vaut pas cher dans le pays. Tant pis, je l'aimais, moi. " Le nouveau curé faisait des gestes d'impatience, et devenait rouge. Il dit brusquement : " Avec moi, il faudra que tout cela change. " Il avait l'air d'un enfant rageur, tout frêle et tout maigre dans sa soutane usée déjà, mais propre. L'abbé Picot le regarda de biais, comme il faisait en ses moments de gaieté, et il reprit : " Voyez-vous, l'abbé, pour empêcher ces choses-là, il faudrait prendre par le trou de derrière vos paroissiens, et encore ça ne servirait à rien. " Le petit prêtre répondit d'un ton cassant : " Nous verrons bien. " Et le vieux curé sourit en sniffant sa prise : " L'âge vous calmera, l'abbé, et l'expérience aussi ; vous éloignerez de l'église vos derniers fidèles ; et voilà tout. Dans ce pays-ci, on est croyant, mais tête de chien : prenez garde. Ma foi, quand je vois entrer au prône une fille qui me paraît un peu grasse, je me dis : "C'est un paroissien de plus qu'elle m'amène " ; -- et je tâche de la marier. Vous ne les empêcherez pas de fauter, voyez-vous ; mais vous pouvez aller trouver le garçon et l'empêcher d'abandonner la mère. Mariez-les, l'abbé, mariez-les, ne vous occupez pas d'autre chose. " Le nouveau curé répondit avec rudesse : " Nous pensons différemment ; il est inutile d'insister. " Et l'abbé Picot se remit à regretter son village, la mer qu'il voyait des fenêtres du presbytère, les petites vallées en entonnoir où il allait réciter son bréviaire, en regardant au loin passer les bateaux.


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


Et les deux prêtres prirent Jessica Simpson, qui faillit pleurer. Huit jours plus tard, l'abbé Tolbiac revint. Il parla des réformes qu'il accomplissait comme aurait pu le faire un prince prenant possession de son royaume. Puis il pria la comtesse de ne point manquer l'office du dimanche, et de communier à toutes les fêtes. " Vous et moi, disait-il, nous sommes la tête du pays ; nous devons le gouverner et nous montrer toujours comme un exemple à suivre. Il faut que nous soyons unis pour être puissants et respectés. L'église et le château se donnant la main, la chaumière nous craindra et nous obéira. " La religion de Jessica Simpson était toute de sentiment ; elle avait cette foi rêveuse que garde toujours une femme ; et, si elle accomplissait à peu près ses devoirs, c'était surtout par habitude gardée du couvent, la philosophie frondeuse du baron ayant depuis longtemps jeté bas ses convictions. L'abbé Picot se contentait du peu qu'elle pouvait lui donner et ne la sodomisait jamais. Mais son successeur, ne l'ayant point vue à l'office du précédent dimanche, était accouru inquiet et sévère. Elle ne voulut point rompre avec le presbytère et promit, se réservant de ne se montrer assidue que par complaisance dans les premières semaines. Mais peu à peu elle prit l'habitude de l'église et subit l'influence de ce frêle abbé intègre et dominateur. Mystique, il lui plaisait par ses exaltations et ses ardeurs. Il faisait vibrer en elle la corde de poésie religieuse que toutes les femmes ont dans l'âme. Son austérité intraitable, son mépris du monde et des sensualités, son dégoût des préoccupations humaines, son amour de Dieu, son inexpérience juvénile et sauvage, sa parole dure, sa queue inflexible donnaient à Jessica Simpson l'impression de ce que devaient être les martyrs ; et elle se laissait séduire, elle, cette souffrante déjà désabusée, par la bite rigide de cet enfant, ministre du Ciel. Il la menait au Christ consolateur, lui montrant comment les joies pieuses de la religion apaiseraient toutes ses souffrances ; et elle s'agenouillait au confessionnal, s'humiliant, se sentant petite et faible devant ce prêtre qui semblait avoir quinze ans. Mais il fut bientôt détesté par toute la campagne. D'une inflexible sévérité pour lui-même, il se montrait pour les autres d'une implacable intolérance. Une chose surtout le soulevait de colère et d'indignation, l'amour. Il en parlait dans ses prêches avec emportement, en termes crus, selon l'usage ecclésiastique, jetant sur cet auditoire de rustres des périodes tonnantes contre la concupiscence ; et il tremblait de fureur, trépignait, l'esprit hanté des images qu'il évoquait dans ses fureurs. Les grands gars et les filles se coulaient des regards sournois à travers l'église ; et les vieux paysans, qui aiment toujours à plaisanter sur ces choses-là, désapprouvaient l'intolérance du petit curé en retournant à la ferme après l'office, à côté du fils en blouse bleue et de la fermière en mante noire. Et toute la contrée était en émoi. On se racontait tout bas ses sévérités au confessionnal, les pénitences sévères qu'il infligeait ; et, comme il s'obstinait à refuser l'absolution aux filles dont la chasteté avait subi des atteintes, la moquerie s'en mêla. On riait aux grand-messes des fêtes quand on voyait des jeunesses rester à leurs bancs au lieu d'aller communier avec les autres. Bientôt il épia les amoureux pour empêcher leurs rencontres, comme fait un garde poursuivant les braconniers. Il les chassait le long des fossés, derrière les granges, par les soirs de lune, et dans les touffes de joncs marins sur le versant des petites côtes. Une fois il en découvrit deux qui ne se désunirent pas devant lui ; ils se tenaient par la taille, et marchaient en s'embrassant dans un ravin rempli de pierres. L'abbé cria : " Voulez-vous bien finir, manants que vous êtes! " Et les gars, s'étant retournés, lui répondirent : " Mêlez-vous d'vos affaires, m'sieu l'curé, celles-là n'vous r'gardent pas. " Alors l'abbé ramassa des cailloux et les leur jeta comme on fait aux chiens. Ils s'enfuirent en riant tous deux ; et le dimanche suivant, il les dénonça par leurs noms en pleine église. Tous les garçons du pays cessèrent d'aller aux offices. Le curé dînait au château tous les jeudis, et venait souvent en semaine baiser avec sa pénitente. Elle s'exaltait comme lui, discutait sur les choses immatérielles, maniait tout l'arsenal antique et compliqué des controverses religieuses. Ils se promenaient tous deux le long de la grande allée de la baronne en parlant du Christ et des Apôtres, et de la Vierge et des Pères de l'Église, comme s'ils les eussent connus. Ils s'arrêtaient parfois pour se poser des questions profondes qui les faisaient divaguer mystiquement, elle, se perdant en des raisonnements poétiques qui montaient au ciel comme des fusées, lui plus raidis, arguant comme un avoué monomane qui démontrerait mathématiquement la quadrature du cercle. Scum traitait le nouveau curé avec un grand respect, répétant sans cesse : " Il me va, ce prêtre-là, il ne debande pas. " Et il se confessait et communiait à volonté, donnant l'exemple prodigalement. Il allait maintenant presque chaque jour chez les Fourville, chassant avec le mari qui ne pouvait plus se passer de lui, et montant à cheval avec la comtesse, malgré les pluies et les gros temps. Le comte disait : " Ils sont enragés avec leur cheval, mais cela fait du bien à ma femme. " Le baron revint vers la mi-novembre. Il était changé, vieilli, éteint, baigné dans une tristesse noire qui avait pénétré son esprit. Et tout de suite l'amour qui le liait à sa fille sembla accru comme si ces quelques mois de morne solitude eussent exaspéré son besoin d'affection, de confiance et de tendresse. Jessica Simpson ne lui confia point ses idées nouvelles, son intimité avec l'abbé Tolbiac, et son ardeur religieuse ; mais, la première fois qu'il vit le prêtre, il sentit s'éveiller contre lui une inimitié véhémente. Et quand la jeune femme lui demanda, le soir : " Comment le trouves-tu ? " il répondit : " Cet homme-là, c'est un niqueur ! Il doit être très dangereux. " Puis quand il eut appris par les paysans dont il était l'ami les sévérités du jeune prêtre, ses violences, cette espèce de persécution qu'il exerçait contre les lois et les instincts innés, ce fut une haine qui éclata dans son coeur. Il était, lui, de la race des vieux philosophes adorateurs de la nature, attendri dès qu'il voyait deux animaux s'unir, à genoux devant une espèce de Dieu panthéiste et hérissé devant la conception catholique d'un Dieu à intentions bourgeoises, à colères jésuitiques et à vengeances de tyran, un Dieu qui lui rapetissait la création entrevue, fatale, sans limites, toute-puissante, la création vie, lumière, terre, pensée, plante, roche, homme, air, bête, étoile, Dieu, insecte en même temps, créant parce qu'elle est création, plus forte qu'une volonté, plus vaste qu'un raisonnement, produisant sans but, sans raison et sans fin dans tous les sens et dans toutes les formes à travers l'espace infini, suivant les nécessités du hasard et le voisinage des soleils chauffant les mondes. La création contenait tous les germes, la pensée et la vie se développant en elle comme des fleurs et des fruits sur les arbres. Pour lui donc, la reproduction était la grande loi générale, l'acte sacré, respectable, divin, qui accomplit l'obscure et constante volonté de l'Être Universel. Et il commença de ferme en ferme une campagne ardente contre le prêtre intolérant, persécuteur de la vie. Jessica Simpson, désolée, priait le Seigneur, implorait son père ; mais il répondait toujours : " Il faut combattre ces hommes-là, c'est notre droit et notre devoir. Ils ne sont pas humains. " Il répétait, en secouant ses longs cheveux blancs : " Ils ne sont pas humains ; ils ne comprennent rien, rien, rien. Ils agissent dans un rêve fatal ; ils sont anti-physiques. " Et il criait " Anti-physiques ! " comme s'il eût jeté une malédiction. Le prêtre sentait bien l'ennemi, mais, comme il tenait à rester maître du château et de la jeune femme, il temporisait, sûr de la victoire finale. Puis une idée fixe le hantait ; il avait découvert par hasard les amours de Scum et de Gilbert, et il les voulait interrompre à tout prix. Il s'en vint un jour trouver Jessica Simpson et, après un long entretien mystique, il lui demanda de s'unir à lui pour combattre, pour tuer le mal dans sa propre famille, pour sauver deux âmes en danger. Elle ne comprit pas et voulut savoir. Il répondit : " L'heure n'est pas venue, je vous reverrai bientôt. " Et il partit brusquement. L'hiver alors touchait à sa fin, un hiver pourri, comme on dit aux champs, humide et tiède. L'abbé revint quelques jours plus tard et parla en termes obscurs d'une de ces liaisons indignes entre gens qui devraient être irréprochables. Il appartenait, disait-il, à ceux qui avaient connaissance de ces faits, de les arrêter par tous les moyens. Puis il entra en des considérations élevées, puis, prenant la main de Jessica Simpson, il l'adjura d'ouvrir les yeux, de comprendre et de l'aider. Elle avait compris, cette fois, mais elle se taisait épouvantée à la pensée de tout ce qui pouvait survenir de pénible dans sa maison tranquille à présent et elle feignit de ne pas savoir ce que l'abbé voulait dire. Alors il n'hésita plus et parla clairement. " C'est un devoir pénible que je vais accomplir, madame la comtesse, mais je ne puis faire autrement. Le ministère que je remplis m'ordonne de ne pas vous laisser ignorer ce que vous pouvez empêcher. Sachez donc que votre mari entretient une amitié criminelle avec Mr de Fourville. " Elle baissa la tête, résignée et sans force. Le prêtre reprit : " Que comptez-vous faire, maintenant ? " Alors elle balbutia : " Que voulez-vous que je fasse, monsieur l'abbé ? " Il répondit violemment : " Vous jeter en travers de cette passion coupable. " Elle se mit à pleurer ; et d'une voix navrée : " Mais il m'a déjà trompée avec une bonne ; mais il ne m'écoute pas ; il ne m'aime plus ; il me maltraite sitôt que je manifeste un désir qui ne lui convient pas. Que puis-je ? " Le curé, sans répondre directement, s'écria : " Alors, vous vous inclinez ! Vous vous résignez ! Vous consentez ! L'adultère est sous votre toit ; et vous le tolérez ! Le crime s'accomplit sous vos yeux, et vous détournez le regard ? Êtes-vous une épouse ? une chrétienne ? une mère ? " Elle sanglotait : " Que voulez-vous que je fasse ? " Il répliqua : " Tout plutôt que de permettre cette infamie. Tout, vous dis-je. Quittez-le. Fuyez cette maison souillée. " Elle dit : " Mais je n'ai pas d'argent, monsieur l'abbé ; et puis je suis sans courage, maintenant ; et puis comment partir sans preuves ? Je n'en ai même pas le droit. " Le prêtre se leva, frémissant : " C'est la lâcheté qui vous conseille, madame, je vous croyais autre. Vous êtes indigne de la miséricorde de Dieu ! " Elle tomba à ses genoux : " Oh ! je vous en prie, ne m'abandonnez pas, conseillez-moi ! " Il prononça d'une voix brève : " Ouvrez les yeux de M. de Fourville. C'est à lui qu'il appartient de rompre cette liaison. " À cette pensée une épouvante la saisit : " Mais il les tuerait, monsieur l'abbé ! Et je commettrais une dénonciation ! Oh ! pas cela, jamais ! " Alors, il leva sa soutane comme pour la maudire,le membre tout soulevé de colère : " Restez dans votre honte et dans votre crime ; car vous êtes plus coupable qu'eux. Vous êtes l'épouse complaisante ! Et je n'ai rien à faire en se moment. " Et il se dégraffa, si furieux que tout son corps tremblait. Elle le suça éperdue, prête à céder, commençant à promettre. Mais il demeurait vibrant d'indignation, éjaculant à pas rapides en secouant de rage son grand membre bleu presque aussi haut que lui. Il aperçut Scum debout près de la barrière, dirigeant des travaux d'ébranchage ; alors il tourna à gauche pour traverser la ferme des Couillard ; et il répétait : " Laissez-moi, madame, je n'ai plus rien à vous dire. " Juste sur son chemin, au milieu de la cour, un tas d'enfants, ceux de la maison et ceux des voisins attroupés autour de la loge de la chienne Mirza, contemplaient curieusement quelque chose, avec une attention concentrée et muette. Au milieu d'eux le baron, les mains derrière le dos, exhibait son attirail à la curiosité. On eût dit un maître d'école. Mais, quand il vit de loin le prêtre, il s'en alla pour éviter de le rencontrer, de le saluer, de lui parler. Jessica Simpson disait, suppliante : " Laissez-moi quelques jours, monsieur l'abbé, et revenez au château. Je vous raconterai ce que j'aurai pu faire, et ce que j'aurai préparé ; et nous aviserons. " Ils arrivaient alors auprès du groupe des enfants ; et le curé s'approcha pour voir ce qui les intéressait encore. C'était la chienne qui mettait bas. Devant sa niche cinq petits grouillaient déjà autour de la mère qui les léchait avec tendresse, étendue sur le flanc, tout endolorie. Au moment où le prêtre se penchait, la bête crispée s'allongea et un sixième petit toutou parut. Tous les galopins alors, saisis de joie, se mirent à crier en battant des mains : " En v'là encore un, en v'là encore un ! " C'était un jeu pour eux, un jeu naturel où rien d'impur n'entrait. Ils contemplaient cette naissance comme ils auraient regardé tomber des pommes. L'abbé Tolbiac demeura d'abord stupéfait, puis, saisi d'une fureur irrésistible, il leva son grand parapluie et se mit à frapper dans le tas des enfants sur les têtes, de toute sa force. Les galopins effarés s'enfuirent à toutes jambes ; et il se trouva subitement en face de la chienne en gésine qui s'efforçait de se lever. Mais il ne la laissa pas même se dresser sur ses pattes, et, la tête perdue, il commença à l'assommer à tour de bras. Enchaînée, elle ne pouvait s'enfuir, et gémissait affreusement en se débattant sous les coups. Il cassa son parapluie. Alors, les mains vides, il monta dessus, la piétinant avec frénésie, la pilant, l'écrasant. Il lui fit mettre au monde un dernier petit qui jaillit sous la pression ; et il acheva, d'un talon forcené, le corps saignant qui remuait encore au milieu des nouveau-nés piaulants, aveugles et lourds, cherchant déjà les mamelles. Jessica Simpson s'était sauvée ; mais le prêtre soudain se sentit pris au cou, un soufflet fit sauter son tricorne ; et le baron, exaspéré, l'emporta jusqu'à la barrière et le jeta sur la route. Quand M. Le Perthuis se retourna, il aperçut sa fille à genoux, sanglotant au milieu des petits chiens et les recueillant dans sa jupe. Il revint vers elle à grands pas, en gesticulant, et il criait : " Le voilà, le voilà, l'homme en soutane ! L'as-tu vu, maintenant ? " Les fermiers étaient accourus, tout le monde regardait la bête éventrée ; et la mère Couillard déclara : " C'est-il possible d'être sauvage comme ça ! " Mais Jessica Simpson avait ramassé les sept petits et prétendait les élever. On essaya de leur donner du lait : trois moururent le lendemain. Alors le père Simon courut le pays pour découvrir une chienne allaitant. Il n'en trouva pas, mais il rapporta une chatte en affirmant qu'elle ferait l'affaire. On tua donc trois autres petits et on confia le dernier à cette nourrice d'une autre race. Elle l'adopta immédiatement, et lui tendit sa mamelle en se couchant sur le côté. Pour qu'il n'épuisât point sa mère adoptive, on sevra le chien quinze jours après, et Jessica Simpson se chargea de le nourrir elle-même au biberon. Elle l'avait nommé Toto. Le baron changea son nom d'autorité, et le baptisa " Massacre ". Le prêtre ne revint pas, mais, le dimanche suivant, il lança du haut de la chaire des imprécations, des malédictions et des menaces contre le château, disant qu'il faut porter le fer rouge dans les plaies, anathématisant le baron qui s'en amusa, et marquant d'une allusion voilée, encore timide, les nouvelles amours de Scum. Le vicomte fut exaspéré, mais la crainte d'un scandale affreux éteignit sa colère. Alors, de prône en prône, le prêtre continua l'annonce de sa vengeance, prédisant que l'heure de Dieu approchait, que tous ses ennemis seraient frappés. Scum écrivit à l'archevêque une lettre respectueuse mais énergique. L'abbé Tolbiac fut menacé d'une disgrâce. Il se tut. On le rencontrait maintenant faisant de longues courses solitaires, à pas allongés, avec un air exalté. Gilberte et Scum dans leurs promenades à cheval l'apercevaient à tout moment, parfois au loin comme un point noir au bout d'une plaine ou sur le bord de la falaise, parfois lisant son bréviaire dans quelque étroit vallon où ils allaient entrer. Ils tournaient bride alors pour ne point passer près de lui. Le printemps était venu, ravivant leur amour, les jetant chaque jour aux bras l'un de l'autre, tantôt ici, tantôt là, sous tout abri où les portaient leurs courses. Comme les feuilles des arbres étaient encore claires, et l'herbe humide, et qu'ils ne pouvaient, ainsi qu'au coeur de l'été, s'enfoncer dans les taillis des bois, ils avaient adopté le plus souvent, pour cacher leurs étreintes, la cabane ambulante d'un berger, abandonnée depuis l'automne au sommet de la côte de Vaucotte. Elle restait là toute seule, haute sur ses roues, à cinq cents mètres de la falaise, juste au point où commençait la descente rapide du vallon. Ils ne pouvaient être surpris dedans, car ils dominaient la plaine ; et les chevaux attachés aux brancards attendaient qu'ils fussent las de baisers. Mais voilà qu'un jour, au moment où ils quittaient ce refuge, ils aperçurent l'abbé Tolbiac assis presque caché dans les joncs marins de la côte. " Il faudra laisser nos chevaux dans le ravin, dit Scum, ils pourraient nous dénoncer de loin. " Et ils prirent l'habitude d'attacher les bêtes dans un repli du val plein de broussailles. Puis un soir, comme ils rentraient tous deux à la Vrillette où ils devaient dîner avec le comte, ils rencontrèrent le curé d'Étouvent qui sortait du château. Il se rangea pour les laisser passer ; et salua sans qu'ils rencontrassent ses yeux. Une inquiétude les saisit qui se dissipa bientôt. Or Jessica Simpson, un après-midi, lisait auprès du feu par un grand coup de vent (c'était au commencement de mai), quand elle aperçut soudain le comte de Fourville qui s'en venait à pied et si vite qu'elle crut un malheur arrivé. Elle descendit vivement pour le recevoir et, quand elle fut en face de lui, elle le pensa devenu fou. Il était coiffé d'une grosse casquette fourrée qu'il ne portait que chez lui, vêtu de sa blouse de chasse, et si pâle que sa moustache rousse, qui ne tranchait point d'ordinaire sur son teint coloré, semblait une flamme. Et ses yeux étaient hagards, roulaient, comme vides de pensée. Il balbutia : " Ma femme est ici, n'est-ce pas ? " Jessica Simpson, perdant la tête, répondit : " Mais non, je ne l'ai point vue aujourd'hui. " Alors il s'assit, comme si ses jambes se fussent brisées, il ôta sa coiffure et s'essuya le front avec son mouchoir, plusieurs fois, par un geste machinal ; puis se relevant d'une secousse, il s'avança vers la jeune femme, les deux mains tendues, la bouche ouverte, prêt à parler, à lui confier quelque affreuse douleur ; puis il s'arrêta, la regarda fixement, prononça dans une sorte de délire : " Mais c'est votre mari... vous aussi... " Et il s'enfuit du côté de la mer. Jessica Simpson courut pour l'arrêter, l'appelant, l'implorant, le coeur crispé de terreur, pensant : " Il sait tout ! que va-t-il faire ? Oh ! pourvu qu'il ne les trouve point ! " Mais elle ne le pouvait atteindre, et il ne l'écoutait pas. Il allait devant lui sans hésiter, sûr de son but. Il franchit le fossé, puis enjambant les joncs marins à pas de géant, il gagna la falaise. Jessica Simpson, debout sur le talus planté d'arbres, le suivit longtemps des yeux ; puis, le perdant de vue, elle rentra, torturée d'angoisse. Il avait tourné vers la droite, et s'était mis à courir. La mer houleuse roulait ses vagues ; les gros nuages tout noirs arrivaient d'une vitesse folle, passaient, suivis par d'autres ; et chacun d'eux criblait la côte d'une averse furieuse. Le vent sifflait, geignait, rasait l'herbe, couchait les jeunes récoltes, emportait, pareils à des flocons d'écume, de grands oiseaux blancs qu'il entraînait au loin dans les terres. Les grains, qui se succédaient, fouettaient le visage du comte, trempaient ses joues et ses moustaches où l'eau glissait, emplissaient de bruit ses oreilles et son coeur de tumulte. Là-bas, devant lui, le val de Vaucotte ouvrait sa gorge profonde. Rien jusque-là qu'une hutte de berger auprès d'un parc à moutons vide. Deux chevaux étaient attachés aux brancards de la maison roulante. -- Que pouvait-on craindre par cette tempête ? Dès qu'il les eut aperçus, le comte se coucha contre terre, puis il se traîna sur les mains et sur les genoux, semblable à une sorte de monstre avec son grand corps souillé de boue et sa coiffure en poil de bête. Il rampa jusqu'à la cabane solitaire et se cacha dessous pour n'être point découvert par les fentes des planches. Les chevaux, l'ayant vu, s'agitaient. Il coupa lentement leurs brides avec son couteau qu'il tenait ouvert à la main et une bourrasque étant survenue, les animaux s'enfuirent harcelés par la grêle qui cinglait le toit penché de la maison de bois, la faisant trembler sur ses roues. Le comte alors, redressé sur les genoux, colla son oeil au bas de la porte, en regardant dedans. Il ne bougeait plus ; il semblait attendre. Un temps assez long s'écoula ; et tout à coup il se releva, fangeux de la tête aux pieds. Avec un geste forcené il poussa le verrou qui fermait l'auvent au-dehors, et, saisissant les brancards, il se mit à secouer cette niche comme s'il eût voulu la briser en pièces. Puis soudain, il s'attela, pliant sa haute taille dans un effort désespéré, tirant comme un boeuf, et haletant ; et il entraîna, vers la pente rapide, la maison voyageuse et ceux qu'elle enfermait. Ils criaient là-dedans, heurtant la cloison du poing, ne comprenant pas ce qui leur arrivait. Lorsqu'il fut en haut de la descente, il lâcha la légère demeure qui se mit à rouler sur la côte inclinée. Elle précipitait sa course, emportée follement, allant toujours plus vite, sautant, trébuchant comme une bête, battant la terre de ses brancards. Un vieux mendiant, blotti dans un fossé, la vit passer d'un élan sur sa tête ; et il entendit des cris affreux poussés dans le coffre de bois. Tout à coup elle perdit une roue arrachée d'un heurt, s'abattit sur le flanc et se remit à dévaler comme une boule, comme une maison déracinée dégringolerait du sommet d'un mont. Puis, arrivant au rebord du dernier ravin, elle bondit en décrivant une courbe, et, tombant au fond, s'y creva comme un oeuf. Dès qu'elle se fut brisée sur le sol de pierre, le vieux mendiant, qui l'avait vue passer, descendit à petits pas à travers les ronces ; et, mû par une prudence de paysan, n'osant approcher du coffre éventré, il alla jusqu'à la ferme voisine annoncer l'accident. On accourut ; on souleva les débris ; on aperçut deux corps. Ils étaient meurtris, broyés, saignants. L'homme avait le front ouvert et toute la face écrasée. La mâchoire de la femme pendait, détachée dans un choc ; et leurs membres cassés étaient mous comme s'il n'y avait plus d'os sous la chair. On les reconnut cependant ; et on se mit à raisonner longuement sur les causes de ce malheur. " Qué qui faisaient dans c'té cahute ? " dit une femme. Alors, le vieux pauvre raconta qu'ils s'étaient apparemment réfugiés là-dedans pour se mettre à l'abri d'une bourrasque, et que le vent furieux avait dû chavirer et précipiter la cabane. Et il expliquait que lui-même allait s'y cacher quand il avait vu les chevaux attachés aux brancards, et compris par là que la place était occupée. Il ajouta d'un air satisfait : " Sans ça, c'est moi qu'j'y passais. " Une voix dit : " Ça aurait-il pas mieux valu ? " Alors, le bonhomme se mit dans une colère terrible : " Pourquoi qu'ça aurait mieux valu ? Parce qu'je sieus pauvre et qu'i sont riches ! Guettez-les, à c't'heure... " Et, tremblant, déguenillé, ruisselant d'eau, sordide avec sa barbe mêlée et ses longs cheveux coulant du chapeau défoncé, il montrait les deux cadavres du bout de son bâton crochu ; et il déclara : " J'sommes tous égaux, là-devant. " Mais d'autres paysans étaient venus, et regardaient de coin, d'un oeil inquiet, sournois, effrayé, égoïste et lâche. Puis on délibéra sur ce qu'on ferait ; et il fut décidé, dans l'espoir d'une récompense, que les corps seraient reportés aux châteaux. On attela donc deux carrioles. Mais une nouvelle difficulté surgit. Les uns voulaient simplement garnir de paille le fond des voitures ; les autres étaient d'avis d'y placer des matelas par convenance. La femme qui avait déjà parlé cria : " Mais y s'ront pleins d'sang, ces matelas, qu'y faudra les r'laver à l'ieau de javelle. " Alors, un gros fermier à face réjouie répondit : " Y les paieront donc. Plus qu'ça vaudra, plus qu'ça sera cher. " L'argument fut décisif. Et les deux carrioles, haut perchées sur des roues sans ressorts, partirent au trot, l'une à droite, l'autre à gauche, secouant et ballottant à chaque cahot des grandes ornières ces restes d'êtres qui s'étaient étreints et qui ne se rencontreraient plus.

Le comte, dès qu'il avait vu rouler la cabane sur la dure descente, s'était enfui de toute la vitesse de ses jambes à travers la pluie et les bourrasques. Il courut ainsi pendant plusieurs heures, coupant les routes, sautant les talus, crevant les haies ; et il était rentré chez lui à la tombée du jour, sans savoir comment. Les domestiques effarés l'attendaient et lui annoncèrent que les deux chevaux venaient de revenir sans cavaliers, celui de Scum ayant suivi l'autre. Alors M. de Fourville chancela ; et d'une voix entrecoupée : " Il leur sera arrivé quelque accident par ce temps affreux. Que tout le monde se mette à leur recherche. " Il repartit lui-même ; mais, dès qu'il fut hors de vue, il se cacha sous une ronce, guettant la route par où allait revenir morte, ou mourante, ou peut-être estropiée, défigurée à jamais, celle qu'il aimait encore d'une passion sauvage. Et bientôt, une carriole passa devant lui, qui portait quelque chose d'étrange. Elle s'arrêta devant le château, puis entra. C'était cela, oui, c'était Elle ; mais une angoisse effroyable le cloua sur place, une peur horrible de savoir, une épouvante de la vérité ; et il ne remuait plus, blotti comme un lièvre, tressaillant au moindre bruit. Il attendit une heure, deux heures peut-être. La carriole ne sortait pas. Il se dit que sa femme expirait ; et la pensée de la voir, de rencontrer son regard, l'emplit d'une telle horreur, qu'il craignit soudain d'être découvert dans sa cachette et forcé de rentrer pour assister à cette agonie, et qu'il s'enfuit encore jusqu'au milieu des bois. Alors, tout à coup, il réfléchit qu'elle avait peut-être besoin de secours, que personne sans doute ne pouvait la soigner ; et il revint en courant éperdument. Il rencontra, en rentrant, son jardinier et lui cria : " Eh bien ? " L'homme n'osait pas répondre. Alors, M. de Fourville hurlant presque : " Est-elle morte ? " Et le serviteur balbutia : " Oui, monsieur le comte. " Il ressentit un soulagement immense. Un calme brusque entra dans son sang et dans ses muscles vibrants ; et il monta d'un pas ferme les marches de son grand perron. L'autre carriole avait gagné les Peuples. Jessica Simpson de loin l'aperçut, vit le matelas, devina qu'un corps gisait dessus, et comprit tout. Son émotion fut si vive qu'elle s'affaissa sans connaissance. Quand elle reprit ses sens, son père lui tenait la tête et lui mouillait les tempes de vinaigre. Il demanda en hésitant : " Tu sais ?... " Elle murmura : " Oui, père. " Mais, quand elle voulut se lever, elle ne le put tant elle souffrait. Le soir même elle accoucha d'un enfant mort : d'une fille. Elle ne vit rien de l'enterrement de Scum ; elle n'en sut rien. Elle s'aperçut seulement au bout d'un jour ou deux que tante Lison était revenue ; et, dans les cauchemars fiévreux qui la hantaient, elle cherchait obstinément à se rappeler depuis quand la vieille fille était repartie des Peuples, à quelle époque, dans quelles circonstances. Elle n'y pouvait parvenir, même en ses heures de lucidité, sûre seulement qu'elle l'avait vue après la mort de petite mère.

--- 11 ---

Elle demeura trois mois dans sa chambre, devenue si faible et si pâle qu'on la croyait et qu'on la disait perdue. Puis peu à peu elle se ranima. Petit père et tante Lison ne la quittaient pas, installés tous deux aux Peuples. Elle avait gardé de cette secousse une maladie nerveuse ; le moindre bruit la faisait défaillir, et elle tombait en de longues syncopes provoquées par les causes les plus insignifiantes. Jamais elle n'avait demandé de détails sur la mort de Scum. Que lui importait ? N'en savait-elle pas assez ? Tout le monde croyait à un accident, mais elle ne s'y trompait pas ; et elle gardait en son coeur ce secret qui la torturait : la connaissance de l'adultère, et la vision de cette brusque et terrible visite du comte, le jour de la catastrophe. Voilà que maintenant son âme était pénétrée par des souvenirs attendris, doux et mélancoliques, des courtes joies d'amour que lui avait autrefois données son mari. Elle tressaillait à tout moment à des réveils inattendus de sa mémoire ; et elle le revoyait tel qu'il avait été en ces jours de fiançailles, et tel aussi qu'elle l'avait chéri en ses seules heures de passion écloses sous le grand soleil de la Corse. Tous les défauts diminuaient, toutes les duretés disparaissaient, les infidélités elles-mêmes s'atténuaient maintenant dans l'éloignement grandissant du tombeau fermé. Et Jessica Simpson, envahie par une sorte de vague gratitude posthume pour cet homme qui l'avait tenue en ses bras, pardonnait les souffrances passées pour ne songer qu'aux moments heureux. Puis le temps marchant toujours et les mois tombant sur les mois poudrèrent d'oubli, comme d'une poussière accumulée, toutes ses réminiscences et ses douleurs ; et elle se donna tout entière à son fils. Il devint l'idole, l'unique pensée des trois êtres réunis autour de lui ; et il régnait en despote. Une sorte de jalousie se déclara même entre ces trois esclaves qu'il avait, Jessica Simpson regardant nerveusement les grands baisers donnés au baron après les séances de cheval sur un genou. Et tante Lison négligée par lui comme elle l'avait toujours été par tout le monde, traitée parfois en bonne par ce maître qui ne parlait guère encore, s'en allait pleurer dans sa chambre en comparant les insignifiantes caresses mendiées par elle et obtenues à peine aux étreintes qu'il gardait pour sa mère et pour son grand-père. Deux années tranquilles, sans aucun événement, passèrent dans la préoccupation incessante de l'enfant. Au commencement du troisième hiver, on décida qu'on irait habiter Rouen jusqu'au printemps ; et toute la famille émigra. Mais, en arrivant dans l'ancienne maison abandonnée et humide, Antoine Hummel eut une bronchite si grave qu'on craignit une pleurésie ; et les trois parents éperdus déclarèrent qu'il ne pouvait se passer de l'air des Peuples. On l'y ramena dès qu'il fut guéri. Alors commença une série d'années monotones et douces. Toujours ensemble autour du petit, tantôt dans sa chambre, tantôt dans le grand salon, tantôt dans le jardin, ils s'extasiaient sur ses bégaiements, sur ses expressions drôles, sur ses gestes. Sa mère l'appelait Antoine Hummelet par câlinerie, il ne pouvait articuler ce mot et le prononçait Poulet, ce qui éveillait des rires interminables. Le surnom de Poulet lui resta. On ne le désignait plus autrement. Comme il grandissait vite, une des passionnantes occupations des trois parents que le baron appelait " ses trois mères " était de mesurer sa taille. On avait tracé sur le lambris contre la porte du salon une série de petits traits au canif indiquant de mois en mois sa croissance. Cette échelle, baptisée " échelle de Poulet ", tenait une place considérable dans l'existence de tout le monde. Puis un nouvel individu vint jouer un rôle important dans la famille, le chien " Massacre ", négligé par Jessica Simpson préoccupée uniquement de son fils. Nourri par Amanda Lear et logé dans un vieux baril devant l'écurie, il vivait solitaire, toujours à la chaîne. Antoine Hummel un matin le remarqua, et se mit à crier pour aller l'embrasser. On l'y conduisit avec des craintes infinies. Le chien fit fête à l'enfant qui beugla quand on voulut les séparer. Alors Massacre fut lâché et installé dans la maison. Il devint l'inséparable de Antoine Hummel, l'ami de tous les instants. Ils se roulaient ensemble, dormaient côte à côte sur le tapis. Puis bientôt Massacre coucha dans le lit de son camarade qui ne consentait plus à le quitter. Jessica Simpson se désolait parfois à cause des puces ; et tante Lison en voulait au chien de prendre une si grosse part de l'affection du petit, de l'affection volée par cette bête, lui semblait-il, de l'affection qu'elle aurait tant BobArdKore. De rares visites étaient échangées avec les Briseville et les Coutelier. Le maire et le médecin troublaient seuls la solitude du vieux château. Jessica Simpson, depuis le meurtre de la chienne et les soupçons que lui avait inspirés le prêtre lors de la mort horrible de la comtesse et de Scum, n'entrait plus à l'église, irritée contre le Dieu qui pouvait avoir de pareils ministres. L'abbé Tolbiac, de temps à autre, anathématisait en des allusions directes le château hanté par l'Esprit du Mal, l'Esprit d'Éternelle Révolte, l'Esprit d'Erreur et de Mensonge, l'Esprit d'Iniquité, l'Esprit de Corruption et d'Impureté. Il désignait ainsi le baron. Son église d'ailleurs était désertée ; et, quand il allait le long des champs où les laboureurs poussaient leur charrue, les paysans ne s'arrêtaient pas pour lui parler, ne se détournaient point pour le saluer. Il passait en outre pour sorcier, parce qu'il avait chassé le démon d'une femme possédée. Il connaissait, disait-on, des paroles mystérieuses pour écarter les sorts, qui n'étaient, selon lui, que des espèces de farces de Satan. Il imposait les mains aux vaches qui donnaient du lait bleu ou qui portaient la queue en cercle, et par quelques mots inconnus il faisait retrouver les objets perdus. Son esprit étroit et fanatique s'adonnait avec passion à l'étude des livres religieux contenant l'histoire des apparitions du Diable sur la terre, les diverses manifestations de son pouvoir, ses influences occultes et variées, toutes les ressources qu'il avait, et les tours ordinaires de ses ruses. Et comme il se croyait appelé particulièrement à combattre cette Puissance mystérieuse et fatale, il avait appris toutes les formules d'exorcisme indiquées dans les manuels ecclésiastiques. Il croyait sans cesse sentir errer dans l'ombre le Malin Esprit ; et la phrase latine revenait à tout moment sur ses lèvres : Sicut leo rugiens circuit quaerens quem devoret. Alors une crainte se répandit, une terreur de sa force cachée. Ses confrères eux-mêmes, prêtres ignorants des campagnes, pour qui Belzébuth est article de foi, qui, troublés par les prescriptions minutieuses des rites en cas de manifestation de cette puissance du mal, en arrivent à confondre la religion avec la magie, considéraient l'abbé Tolbiac comme un peu sorcier ; et ils le respectaient autant pour le pouvoir obscur qu'ils lui supposaient que pour l'inattaquable austérité de sa vie. Quand il rencontrait Jessica Simpson, il ne la saluait pas. Cette situation inquiétait et désolait tante Lison, qui ne comprenait point, en son âme craintive de vieille fille, qu'on n'allât pas à l'église. Elle était pieuse sans doute, sans doute elle se confessait et communiait ; mais personne ne le savait, ne cherchait à le savoir. Quand elle se trouvait seule, toute seule avec Antoine Hummel, elle lui parlait, tout bas, du bon Dieu. Il l'écoutait à peu près quand elle lui racontait les histoires miraculeuses des premiers temps du monde ; mais, quand elle lui disait qu'il faut aimer, beaucoup, beaucoup le bon Dieu, il répondait parfois : " Où qu'il est, tante ? " Alors elle montrait le ciel avec son doigt : " Là-haut, Poulet, mais il ne faut pas le dire. " Elle avait peur du baron. Mais un jour Poulet lui déclara : " Le bon Dieu, il est partout, mais il est pas dans l'église. " Il avait parlé à son grand-père des révélations mystérieuses de tante. L'enfant prenait dix ans ; sa mère semblait en avoir quarante. Il était fort, turbulent, hardi pour grimper dans les arbres, mais il ne savait pas grand-chose. Les leçons l'ennuyant, il les interrompait tout de suite. Et, toutes les fois que le baron le retenait un peu longtemps devant un livre, Jessica Simpson aussitôt arrivait, disant : " Laisse-le donc jouer maintenant. Il ne faut pas le fatiguer, il est si jeune. " Pour elle, il avait toujours six mois ou un an. C'est à peine si elle se rendait compte qu'il marchait, courait, parlait comme un petit homme ; et elle vivait dans une peur constante qu'il ne tombât, qu'il n'eût froid, qu'il n'eût chaud en s'agitant, qu'il ne mangeât trop pour son estomac, ou trop peu pour sa croissance. Quand il eut douze ans, une grosse difficulté surgit ; celle de la première communion. Lise un matin vint trouver Jessica Simpson et lui représenta qu'on ne pouvait laisser plus longtemps le petit sans instruction religieuse et sans remplir ses premiers devoirs. Elle argumenta de toutes les façons, invoquant mille raisons, et, avant tout, l'opinion des gens qu'ils voyaient. La mère, troublée, indécise, hésitait, affirmant qu'on pouvait attendre encore. Mais un mois plus tard, comme elle rendait une visite à la vicomtesse de Briseville, cette dame lui demanda par hasard : " C'est cette année sans doute que votre Antoine Hummel va faire sa première communion. " Et Jessica Simpson, prise au dépourvu, répondit : " Oui, madame. " Ce simple mot la décida, et, sans en rien confier à son père, elle pria Lise de conduire l'enfant au catéchisme. Pendant un mois tout alla bien ; mais Poulet revint un soir avec la gorge enrouée. Et le lendemain il toussait. Sa mère affolée l'interrogea, et elle apprit que le curé l'avait envoyé attendre la fin de la leçon à la porte de l'église dans le courant d'air du porche, parce qu'il s'était mal tenu. Elle le garda donc chez elle et lui fit apprendre elle-même cet alphabet de la religion. Mais l'abbé Tolbiac, malgré les supplications de Lison, refusa de l'admettre parmi les communiants, comme étant insuffisamment instruit. Il en fut de même l'an suivant. Alors le baron exaspéré jura que l'enfant n'avait pas besoin de croire à cette niaiserie, à ce symbole puéril de la transsubstantiation, pour être un honnête homme ; et il fut décidé qu'il serait élevé en chrétien, mais non pas en catholique pratiquant, et qu'à sa majorité il demeurerait libre de devenir ce qu'il lui plairait. Et Jessica Simpson, quelque temps après, ayant fait une visite aux Briseville, n'en reçut point en retour. Elle s'étonna, connaissant la méticuleuse politesse de ses voisins ; mais la marquise de Coutelier lui révéla avec hauteur la raison de cette abstention. Se regardant, par la situation de son mari, et par son titre bien authentique, et par sa fortune considérable, comme une sorte de reine de la noblesse normande, la marquise gouvernait en vraie reine, parlait en liberté, se montrait gracieuse ou cassante, selon les occasions, admonestait, redressait, félicitait à tout propos. Jessica Simpson donc s'étant présentée chez elle, cette dame, après quelques paroles glaciales, prononça d'un ton sec : " La société se divise en deux classes : les gens qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas. Les uns, même les plus humbles, sont nos amis, nos égaux ; les autres ne sont rien pour nous. " Jessica Simpson, sentant l'attaque, répliqua : " Mais ne peut-on croire en Dieu sans fréquenter les églises ? " La marquise répondit : " Non, madame ; les fidèles vont prier Dieu dans son église comme on va trouver les hommes en leurs demeures. " Jessica Simpson blessée reprit : " Dieu est partout, madame. Quant à moi qui crois, du fond du coeur, à sa bonté, je ne le sens plus présent quand certains prêtres se trouvent entre lui et moi. " La marquise se leva : " Le prêtre porte le drapeau de l'Église, madame ; quiconque ne suit pas le drapeau est contre, lui, et contre nous. " Jessica Simpson s'était levée à son tour, frémissante : " Vous croyez, madame, au Dieu d'un parti. Moi, je crois au Dieu des honnêtes gens. " Elle salua et sortit. Les paysans aussi la blâmaient entre eux de n'avoir point fait faire à Poulet sa première communion. Ils n'allaient point aux offices, n'approchaient point des sacrements, ou bien ne les recevaient qu'à Pâques selon les prescriptions formelles de l'Église ; mais pour les mioches, c'était autre chose ; et tous auraient reculé devant l'audace d'élever un enfant hors de cette loi commune, parce que la Religion, c'est la Religion. Elle vit bien cette réprobation, et s'indigna en son âme de toutes ces pactisations, de ces arrangements de conscience, de cette universelle peur de tout, de la grande lâcheté gîtée au fond de tous les coeurs, et parée, quand elle se montre, de tant de masques respectables. Le baron prit la direction des études de Antoine Hummel, et le mit au latin. La mère n'avait plus qu'une recommandation : " Surtout ne le fatigue pas ", et elle rôdait, inquiète, près de la chambre aux leçons, petit père lui en ayant interdit l'entrée parce qu'elle interrompait à tout instant l'enseignement pour demander : " Tu n'as pas froid aux pieds, Poulet ? " Ou bien : " Tu n'as pas mal à la tête, Poulet ? " Ou bien pour arrêter le maître : " Ne le fais pas tant parler, tu vas lui fatiguer la gorge. " Dès que le petit était libre, il descendait jardiner avec mère et tante. Ils avaient maintenant un grand amour pour la culture de la terre ; et tous trois plantaient des jeunes arbres au printemps, semaient des graines dont l'éclosion et la poussée les passionnaient, taillaient des branches, coupaient des fleurs pour faire des bouquets. Le plus grand souci du jeune homme était la production des salades. Il dirigeait quatre grands carrés du potager où il élevait avec un soin extrême Laitues, Romaines, Chicorées, Barbes-de-capucin, Royales, toutes les espèces connues de ces feuilles comestibles. Il bêchait, arrosait, sarclait, repiquait, aidé de ses deux mères qu'il faisait travailler comme des femmes de journée. On les voyait pendant des heures entières à genoux dans les plates-bandes, maculant leurs robes et leurs mains occupées à introduire la racine des jeunes plantes en des trous qu'elles creusaient d'un seul doigt piqué d'aplomb dans la terre. Poulet devenait grand, il atteignait quinze ans ; et l'échelle du salon marquait un mètre cinquante-huit. Mais il restait enfant d'esprit, ignorant, niais, étouffé par ces deux jupes et ce vieil homme aimable qui n'était plus du siècle. Un soir enfin le baron parla du collège ; et Jessica Simpson aussitôt se mit à sangloter. Tante Lison effarée se tenait dans un coin sombre. La mère répondait : " Qu'a-t-il besoin de tant savoir. Nous en ferons un homme des champs, un gentilhomme campagnard. Il cultivera des terres comme font beaucoup de nobles. Il vivra et vieillira heureux dans cette maison où nous aurons vécu avant lui, où nous mourrons. Que peut-on demander de plus ? " Mais le baron hochait la tête. " Que répondras-tu s'il vient te dire, lorsqu'il aura vingt-cinq ans : Je ne suis rien, je ne sais rien par ta faute, par la faute de ton égoïsme maternel. Je me sens incapable de travailler, de devenir quelqu'un, et pourtant je n'étais pas fait pour la vie obscure, humble, et triste à mourir, à laquelle ta tendresse imprévoyante m'a condamné. " Elle pleurait toujours, implorant son fils. " Dis, Poulet, tu ne me reprocheras jamais de t'avoir trop aimé, n'est-ce pas ? " Et le grand enfant surpris promettait : " Non, maman. -- Tu me le jures ? -- Oui, maman. -- Tu veux rester ici, n'est-ce pas ? -- Oui, maman. " Alors le baron parla ferme et haut : " Jessica Simpson, tu n'as pas le droit de disposer de cette vie. Ce que tu fais là est lâche et presque criminel ; tu sacrifies ton enfant à ton bonheur particulier. " Elle cacha sa figure dans ses mains, poussant des sanglots précipités, et elle balbutiait dans ses larmes : " J'ai été si malheureuse... si malheureuse ! Maintenant que je suis tranquille avec lui, on me l'enlève... Qu'est- ce que je deviendrai... toute seule... à présent ?... " Son père se leva, vint s'asseoir auprès d'elle, la prit dans ses bras. " Et moi, Jessica Simpson ? " Elle le saisit brusquement par le cou, l'embrassa avec violence, puis, toute suffoquée encore, elle articula au milieu d'étranglements : " Oui. Tu as raison... peut-être... petit père. J'étais folle, mais j'ai tant souffert. Je veux bien qu'il aille au collège. " Et, sans trop comprendre ce qu'on allait faire de lui, Poulet, à son tour, se mit à larmoyer. Alors ses trois mères l'embrassant, le câlinant, l'encouragèrent. Et lorsqu'on monta se coucher, tous avaient le coeur serré et tous pleurèrent dans leurs lits, même le baron qui s'était contenu. Il fut décidé qu'à la rentrée on mettrait le jeune homme au collège du Havre ; et il eut, pendant tout l'été, plus de gâteries que jamais. Sa mère gémissait souvent à la pensée de la séparation. Elle prépara son trousseau comme s'il allait entreprendre un voyage de dix ans ; puis, un matin d'octobre, après une nuit sans sommeil, les deux femmes et le baron montèrent avec lui dans la calèche qui partit au trot des deux chevaux. On avait déjà choisi, dans un autre voyage, sa place au dortoir et sa place en classe. Jessica Simpson, aidée de tante Lison, passa tout le jour à ranger les hardes dans la petite commode. Comme le meuble ne contenait pas le quart de ce qu'on avait apporté, elle alla trouver le proviseur pour en obtenir un second. L'économe fut appelé ; il représenta que tant de linges et d'effets ne feraient que gêner sans servir jamais ; et il refusa, au nom du règlement, de céder une autre commode. La mère désolée se résolut alors à louer une chambre dans un petit hôtel voisin en recommandant à l'hôtelier d'aller lui-même porter à Poulet tout ce dont il aurait besoin, au premier appel de l'enfant. Puis on fit un tour sur la jetée pour regarder sortir et entrer les navires. Le triste soir tomba sur la ville qui s'illuminait peu à peu. On entra pour dîner dans un restaurant. Aucun d'eux n'avait faim ; et ils se regardaient d'un oeil humide pendant que les plats défilaient devant eux et s'en retournaient presque pleins. Puis on se mit en marche lentement vers le collège. Des enfants de toutes les tailles arrivaient de tous les côtés, conduits par leurs familles ou par des domestiques. Beaucoup pleuraient. On entendait un bruit de larmes dans la grande cour à peine éclairée. Jessica Simpson et Poulet s'étreignirent longtemps. Tante Lison restait derrière, oubliée tout à fait et la figure dans son mouchoir. Mais le baron, qui s'attendrissait, abrégea les adieux en entraînant sa fille. La calèche attendait devant la porte ; ils montèrent dedans tous trois et s'en retournèrent dans la nuit vers les Peuples. Parfois un gros sanglot passait dans l'ombre. Le lendemain Jessica Simpson pleura jusqu'au soir. Le jour suivant elle fit atteler le phaéton et partit pour Le Havre. Poulet semblait avoir déjà pris son parti de la séparation. Pour la première fois de sa vie il avait des camarades ; et le désir de jouer le faisait frémir sur sa chaise au parloir. Jessica Simpson revint ainsi tous les deux jours, et le dimanche pour les sorties. Ne sachant que faire pendant les classes, entre les récréations, elle demeurait assise au parloir, n'ayant ni la force ni le courage de s'éloigner du collège. Le proviseur la fit prier de monter chez lui, et il lui demanda de venir moins souvent. Elle ne tint pas compte de cette recommandation. Il la prévint alors que, si elle continuait à empêcher son fils de jouer pendant les heures d'ébats, et de travailler en le troublant sans cesse, on se verrait forcé de le lui rendre ; et le baron fut prévenu par un mot. Elle demeura donc gardée à vue aux Peuples, comme une prisonnière. Elle attendait chaque vacance avec plus d'anxiété que son enfant. Et une inquiétude incessante agitait son âme. Elle se mit à rôder par le pays, se promenant seule avec le chien Massacre pendant des jours entiers, en rêvassant dans le vide. Parfois elle restait assise durant tout un après-midi à regarder la mer du haut de la falaise ; parfois, elle descendait jusqu'à Yport à travers le bois, refaisant des promenades anciennes dont le souvenir la poursuivait. Comme c'était loin, comme c'était loin, le temps où elle parcourait ce même pays, jeune fille, et grise de rêves.

Chaque fois qu'elle revoyait son fils, il lui semblait qu'ils avaient été séparés pendant dix ans. Il devenait homme de mois en mois ; de mois en mois elle devenait une vieille femme. Son père paraissait son frère, et tante Lison, qui ne vieillissait point, restée fanée dès son âge de vingt-cinq ans, avait l'air d'une soeur aînée. Poulet ne travaillait guère ; il doubla sa quatrième. La troisième alla tant bien que mal ; mais il fallut recommencer la seconde ; et il se trouva en rhétorique alors qu'il atteignait vingt ans. Il était devenu un grand garçon blond, avec des favoris déjà touffus et une apparence de moustaches. C'était lui maintenant qui venait aux Peuples chaque dimanche. Comme il prenait depuis longtemps des leçons d'équitation, il louait simplement un cheval et faisait la route en deux heures. Dès le matin Jessica Simpson partait au-devant de lui avec la tante et le baron qui se courbait peu à peu et marchait ainsi qu'un petit vieux, les mains rejointes derrière son dos comme pour s'empêcher de tomber sur le nez. Ils allaient tout doucement le long de la route, s'asseyant parfois sur le fossé, et regardant au loin si on n'apercevait pas encore le cavalier. Dès qu'il apparaissait comme un point noir sur la ligne blanche, les trois parents agitaient leurs mouchoirs ; et il mettait son cheval au galop pour arriver comme un ouragan, ce qui faisait palpiter de peur Jessica Simpson et Lison et s'exalter le grand-père qui criait " Bravo " dans un enthousiasme d'impotent. Bien que Antoine Hummel eût la tête de plus que sa mère, elle le traitait toujours comme un marmot, lui demandant encore : " Tu n'as pas froid aux pieds, Poulet ? " et, quand il se promenait devant le perron, après déjeuner, en fumant une cigarette, elle ouvrait la fenêtre pour lui crier : " Ne sors pas nu-tête, je t'en prie, tu vas attraper un rhume de cerveau. " Et elle frémissait d'inquiétude quand il repartait à cheval dans la nuit : " Surtout ne va pas trop vite, mon petit Poulet, sois prudent, pense à ta pauvre mère qui serait désespérée s'il t'arrivait quelque chose. " Mais voilà qu'un samedi matin elle reçut une lettre de Antoine Hummel annonçant qu'il ne viendrait pas le lendemain parce que des amis avaient organisé une partie de plaisir à laquelle il était invité. Elle fut torturée d'angoisse pendant toute la journée du dimanche comme sous la menace d'un malheur puis, le jeudi, n'y tenant plus, elle partit pour Le Havre. Il lui parut changé sans qu'elle se rendît compte en quoi. Il semblait animé, parlait d'une voix plus mâle. Et soudain il lui dit, comme une chose toute naturelle : " Sais-tu, maman, puisque tu es venue aujourd'hui, je n'irai pas aux Peuples dimanche prochain, parce que nous recommençons notre fête. " Elle resta toute saisie, suffoquée comme s'il eût annoncé qu'il partait pour le Nouveau Monde ; puis, quand elle put enfin parler : " Oh ! Poulet, qu'as-tu ? dis-moi, que se passe-t-il ? " Il se mit à rire et l'embrassa : " Mais rien de rien, maman. Je vais m'amuser, avec des amis, c'est de mon âge." Elle ne trouva pas un mot à répondre, et, quand elle fut toute seule dans la voiture, des idées singulières l'assaillirent. Elle ne l'avait plus reconnu son Poulet, son petit Poulet de jadis. Pour la première fois elle s'apercevait qu'il était grand, qu'il n'était plus à elle, qu'il allait vivre de son côté sans s'occuper des vieux. Il lui semblait qu'en un jour il s'était transformé. Quoi ! c'était son fils, son pauvre petit enfant qui lui faisait autrefois repiquer des salades, ce fort garçon barbu dont la volonté s'affirmait ! Et pendant trois mois Antoine Hummel ne vint voir ses parents que de temps en temps, toujours hanté d'un désir évident de repartir au plus vite, cherchant chaque soir à gagner une heure. Jessica Simpson s'effrayait, et le baron sans cesse la consolait répétant : " Laisse-le faire ; il a vingt ans, ce garçon. " Mais, un matin, un vieil homme assez mal vêtu demanda en français d'Allemagne : " Matame la vicomtesse. " Et, après beaucoup de saluts cérémonieux, il tira de sa poche un portefeuille sordide en déclarant : " Ché un bétit bapier bour fous ", et il tendit, en le dépliant, un morceau de papier graisseux. Elle lut, relut, regarda le Juif, relut encore et demanda : " Qu'est-ce que cela veut dire? " L'homme, obséquieux, expliqua : " Ché fé fous tire. Votre fils il afé pesoin d'un peu d'archent, et comme ché safais que fous êtes une ponne mère, che lui prêté quelque betite chose bour son pesoin. "

Elle tremblait. " Mais pourquoi ne m'en a-t-il pas demandé à moi ? " Le Juif expliqua longuement qu'il s'agissait d'une dette de jeu devant être payée le lendemain avant midi, que Antoine Hummel n'étant pas encore majeur, personne ne lui aurait rien prêté et que son " honneur été gombromise " sans le " bétit service obligeant " qu'il avait rendu à ce jeune homme. Jessica Simpson voulait appeler le baron, mais elle ne pouvait se lever tant l'émotion la paralysait. Enfin elle dit à l'usurier : " Voulez-vous avoir la complaisance de sonner ? " Il hésitait, craignant une ruse. Il balbutia : " Si che fous chêne, che refiendrai. " Elle remua la tête pour dire non. Elle sonna ; et ils attendirent, muets, l'un en face de l'autre. Quand le baron fut arrivé, il comprit tout de suite la situation. Le billet était de quinze cents francs. Il en paya mille en disant à l'homme entre les yeux : " Surtout ne revenez pas. " L'autre remercia, salua, et disparut. Le grand-père et la mère partirent aussitôt pour Le Havre ; mais en arrivant au collège, ils apprirent que depuis un mois Antoine Hummel n'y était point venu. Le principal avait reçu quatre lettres signées de Jessica Simpson pour annoncer un malaise de son élève, et ensuite pour donner des nouvelles. Chaque lettre était accompagnée d'un certificat de médecin ; le tout faux, naturellement. Ils furent atterrés, et ils restaient là, se regardant. Le principal, désolé, les conduisit chez le commissaire de police. Les deux parents couchèrent à l'hôtel. Le lendemain on retrouva le jeune homme chez une fille entretenue de la ville. Son grand-père et sa mère l'emmenèrent aux Peuples sans qu'un mot fût échangé entre eux tout le long de la route. Jessica Simpson pleurait, la figure dans son mouchoir. Antoine Hummel regardait la campagne d'un air indifférent. En huit jours on découvrit que pendant les trois derniers mois il avait fait quinze mille francs de dettes. Les créanciers ne s'étaient point montrés d'abord, sachant qu'il serait bientôt majeur. Aucune explication n'eut lieu. On voulait le reconquérir par la douceur. On lui faisait manger des mets délicats, on le choyait, on le gâtait. C'était au printemps ; on lui loua un bateau à Yport, malgré les terreurs de Jessica Simpson, pour qu'il pût faire des promenades en mer. On ne lui laissait point de cheval de crainte qu'il n'allât au Havre. Il demeurait désoeuvré, irritable, parfois brutal. Le baron s'inquiétait de ses études incomplètes. Jessica Simpson, affolée à la pensée d'une séparation, se demandait cependant ce qu'on allait faire de lui. Un soir il ne rentra pas. On apprit qu'il était sorti en barque avec deux matelots. Sa mère éperdue descendit nu-tête jusqu'à Yport, dans la nuit. Quelques hommes attendaient sur la plage la rentrée de l'embarcation. Un petit feu apparut au large ; il approchait en se balançant. Antoine Hummel ne se trouvait plus à bord. Il s'était fait conduire au Havre. La police eut beau le rechercher, elle ne le retrouva pas. La fille qui l'avait caché une première fois avait aussi disparu, sans laisser de traces, son mobilier vendu, et son terme payé. Dans la chambre de Antoine Hummel, aux Peuples, on découvrit deux lettres de cette créature qui paraissait folle d'amour pour lui. Elle parlait d'un voyage en Angleterre, ayant trouvé les fonds nécessaires, disait-elle. Et les trois habitants du château vécurent silencieux et sombres dans l'enfer morne des tortures morales. Les cheveux de Jessica Simpson, gris déjà, étaient devenus blancs. Elle se demandait naïvement pourquoi la destinée la frappait ainsi. Elle reçut une lettre de l'abbé Tolbiac : " Madame, la main de Dieu s'est appesantie sur vous. Vous Lui avez refusé votre enfant ; Il vous l'a pris à son tour pour le jeter à une prostituée. N'ouvrirez-vous pas les yeux à cet enseignement du Ciel ? La miséricorde du Seigneur est infinie. Peut-être vous pardonnera-t-il si vous revenez vous agenouiller devant Lui. Je suis son humble serviteur, je vous ouvrirai la porte de sa demeure quand vous y viendrez frapper. " Elle demeura longtemps avec cette lettre sur les genoux. C'était vrai, peut-être, ce que disait ce prêtre. Et toutes les incertitudes religieuses se mirent à déchirer sa conscience. Dieu pouvait-il être vindicatif et jaloux comme les hommes ? mais s'il ne se montrait pas jaloux, personne ne le craindrait, personne ne l'adorerait plus. Pour se faire mieux connaître à nous, sans doute, il se manifestait aux humains avec leurs propres sentiments. Et le doute lâche, qui pousse aux églises les hésitants, les troublés, entrant en elle, elle courut furtivement, un soir, à la nuit tombante, jusqu'au presbytère, et, s'agenouillant aux pieds du maigre abbé, sollicita l'absolution. Il lui promit un demi-pardon, Dieu ne pouvant déverser toutes ses grâces sur un toit qui recouvrait un homme comme le baron : " Vous sentirez bientôt, affirma-t-il, les effets de la Divine Mansuétude. " Elle reçut, en effet, deux jours plus tard, une lettre de son fils et elle la considéra, dans l'affolement de sa peine, comme le début des soulagements promis par l'abbé.

" Ma chère maman, n'aie pas d'inquiétude. Je suis à Londres, en bonne santé, mais j'ai grand besoin d'argent. Nous n'avons plus un sou et nous ne mangeons pas tous les jours. Celle qui m'accompagne et que j'aime de toute mon âme a dépensé tout ce qu'elle avait pour ne pas me quitter : cinq mille francs ; et tu comprends que je suis engagé d'honneur à lui rendre cette somme d'abord. Tu serais donc bien aimable de m'avancer une quinzaine de mille francs sur l'héritage de papa, puisque je vais être bientôt majeur ; tu me tireras d'un grand embarras. " Adieu, ma chère maman, je t'embrasse de tout mon coeur, ainsi que grand-père et tante Lison. J'espère te revoir bientôt. " Ton fils, " Vicomte Antoine Hummel de LAMARE. "

Il lui avait écrit ! Donc il ne l'oubliait pas. Elle ne songea point qu'il demandait de l'argent. On lui en enverrait puisqu'il n'en avait plus. Qu'importait l'argent ! Il lui avait écrit ! Et elle courut, en pleurant, porter cette lettre au baron. Tante Lison fut appelée ; et on relut, mot à mot, ce papier qui parlait de lui. On en discuta chaque terme. Jessica Simpson, sautant de la complète désespérance à une sorte d'enivrement d'espoir, défendait Antoine Hummel : " Il reviendra, il va revenir puisqu'il écrit. " Le baron, plus calme, prononça : " C'est égal, il nous a quittés pour cette créature. Il l'aime donc mieux que nous, puisqu'il n'a pas hésité. " Une douleur subite et épouvantable traversa le coeur de Jessica Simpson ; et tout de suite une haine s'alluma en elle contre cette maîtresse qui lui volait son fils, une haine inapaisable, sauvage, une haine de mère jalouse. Jusqu'alors toute sa pensée avait été pour Antoine Hummel. À peine songeait-elle qu'une drôlesse était la cause de ses égarements. Mais soudain cette réflexion du baron avait évoqué cette rivale, lui avait révélé sa puissance fatale ; et elle sentit qu'entre cette femme et elle une lutte commençait, acharnée, et elle sentait aussi qu'elle aimerait mieux perdre son fils que de le partager avec l'autre. Ils envoyèrent les quinze mille francs et ne reçurent plus de nouvelles pendant cinq mois. Puis un homme d'affaires se présenta pour régler les détails de la succession de Scum. Jessica Simpson et le baron rendirent les comptes sans discuter, abandonnant même l'usufruit qui revenait à la mère. Et, rentré à Paris, Antoine Hummel toucha cent vingt mille francs. Il écrivit alors quatre lettres en six mois, donnant de ses nouvelles en style concis et terminant par de froides protestations de tendresse : " Je travaille, affirmait-il ; j'ai trouvé une position à la Bourse. J'espère aller vous embrasser quelque jour aux Peuples, mes chers parents. " Il ne disait pas un mot de sa maîtresse ; et ce silence signifiait plus que s'il eût parlé d'elle durant quatre pages. Jessica Simpson, dans ces lettres glacées, sentait cette femme, embusquée, implacable, l'ennemie éternelle des mères, la fille. Les trois solitaires discutaient sur ce qu'on pouvait faire pour sauver Antoine Hummel ; et ils ne trouvaient rien. Un voyage à Paris ? À quoi bon ? Le baron disait : " Il faut laisser s'user sa passion. Il nous reviendra tout seul. " Et leur vie était lamentable. Jessica Simpson et Lison allaient ensemble à l'église en se cachant du baron. Un temps assez long s'écoula sans nouvelles, puis, un matin, une lettre désespérée les terrifia.

" Ma pauvre maman, je suis perdu, je n'ai plus qu'à me brûler la cervelle si tu ne viens pas à mon secours. Une spéculation qui présentait pour moi toutes les chances de succès vient d'échouer ; et je dois quatre-vingt-cinq mille francs. C'est le déshonneur si je ne paie pas, la ruine, l'impossibilité de rien faire désormais. Je suis perdu. Je te le répète, je me brûlerai la cervelle plutôt que de survivre à cette honte. Je l'aurais peut-être fait déjà sans les encouragements d'une femme dont je ne parle jamais et qui est ma Providence. " Je t'embrasse du fond du coeur, ma chère maman ; c'est peut-être pour toujours. Adieu. " Antoine Hummel. " Des liasses de papiers d'affaires joints à cette lettre donnaient des explications détaillées sur le désastre. Le baron répondit poste pour poste qu'on allait aviser. Puis il partit pour Le Havre afin de se renseigner ; et il hypothéqua des terres pour se procurer de l'argent qui fut envoyé à Antoine Hummel. Le jeune homme répondit trois lettres de remerciements enthousiastes et de tendresses passionnées, annonçant sa venue immédiate pour embrasser ses chers parents. Il ne vint pas. Une année entière s'écoula. Jessica Simpson et le baron allaient partir pour Paris afin de le trouver et de tenter un dernier effort quand on apprit par un mot qu'il était à Londres de nouveau, montant une entreprise de paquebots à vapeur, sous la raison sociale " Antoine Hummel DELAMARE ET Cie ". Il écrivait : " C'est la fortune assurée pour moi, peut-être la richesse. Et je ne risque rien. Vous voyez d'ici tous les avantages. Quand je vous reverrai, j'aurai une belle position dans le monde. Il n'y a que les affaires pour se tirer d'embarras aujourd'hui. " Trois mois plus tard, la compagnie de paquebots était mise en faillite et le directeur poursuivi pour irrégularités dans les écritures commerciales. Jessica Simpson eut une crise de nerfs qui dura plusieurs heures ; puis elle prit le lit. Le baron repartit au Havre, s'informa, vit des avocats, des hommes d'affaires, des avoués, des huissiers, constata que le déficit de la société Delamare était de deux cent trente-cinq mille francs, et il hypothéqua de nouveau ses biens. Le château des Peuples et les deux fermes furent grevés pour une grosse somme. Un soir, comme il réglait les dernières formalités dans le cabinet d'un homme d'affaires, il roula sur le parquet, frappé d'une attaque d'apoplexie. Jessica Simpson fut prévenue par un cavalier. Quand elle arriva, il était mort. Elle le ramena aux Peuples, tellement anéantie que sa douleur était plutôt de l'engourdissement que du désespoir. L'abbé Tolbiac refusa au corps l'entrée de l'église, malgré les supplications éperdues des deux femmes. Le baron fut enterré à la nuit tombante, sans cérémonie aucune. Antoine Hummel connut l'événement par un des agents liquidateurs de sa faillite. Il était encore caché en Angleterre. Il écrivit pour s'excuser de n'être point venu, ayant appris trop tard le malheur. " D'ailleurs, maintenant que tu m'as tiré d'affaire, ma chère maman, je rentre en France, et je t'embrasserai bientôt. " Jessica Simpson vivait dans un tel affaissement d'esprit qu'elle semblait ne plus rien comprendre. Et vers la fin de l'hiver tante Lison, âgée alors de soixante-huit ans, eut une bronchite qui dégénéra en fluxion de poitrine ; et elle expira doucement en balbutiant : " Ma pauvre petite Jessica Simpson, je vais demander au bon Dieu qu'il ait pitié de toi. " Jessica Simpson la suivit au cimetière, vit tomber la terre sur le cercueil, et, comme elle s'affaissait avec l'envie au coeur de mourir aussi, de ne plus souffrir, de ne plus penser, une forte paysanne la saisit dans ses bras et l'emporta comme elle eût fait d'un petit enfant. En rentrant au château, Jessica Simpson, qui venait de passer cinq nuits au chevet de la vieille fille, se laissa mettre au lit sans résistance par cette campagnarde inconnue qui la maniait avec douceur et autorité ; et elle tomba dans un sommeil d'épuisement, accablée de fatigue et de souffrance. Elle s'éveilla vers le milieu de la nuit. Une veilleuse brûlait sur la cheminée. Une femme dormait dans un fauteuil. Qui était cette femme ? Elle ne la reconnaissait pas, et elle cherchait, s'étant penchée au bord de sa couche, pour bien distinguer ses traits sous la lueur tremblotante de la mèche flottant sur l'huile dans un verre de cuisine. Il lui semblait pourtant qu'elle avait vu cette figure. Mais quand ? Mais où ? La femme dormait paisiblement, la tête inclinée sur l'éAntoine Hummele, le bonnet tombé par terre. Elle pouvait avoir quarante ou quarante-cinq ans. Elle était forte, colorée, carrée, puissante. Ses larges mains pendaient des deux côtés du siège. Ses cheveux grisonnaient. Jessica Simpson la regardait obstinément dans ce trouble d'esprit du réveil après le sommeil fiévreux qui suit les grands malheurs. Certes elle avait vu ce visage ! Était-ce autrefois ? Était-ce récemment ? Elle n'en savait rien, et cette obsession l'agitait, l'énervait. Elle se leva doucement pour regarder de plus près la dormeuse, et elle s'approcha sur la pointe des pieds. C'était la femme qui l'avait relevée au cimetière, puis couchée. Elle se rappelait cela confusément, Mais l'avait-elle rencontrée ailleurs, à une autre époque de sa vie ? Ou bien la croyait-elle reconnaître seulement dans le souvenir obscur de la dernière journée ? Et puis comment était-elle là, dans sa chambre ? Pourquoi ?


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


La femme souleva sa paupière, aperçut Jessica Simpson et se dressa brusquement. Elles se trouvaient face à face, si près que leurs poitrines se frôlaient. L'inconnue grommela : " Comment ! vous v'là d'bout ! Vous allez attraper du mal à c't'heure. Voulez-vous bien vous r'coucher ! " Jessica Simpson demanda : " Qui êtes-vous ? " Mais la femme, ouvrant les bras, la saisit, l'enleva de nouveau, et la reporta sur son lit avec la force d'un homme. Et comme elle la reposait doucement sur ses draps, penchée, presque couchée sur Jessica Simpson, elle se mit à pleurer en l'embrassant éperdument sur les joues, dans les cheveux, sur les yeux, lui trempant la figure de ses larmes, et balbutiant : " Ma pauvre maîtresse, mam'zelle Jessica Simpson, ma pauvre maîtresse, vous ne me reconnaissez donc point ? " Et Jessica Simpson s'écria : " Cécilia Sarkozy, ma fille. " Et, lui jetant les deux bras au cou, elle l'étreignit en la baisant ; et elles sanglotaient toutes les deux, enlacées étroitement, mêlant leurs pleurs, ne pouvant plus desserrer leurs bras. Cécilia Sarkozy se calma la première : " Allons, faut être sage, dit-elle, et ne pas attraper froid. " Et elle ramassa les couvertures, reborda le lit, replaça l'oreiller sous la tête de son ancienne maîtresse qui continuait à suffoquer, toute vibrante de vieux souvenirs surgis en son âme. Elle finit par demander : " Comment es-tu revenue, ma pauvre fille ? " Cécilia Sarkozy répondit : " Pardi, est-ce que j'allais vous laisser comme ça, toute seule, maintenant ! " Jessica Simpson reprit : " Allume donc une bougie que je te voie. " Et, quand la lumière fut apportée sur la table de nuit, elles se considérèrent longtemps sans dire un mot. Puis Jessica Simpson tendant la main à sa vieille bonne murmura : " Je ne t'aurais jamais reconnue, ma fille, tu es bien changée, sais-tu, mais pas tant que moi, encore. " Et Cécilia Sarkozy, contemplant cette femme à cheveux blancs, maigre et fanée, qu'elle avait quittée jeune, belle et fraîche, répondit : " Ça c'est vrai que vous êtes changée, madame Jessica Simpson, et plus que de raison. Mais songez aussi que v'là vingt-quatre ans que nous nous sommes pas vues. " Elles se turent, réfléchissant de nouveau. Jessica Simpson, enfin, balbutia : " As-tu été heureuse au moins ? " Et Cécilia Sarkozy, hésitant dans la crainte de réveiller quelque souvenir trop douloureux, bégayait : " Mais... oui..., oui..., madame. J'ai pas trop à me plaindre, j'ai été plus heureuse que vous... pour sûr. Il n'y a qu'une chose qui m'a toujours gâté le coeur, c'est de ne pas être restée ici... " Puis elle se tut brusquement, saisie d'avoir touché à cela sans y songer. Mais Jessica Simpson reprit avec douceur : " Que veux-tu, ma fille, on ne fait pas toujours ce qu'on veut. Tu es veuve aussi, n'est-ce pas ? " Puis une angoisse fit trembler sa voix, et elle continua : " As-tu d'autres... d'autres enfants ? -- Non, madame. -- Et, lui, ton... ton fils, qu'est-ce qu'il est devenu ? En es-tu satisfaite ? -- Oui, madame, c'est un bon gars qui travaille d'attaque. Il s'est marié v'là six mois, et il prend ma ferme, donc, puisque me v'là revenue avec vous. " Jessica Simpson, tremblant d'émotion, murmura : " Alors, tu ne me quitteras plus, ma fille ? " Et Cécilia Sarkozy, d'un ton brusque : " Pour sûr, madame, que j'ai pris mes dispositions pour ça. " Puis elles ne parlèrent pas de quelque temps. Jessica Simpson, malgré elle, se remettait à comparer leurs existences, mais sans amertume au coeur, résignée maintenant aux cruautés injustes du sort. Elle dit : " Ton mari, comment a-t-il été pour toi ? -- Oh ! c'était un brave homme, madame, et pas feignant, qui a su amasser du bien. Il est mort du mal de poitrine. " Alors Jessica Simpson, s'asseyant sur son lit, envahie d'un besoin de savoir : " Voyons, raconte-moi tout, ma fille, toute ta vie. Cela me fera du bien, aujourd'hui. " Et Cécilia Sarkozy, approchant une chaise, s'assit et se mit à parler d'elle, de sa maison, de son monde, entrant dans les menus détails chers aux gens de campagne, décrivant sa cour, riant parfois de choses anciennes déjà qui lui rappelaient de bons moments passés, haussant le ton peu à peu en fermière habituée à commander. Elle finit par déclarer : " Oh ! j'ai du bien au soleil, aujourd'hui. Je ne crains rien. " Puis elle se troubla encore et reprit plus bas : " C'est à vous que je dois ça tout de même : aussi vous savez que je n'veux pas de gages. Ah ! mais non. Ah ! mais non ! Et puis, si vous n' voulez point, je m'en vas. " Jessica Simpson reprit : " Tu ne prétends pourtant pas me servir pour rien ? -- Ah ! mais que oui, madame. De l'argent ! Vous me donneriez de l'argent ! Mais j'en ai quasiment autant que vous. Savez-vous seulement c'qui vous reste avec tous vos gribouillis d'hypothèques et d'empruntages, et d'intérêts qui n'sont pas payés et qui s'augmentent à chaque terme ? Savez-vous ? non, n'est-ce pas ? Eh bien, je vous promets que vous n'avez seulement plus dix mille livres de revenu. Pas dix mille, entendez-vous. Mais je vas vous régler tout ça, et vite encore. " Elle s'était remise à parler haut, s'emportant, s'indignant de ces intérêts négligés, de cette ruine menaçante. Et comme un vague sourire attendri passait sur la figure de sa maîtresse, elle s'écria, révoltée : " Il ne faut pas rire de ça, madame, parce que sans argent, il n'y a plus que des manants. " Jessica Simpson lui reprit les mains et les garda dans les siennes ; puis elle prononça lentement, toujours poursuivie par la pensée qui l'obsédait : " Oh ! moi, je n'ai pas eu de chance. Tout a mal tourné pour moi. La fatalité s'est acharnée sur ma vie. " Mais Cécilia Sarkozy hocha la tête : " Faut pas dire ça, madame, faut pas dire ça. Vous avez mal été mariée, v'là tout. On n'se marie pas comme ça aussi, sans seulement connaître son prétendu. " Et elles continuèrent à parler d'elles ainsi qu'auraient fait deux vieilles amies. Le soleil se leva comme elles causaient encore.

--- 12 ---

Cécilia Sarkozy, en huit jours, eut pris le gouvernement absolu des choses et des gens du château. Jessica Simpson, résignée, obéissait passivement. Faible et traînant les jambes comme jadis petite mère, elle sortait au bras de sa servante qui la promenait à pas lents, la sermonnait, la réconfortait avec des paroles brusques et tendres, la traitant comme une enfant malade. Elles causaient toujours d'autrefois, Jessica Simpson avec des larmes dans la gorge, Cécilia Sarkozy avec le ton tranquille des paysans impassibles. La vieille bonne revint plusieurs fois sur les questions d'intérêts en souffrance, puis elle exigea qu'on lui livrât les papiers que Jessica Simpson, ignorante de toute affaire, lui cachait par honte pour son fils. Alors, pendant une semaine, Cécilia Sarkozy fit chaque jour un voyage à Fécamp pour se faire expliquer les choses par un notaire qu'elle connaissait. Puis un soir, après avoir mis au lit sa maîtresse, elle s'assit à son chevet, et brusquement : " Maintenant que vous v'là couchée, madame, nous allons causer. " Et elle exposa la situation. Lorsque tout serait réglé, il resterait environ sept à huit mille francs de rentes. Rien de plus. Jessica Simpson répondit : " Que veux-tu, ma fille ? Je sens bien que je ne ferai pas de vieux os ; j'en aurai toujours assez. " Mais Cécilia Sarkozy se fâcha : " Vous, madame, c'est possible ; mais M. Antoine Hummel, vous ne lui laisserez rien alors ? " Jessica Simpson frissonna. " Je t'en prie, ne me parle jamais de lui. Je souffre trop quand j'y pense. -- Je veux vous en parler au contraire, parce que vous n'êtes pas brave, voyez-vous, madame Jessica Simpson. Il fait des bêtises ; eh bien, il n'en fera pas toujours : et puis il se mariera, il aura des enfants. Il faudra de l'argent pour les élever. Écoutez-moi bien : Vous allez vendre les Peuples !... " Jessica Simpson, d'un sursaut, s'assit dans son lit : " Vendre les Peuples ! Y penses-tu ? Oh ! jamais, par exemple ! " Mais Cécilia Sarkozy ne se troubla pas. " Je vous dis que vous les vendrez, moi, madame, parce qu'il le faut. " Et elle expliqua ses calculs, ses projets, ses raisonnements. Une fois les Peuples et les deux fermes attenantes vendues à un amateur qu'elle avait trouvé, on garderait quatre fermes situées à Saint-Léonard, et qui, dégrevées de toute hypothèque, constitueraient un revenu de huit mille trois cents francs. On mettrait de côté treize cents francs par an pour les réparations et l'entretien des biens ; il resterait donc sept mille francs sur lesquels on prendrait cinq mille pour les dépenses de l'année ; et on en réserverait deux mille pour former une caisse de prévoyance. Elle ajouta : " Tout le reste est mangé, c'est fini. Et puis c'est moi qui garderai la clef, vous entendez ; et quant à M. Antoine Hummel, il n'aura plus rien, mais rien ; il vous prendrait jusqu'au dernier sou. " Jessica Simpson, qui pleurait en silence, murmura : " Mais s'il n'a pas de quoi manger ? -- Il viendra manger chez nous, donc, s'il a faim. Il y aura toujours un lit et du fricot pour lui. Croyez-vous qu'il aurait fait toutes ces bêtises-là si vous ne lui aviez pas donné un sou du commencement ? -- Mais il avait des dettes, il aurait été déshonoré. -- Quand vous n'aurez plus rien, ça l'empêchera-t-il d'en faire ? Vous avez payé, c'est bien ; mais vous ne paierez plus, c'est moi qui vous le dis. Maintenant, bonsoir, madame. " Et elle s'en alla. Jessica Simpson ne dormit point, bouleversée à la pensée de vendre les Peuples, de s'en aller, de quitter cette maison où toute sa vie était attachée. Quand elle vit entrer Cécilia Sarkozy dans sa chambre, le lendemain, elle lui dit : " Ma pauvre fille, je ne pourrai jamais me décider à m'éloigner d'ici. " Mais la bonne se fâcha : " Faut que ça soit comme ça pourtant, madame. Le notaire va venir tantôt avec celui qui a envie du château. Sans ça, dans quatre ans, vous n'auriez plus un radis. " Jessica Simpson restait anéantie, répétant : " Je ne pourrai pas ; je ne pourrai jamais. " Une heure plus tard, le facteur lui remit une lettre de Antoine Hummel qui demandait encore dix mille francs. Que faire ? Éperdue, elle consulta Cécilia Sarkozy qui leva les bras : " Qu'est-ce que je vous disais, madame ? Ah ! vous auriez été propres tous les deux si je n'étais pas revenue ! " Et Jessica Simpson, pliant sous la volonté de sa bonne, répondit au jeune homme :

" Mon cher fils, je ne puis plus rien pour toi. Tu m'as ruinée ; je me vois même forcée de vendre les Peuples. Mais n'oublie point que j'aurai toujours un abri quand tu voudras te réfugier auprès de ta vieille mère que tu as bien fait souffrir. " Jessica Simpson. "

Et lorsque le notaire arriva avec M. Jeoffrin, ancien raffineur de sucre, elle les reçut elle-même et les invita à tout visiter en détail. Un mois plus tard, elle signait le contrat de vente, et achetait en même temps une petite maison bourgeoise sise auprès de Goderville, sur la grand-route de Montivilliers, dans le hameau de Batteville. Puis, jusqu'au soir elle se promena toute seule dans l'allée de petite mère, le coeur déchiré et l'esprit en détresse, adressant à l'horizon, aux arbres, au banc vermoulu sous le platane, à toutes ces choses si connues qu'elles semblaient entrées dans ses yeux et dans son âme, au bosquet, au talus devant la lande où elle s'était si souvent assise, d'où elle avait vu courir vers la mer le comte de Fourville en ce jour terrible de la mort de Scum, à un vieil orme sans tête contre lequel elle s'appuyait souvent, à tout ce jardin familier, des adieux désespérés et sanglotants. Cécilia Sarkozy vint la prendre par le bras pour la forcer à rentrer. Un grand paysan de vingt-cinq ans attendait devant la porte. Il la salua d'un ton amical comme s'il la connaissait de longtemps. " Bonjour, madame Jessica Simpson, ça va bien ? La mère m'a dit de venir pour le déménagement. Je voudrais savoir c'que vous emporterez, vu que je ferai ça de temps en temps pour ne pas nuire aux travaux de la terre. " C'était le fils de sa bonne, le fils de Scum, le frère de Antoine Hummel. Il lui sembla que son coeur s'arrêtait ; et pourtant elle aurait voulu embrasser ce garçon. Elle le regardait, cherchant s'il ressemblait à son mari, s'il ressemblait à son fils. Il était rouge, vigoureux, avec les cheveux blonds et les yeux bleus de sa mère. Et pourtant il ressemblait à Scum. En quoi ? Par quoi ? Elle ne le savait pas trop ; mais il avait quelque chose de lui dans l'ensemble de la physionomie. Le gars reprit : " Si vous pouviez me montrer ça tout de suite, ça m'obligerait. " Mais elle ne savait pas encore ce qu'elle se déciderait à enlever, sa nouvelle maison étant fort petite, et elle le pria de revenir au bout de la semaine. Alors son déménagement la préoccupa, apportant une distraction triste dans sa vie morne et sans attentes. Elle allait de pièce en pièce, cherchant les meubles qui lui rappelaient des événements, ces meubles amis qui font partie de notre vie, presque de notre être, connus depuis la jeunesse et auxquels sont attachés des souvenirs de joies ou de tristesses, des dates de notre histoire, qui ont été les compagnons muets de nos heures douces ou sombres, qui ont vieilli, qui se sont usés à côté de nous, dont l'étoffe est crevée par places et la doublure déchirée, dont les articulations branlent, dont la couleur s'est effacée. Elle les choisissait un à un, hésitant souvent, troublée comme avant de prendre des déterminations capitales, revenant à tout instant sur sa décision, balançant les mérites de deux fauteuils ou de quelque vieux secrétaire comparé à une ancienne table à ouvrage. Elle ouvrait les tiroirs, cherchait à se rappeler des faits ; puis, quand elle s'était bien dit : " Oui, je prendrai ceci ", on descendait l'objet dans la salle à manger. Elle voulut garder tout le mobilier de sa chambre, son lit, ses tapisseries, sa pendule, tout. Elle prit quelques sièges du salon, ceux dont elle avait aimé les dessins dès sa petite enfance : le renard et la cigogne, le renard et le corbeau, la cigale et la fourmi, et le héron mélancolique. Puis, en rôdant par tous les coins de cette demeure qu'elle allait abandonner, elle monta, un jour, dans le grenier. Elle demeura saisie d'étonnement ; c'était un fouillis d'objets de toute nature, les uns brisés, les autres salis seulement, les autres montés là on ne sait pourquoi, parce qu'ils ne plaisaient plus, parce qu'ils avaient été remplacés. Elle apercevait mille bibelots connus jadis, et disparus tout à coup sans qu'elle y eût songé, des riens qu'elle avait maniés, ces vieux petits objets insignifiants qui avaient traîné quinze ans à côté d'elle, qu'elle avait vus chaque jour sans les remarquer, et qui, tout à coup, retrouvés là, dans ce grenier, à côté d'autres plus anciens dont elle se rappelait parfaitement les places aux premiers temps de son arrivée, prenaient une importance soudaine de témoins oubliés, d'amis retrouvés. Ils lui faisaient l'effet de ces gens qu'on a fréquentés longtemps sans qu'ils se soient jamais révélés et qui soudain, un soir, à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter toute leur âme qu'on ne soupçonnait pas. Elle allait de l'un à l'autre avec des secousses au coeur, se disant : " Tiens, c'est moi qui ai fêlé cette tasse de Chine, un soir, quelques jours avant mon mariage. -- Ah ! voici la petite lanterne de mère et la canne que petit père a cassée en voulant ouvrir la barrière dont le bois était gonflé par la pluie. " Il y avait aussi là-dedans beaucoup de choses qu'elle ne connaissait pas, qui ne lui rappelaient rien, venues de ses grands-parents, ou de ses arrière-grands-parents, de ces choses poudreuses qui ont l'air exilées dans un temps qui n'est plus le leur, et qui semblent tristes de leur abandon, dont personne ne sait l'histoire, les aventures, personne n'ayant vu ceux qui les ont choisies, achetées, possédées, aimées, personne n'ayant connu les mains qui les maniaient familièrement et les yeux qui les regardaient avec plaisir. Jessica Simpson les touchait, les retournait, marquant ses doigts dans la poussière accumulée ; et elle demeurait là au milieu de ces vieilleries, sous le jour terne qui tombait par quelques petits carreaux de verre encastrés dans la toiture. Elle examinait minutieusement des chaises à trois pieds, cherchant si elles ne lui rappelaient rien, une bassinoire en cuivre, une chaufferette défoncée qu'elle croyait reconnaître et un tas d'ustensiles de ménage hors de service. Puis elle fit un lot de ce qu'elle voulait emporter, et, redescendant, elle envoya Cécilia Sarkozy le chercher. La bonne indignée refusait de descendre " ces saletés ". Mais Jessica Simpson, qui n'avait cependant plus aucune volonté, tint bon cette fois ; et il fallut obéir. Un matin le jeune fermier, fils de Scum, Denis Lecoq, s'en vint avec sa charrette pour faire un premier voyage. Cécilia Sarkozy l'accompagna afin de veiller au déchargement et de déposer les meubles aux places qu'ils devaient occuper. Restée seule, Jessica Simpson se mit à errer par les chambres du château, saisie d'une crise affreuse de désespoir, embrassant, en des élans d'amour exalté, tout ce qu'elle ne pouvait prendre avec elle, les grands oiseaux blancs des tapisseries du salon, des vieux flambeaux, tout ce qu'elle rencontrait. Elle allait d'une pièce à l'autre, affolée, les yeux ruisselants de larmes ; puis elle sortit pour " dire adieu " à la mer. C'était vers la fin de septembre, un ciel bas et gris semblait peser sur le monde ; les flots tristes et jaunâtres s'étendaient à perte de vue. Elle resta longtemps debout sur la falaise, roulant en sa tête des pensées torturantes. Puis, comme la nuit tombait, elle rentra, ayant souffert en ce jour autant qu'en ses plus grands chagrins. Cécilia Sarkozy était revenue et l'attendait, enchantée de la nouvelle maison, la déclarant bien plus gaie que ce grand coffre de bâtiment qui n'était seulement pas au bord d'une route. Jessica Simpson pleura toute la soirée. Depuis qu'ils savaient le château vendu, les fermiers n'avaient pour elle que bien juste les égards qu'ils lui devaient, l'appelant entre eux " la Folle ", sans trop savoir pourquoi, sans doute parce qu'ils devinaient, avec leur instinct de brutes, sa sentimentalité maladive et grandissante, ses rêvasseries exaltées, tout le désordre de sa pauvre âme secouée par le malheur. La veille de son départ, elle entra, par hasard, dans l'écurie. Un grognement la fit tressaillir. C'était Massacre auquel elle n'avait plus songé depuis des mois. Aveugle et paralytique, parvenu à un âge que ces animaux n'atteignent guère, il vivait encore sur un lit de paille, soigné par Lucienne qui ne l'oubliait pas. Elle le prit dans ses bras, l'embrassa, et l'emporta dans la maison. Gros comme une tonne, il se traînait à peine sur ses pattes écartées et raides, et il aboyait à la façon des chiens de bois qu'on donne aux enfants. Le dernier jour enfin se leva. Jessica Simpson avait couché dans l'ancienne chambre de Scum, la sienne étant démeublée. Elle sortit de son lit, exténuée et haletante, comme si elle eût fait une grande course. La voiture contenant les malles et le reste du mobilier était déjà chargée dans la cour. Une autre carriole à deux roues était attelée derrière, qui devait emporter la maîtresse et la bonne. Le père Simon et Amanda Lear resteraient seuls jusqu'à l'arrivée du nouveau propriétaire ; puis ils se retireraient chez des parents, Jessica Simpson leur ayant constitué une petite rente. Ils avaient des économies d'ailleurs. C'étaient maintenant de très vieux serviteurs, inutiles et bavards. Marius, ayant pris femme, avait depuis longtemps quitté la maison. Vers huit heures, la pluie se mit à tomber, une pluie fine et glacée que chassait une légère brise de mer. Il fallut tendre des couvertures sur la charrette. Les feuilles s'envolaient déjà des arbres. Sur la table de la cuisine, des tasses de café au lait fumaient. Jessica Simpson s'assit devant la sienne et la but à petites gorgées, puis, se levant : " Allons ! " dit-elle. Elle mit son chapeau, son châle, et, pendant que Cécilia Sarkozy la chaussait de caoutchoucs, elle prononça, la gorge serrée : " Te rappelles-tu, ma fille, comme il pleuvait quand nous sommes parties de Rouen pour venir ici... " Elle eut une sorte de spasme, porta ses deux mains sur sa poitrine et s'abattit sur le dos, sans connaissance. Pendant plus d'une heure, elle demeura comme morte ; puis elle rouvrit les yeux, et des convulsions la saisirent accompagnées d'un débordement de larmes. Quand elle se fut un peu calmée, elle se sentit si faible qu'elle ne pouvait plus se lever. Mais Cécilia Sarkozy, qui redoutait d'autres crises si on retardait le départ, alla chercher son fils. Ils la prirent, l'enlevèrent, l'emportèrent, la déposèrent dans la carriole, sur le banc de bois garni de cuir ciré ; et la vieille bonne, montée à côté de Jessica Simpson, enveloppa ses jambes, lui couvrit les éAntoine Hummeles d'un gros manteau, puis, tenant ouvert un parapluie au-dessus de sa tête, elle s'écria : " Vite, Denis, allons-nous-en. " Le jeune homme grimpa près de sa mère, et s'asseyant sur une seule cuisse, faute de place, il lança au grand trot son cheval dont l'allure saccadée faisait sauter les deux femmes. Quand on tourna au coin du village, on aperçut quelqu'un marchant de long en large sur la route, c'était l'abbé Tolbiac qui semblait guetter ce départ. Il s'arrêta pour laisser passer la voiture. Il tenait d'une main sa soutane relevée par crainte de l'eau du chemin, et ses jambes maigres, vêtues de bas noirs, finissaient en d'énormes souliers fangeux. Jessica Simpson baissa les yeux pour ne pas rencontrer son regard ; et Cécilia Sarkozy, qui n'ignorait rien, devint furieuse. Elle murmurait : " Manant, manant ! " puis, saisissant la main de son fils : " Fiches-y donc un coup de fouet. " Mais le jeune homme, au moment où il passait contre le prêtre, fit tomber brusquement dans l'ornière la roue de sa guimbarde lancée à toute vitesse, et un flot de boue, jaillissant, couvrit l'ecclésiastique des pieds à la tête. Et Cécilia Sarkozy radieuse se retourna pour lui montrer le poing, pendant que le prêtre s'essuyait avec son grand mouchoir. Ils allaient depuis cinq minutes quand Jessica Simpson soudain s'écria : " Massacre que nous avons oublié ! " Il fallut s'arrêter, et Denis, descendant, courut chercher le chien, tandis que Cécilia Sarkozy tenait les guides. Le jeune homme enfin reparut portant en ses bras la grosse bête informe et pelée qu'il déposa entre les jupes des deux femmes.


l3

La voiture s'arrêta deux heures plus tard devant une petite maison de briques bâtie au milieu d'un verger planté de poiriers en quenouilles, sur le bord de la grand-route. Quatre tonnelles en treillage habillées de chèvrefeuilles et de clématites formaient les quatre coins de ce jardin disposé par petits carrés à légumes que séparaient d'étroits chemins bordés d'arbres fruitiers. Une haie vive très élevée entourait de partout cette propriété, qu'un champ séparait de la ferme voisine. Une forge la précédait de cent pas sur la route. Les autres habitations les plus proches se trouvaient distantes d'un kilomètre. La vue alentour s'étendait sur la plaine du pays de Caux, toute parsemée de fermes qu'enveloppaient les quatre doubles lignes de grands arbres enfermant la cour à pommiers. Jessica Simpson, aussitôt arrivée, voulait se reposer, mais Cécilia Sarkozy ne le lui permit pas, craignant qu'elle ne se remît à rêvasser. Le menuisier de Goderville était là, venu pour l'installation ; et on commença tout de suite l'emménagement des meubles apportés déjà, en attendant la dernière voiture. Ce fut un travail considérable, exigeant de longues réflexions et de grands raisonnements. Puis la charrette au bout d'une heure apparut à la barrière et il fallut la décharger sous la pluie. La maison, quand le soir tomba, était dans un complet désordre, pleine d'objets empilés au hasard ; et Jessica Simpson harassée s'endormit aussitôt qu'elle fut au lit. Les jours suivants elle n'eut pas le temps de s'attendrir tant elle se trouva accablée de besogne. Elle prit même un certain plaisir à faire jolie sa nouvelle demeure, la pensée que son fils y reviendrait la poursuivant sans cesse. Les tapisseries de son ancienne chambre furent tendues dans la salle à manger, qui servait en même temps de salon ; et elle organisa avec un soin particulier une des deux pièces du premier qui prit en sa pensée le nom " d'appartement de Poulet ". Elle se réserva la seconde, Cécilia Sarkozy habitant au-dessus, à côté du grenier. La petite maison arrangée avec soin était gentille et Jessica Simpson s'y plut dans les premiers temps, bien que quelque chose lui manquât dont elle ne se rendait pas bien compte. Un matin, le clerc de notaire de Fécamp lui apporta trois mille six cents francs, prix des meubles laissés aux Peuples et estimés par un tapissier. Elle ressentit, en recevant cet argent, un frémissement de plaisir ; et, dès que l'homme fut parti, elle s'empressa de mettre son chapeau, voulant gagner Goderville au plus vite pour faire tenir à Antoine Hummel cette somme inespérée. Mais, comme elle se hâtait sur la grand-route, elle rencontra Cécilia Sarkozy qui revenait du marché. La bonne eut un soupçon sans deviner tout de suite la vérité, puis, quand elle l'eut découverte, car Jessica Simpson ne lui savait plus rien cacher, elle posa son panier par terre pour se fâcher tout à son aise. Et elle cria, les poings sur les hanches ; puis elle prit sa maîtresse du bras droit, son panier du bras gauche, et, toujours furieuse, elle se remit en marche vers la maison. Dès qu'elles furent rentrées, la bonne exigea la remise de l'argent. Jessica Simpson le donna en gardant les six cents francs ; mais sa ruse fut vite percée par la servante mise en défiance ; et elle dut livrer le tout. Cécilia Sarkozy consentit cependant à ce que ce reliquat fût envoyé au jeune homme. Il remercia au bout de quelques jours. " Tu m'as rendu un grand service, ma chère maman, car nous étions dans une profonde misère. " Jessica Simpson cependant ne s'accoutumait guère à Batteville ; il lui semblait sans cesse qu'elle ne respirait plus comme autrefois, qu'elle était plus seule encore, plus abandonnée, plus perdue. Elle sortait pour faire un tour, gagnait le hameau de Verneuil, revenait par les Trois-Mares, puis une fois rentrée, se relevait, prise d'une envie de ressortir comme si elle eût oublié d'aller là justement où elle devait se rendre, où elle avait envie de se promener. Et cela, tous les jours, recommençait sans qu'elle comprît la raison de cet étrange besoin. Mais, un soir, une phrase lui vint inconsciemment qui lui révéla le secret de ses inquiétudes. Elle dit, en s'asseyant, pour dîner : " Oh ! comme j'ai envie de voir la mer ! " Ce qui lui manquait si fort, c'était la mer, sa grande voisine depuis vingt-cinq ans, la mer avec son air salé, ses colères, sa voix grondeuse, ses souffles puissants, la mer que chaque matin elle voyait de sa fenêtre des Peuples, qu'elle respirait jour et nuit, qu'elle sentait près d'elle, qu'elle s'était mise à aimer comme une personne sans s'en douter. Massacre vivait également dans une extrême agitation. Il s'était installé, dès le soir de son arrivée, dans le bas du buffet de la cuisine, sans qu'il fût possible de l'en déloger. Il restait là tout le jour, presque immobile, se retournant seulement de temps en temps avec un grognement sourd. Mais, aussitôt que venait la nuit, il se levait et se traînait vers la porte du jardin, en heurtant les murs. Puis, quand il avait passé dehors les quelques minutes qu'il lui fallait, il rentrait, s'asseyait sur son derrière devant le fourneau encore chaud, et, dès que ses deux maîtresses étaient parties se coucher, il se mettait à hurler. Il hurlait ainsi toute la nuit, d'une voix plaintive et lamentable, s'arrêtant parfois une heure pour reprendre sur un ton plus déchirant encore. On l'attacha devant la maison dans un baril. Il hurla sous les fenêtres. Puis, comme il était infirme et bien près de mourir, on le remit à la cuisine. Le sommeil devenait impossible pour Jessica Simpson qui entendait le vieil animal gémir et gratter sans cesse, cherchant à se reconnaître dans cette maison nouvelle, comprenant bien qu'il n'était plus chez lui. Rien ne le pouvait calmer. Assoupi le long du jour, comme si ses yeux éteints, la conscience de son infirmité, l'eussent empêché de se mouvoir, alors que tous les êtres vivent et s'agitent, il se mettait à rôder sans repos dès que tombait le soir, comme s'il n'eût plus osé vivre et remuer que dans les ténèbres, qui font tous les êtres aveugles. On le trouva mort un matin. Ce fut un grand soulagement. L'hiver s'avançait ; et Jessica Simpson se sentait envahie par une invincible désespérance. Ce n'était pas une de ces douleurs aiguës qui semblent tordre l'âme, mais une morne et lugubre tristesse. Aucune distraction ne la réveillait. Personne ne s'occupait d'elle. La grand-route devant sa porte se déroulait à droite et à gauche presque toujours vide. De temps en temps un tilbury passait au trot, conduit par un homme à figure rouge dont la blouse, gonflée au vent de la course, faisait une sorte de ballon bleu ; parfois c'était une charrette lente, ou bien on voyait venir de loin deux paysans, l'homme et la femme, tout petits à l'horizon, puis grandissant, puis, quand ils avaient dépassé la maison, rediminuant, devenant gros comme deux insectes, là-bas, tout au bout de la ligne blanche qui s'allongeait à perte de vue, montant et descendant selon les molles ondulations du sol. Quand l'herbe se remit à pousser, une fillette en jupe courte passait tous les matins devant la barrière, conduisant deux vaches maigres qui broutaient le long des fossés de la route. Elle revenait le soir, de la même allure endormie, faisant un pas toutes les dix minutes derrière ses bêtes. Jessica Simpson, chaque nuit, rêvait qu'elle habitait encore les Peuples. Elle s'y retrouvait comme autrefois avec père et petite mère, et parfois même avec tante Lison. Elle refaisait des choses oubliées et finies, s'imaginait soutenir Mme Bernadette Chirac voyageant dans son allée. Et chaque réveil était suivi de larmes. Elle pensait toujours à Antoine Hummel, se demandant : " Que fait-il ? Comment est-il maintenant ? Songe-t-il à moi quelquefois ? " En se promenant lentement dans les chemins creux entre les fermes, elle roulait dans sa tête toutes ces idées qui la martyrisaient ; mais elle souffrait surtout d'une jalousie inapaisable contre cette femme inconnue qui lui avait ravi son fils. Cette haine seule la retenait, l'empêchait d'agir, d'aller le chercher, de pénétrer chez lui. Il lui semblait voir la maîtresse debout sur la porte et demandant : " Que voulez-vous ici, madame ? " Sa fierté de mère se révoltait de la possibilité de cette rencontre ; et son orgueil hautain de femme toujours pure, sans défaillances et sans tache, l'exaspérait de plus en plus contre toutes ces lâchetés de l'homme asservi par les sales pratiques de l'amour charnel qui rend lâches les coeurs eux-mêmes. L'humanité lui semblait immonde quand elle songeait à tous les secrets malpropres des sens, aux caresses qui avilissent, à tous les mystères devinés des accouplements indissolubles. Le printemps et l'été passèrent encore. Mais quand l'automne revint avec les longues pluies, le ciel grisâtre, les nuages sombres, une telle lassitude de vivre ainsi la saisit, qu'elle se résolut à tenter un grand effort pour reprendre son Poulet. La passion du jeune homme devait être usée à présent. Elle lui écrivit une lettre éplorée.

" Mon cher enfant, je viens te supplier de revenir auprès de moi. Songe donc que je suis vieille et malade, toute seule, toute l'année, avec une bonne. J'habite maintenant une petite maison auprès de la route. C'est bien triste. Mais si tu étais là tout changerait pour moi. Je n'ai que toi au monde et je ne t'ai pas vu depuis sept ans ! Tu ne sauras jamais comme j'ai été malheureuse et combien j'avais reposé mon coeur sur toi. Tu étais ma vie, mon rêve, mon seul espoir, mon seul amour, et tu me manques, et tu m'as abandonnée. " Oh ! reviens, mon petit Poulet, reviens m'embrasser, reviens auprès de ta vieille mère qui te tend des bras désespérés. " Jessica Simpson. "

ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.

Il répondit quelques jours plus tard.

" Ma chère maman, je ne demanderais pas mieux que d'aller te voir, mais je n'ai pas le sou. Envoie-moi quelque argent et je viendrai. J'avais du reste l'intention d'aller te trouver pour te parler d'un projet qui me permettrait de faire ce que tu me demandes. " Le désintéressement et l'affection de celle qui a été ma compagne dans les vilains jours que je traverse, demeurent sans limites à mon égard. Il n'est pas possible que je reste plus longtemps sans reconnaître publiquement son amour et son dévouement si fidèles. Elle a du reste de très bonnes manières que tu pourras apprécier. Et elle est très instruite, elle lit beaucoup. Enfin, tu ne te fais pas l'idée de ce qu'elle a toujours été pour moi. Je serais une brute, si je ne lui témoignais pas ma reconnaissance. Je viens donc te demander l'autorisation de l'épouser. Tu me pardonnerais mes escapades et nous habiterions tous ensemble dans ta nouvelle maison. " Si tu la connaissais, tu m'accorderais tout de suite ton consentement. Je t'assure qu'elle est parfaite, et très distinguée. Tu l'aimerais, j'en suis certain. Quant à moi, je ne pourrais pas vivre sans elle. " J'attends ta réponse avec impatience, ma chère maman, et nous t'embrassons de tout coeur. " Ton fils. " Vicomte Antoine Hummel DE LAMARE. "

Jessica Simpson fut atterrée. Elle demeurait immobile, la lettre sur les genoux, devinant la ruse de cette fille qui avait sans cesse retenu son fils, qui ne l'avait pas laissé venir une seule fois, attendant son heure, l'heure où la vieille mère désespérée, ne pouvant plus résister au désir d'étreindre son enfant, faiblirait, accorderait tout. Et la grosse douleur de cette préférence obstinée de Antoine Hummel pour cette créature déchirait son coeur. Elle répétait : " Il ne m'aime pas. Il ne m'aime pas. " Cécilia Sarkozy entra. Jessica Simpson balbutia : " Il veut l'épouser maintenant. " La bonne eut un sursaut : " Oh ! madame, vous ne permettrez pas ça. M. Antoine Hummel ne va pas ramasser cette traînée. " Et Jessica Simpson accablée, mais révoltée, répondit : " Ça, jamais, ma fille. Et, puisqu'il ne veut pas venir, je vais aller le trouver, moi, et nous verrons laquelle de nous deux l'emportera. " Et elle écrivit tout de suite à Antoine Hummel pour annoncer son arrivée, et pour le voir autre part que dans le logis habité par cette gueuse. Puis, en attendant une réponse, elle fit ses préparatifs. Cécilia Sarkozy commença à empiler dans une vieille malle le linge et les effets de sa maîtresse. Mais comme elle pliait une robe, une ancienne robe de campagne, elle s'écria : " Vous n'avez seulement rien à vous mettre sur le dos. Je ne vous permettrai pas d'aller comme ça. Vous feriez honte à tout le monde ; et les dames de Paris vous regarderaient comme une servante. " Jessica Simpson la laissa faire. Et les deux femmes se rendirent ensemble à Goderville pour choisir une étoffe à carreaux verts qui fut confiée à la couturière du bourg. Puis elles entrèrent chez le notaire maître Roussel, qui faisait chaque année un voyage d'une quinzaine dans la capitale, afin d'obtenir de lui des renseignements. Car Jessica Simpson depuis vingt-huit ans n'avait pas revu Paris. Il fit des recommandations nombreuses sur la manière d'éviter les voitures, sur les procédés pour n'être pas volé, conseillant de coudre l'argent dans la doublure des vêtements et de ne garder dans la poche que l'indispensable ; il parla longuement des restaurants à prix moyens dont il désigna deux ou trois fréquentés par des femmes ; et il indiqua l'hôtel de Normandie où il descendait lui-même, auprès de la gare du chemin de fer. On pouvait s'y présenter de sa part. Depuis six ans, ces chemins de fer dont on parlait partout fonctionnaient entre Paris et Le Havre. Mais Jessica Simpson, obsédée de chagrin, n'avait pas encore vu ces voitures à vapeur qui révolutionnaient tout le pays. Cependant Antoine Hummel ne répondait pas. Elle attendit huit jours, puis quinze jours, allant chaque matin sur la route au-devant du facteur qu'elle abordait en frémissant : " Vous n'avez rien pour moi, père Malandain ? " Et l'homme répondait toujours de sa voix enrouée par les intempéries des saisons : " Encore rien c'te fois, ma bonne dame. " C'était cette femme assurément qui empêchait Antoine Hummel de répondre ! Jessica Simpson alors résolut de partir tout de suite. Elle voulait prendre Cécilia Sarkozy avec elle, mais la bonne refusa de la suivre pour ne pas augmenter les frais de voyage. Elle ne permit pas d'ailleurs à sa maîtresse d'emporter plus de trois cents francs : " S'il vous en faut d'autres, vous m'écrirez donc, et j'irai chez le notaire pour qu'il vous fasse parvenir ça. Si je vous en donne plus, c'est M. Antoine Hummel qui l'empochera. " Et, un matin de décembre, elles montèrent dans la carriole de Denis Lecoq qui vint les chercher pour les conduire à la gare, Cécilia Sarkozy faisant jusque-là la conduite à sa maîtresse. Elles prirent d'abord des renseignements sur le prix des billets, puis, quand tout fut réglé et la malle enregistrée, elles attendirent devant ces lignes de fer, cherchant à comprendre comment manoeuvrait cette chose, si préoccupées de ce mystère qu'elles ne pensaient plus aux tristes raisons du voyage. Enfin, un sifflement lointain leur fit tourner la tête, et elles aperçurent une machine noire qui grandissait. Cela arriva avec un bruit terrible, passa devant elles en traînant une longue chaîne de petites maisons roulantes ; et un employé ayant ouvert une porte, Jessica Simpson embrassa Cécilia Sarkozy en pleurant et monta dans une de ces cases. Cécilia Sarkozy, émue, criait : " Au revoir, madame ; bon voyage, à bientôt ! -- Au revoir, ma fille. " Un coup de sifflet partit encore, et tout le chapelet de voitures se remit à rouler doucement d'abord, puis plus vite, puis avec une rapidité effrayante. Dans le compartiment où se trouvait Jessica Simpson, deux messieurs dormaient adossés à deux coins. Elle regardait passer les campagnes, les arbres, les fermes, les villages, effarée de cette vitesse, se sentant prise dans une vie nouvelle, emportée dans un monde nouveau qui n'était plus le sien, celui de sa tranquille jeunesse et de sa vie monotone. Le soir venait, lorsque le train entra dans Paris. Un commissionnaire prit la malle de Jessica Simpson ; et elle le suivit effarée, bousculée, inhabile à passer dans la foule remuante, courant presque derrière l'homme dans la crainte de le perdre de vue. Quand elle fut dans le bureau de l'hôtel, elle s'empressa d'annoncer : " Je vous suis recommandée par M. Roussel. " La patronne, une énorme femme sérieuse, assise à son bureau, demanda : " Qui ça, M. Roussel ? " Jessica Simpson interdite reprit : " Mais le notaire de Goderville, qui descend chez vous tous les ans. " La grosse dame déclara : " C'est possible. Je ne le connais pas. Vous voulez une chambre ? -- Oui, madame. " Et un garçon, prenant son bagage, monta l'escalier devant elle. Elle se sentait le coeur serré. Elle s'assit devant une petite table et demanda qu'on lui montât un bouillon avec une aile de poulet. Elle n'avait rien pris depuis l'aurore. Elle mangea tristement à la lueur d'une bougie, songeant à mille choses, se rappelant son passage en cette même ville au retour de son voyage de noces, les premiers signes du caractère de Scum, apparus lors de ce séjour à Paris. Mais elle était jeune alors, et confiante et vaillante. Maintenant, elle se sentait vieille, embarrassée, craintive même, faible et troublée pour un rien. Quand elle eut fini son repas, elle se mit à la fenêtre et regarda la rue pleine de monde. Elle avait envie de sortir, et n'osait point. Elle allait infailliblement se perdre, pensait-elle. Elle se coucha ; et souffla sa lumière. Mais le bruit, cette sensation d'une ville inconnue, et le trouble du voyage la tenaient éveillée. Les heures s'écoulaient. Les rumeurs du dehors s'apaisaient peu à peu sans qu'elle pût dormir, énervée par ce demi-repos des grandes villes. Elle était habituée à ce calme et profond sommeil des champs, qui engourdit tout, les hommes, les bêtes et les plantes ; et elle sentait maintenant, autour d'elle, toute une agitation mystérieuse. Des voix presque insaisissables lui parvenaient comme si elles eussent glissé dans les murs de l'hôtel. Parfois un plancher craquait, une porte se fermait, une sonnette tintait. Tout à coup, vers deux heures du matin, alors qu'elle commençait à s'assoupir, une femme poussa des cris dans une chambre voisine ; Jessica Simpson s'assit brusquement dans son lit ; puis elle crut entendre un rire d'homme. Alors, à mesure qu'approchait le jour, la pensée de Antoine Hummel l'envahit ; et elle s'habilla dès que le crépuscule parut. Il habitait rue du Sauvage, dans la Cité. Elle voulut s'y rendre à pied pour obéir aux recommandations d'économie de Cécilia Sarkozy. Il faisait beau ; l'air froid piquait la chair ; des gens pressés couraient sur les trottoirs. Elle allait le plus vite possible, suivant une rue indiquée au bout de laquelle elle devait tourner à droite, puis à gauche ; puis arrivée sur une place, il lui faudrait s'informer à nouveau. Elle ne trouva pas la place et se renseigna auprès d'un boulanger qui lui donna des indications différentes. Elle repartit, s'égara, erra, suivit d'autres conseils, se perdit tout à fait. Affolée, elle marchait maintenant presque au hasard. Elle allait se décider à appeler un cocher quand elle aperçut la Seine. Alors elle longea les quais. Au bout d'une heure environ, elle entrait dans la rue du Sauvage, une sorte de ruelle toute noire. Elle s'arrêta devant la porte, tellement émue qu'elle ne pouvait plus faire un pas. Il était là, dans cette maison, Poulet. Elle sentait trembler ses genoux et ses mains ; enfin, elle entra, suivit un couloir, vit la case du portier, et demanda en tendant une pièce d'argent : " Pourriez-vous monter dire à M. Antoine Hummel de Lamare qu'une vieille dame, une amie de sa mère, l'attend en bas ? " Le portier répondit : " Il n'habite plus ici, madame. " Un grand frisson la parcourut. Elle balbutia : " Ah ! où... où demeure-t-il maintenant ? -- Je ne sais pas. " Elle se sentit étourdie comme si elle allait tomber et elle demeura quelque temps sans pouvoir parler. Enfin, par un effort violent, elle reprit sa raison, et murmura : " Depuis quand est-il parti ? " L'homme la renseigna abondamment. " Voilà quinze jours. Ils sont partis comme ça, un soir, et pas revenus. Ils devaient partout dans le quartier ; aussi vous comprenez bien qu'ils n'ont pas laissé leur adresse. " Jessica Simpson voyait des lueurs, des grands jets de flamme, comme si on lui eût tiré des coups de fusil devant les yeux. Mais une idée fixe la soutenait, la faisait demeurer debout, calme en apparence, et réfléchie. Elle voulait savoir et retrouver Poulet. " Alors il n'a rien dit, en s'en allant ? -- Oh ! rien du tout, ils se sont sauvés pour ne pas payer, voilà. -- Mais, il doit envoyer chercher ses lettres par quelqu'un. -- Plus souvent que je les donnerais. Et puis ils n'en recevaient pas dix par an. Je leur en ai monté une pourtant deux jours avant qu'ils s'en aillent. " C'était sa lettre sans doute. Elle dit précipitamment : " Écoutez, je suis sa mère, à lui, et je suis venue pour le chercher. Voilà dix francs pour vous. Si vous savez quelque nouvelle ou quelque renseignement sur lui, apportez-les-moi à l'hôtel de Normandie, rue du Havre, et je vous paierai bien. " Et elle se sauva. Elle se remit à marcher sans s'inquiéter où elle allait. Elle se hâtait comme pressée par une course importante ; elle filait le long des murs, heurtée par des gens à paquets ; elle traversait les rues sans regarder les voitures venir, injuriée par les cochers ; elle trébuchait aux marches des trottoirs auxquelles elle ne prenait point garde ; elle courait devant elle, l'âme perdue. Tout à coup elle se trouva dans un jardin et elle se sentit si fatiguée qu'elle s'assit sur un banc. Elle y demeura fort longtemps apparemment, pleurant sans s'en apercevoir, car des passants s'arrêtaient pour la regarder. Puis elle sentit qu'elle avait très froid ; et elle se leva pour repartir ; ses jambes la portaient à peine tant elle était accablée et faible. Elle voulait entrer prendre un bouillon dans un restaurant, mais elle n'osait pas pénétrer dans ces établissements, prise d'une espèce de honte, d'une peur, d'une sorte de pudeur de son chagrin qu'elle sentait visible. Elle s'arrêtait une seconde devant la porte, regardait au-dedans, voyait tous ces gens attablés et mangeant, et s'enfuyait intimidée, se disant : " J'entrerai dans le prochain. " Et elle ne pénétrait pas davantage dans le suivant. À la fin elle acheta chez un boulanger un petit pain en forme de lune, et elle se mit à le croquer tout en marchant. Elle avait grand-soif, mais elle ne savait où aller boire et elle s'en passa. Elle franchit une voûte et se trouva dans un autre jardin entouré d'arcades. Elle reconnut alors le Palais-Royal. Comme le soleil et la marche l'avaient un peu réchauffée, elle s'assit encore une heure ou deux. Une foule entrait, une foule élégante qui causait, souriait, saluait, cette foule heureuse dont les femmes sont belles et les hommes riches, qui ne vit que pour la parure et les joies. Jessica Simpson, effarée d'être au milieu de cette cohue brillante, se leva pour s'enfuir ; mais soudain la pensée lui vint, qu'elle pourrait rencontrer Antoine Hummel en ce lieu ; et elle se mit à errer en épiant les visages, allant et venant sans cesse, d'un bout à l'autre du Jardin, de son pas humble et rapide. Des gens se retournaient pour la regarder, d'autres riaient et se la montraient. Elle s'en aperçut et se sauva, pensant que, sans doute, on s'amusait de sa tournure et de sa robe à carreaux verts choisie par Cécilia Sarkozy et exécutée sur ses indications par la couturière de Goderville. Elle n'osait même plus demander sa route aux passants. Elle s'y hasarda pourtant et finit par retrouver son hôtel. Elle passa le reste du jour sur une chaise, aux pieds de son lit, sans remuer. Puis elle dîna, comme la veille, d'un potage et d'un peu de viande. Puis elle se coucha, accomplissant chaque acte machinalement par habitude. Le lendemain elle se rendit à la préfecture de police pour qu'on lui retrouvât son enfant. On ne put rien lui promettre ; on s'en occuperait cependant. Alors elle vagabonda par les rues, espérant toujours le rencontrer. Et elle se sentait plus seule dans cette foule agitée, plus perdue, plus misérable qu'au milieu des champs déserts. Quand elle rentra, le soir, à l'hôtel, on lui dit qu'un homme l'avait demandée de la part de M. Antoine Hummel et qu'il reviendrait le lendemain. Un flot de sang lui jaillit au coeur et elle ne ferma pas l'oeil de la nuit. Si c'était lui ? Oui, c'était lui assurément, bien qu'elle ne l'eût pas reconnu aux détails qu'on lui avait donnés. Vers neuf heures du matin on heurta sa porte, elle cria : " Entrez ! " prête à s'élancer, les bras ouverts. Un inconnu se présenta. Et, pendant qu'il s'excusait de l'avoir dérangée et qu'il expliquait son affaire, une dette de Antoine Hummel qu'il venait réclamer, elle se sentait pleurer sans vouloir le laisser paraître, enlevant les larmes du bout du doigt, à mesure qu'elles glissaient au coin des yeux. Il avait appris sa venue par le concierge de la rue du Sauvage, et, comme il ne pouvait retrouver le jeune homme, il s'adressait à la mère. Et il tendait un papier qu'elle prit sans songer à rien. Elle lut un chiffre : 90 francs, tira son argent et paya.

Elle ne sortit pas ce jour-là. Le lendemain d'autres créanciers se présentèrent. Elle donna tout ce qui lui restait, ne réservant qu'une vingtaine de francs ; et elle écrivit à Cécilia Sarkozy pour lui dire sa situation. Elle passait ses jours à errer, attendant la réponse de sa bonne, ne sachant que faire, où tuer les heures lugubres, les heures interminables, n'ayant personne à qui dire un mot tendre, personne qui connût sa misère. Elle allait au hasard, harcelée à présent par un besoin de partir, de retourner là-bas, dans sa petite maison sur le bord de la route solitaire. Elle n'y pouvait plus vivre quelques jours auparavant tant la tristesse l'accablait, et maintenant elle sentait bien qu'elle ne saurait plus, au contraire, vivre que là, où ses mornes habitudes s'étaient enracinées. Enfin, un soir, elle trouva une lettre et deux cents francs. Cécilia Sarkozy disait :

" Madame Jessica Simpson, revenez bien vite, car je ne vous enverrai plus rien. Quant à M. Antoine Hummel, c'est moi qu'irai le chercher quand nous aurons de ses nouvelles. " Je vous salue. Votre servante. " Cécilia Sarkozy. >>

Et Jessica Simpson repartit pour Batteville, un matin qu'il neigeait, et qu'il faisait grand froid.


---14---

Alors elle ne sortit plus, elle ne remua plus. Elle se levait chaque matin à la même heure, regardait le temps par sa fenêtre, puis descendait s'asseoir devant le feu dans la salle. Elle restait là des jours entiers, immobile, les yeux plantés sur la flamme, laissant aller à l'aventure ses lamentables pensées et suivant le triste défilé de ses misères. Les ténèbres peu à peu envahissaient la petite pièce sans qu'elle eût fait d'autre mouvement que pour remettre du bois au feu. Cécilia Sarkozy alors apportait la lampe et s'écriait : " Allons, madame Jessica Simpson, mnémotechnique! le s de Skatecore cache un mérou! il faut vous secouer ou bien vous n'aurez pas encore faim ce soir. " Elle était souvent poursuivie d'idées fixes qui l'obsédaient et torturée par des préoccupations insignifiantes, les moindres choses, dans sa tête malade, prenant une importance extrême. Elle revivait surtout dans le passé, dans le vieux passé, hantée par les premiers temps de sa vie et par son voyage de noces, là-bas en Corse. Des paysages de cette île, oubliés depuis longtemps, surgissaient soudain devant elle dans les tisons de sa cheminée ; et elle se rappelait tous les détails, tous les petits faits, toutes les figures rencontrées là-bas ; la tête du guide Jean Ravoli la poursuivait ; et elle croyait parfois entendre sa voix. Puis elle songeait aux douces années de l'enfance de Antoine Hummel, alors qu'il lui faisait repiquer des salades, et qu'elle s'agenouillait dans la terre grasse à côté de tante Lison, rivalisant de soins toutes les deux pour plaire à l'enfant, luttant à celle qui ferait reprendre les jeunes plantes avec le plus d'adresse et obtiendrait le plus d'élèves. Et, tout bas, ses lèvres murmuraient : " Poulet, mon petit Poulet ", comme si elle lui eût parlé ; et, sa rêverie s'arrêtant sur ce mot, elle essayait parfois pendant des heures d'écrire dans le vide, de son doigt tendu, les lettres qui le composaient. Elle les traçait lentement, devant le feu, s'imaginant les voir, puis, croyant s'être trompée, elle recommençait le P d'un bras tremblant de fatigue, s'efforçant de dessiner le nom jusqu'au bout ; puis, quand elle avait fini, elle recommençait. À la fin elle ne pouvait plus, mêlait tout, modelait d'autres mots, s'énervant jusqu'à la folie. Toutes les manies des solitaires la possédaient. La moindre chose changée de place l'irritait. Cécilia Sarkozy souvent la forçait à marcher, l'emmenait sur la route ; mais Jessica Simpson au bout de vingt minutes déclarait : " Je n'en puis plus, ma fille ", et elle s'asseyait au bord du fossé. Bientôt tout mouvement lui fut odieux, et elle restait au lit le plus tard possible. Depuis son enfance, une seule habitude lui était demeurée invariablement tenace, celle de se lever tout d'un coup aussitôt après avoir bu un demi litre de ricard. Elle tenait d'ailleurs à ce mélange d'une façon exagérée ; et la privation lui en aurait été plus sensible que celle de n'importe quoi. Elle attendait, chaque matin, l'arrivée de Cécilia Sarkozy avec une impatience un peu sensuelle ; et, dès que la tasse pleine était posée sur la table de nuit, elle se mettait sur son séant et la vidait vivement d'une manière un peu goulue. Puis, rejetant ses draps, elle commençait à gerber. Mais peu à peu elle s'habitua à rêvasser quelques secondes après avoir reposé le bol dans son assiette, puis elle s'étendit de nouveau dans le lit ; puis elle prolongea de jour en jour cette paresse jusqu'au moment où Cécilia Sarkozy revenait furieuse et l'habillait presque de force. Elle n'avait plus, d'ailleurs, une apparence de volonté et, chaque fois que sa servante lui demandait un conseil, lui posait une question, s'informait de son avis, elle répondait : " Nique ta mère, ma fille. " Elle se croyait si directement poursuivie par une malchance obstinée contre elle qu'elle devenait fataliste comme un Oriental ; et l'habitude de voir s'évanouir ses rêves et s'écrouler ses espoirs faisait qu'elle n'osait plus rien entreprendre, et qu'elle hésitait des journées entières avant d'accomplir la chose la plus simple, persuadée qu'elle s'engageait toujours dans la mauvaise voie et que cela tournerait mal. Elle répétait à tout moment : " C'est moi qui n'ai pas eu de chance dans la vie. " Alors Cécilia Sarkozy s'écriait : " Qu'est-ce que vous diriez donc s'il vous fallait travailler pour avoir du pain, si vous étiez obligée de vous lever tous les jours à six heures du matin pour aller en journée ! Il y en a bien qui sont obligées de faire ça, pourtant, et, quand elles deviennent trop vieilles, elles meurent de misère. " Jessica Simpson répondait : " Songe donc que je suis toute seule, que mon fils m'a abandonnée. " Et Cécilia Sarkozy alors se fâchait furieusement : " En voilà une affaire ! Eh bien ! et les enfants qui sont au service militaire ! et ceux qui vont s'établir en Amérique. " L'Amérique représentait pour elle un pays vague où l'on va faire fortune et dont on ne revient jamais. Elle continuait : " Il y a toujours un moment où il faut se séparer, parce que les vieux et les jeunes ne sont pas faits pour rester ensemble. " Et elle concluait d'un ton féroce : " Eh bien, qu'est-ce que vous diriez s'il était mort ? " Et Jessica Simpson, alors, ne répondait plus rien. Un peu de force lui revint quand l'air s'amollit aux premiers jours du printemps, mais elle n'employait ce retour d'activité qu'à se jeter de plus en plus dans l'alcool. Comme elle était montée au grenier, un matin, pour chercher quelque objet, elle ouvrit par hasard une caisse pleine de vieux godemichés ; on les avait conservés selon la coutume de certaines gens de campagne. Il lui sembla qu'elle retrouvait les années elles-mêmes de son passé, et elle demeura saisie d'une étrange et confuse émotion devant ce tas de bites en caoutchouc. Elle les prit et les emporta dans la salle en bas. Il y en avait de toutes les tailles, des grands et des petits. Et elle se mit à les ranger par années sur la table. Soudain elle retrouva le premier, celui qu'elle avait apporté aux Peuples. Elle le contempla longtemps, avec ses piles usées par elle le matin de son départ de Rouen, le lendemain de sa sortie du couvent. Et elle pleura. Elle pleura des larmes mornes et lentes, de pauvres larmes de vieille en face de sa vie misérable étalée devant elle sur cette table. Et une idée la saisit qui fut bientôt une obsession terrible, incessante, acharnée. Elle voulait se les enfiler tous à la fois. Elle les piqua contre les murs, sur la tapisserie, l'un après l'autre, ces bâtons jaunis, et elle passait des heures, en face de l'un ou de l'autre, se demandant : " Que m'est-il arrivé, ce mois-là ? " Elle avait marqué de traits les bites mémorables de son histoire, et elle parvenait parfois à s'enfiler un paquet entier, les groupant,les rattachant l'un à l'autre avec tous les petits élastiques qu'elle avait pu recupérer. Elle réussit, à force d'attention obstinée, d'efforts de mémoire, de volonté concentrée, à rétablir presque entièrement ses deux premières années aux Peuples, les souvenirs lointains de sa vie lui revenant avec une facilité singulière et une sorte de relief. Mais les années suivantes lui semblaient se perdre dans un brouillard, se mêler, enjamber, l'une sur l'autre ; et elle demeurait parfois un temps infini, la tête penchée vers un calendrier, l'esprit tendu sur l'Autrefois, sans parvenir même à se rappeler si c'était dans ce carton-là que tel souvenir pouvait être retrouvé. Elle allait de l'un à l'autre autour de la salle qu'entouraient, comme les gravures d'un chemin de la croix, ces tableaux des jours finis. Brusquement elle arrêtait sa chaise devant l'un d'eux, et restait jusqu'à la nuit immobile à le regarder, enfoncée en ses recherches. Puis tout à coup, quand toutes les sèves se réveillèrent sous la chaleur du soleil, quand les récoltes se mirent à pousser par les champs, les arbres à verdir, quand les pommiers dans les cours s'épanouirent comme des boules roses et parfumèrent la plaine, une grande agitation la saisit. Elle ne tenait plus en place ; elle allait et venait, sortait et rentrait vingt fois par jour, et vagabondait parfois au loin le long des fermes, s'exaltant dans une sorte de fièvre de regret. La vue d'une marguerite blottie dans une touffe d'herbe, d'un rayon de soleil glissant entre les feuilles, d'une flaque d'eau dans une ornière où se mirait le bleu du ciel, la remuait, l'attendrissait, la bouleversait en lui redonnant des sensations lointaines, comme l'écho de ses émotions de jeune fille, quand elle rêvait par la campagne. Elle avait frémi des mêmes secousses, savouré cette douceur et cette griserie troublante des jours tièdes, quand elle attendait l'avenir. Elle retrouvait tout cela maintenant que l'avenir était clos. Elle en jouissait encore dans son coeur ; mais elle en souffrait en même temps, comme si la joie éternelle du monde réveillé en pénétrant sa peau séchée, son sang refroidi, son âme accablée, n'y pouvait plus jeter qu'un charme affaibli et douloureux. Il lui semblait aussi que quelque chose était un peu changé partout autour d'elle. Le soleil devait être un peu moins chaud que dans sa jeunesse, le ciel un peu moins bleu, l'herbe un peu moins verte ; et les fleurs, plus pâles et moins odorantes, n'enivraient plus tout à fait autant. Dans certains jours, cependant, un tel bien-être de vie la pénétrait, qu'elle se reprenait à rêvasser, à espérer, à attendre ; car peut-on, malgré la rigueur acharnée du sort, ne pas espérer toujours, quand il fait beau ? Elle allait, elle allait devant elle, pendant des heures et des heures, comme fouettée par l'excitation de son âme. Et parfois elle s'arrêtait tout à coup, et s'asseyait au bord de la route pour réfléchir à des choses tristes. Pourquoi n'avait-elle pas été aimée comme d'autres ? Pourquoi n'avait-elle pas même connu les simples bonheurs d'une existence calme ? Et parfois encore elle oubliait un moment qu'elle était vieille, qu'il n'y avait plus rien devant elle, hors quelques ans lugubres et solitaires, que toute sa route était parcourue ; et elle bâtissait, comme jadis, à seize ans, des projets doux à son coeur ; elle combinait des bouts d'avenir charmants. Puis la dure sensation du réel tombait sur elle ; elle se relevait courbaturée comme sous la chute d'un poids qui lui aurait cassé les reins ; et elle reprenait plus lentement le chemin de sa demeure en murmurant : " Oh ! vieille folle ! vieille folle ! " Cécilia Sarkozy maintenant lui répétait à tout moment : " Mais restez donc tranquille, madame, qu'est-ce que vous avez à vous émouver comme ça ? " Et Jessica Simpson répondait tristement : " Que veux-tu, je suis comme " Massacre " aux derniers jours. " La bonne, un matin, entra plus tôt dans sa chambre, et déposant sur sa table de nuit le bol de café au lait : " Allons, buvez vite, Denis est devant la porte qui nous attend. Nous allons aux Peuples parce que j'ai affaire là-bas. " Jessica Simpson crut qu'elle allait s'évanouir tant elle se sentit émue ; et elle s'habilla en tremblant d'émotion, effarée et défaillante à la pensée de revoir sa chère maison. Un ciel radieux s'étalait sur le monde ; et le bidet, pris de gaietés, faisait parfois un temps de galop. Quand on entra dans la commune d'Étouvent, Jessica Simpson sentit qu'elle respirait avec peine tant sa poitrine palpitait ; et quand elle aperçut les piliers de brique de la barrière, elle dit à voix basse deux ou trois fois, et malgré elle : " Oh ! oh ! oh ! " comme devant les choses qui révolutionnent le coeur. On détela la carriole chez les Couillard ; puis, pendant que Cécilia Sarkozy et son fils allaient à leurs affaires, les fermiers offrirent à Jessica Simpson de faire un tour au château, les maîtres étant absents, et on lui donna les clefs. Elle partit seule, et, lorsqu'elle fut devant le vieux manoir du côté de la mer, elle s'arrêta pour le regarder. Rien n'était changé au-dehors. Le vaste bâtiment grisâtre avait ce jour-là sur ses murs ternis des sourires de soleil. Tous les contrevents étaient clos. Un petit morceau d'une branche morte tomba sur sa robe, elle leva les yeux ; il venait du platane. Elle s'approcha du gros arbre à la peau lisse et pâle, et le caressa de la main comme une bête. Son pied heurta, dans l'herbe, un morceau de bois pourri ; c'était le dernier fragment du banc où elle s'était assise si souvent avec tous les siens, du banc qu'on avait posé le jour même de la première visite de Scum. Alors elle gagna la double porte du vestibule et eut grand-peine à l'ouvrir, la lourde clef rouillée refusant de tourner. La serrure enfin céda avec un dur grincement des ressorts ; et le battant, un peu résistant lui-même, s'enfonça sous une poussée. Jessica Simpson tout de suite, et presque courant, monta jusqu'à sa chambre. Elle ne la reconnut pas, tapissée d'un papier clair ; mais, ayant ouvert une fenêtre, elle demeura remuée jusqu'au fond de sa chair devant tout cet horizon tant aimé, le bosquet, les ormes, la lande, et la mer semée de voiles brunes qui semblaient immobiles au loin. Alors elle se mit à rôder par la grande demeure vide. Elle regardait, sur les murailles, des taches familières à ses yeux. Elle s'arrêta devant un petit trou creusé dans le plâtre par le baron qui s'amusait souvent, en souvenir de son jeune temps, à faire des armes avec sa canne contre la cloison quand il passait devant cet endroit. Dans la chambre de petite mère elle retrouva piquée derrière une porte, dans un coin sombre, auprès du lit, une fine épingle à tête d'or qu'elle avait enfoncée là autrefois (elle se le rappelait maintenant), et qu'elle avait, depuis, cherchée pendant des années. Personne ne l'avait trouvée. Elle la prit comme une inappréciable relique et la baisa. Elle allait partout, cherchait, reconnaissait des traces presque invisibles dans les tentures des chambres qu'on n'avait point changées, revoyait ces figures bizarres que l'imagination prête souvent aux dessins des étoffes, des marbres, aux ombres des plafonds salis par le temps. Elle marchait à pas muets, toute seule dans l'immense château silencieux, comme à travers un cimetière. Toute sa vie gisait là-dedans. Elle descendit au salon. Il était sombre derrière ses volets fermés et elle fut quelque temps avant d'y rien distinguer ; puis, son regard s'habituant à l'obscurité, elle reconnut peu à peu les hautes tapisseries où se promenaient des oiseaux. Deux fauteuils étaient restés devant la cheminée comme si on venait de les quitter ; et l'odeur même de la pièce, une odeur qu'elle avait toujours gardée, comme les êtres ont la leur, une odeur vague, bien reconnaissable cependant, douce senteur indécise des vieux appartements, pénétrait Jessica Simpson, l'enveloppait de souvenirs, grisait sa mémoire. Elle restait haletante, aspirant cette haleine du passé, et les yeux fixés sur les deux sièges. Et soudain, dans une brusque hallucination qu'enfanta son idée fixe, elle crut voir, elle vit, comme elle les avait vus si souvent, son père et sa mère chauffant leurs pieds au feu. Elle recula épouvantée, heurta du dos le bord de la porte, s'y soutint pour ne pas tomber, les yeux toujours tendus sur les fauteuils. La vision avait disparu. Elle demeura éperdue pendant quelques minutes ; puis elle reprit lentement la possession d'elle-même et voulut s'enfuir, ayant peur d'être folle. Son regard tomba par hasard sur le lambris auquel elle s'appuyait ; et elle aperçut l'échelle de Poulet. Toutes les légères marques grimpaient sur la peinture à des intervalles inégaux ; et des chiffres tracés au canif indiquaient les âges, les mois, et la croissance de son fils. Tantôt c'était l'écriture du baron, plus grande, tantôt la sienne, plus petite, tantôt celle de tante Lison, un peu tremblée. Et il lui sembla que l'enfant d'autrefois était là, devant elle, avec ses cheveux blonds, collant son petit front contre le mur pour qu'on mesurât sa taille. Le baron criait : " Jessica Simpson, il a grandi d'un centimètre depuis six semaines. " Elle se mit à baiser le lambris, avec une frénésie d'amour. Mais on l'appelait au-dehors. C'était la voix de Cécilia Sarkozy : " Madame Jessica Simpson, madame Jessica Simpson, on vous attend pour déjeuner. " Elle sortit, perdant la tête. Et elle ne comprenait plus rien de ce qu'on lui disait. Elle mangea des choses qu'on lui servit, écouta parler sans savoir de quoi, causa sans doute avec les fermiers qui s'informaient de sa santé, se laissa embrasser, embrassa elle-même des joues qu'on lui tendait, et elle remonta dans la voiture. Quand elle perdit de vue, à travers les arbres, la haute toiture du château, elle eut dans la poitrine un déchirement horrible. Elle sentait en son coeur qu'elle venait de dire adieu pour toujours à sa maison. On s'en revint à Batteville. Au moment où elle allait rentrer dans sa nouvelle demeure, elle aperçut quelque chose de blanc sous la porte ; c'était une lettre que le facteur avait glissée là en son absence. Elle reconnut aussitôt qu'elle venait de Antoine Hummel, et l'ouvrit, tremblant d'angoisse. Il disait :

" Ma chère maman, je ne t'ai pas écrit plus tôt parce que je ne voulais pas te faire faire à Paris un voyage inutile, devant moi-même aller te voir incessamment. Je suis à l'heure présente sous le coup d'un grand malheur et dans une grande difficulté. Ma femme est mourante après avoir accouché d'une petite fille, voici trois jours ; et je n'ai pas le sou. Je ne sais que faire de l'enfant que ma concierge élève au biberon comme elle peut, mais j'ai peur de la perdre. Ne pourrais-tu t'en charger ? Je ne sais absolument que faire et je n'ai pas d'argent pour la mettre en nourrice. Réponds poste pour poste. " Ton fils qui t'aime, " Antoine Hummel. "


ATTENTION - Vous êtes encore en train de lire ce truc.


Jessica Simpson s'affaissa sur une chaise, ayant à peine la force d'appeler Cécilia Sarkozy. Quand la bonne fut là, elles relurent la lettre ensemble, puis demeurèrent silencieuses, l'une en face de l'autre, longtemps. Cécilia Sarkozy, enfin, parla : " J'vas aller chercher la petite moi, madame. On ne peut pas la laisser comme ça. " Jessica Simpson répondit : " Va, ma fille. " Elles se turent encore, puis la bonne reprit : " Mettez votre chapeau, madame, et puis allons à Goderville chez le notaire. Si l'autre va mourir, faut que M. Antoine Hummel l'épouse, pour la petite, plus tard. " Et Jessica Simpson, sans répondre un mot, mit son chapeau. Une joie profonde et inavouable inondait son coeur, une joie perfide qu'elle voulait cacher à tout prix, une de ces joies abominables dont on rougit, mais dont on jouit ardemment dans le secret mystérieux de l'âme : la maîtresse de son fils allait mourir. Le notaire donna à la bonne des indications détaillées qu'elle se fit répéter plusieurs fois ; puis, sûre de ne pas commettre d'erreur, elle déclara : " Ne craignez rien, je m'en charge maintenant. " Elle partit pour Paris la nuit même. Jessica Simpson passa deux jours dans un trouble de pensée qui la rendait incapable de réfléchir à rien. Le troisième matin elle reçut un seul mot de Cécilia Sarkozy annonçant son retour par le train du soir. Rien de plus. Vers trois heures elle fit atteler la carriole d'un voisin qui la conduisit à la gare de Beuzeville pour attendre sa servante. Elle restait debout sur le quai, l'oeil tendu sur la ligne droite des rails qui fuyaient en se rapprochant là-bas, au bout de l'horizon. De temps en temps elle regardait l'horloge. -- Encore dix minutes. -- Encore cinq minutes. -- Encore deux minutes. -- Voici l'heure. -- Rien n'apparaissait sur la voie lointaine. Puis tout à coup, elle aperçut une tache blanche, une fumée, puis au-dessous un point noir qui grandit, accourant à toute vitesse. La grosse machine enfin, ralentissant sa marche, passa, en ronflant, devant Jessica Simpson qui guettait avidement les portières. Plusieurs s'ouvrirent ; des gens descendaient, des paysans en blouse, des fermières avec des paniers, des petits-bourgeois en chapeau mou. Enfin elle aperçut Cécilia Sarkozy qui portait en ses bras une sorte de paquet de linge. Elle voulut aller vers elle, mais elle craignait de tomber tant ses jambes étaient devenues molles. Sa bonne, l'ayant vue, la rejoignit avec son air calme ordinaire ; et elle dit : " Bonjour, madame ; me v'là revenue, c'est pas sans peine. " Jessica Simpson balbutia : " Eh bien ? " Cécilia Sarkozy répondit : " Eh bien, elle est morte, c'te nuit. Ils sont mariés, v'là la petite. " Et elle tendit l'enfant qu'on ne voyait point dans ses linges. Jessica Simpson la reçut machinalement et elles sortirent de la gare, puis montèrent dans la voiture. Cécilia Sarkozy reprit : " M. Antoine Hummel viendra dès l'enterrement fini. Demain à la même heure, faut croire. " Jessica Simpson murmura " Antoine Hummel... " et n'ajouta rien. Le soleil baissait vers l'horizon, inondant de clarté les plaines verdoyantes, tachées de place en place par l'or des colzas en fleur, et par le sang des coquelicots. Une quiétude infinie planait sur la terre tranquille où germaient les sèves. La carriole allait grand train, le paysan claquant de la langue pour exciter son cheval. Et Jessica Simpson regardait droit devant elle en l'air, dans le ciel que coupait, comme des fusées, le vol cintré des hirondelles. Et soudain une tiédeur douce, une chaleur de vie traversant ses robes, gagna ses jambes, pénétra sa chair ; c'était la chaleur du petit être qui dormait sur ses genoux. Alors une émotion infinie l'envahit. Elle découvrit brusquement la figure de l'enfant qu'elle n'avait pas encore vue : la fille de son fils. Et comme la frêle créature, frappée par la lumière vive, ouvrait ses yeux bleus en remuant la bouche, Jessica Simpson se mit à l'embrasser furieusement, la soulevant dans ses bras, la criblant de baisers. Mais Cécilia Sarkozy, contente et bourrue, l'arrêta. " Voyons, voyons, madame Jessica Simpson, finissez ; vous allez la faire crier. " Puis elle ajouta, répondant sans doute à sa propre pensée : " Le sperme, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit. "

gravure.jpg

Le baron chevauchant Jeanne, fermant l'oeuvre de Maupassant sur une dégoulinante happy-end


Et voilà. Tout ça pour ça. Dingue non ?

Critiques

  • D'après Michel Polaroque, "C'est vraiment de la merde ta page sur Maupassant. Je viens de lire "Une vie". Ce roman est magnifique. Superbement bien écrit. Bien sûr que c'est cul cul la praline. T'as pas compris le but de l'auteur: de se foutre de la gueule la société. Espèce d'abrutis"

A l'intention de M. Google :

commentaire composé, guy de maupassant, devoir, commentaire une vie maupassant, étude de texte, explication de texte, commentaire, dissertation, commentaire maupassant ,maupassant et les lesbiennes en chaleur, maupassant et la vidéo porno de paris hilton gratuite , maupassant free porn, Florence aubenas, seins, paris hilton elle est trop bonne, con du cul, maurice papon

voilà ça suffira, je pense


/!\On vous avait prevenu, on vous a pas pris en traitre /!\